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Importance de la multiplication et de la diversité génétique

Hans M. Heybroek

HANS M. HEYBROEK est généticien forestier à l'Institut Dorshkamp de recherche forestière et paysagiste, Wageningen, Pays-Bas.

Quand on cherche à améliorer les arbres forestiers, la première tâche est d'identifier ou de produire des génotypes supérieurs, que ce soit par sélection, essais de provenances, introduction, croisements expérimentaux, hybridations, etc Il est rare que ce qui est ainsi obtenu soit immédiatement utilisable par les forestiers. Avant d'employer massivement les génotypes améliorés il faut résoudre les problèmes que posent leur multiplication et l'indispensable diversité génétique du matériel à planter. Bien que l'on ne considère pas toujours ces problèmes comme étant directement du ressort du sélectionneur, celui-ci ne saurait en aucun cas les négliger, car ils constituent parfois d'importantes contraintes pour la stratégie de sélection.

Multiplication

Vergers à graines. Les vergers à graines sont l'un des principaux moyens utilisés pour améliorer les arbres forestiers. Ils ont pour but de produire en masse des semences de génotypes améliorés à utiliser dans les grands programmes de boisement et de reboisement.

Un verger à graines exige un important investissement en terre et en maind'œuvre et un gros effort de planification, d'établissement et d'entretien. C'est l'espoir d'obtenir une quantité suffisante de semences de qualité qui justifie cette mise de fond, souvent même qui inspire la décision fondamentale d'entreprendre un programme d'amélioration des arbres.

ESSAIS DE DESCENDANCE EN SCANDINAVIE étape essentielle de la sélection

La réponse à de nombreuses questions concernant les vergers à graines peut maintenant être trouvée dans un excellent manuel publié à la suite des travaux du groupe de travail IUFRO des vergers à graines (Faulkner, 1975). On notera que beaucoup de ces vergers commencent à remplir le rôle pour lequel ils ont été prévus. Mais d'autres présentent des difficultés qui ont été résumées comme suit:

Il semble que le rendement des vergers à graines ne réponde pas à ce qu'on en attendait. Le problème le plus fréquemment rencontré tient à ce que, chez bien des familles, il n'y a pas assez de fleurs mâles ou de fleurs femelles. En conséquence, la production effective de semences provient d'un nombre relativement réduit d'individus, alors que le principe même du verger était au contraire d'assurer une large base génétique. L'autofécondation risque alors de se généraliser. Même lorsque la floraison paraît suffisante, le taux d'avortement reste très élevé. En admettant que les cônes arrivent à maturité, le nombre de graines pleines par cône peut être très bas par rapport au potentiel. Il faut reconsidérer nos idées et nos méthodes pour que l'effort d'amélioration des arbres produise le rendement maximal en quantité et en qualité (Krugman, 1976; pour une étude détaillée, voir Sweet et Krugman, 1977).

Dans les tropiques humides, la multiplication par semences des pins non seulement exotiques mais aussi indigènes peut donner lieu à de grandes difficultés qui ne sont pas toujours prévisibles, du fait d'une floraison irrégulière, d'une pollinisation insuffisante, de l'avortement des fleurs et d'une faible production de graines. Des recherches supplémentaires sur ces questions sont nécessaires (Sheikh Ibrahim, 1977; Tufour, 1977).

Un autre problème fondamental que peuvent poser les vergers à graines est que l'on y vise une production élevée de graines mais ces graines doivent donner naissance à des arbres à croissance rapide: ces deux objectifs peuvent être contradictoires car il y a un antagonisme intrinsèque entre la production de graines et la croissance végétative Cet antagonisme, bien connu chez les pommiers, a été décrit pour plusieurs arbres forestiers (Heybroek et Visser, 1976; Teich, 1975; Heybroek, 1974). Il se peut même que des populations à floraison plus précoce ou plus abondante représentent des biotypes moins souhaitables (Delaunay, 1977; Heybroek, 1974).

