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Prévoir le temps en agroclimatologie

Orman E. Granger

ORMAN E. GRANGER, climatologiste au département de géographie de l'université de Californie, Berkeley.

Perturbations climatiques productivité des forêts et nouvelles méthodes de prévision des précipitations saisonnières

Depuis quelques années, le climat du globe, traditionnellement considéré comme un élément statique de l'environnement sans beaucoup d'importance sinon sur le plan théorique, retient l'attention mondiale en raison du comportement déréglé du temps dans la période récente et des conséquences qui en ont résulté pour les réserves mondiales d'aliments et d'énergie, les ressources en eau et la politique internationale. Des sécheresses dévastatrices en Afrique sahélienne, en U.R.S.S., en Inde, en Asie méridionale, dans le nord de la Chine, en Amérique centrale, dans les Caraïbes et en Californie, des pluies diluviennes et des inondations en Inde, au Bangladesh, dans le centre-ouest des Etats-Unis, ailleurs des hivers anormalement doux ou anormalement froids, des cyclones destructeurs, des saisons de végétation raccourcies, ont causé des pertes de vies humaines et une dépression économique.

Ces aberrations climatiques apparemment imprévues ont engendré un foisonnement de rapports, de communications et d'enquêtes, parce que de courts cycles d'hivers doux dans une grande partie de l'Europe, dans le sud et le centre-ouest des Etats-Unis et d'autres régions avaient précédemment créé un certain scepticisme à l'égard de la climatologie, qui apparaissait comme une science intéressante, certes, mais d'application pratique contestable dans le monde actuel. Cette attitude a été renforcée par le fait qu'à quelques exceptions près la plupart des années de la période 1956-72 ont bénéficié de conditions climatiques exceptionnellement favorables pour la production agricole, notamment en Amérique du Nord, et pour la production forestière dans la majeure partie des régions tropicales et des régions de latitudes moyennes. La variabilité est pourtant une caractéristique intrinsèque du climat, dont les changements ne doivent pas être perçus comme des événements imprévus, anormaux ou exceptionnels. De plus, le climat est une ressource importante qui ne doit pas être tenue pour acquise - une ressource dont le comportement est encore mal compris et qu'on s'attend à voir varier mais sans être en mesure de prévoir ses changements avec précision.

De nombreux experts s'accordent à penser que l'abaissement de la température du globe qui s'est manifesté depuis 1940, après un demi-siècle de réchauffement, continuera à amener une variabilité croissante du climat jusqu'à la fin de ce siècle et au début du prochain. Certains climatologistes estiment que cette tendance au refroidissement pourrait aboutir à une nouvelle période glaciaire qui, sans être du même ordre de grandeur que la glaciation pléistocène, serait certainement comparable à la «petite glaciation». A l'appui de cette thèse ils invoquent l'accroissement soudain de la couverture de neige et de glace dans l'hémisphère nord, l'expansion de l'anticyclone circumpolaire qui barre le passage d'air tropical humide dans les zones de mousson, la fréquence accrue des sécheresses dans les zones tropicales et subtropicales, et le raccourcissement des saisons de végétation, pour ne mentionner que quelques-uns de leurs arguments. D'autres voient dans la tendance au refroidissement et autres phénomènes l'effet de causes extraterrestres telles que les taches solaires, bien que l'on ne connaisse pas encore très bien les rapports entre ce phénomène et les fluctuations climatiques.

TABLEAU 1. Stations utilisées pour le calcul des moyennes régionales de précipitations saisonnières

Stations de Californie


Latitude

Longitude

Sacramento

38°35'

121°30'

Fresno

36°46'

119°43'

San Francisco

37°47'

122°25'

Santa Cruz

36°59'

122°01'

Salinas

36°40'

121°36'

San Luis Obispo

35°18'

120°40'

Santa Barbara

34°26'

119°50'

Los Angeles

34°03'

118°14'

San Diego

32°44'

117°10'

Stations mexicaines

Mazatlan

23°12'

106°25'

San Blas

21°50'

105°15'

Gundalajara

20°36'

103°23'

Acapulco

16°50'

95°55'

Salina Cruz

16°10'

99°12'