C'est pourquoi il est dangereux d'utiliser des critères génétiques pour améliorer la production du verger à graines, en choisissant par exemple les clones très fructifères ou les clones à floraison relativement précoce. En outre, le fait que dans certains vergers à graines l'essentiel de la production provient d'un petit nombre de clones précoces et très fructifères est préoccupant. En effet, les semis issus de ces graines pourraient euxmêmes avoir une floraison précoce et abondante et cesser rapidement de s'accroître.

Il faut donc se tourner plutôt vers des méthodes non génétiques, et parfois entièrement artificielles pour augmenter la production d'un verger à graines. L'une d'elles, qui semble prometteuse, est de situer ce verger dans une station dont le climat est favorable à la floraison et à la fructification. On peut obtenir ainsi de bons résultats (Sweet, 1975; Werner, 1975; Gansel, 1973); mais cela exige souvent une étroite coopération internationale; malheureusement, dans de nombreux cas on ne connaît pas assez bien les aspects écophysiologiques de la floraison pour choisir des stations optimales. Parfois, la solution peut être de cultiver tout le verger à graines sous verre (Koski, '975) ou de traiter sous verre tous les deux ou trois ans les arbres qui les composent (R.C.B. Johnstone, communication personnelle). L'influence des types de sols, de l'élagage, de l'annélation, de l'irrigation et de la fertilisation sur la production de graines a été étudiée par Sweet (1975), Werner (1975) et Schmidtling (1975).

Une récente découverte scientifique nous donnera peut-être des méthodes pratiques pour agir sur la floraison dans les vergers à graines: on a en effet prouvé que certains acides gibberelliques contribuent fortement a induire la floraison chez les Pinaceae (Pharis et al., 1976; Ross et Pharis, 1976).

Si l'on fait un parallèle avec le verger à pommes (dont on s'est évidemment inspiré pour forger le terme «verger à graines»), on est frappé du rôle important que jouent les porte-greffes spéciaux pour déterminer la production de fruits dans l'arboriculture fruitière moderne. On peut difficilement croire que ce qui est vrai des pommiers est entièrement faux de tous les arbres forestiers. Très probablement, si la culture des pommiers est plus avancée que la sylviculture, c'est qu'elle bénéficie de siècles d'expérience pratique et d'une somme consi dérable de recherches. Il semble possible - et souhaitable - de faire des recherches afin d'identifier des portegreffes précoces et nanisants pour les principales essences forestières telles que l'épicéa de Norvège. D'après certains indices, on doit pouvoir en trouver (Anon., 1975; Dyson, 1975). Le rôle dominant qu'a joué une seule station de recherche dans la mise au point des divers porte-greffes de pommiers porte à croire qu'il faut un effort concentré de recherche, éventuellement dans le cadre d'une coopération internationale, pour créer une gamme de porte-greffes susceptibles de servir à l'établissement de vergers à graines à rendement rapide et élevé.

Une fois que le verger produit suffisamment de fleurs femelles, la production de graines peut encore être limitée par une pollinisation insuffisante. Des indices de plus en plus nombreux portent à croire qu'une pollinisation artificielle d'appoint permet d'accroître la production (Denison et Franklin, 1975; Hadders, 1977) et aussi de réduire la proportion élevée d'autofécondation qui se produit dans certains vergers à graines (Furukoshi, 1977), mais il demeure nécessaire de mettre au point de bonnes méthodes de pollinisation massive. Sweet et Krugman (1977) ont créé un nouveau type de verger à graines de Pinus radiata en utilisant exclusivement la pollinisation artificielle. Dans ces vergers, on empêche l'apparition des fleurs mâles en taillant périodiquement en haie les clones porteurs de cônes. Cela permet aussi de maintenir les fleurs femelles et les cônes à une hauteur accessible. Le pollen est recueilli dans des plantations clonales distinctes.

Multiplication végétative. Jusqu'à récemment, seules quelques essences de Populus et de Salix et quelques clones de Cryptomeria japonica et d'Ulmus faisaient l'objet d'une multiplication végétative à grande échelle. Comme ces essences s'enracinent assez facilement, la succession des opérations depuis le croisement, jusqu'à de grandes plantations clonales, en passant par la sélection et les essais clonaux, ne pose pas de problèmes particuliers (sauf en ce qui concerne Cryptomeria; voir Toda, 1974).

La majorité des essences forestières ne se prête pas à la multiplication végétative, du moins pas dans des conditions économiques applicables à grande échelle. Même si la plupart des arbres peuvent être multipliés par gref fage, cette pratique est trop coûteuse pour être adoptée en forêt. En outre des incompatibilités l'interdisent parfois.

Cependant, la recherche et les techniques modernes ont permis de mettre au point des méthodes pratiques de multiplication massive par boutures applicables à certains autres arbres forestiers importants: épicéa de Norvège, Pinus radiata et, en Afrique, Triplochiton scleroxylon, eucalyptus, etc. (Longman et al., 1977; Chaperon et Quillet, 1977). Cela a créé beaucoup de nouvelles possibilités intéressantes, mais aussi des problèmes inconnus (Kleinschmit, 1977). Ces progrès reposent sur la découverte que tous les arbres semblent passer par un stade juvénile; or, les boutures juvéniles prennent racine beaucoup plus facilement que celles qui sont prélevées sur des arbres adultes. Dans les essences mentionnées, les boutures de sujets juvéniles s'enracinent assez bien pour permettre une multiplication massive.

Cela entraîne de nombreuses conséquences. Faute de pouvoir faire rajeunir un arbre, il faut produire les clones à partir de jeunes arbres avant que ceux-ci aient prouvé leur supériorité. D'où l'importance de la sélection par familles et la nécessité de faire des essais précoces. Il faut trouver le moyen de conserver le stade juvénile dans une partie du matériel parental indéfiniment ou du moins beaucoup plus longtemps que ce ne serait possible si on laissait le plant en place sans intervention. Cela pose la question de savoir s'il existe d'autres différences entre le stade juvénile et le stade adulte: par exemple, dans quelle mesure la croissance rapide de l'ortet se retrouvera dans la bouture qui a un autre mode de développement des racines; on s'interroge également sur le processus de vieillissement (Zimmerman, 1976). On se demande quel degré d'interaction gènes-environnement a lieu au niveau de l'arbre dans une population. La nécessité de planter un matériel possédant une importante variabilité génétique n'en est que plus impérieuse (Kleinschmit, 1977). Il peut en résulter des problèmes de certification. Kleinschmit (1977) a montré comment un coût initial plus élevé des boutures peut être compensé par un gain génétique supérieur ou par la possibilité de planter avec un écartement plus grand.

Par ailleurs, la multiplication végétative offre davantage de perspectives d'amélioration génétique que la multi plication sexuée (Kleinschmit, 1977); elle permet de tourner tous les problèmes que posent les vergers à graines; elle rendra peut-être possible l'utilisation des provenances ou hybrides interspécifiques rares ou d'autres génotypes exceptionnels (Schreiner, 1966), maniée avec soin, elle permet aussi d'accroître la variabilité génétique au lieu de la diminuer, et elle peut s'integrer dans un programme d'amélioration très souple. Peut-être aussi nous préparera-t-elle aux problèmes et aux possibilités qui accompagneront l'apparition de méthodes permettant de produire massivement des arbres au moyen de cultures tissulaires.

Diversité génétique

La sélection aboutit souvent à remplacer les populations naturelles présentant une grande diversité génétique par un matériel beaucoup plus uniforme dit «amélioré» et ce, dans des zones de plus en plus vastes. De même, une essence exotique prometteuse peut être plantée dans des provinces entières. Sans doute s'attend-on chaque fois que sur la superficie ainsi plantée avec du matériel amélioré il se produise un accroissement proportionnel de la productivité, mais ce n'est pas toujours le cas. A plus d'un niveau et de plus d'un point de vue, la diversité génétique est un phénomène utile, à tel point qu'elle doit être considérée comme un des objectifs de l'amélioration. Si l'on n'en tient pas compte, on encourt des inconvénients et même des risques considérables. Généralement, la diversité génétique fait partie de la stratégie de la nature pour assurer la survie des populations.

Assurer la diversité génétique du matériel de plantation est une précaution évidente qui s'impose chaque fois qu'il y a une chance que la révolution suivante soit issue de semis naturels. Pour éviter la dépression endogamique chez les arbres de première génération et la réduire dans les générations suivantes, une certaine diversité génétique, c'est-àdire une absence de consanguinité entre les éléments de la population, est indispensable. Le degré de diversité génétique nécessaire peut être calculé. Il est comparable à celui dont on a besoin dans une collection d'arbres plus destinés à être utilisés pour obtenir une deuxième génération.