Certains, par contre, pensent que les variations climatiques actuelles ont des causes terrestres - fréquence des éruptions volcaniques, émission dans l'atmosphère de polluants et d'aérosols dus aux activités humaines, accroissement spectaculaire de la concentration de CO2 résultant de la combustion inconsidérée de combustibles fossiles et mépris total, dans certaines régions, de toute politique écologique rationnelle en matière d'utilisation des terres. D'autres encore estiment que les contrastes climatiques sont des phénomènes fortuits, que le climat futur est indéterminé, ou que l'ensemble terre-atmosphère-hydrosphère-cryosphère possède la faculté intrinsèque d'évoluer, par des mécanismes d'interaction, d'un état bien différencié à un autre en passant par des états transitoires éphémères, de sorte que la dynamique déterministe telle qu'appliquée actuellement pourrait bien n'être qu'un vain exercice de l'esprit. En bref, nous risquons de ne jamais être capables de prévoir un micro-état du système tant que nous n'aurons pas une connaissance complète et détaillée de toute la série des micro-états possibles.

Peut-être est-il impossible de prévoir avec une totale exactitude ce que sera le climat dans l'avenir, mais cela n'exclut pas complètement des pronostics basés sur le calcul des probabilités. Nous pouvons légitimement soutenir que c'est précisément sous cette forme opérationnelle que les résultats des recherches climatologiques acquièrent, une importance primordiale en ce qui concerne la politique à suivre et les décisions à prendre de manière à prévenir les éventuelles calamités et à faire des prévisions économiques. Les risques et les incertitudes doivent être évalués de la même manière que dans d'autres domaines. Les décisions de gestion forestière et les prévisions concernant la production forestière et la régénération en sont des exemples pertinents.

D'innombrables études démontrent la forte corrélation qui existe entre la productivité et les principales variables climatiques: Drozdov (1971), Jordan (1971), Watson (1963), Chang (1968a, 1965, 1968b), Bazilevich et al. (1968), pour ne citer que quelques auteurs; toutes ces études sous-entendent que la productivité primaire est en relation étroite avec la variabilité et les fluctuations des éléments climatiques. De plus, on a démontré que la variabilité climatique était plus marquée dans les régions semi-arides et subhumides du globe et que celles-ci, en raison de leur sensibilité climatique, pourraient constituer le baromètre le plus fidèle des tendances à grande échelle.

Leith (19,'3) et Leith et Whittaker (1975) ont construit des modèles qui permettent de prédire la productivité primaire nette de la végétation d'une région à partir des températures et des précipitations annuelles moyennes. Ces modèles ont jusqu'à présent donné des résultats remarquables lorsqu'on les compare à ceux obtenus par d'autres méthodes. Leith (1976) les a utilisés pour prédire l'effet que pourraient avoir des changements clans les températures et les précipitations sur la productivité primaire nette, pour des bandes de latitude larges de 10° entre 70°N et 40°S. Les résultats montrent que la productivité primaire nette mondiale peut varier de 5 pour cent à la suite d'un changement de température de 1°C accompagné d'un changement de 6 pour cent dans les précipitations. Sur ces 5 pour cent, environ 1,6 pour cent est dû aux variations de température et 3,4 pour cent à celles de la pluviométrie. Les fluctuations des précipitations ont en général un effet plus grand sur la végétation que les écarts thermiques, bien qu'il y ait des différences en fonction de la latitude: Leith indique une différence de 8 pour cent dans la productivité, due presque entièrement à la température dans la bande située entre 60° et 70°N, contre un écart de 5 pour cent dans la bande 0° à 10°N, presque entièrement imputable à un changement intervenu dans les précipitations.

Figure 1. Spectres de puissance des séries de précipitations annuelles, de saison sèche et de saison humide pour la période 1921-70 à Sainte-Claire de Trinidad (Antilles), et pour l'ensemble de l'île

Figure 2. Précipitations saisonnières lissées binomialement, exprimées en pourcentages de la moyenne à long terme à San Diego superposées à celles de Mazatlan avec un décalage de sept ans. Noter le déplacement des temps sur les abscisses

En se basant sur l'état actuel de nos connaissances concernant les fluctuations climatiques futures, on peut s'attendre à des variations annuelles moyennes de plusieurs degrés pour ce qui est des températures et de plusieurs dizaines de points de pourcentage pour les précipitations (Lamb, 1966; Mitchell, 1974; Johnson et al., 1973). Il apparaît que la première moitié du vingtième siècle a connu un répit temporaire après les conditions plus «glaciaires» de la période 1600-1900 et les caractéristiques climatiques du milieu du dix-neuvième siècle pourraient donner une meilleure estimation de ce qu'apporteront les 20 prochaines années que la «normale» de 1931-60 ou 1941-70.