La diversité génétique du matériel planté peut être très utile au sélectionneur par la suite, car elle lui permet de choisir et d'utiliser les meilleurs individus du peuplement ainsi créé, en utilisant éventuellement comme critère supplémentaire de sélection une propriété qui n'avait pas été prise en compte du début du programme. On peut ainsi, grâce à la diversité génétique du matériel planté, favoriser la conservation des gènes.

On examinera de façon détaillée quatre autres raisons de rechercher la diversité génétique, en insistant sur les raisons et sur les mécanismes qui font que la diversité peut être plus souhaitable que l'uniformité. La théorie bien connue du rapport diversité-stabilité, critiquée à juste titre par Goodman (1975), ne sera pas invoquée.

Aspects esthétiques. L'intérêt pour l'homme des forêts et des autres plantations d'arbres ne se limite pas à la seule production de bois. Elles constituent aussi pour lui un environnement, de sorte que leur qualité esthétique et visuelle peut avoir une influence considérable sur son bien-être affectif et psychologique. Dans les zones fortement peuplées en particulier, c'est une des principales fonctions des arbres. Cette situation pose des problèmes pour le sélectionneur, mais lui offre aussi des possibilités (Koster, 1974; Townsend, 1977).

Dans des peuplements d'agrément ou dans l'aménagement du paysage, des plantations d'une même essence peuvent avoir un effet esthétique entièrement différent selon qu'il s'agit d'une plantation clonale ou de semis (Heybroek, 1976). Une plantation clonale convient particulièrement lorsque l'on cherche un effet régulier ou monumental et qu'un plan rigoureux exige la répétition géométrique d'arbres ayant exactement la même conformation, en lignes ou en blocs, ou encore lorsque l'on veut souligner l'aspect rationnel de certains paysages. Par leur uniformité, des plantations clonales équiennes se présentent comme un groupe plutôt que comme une collection d'individus. En revanche, lorsque l'on cherche à produire une atmosphère détendue et naturelle, les semis sont préférables. Contrairement aux clones, ils maximisent la variation d'un arbre à l'autre et manifestent des différences individuelles constantes de forme, de croissance, de mode de ramifications et d'implantation des feuilles, de couleur, de densité, de floraison, d'apparition et de chute des feuilles, etc., qui sont une source constante d'intérêt et de joie pour le spectateur. L'œil humain étant attiré par les variations et le détail, les arbres endom magés ou manquants sont immédiatement remarqués dans une plantation clonale, alors que dans les plantations de semis, chaque arbre diffère de son voisin et les trous sont moins voyants. Les plantations clonales, surtout lorsqu'elles sont équiennes, peuvent donner au paysage un aspect monotone. Le remplacement de semis par des plants clonaux uniformes peut se traduire par une perte esthétique incontestable.

Bien évidemment, la diversité diffère d'une population à l'autre et certaines peuvent en avoir trop ou pas assez pour les objectifs visés.

La diversité au niveau des essences est également importante. Toutefois, une extrême diversité d'essences est rarement souhaitable. L'idéal serait qu'un paysage possède à la fois une structure ou une physionomie bien nette et beaucoup de variations et de détails, c'està-dire la diversité dans l'harmonie. La prépondérance d'une certaine essence dans une aire est donc une bonne chose si elle cadre bien avec le paysage (Rapoport et Hawkes, 1970).

Production. Il semble étonnant que l'on dispose de si peu de données fiables concernant l'effet de la diversité génétique d'une part, de l'uniformité de l'autre, sur la production de bois à l'hectare. D'après des expériences sur les cultures agricoles, il semble que la productivité d'une culture mélangée (de lignées ou d'espèces pures) se situe généralement à un niveau intermédiaire, c'est-à-dire qu'elle est inférieure à celle de la meilleure composante et supérieure à celle de la plus mauvaise, lorsque cellesci sont cultivées pures et dans les mêmes conditions.

Mais il semble par ailleurs que sur une longue période la culture mélangée puisse produire plus qu'aucun des éléments qui la composent, si au cours des années envisagées les fluctuations météorologiques sont suffisantes pour que l'élément le plus productif du peuplement varie d'une année sur l'autre. Un tel phénomène s'explique par un jeu de compensation: si le développement d'un des éléments est ralenti (par le gel, la sécheresse, les parasites, etc.) assez tôt dans la croissance du peuplement mélangé, un autre élément peut tirer parti de ce vide. Ainsi le mélange produira plus que la moyenne du rendement arithmétique des éléments qui le composent.

Ce qui vaut pour le climat vaut aussi pour la station: dans une station très hétérogène, un mélange peut donner de meilleurs résultats qu'aucun des éléments qui le composent en peuplement pur, car chacun tend à dominer sur le terrain qui lui convient le mieux. Selon sa composition, il se peut donc que le mélange soit plus souple et plus capable de compenser les variations mésologiques dans le temps et dans l'espace, dans le climat ou dans la qualité du terrain.

En particulier dans le cas des arbres forestiers, qui doivent vivre pendant de nombreuses saisons dans des stations parfois beaucoup plus variables que celles où sont cultivées les plantes agricoles et sur des terrains souvent assez mal connus, un mélange approprié de bons génotypes peut être intéressant grâce à ces possibilités de compensation.

Dans cette optique, l'interaction gèneenvironnement du matériel est déterminante pour la supériorité du mélange: c'est seulement si chaque génotype réagit différemment aux variations du milieu qu'un mélange a des chances d'être supérieur. Ce qui compte ici, c'est l'interaction gèneenvironnement au niveau de l'arbre; cette interaction peut être mesurée si l'on emploie des clones (Matheson, 1977). Cet effet est essentiellement indépendant des interactions gène-environnement au niveau de la population, celles qui sont généralement étudiées (Goddard, 1977).

En ce qui concerne la production, les mélanges sont encore plus intéressants dans les cas où l'on peut prouver qu'il y a surcompensation, c'est-à-dire quand le mélange produit plus que chacun des éléments dont il est composé. Dans ces cas, apparemment d'autres mécanismes que les interactions gène-environnement sont en jeu. Tauer (1975) cite un cas de surcompensation pour le peuplier. De Wit (1977) pense que cette surcompensation se produit surtout dans les stations très défavorables et non dans les autres.

On peut faire des parallèles avec la sylviculture, où les avantages et les inconvénients des forêts homogènes par opposition aux forêts hétérogènes sont controversés. Dans un domaine comme dans l'autre, il est difficile de faire des expériences pour déterminer l'ordre de grandeur des avantages.

Risques inconnus. La diversité génétique est le seul moyen que nous ayons de nous protéger contre les dangers inconnus, si importants en forêt du fait de la longévité des arbres. Ce n'est certainement pas une protection parfaite, mais c'est la seule que nous ayons. Plutôt qu'une protection au sens propre, la diversité génétique est un moyen de répartir les risques.

Ces risques sont de nature très diverse. L'un de ceux dont se plaignent la plupart des sélectionneurs d'arbres vient de ce que nous ne pouvons mettre à l'essai pendant toute une révolution et dans toutes les conditions les types nouveaux et qui semblent les meilleurs. Nous diffusons souvent du matériel nouveau dès que celui-ci semble «prometteur»; on risque donc des déceptions à un stade ultérieur. Il se peut en effet que le matériel à un stade plus avancé de son développement ou lorsqu'il est planté ailleurs que là où il a été essayé présente des faiblesses physiologiques inattendues, des sensibilités aux parasites, etc. (Toda, 1974). De même, les extrêmes climatiques ayant une probabilité statistique de se produire une fois en cinquante ans ne sont généralement pas testés pendant la période d'expérience et constituent donc un risque inconnu. En raison de ces inconnues, le sélectionneur s'efforce souvent de diffuser des matériaux différents afin de répartir les risques.

Fondamentalement, cela vaut aussi pour un problème beaucoup plus grave et complexe, celui des maladies et insectes «nouveaux». L'exemple de l'introduction du chancre du châtaignier et de la thyllose de l'orme en Amérique du Nord et en Europe, de Marssonina brunnea et de Rhabdocline pseudotsugae en Europe, de deux types de rouille du peuplier en Australie et en NouvelleZélande et de Phytophthora cinnamomi dans l'ouest de l'Australie sont bien connus. On pourrait en citer d'autres, et de nombreux cryptogames semblent n'attendre qu'un vecteur pour envahir un continent nouveau et pour que l'histoire se répète. Dans ce sens, un accroissement génétique de la pathogénicité d'un parasite (Snow et al., 1976; Gibbs et al., 1975) peut aussi être considéré comme une maladie «nouvelle».

Quant à la diversité génétique au sein d'une essence, les effets des épiphyties citées plus haut sont manifestement différents. Rappelons que toute la diversité naturelle de l'essence n'a pas suffi pour sauver le châtaignier américain, qui a été pratiquement anéanti par le chancre. De même dans de vastes régions de son habitat, l'orme américain semble voué au même destin de la thyllose. Or l'un et l'autre sont des espèces indigènes. Cela prouve bien que la diversité naturelle n'est pas une panacée.

AU LIBAN ON REBOISE AVEC DES CÈDRES dans le cadre d'un «plan vert» national

Mais dans d'autres cas, la situation est différente. Les premiers effets de l'importation de Cronartium ribicola sur Pinus monticola ont été désastreux. Le patrimoine génétique de cette essence contenait probablement sufffisamment de gènes résistant à cette maladie pour que des peuplements de Pinus monticola plus ou moins résistants puissent se reconstituer en quelques générations; ce processus peut être accéléré par les sélectionneurs (Hoff et al., 1976). La populiculture a beaucoup souffert de l'importation de Marssonina brunnea en Italie où le clone I-214, par malchance parti culièrement sensible, était prédominant; en revanche, aux Pays-Bas, des clones plus nombreux étaient cultivés et un seul d'entre eux s'est avéré très sensible. Grâce à l'accumulation d'autres variations génétiques dans un programme de sélection très actif, on a pu rapidement diffuser deux clones très résistants, de sorte que la nouvelle épiphytie n'a eu d'autre effet que de modifier l'assortiment de clones utilisés. Dans le cas de Rhabdocline pseudotsugae en Europe occidentale, une partie seulement de la population hôte, qui était variée, a gravement souffert; après la disparition de cette partie de la population, la maladie a perdu de son importance.

Ces exemples suffiront peut-être à prouver que l'effet d'une maladie nouvelle sur une espèce peut varier considérablement. Il est le plus souvent possible de prédire dans quelles proportions l'essence sera sensible et à quel degré. Il est clair que la diversité génétique des essences hôtes joue un rôle très important pour prévenir des catastrophes et pour sauvegarder la culture d'une essence, même après des pertes initiales.

Mais comme ces dangers sont en fait inconnus et imprévisibles, il est impossible de dire combien de diversité génétique est nécessaire pour réduire les risques à un niveau acceptable. On peut seulement chercher à planter un matériel aussi varié génétiquement que possible et décider dans chaque cas quels sacrifices on est prêt à faire (augmentation des coûts ou perte de productivité).

La diversité génétique au niveau des essences est une mesure de protection évidente et généralement efficace contre les dangers en question. Il risqué de dépendre d'une seule essence sur des étendues importantes et la diversification est préférable.

Protection mutuelle. La «multilignée» décrite pour les petites graines par Browning et Frey (1969) est un cultivar très perfectionné composé d'un mélange de lignées pures pratiquement identiques pour la plupart des propriétés, mais dont la résistance n'est pas la même pour les différentes races de rouille. Chaque lignée résiste à un certain ensemble de races et aucune n'est immune à toutes. Ces lignées de résistance différente sont mélangées dans des proportions correspondant à celles de chaque race de la rouille dans l'ensemble de spores observées pendant la campagne précédente. Le cultivar multilignée ainsi obtenu n'est pas immun, mais ne subit jamais de réels dégâts du fait de la rouille. Et, effet tout aussi important, il tend à stabiliser la composition de la population de rouilles au cours des années, empêchant ainsi l'apparition de nouvelles races. C'est un moyen d'appliquer sans danger la résistance verticale ou spécifique.

Ce type de multilignée est donc une protection contre un parasite exactement connu et défini. La diversité génétique est soigneusement dosée en fonction de cet ennemi unique, à tous les autres égards, le cultivar est homogène. C'est là un exemple intéressant qui montre les possibilités d'application de la diversité génétique. Mais, nous forestiers, nous n'avons encore ni les connaissances ni le matériel végétal dont nous aurions besoin pour nous inspirer de cet exemple en sylviculture.

Pour certaines combinaisons hôteparasite, les arbres présentent un inconvénient: leurs grandes dimensions réduisent l'utilité des mélanges. L'efficacité des multilignées chez les petites céréales pour résister à une rouille de la feuille vient en partie de ce que chaque plante hôte est longue et étroite, et relativement petite. Lorsqu'un plant est infecté par une race de rouille à laquelle il est sensible une bonne proportion des spores produites seront interceptées par les feuilles des plants voisins, qui ne sont pas sensibles à cette race. Inversement, les spores que ce plant recevra du pied voisin appartiennent à d'autres races, auxquelles lui-même n'est pas sensible. Ainsi, une forte proportion de spores produites dans le champ aboutiront sur des feuilles où elles ne peuvent produire des infections, et seront donc perdues. Cette protection mutuelle ralentit la diffusion d'une épiphytie, et la culture peut ainsi arriver à maturité avant d'être gravement atteinte.

Ce ralentissement de la multiplication du parasite sera sans doute moins marqué dans de nombreuses maladies des arbres simplement en raison de la dimension de l'hôte. Ainsi le houppier d'un peuplier est suffisamment vaste pour qu'une spore soit entourée de feuilles également sensibles et la multiplication de la population de rouille sera à peine ralentie si les peupliers voisins sont résistants à cette race de rouille. Pour de nombreuses maladies, un arbre suffit pour permettre à une véritable population de parasites de se constituer; certaines maladies peuvent parfois évoluer ainsi sur plusieurs années puisque l'arbre ne bouge pas.

On ne saurait exclure que la propagation de la maladie puisse être ralentie de façon utile quelles que soient les combinaisons hôte-parasite et les conditions. Ainsi, lorsqu'une maladie se propage lentement à partir d'un foyer d'infection, par exemple une pourriture de la racine qui ne se propage que par contact de racine à racine, on peut penser qu'un certain pourcentage d'arbres résistants de la même essence ou d'une autre dans le peuplement réduisent effectivement la propagation de la maladie. Mais si cette maladie peut pénétrer dans le peuplement en plusieurs points, cet effet de barrière des arbres résistants sera annulé.

On peut donc dire que le ralentissement de la propagation d'une épidémie due au mélange de génotypes variera d'un cas à l'autre et c'est seulement dans des conditions tout à fait particulières que l'on pourra espérer un effet de retardement. L'espoir d'améliorer la santé de ces arbres en utilisant une collection plus ou moins aléatoire de génotypes semble en grande partie injustifié.

Il est parfois avancé que l'uniformité génétique peut en soi accroître la sensibilité d'un peuplement aux maladies. Il est clair, d'après ce qui précède, que ce n'est pas le cas. La diversité génétique diminue rarement l'incidence d'une maladie sur chaque génotype, mais peut réduire le risque global en le partageant entre plusieurs génotypes.

Utilisation de clones. La plantation d'un même clone sur de grandes surfaces aboutit à une situation limite très inquiétante: la diversité génétique est en effet réduite au minimum. Il est évident que l'emploi de clones peut facilement aboutir à la réduction de la diversité génétique, avec bous les effets négatifs et les dangers évoqués plus haut. Mais ces dangers ne sont pas inhérents à toutes les utilisations possibles de la multiplication végétative. Une production rationnelle et une utilisation prudente des clones peuvent permettre d'obtenir une diversité génétique identique ou même supérieure à celle des populations issues de semences.

Tout d'abord, il semble souhaitable de produire et de diffuser autant de bons clones que le commerce pépiniériste peut raisonnablement le faire et d'en conserver en stock et à l'essai de façon à pouvoir remplacer ceux qu'il vaut mieux retirer. Les clones doivent avoir des antécédents génétiques très différents. Dans ce cas, la multiplication végétative peut jouer un rôle très important pour accroître la diversité génétique du matériel à planter. Elle permet de multiplier des recombinaisons rares d'hybrides et d'autres génotypes peu courants, qu'il n'est pas facile de conserver dans des populations issues de semences. Ainsi, il n'est pas difficile de conserver avec un nombre restreint de clones une gamme de diversité génétique beaucoup plus large que dans une grande population de plants issus de semences.

Reste à déterminer la façon d'utiliser les clones: en peuplements purs ou en mélanges au niveau d'arbres déterminés. Les deux méthodes semblent acceptables dans certaines conditions, les deux présentent des avantages et des inconvénients. Dans les mélanges, on peut tirer parti des effets possibles de l'interaction génotype-environnement, de la compensation et de la protection mutuelles et, dans certains cas, d'un aspect esthétique plus satisfaisant.

L'effet des dégâts imprévus peut être modifié de deux façons différentes: des dégâts peu importants touchant un faible pourcentage de la population sont à peine visibles dans un mélange, surtout s'ils se produisent lorsque le peuplement est jeune. Par contre, ils ont un effet maximal sur les peuplements purs. En revanche, si une plus forte proportion des éléments sont touchés, tous les peuplements mélangés en souffrent alors que si on avait fait des plantations pures séparées pour chacun des éléments, certains peuplements resteraient tout à fait ntacts alors que d'autres pourraient être récoltés et replantés en clones plus résistants. Les peuplements clonaux purs peuvent être plus faciles pour le sylviculteur, le pépiniériste et l'administration responsable du contrôle des plants ainsi que l'utilisateur industriel; mais si les clones sont vendus purs et que le mélange est à la discrétion de l'utilisateur, on risque de voir un ou deux clones favorisés constituer en définitive la majorité des plantations. Pour l'éviter, il faut que chaque clone diffusé présente soit de grands avantages à tous les égards ou un avantage exclusif pour une utilisation particulière. Il peut être avantageux de mettre sur le marché aussi bien des populations issues de semences que des clones pour une même essence.

Les mélanges présentent un net avantage quand les composants, les stations et leurs interactions posent de nombreuses inconnues. Il en va de même si la station varie considérablement. Si l'on souhaite des mélanges de nombreux clones (Kleinschmit préfère que ces mélanges comprennent au moins 100 clones), il est peut-être préférable de diffuser non pas le clone, mais le mélange, la composition en étant déterminée et surveillée par une station de recherche, une autorité responsable ou une autre organisation ayant des pouvoirs étendus.

D'après ce qui précède, il doit être évident que la diversité génétique du matériel planté ne donne aucune garantie contre les maladies et les pertes. Mais dans bien des cas elle peut limiter leur effet, tout d'abord en répartissant le risque, puis par le jeu de la compensation et même, éventuellement, en ralentissant la propagation d'un parasite.

Pour cette raison et d'autres encore, la diversité génétique est un objectif important du sélectionneur. Il lui incombe de la maintenir et de la développer, car c'est lui qui doit travailler dans une perspective à long terme. Le cas échéant, il doit convaincre les pépiniéristes et les utilisateurs des bois de l'avantage de la solution qu'il préconise. Même si l'on ne peut pas définir le degré de diversité nécessaire, il doit s'efforcer d'accroître plutôt que de réduire la diversité génétique.

Une façon très efficace de diversifier est d'utiliser des essences différentes. Cette méthode est tellement évidente qu'elle risque d'être oubliée. Les pays qui sont fortement tributaires d'une ou deux essences seulement doivent chercher à en introduire d'autres. Les pays possédant quelques essences principales et un grand nombre d'essences secondaires doivent résister à la tentation de concentrer tous leurs efforts de sélection sur les essences principales ce qui ne ferait qu'aggraver leur dominance. AU contraire, il faut améliorer également les essences secondaires, de façon à mettre à la disposition des planteurs toute une gamme de matériel de multiplication de bonne qualité.

Références, Importance de la multiplication et de la diversité génétiqu.

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