De leurs recherches sur les oscillations climatiques entre 1200 et 2000 après J.C., utilisant la composition isotopique de la glace de glacier provenant du noyau glaciaire de Camp Century comme indicateur climatique. Johnson et al. (1970) concluent que si nous négligeons les «événements accidentels» et les effets d'une pollution atmosphérique à grande échelle, il y a une probabilité de plus de 85 pour cent pour que la tendance au refroidissement se poursuive pendant les 10 ou 20 prochaines années, suivie par un réchauffement atteignant son maximum entre 2010 et 2020. D'après Hubert Lamb et Tadashi Asakura, les périodes fraîches seraient marquées par une plus grande variabilité climatique, tandis que Reid Bryson a démontré que la fréquence des sécheresses dans le nord-ouest de l'Inde au cours du vingtième siècle était en corrélation avec le refroidissement aux hautes latitudes.

Bien que la question de la «tendance au refroidissement» soit encore contestée, il semble de plus en plus assuré que des modèles de prévisions permettant de mieux remédier aux incertitudes de la variabilité climatique seront plus décisifs pour les 20 prochaines années qu'ils ne l'ont été pour la période 1931-60.

Se basant sur les cycles des taches solaires, Willett (1976) prédit pour les 25 prochaines années: (a) une baisse des températures à toutes les latitudes à un niveau nettement inférieur à celui atteint au milieu des années soixante, sans que l'on puisse dire si cette baisse commencera immédiatement, atteignant son point minimal dans les années quatre-vingt, ou si elle débutera dans les années quatre-vingt pour arriver à un seuil dans les années quatre-vingt dix; (b) aucune grande sécheresse prolongée aux latitudes moyennes basses, sauf peutêtre sur la frange subtropicale des Etats des Etats-Unis limitrophes du Mexique; (c) une période à dominance sèche au cours des 20 prochaines années dans la gamme supérieure des latitudes moyennes, notamment au Canada et en Europe septentrionale, et aux latitudes subtropicales avec une décennie de sécheresse sévère probable en Asie méridionale et en Afrique subtropicale.

Willett prédit en outre qu'entre 2000 et 2030 (a) il y aura un brusque retour à un climat nettement plus chaud aux latitudes moyennes et hautes pendant la première décennie du siècle prochain, après quoi les températures baisseront de nouveau brutalement. La chaleur de cette période ne s'approchera pas en intensité de celle de la période 1931-60; (b) la décennie chaude 2000-2010 tendra à être plus humide aux latitudes hautes, moyennes et subtropicales, mais plus sèche aux latitudes moyennes basses; (c) le retour à des conditions plus fraîches au cours des 20 années 2010-2030 devrait s'accompagner d'un retour à une relative humidité vers le bas des latitudes moyennes et d'une relative sécheresse dans la bande supérieure des latitudes subtropicales moyennes.

Il faut souligner toutefois que jusqu'à présent nous ne disposons pas de preuves ni d'explications suffisamment convaincantes pour confirmer les relations entre taches solaires et climat, ce qui ne veut pas dire que cette hypothèse doive être rejetée. Si ces prédictions s'avéraient exactes, ne serait-ce qu'en partie, il est évident que de vastes régions du monde souffriraient d'une manière ou d'une autre de ces oscillations climatiques. Certaines pourraient être plus touchées que d'autres, et même dévastées, à moins que l'on ne dispose d'un système d'avertissement climatique à l'échelle de l'année.

Granger (1977) a montré qu'il y a eu d'importantes fluctuations quasi périodiques des précipitations en Californie au cours des 100 dernières années, avec des périodes de sécheresse marquée d'une durée de trois à six ans, et des phases humides de même amplitude, et l'on peut s'attendre que ces fluctuations se poursuivent dans les années à venir. À partir des séries de données, on peut démontrer qu'une extrême variabilité caractérise les périodes de températures décroissantes dans notre hémisphère. Des oscillations quasi périodiques analogues apparaissent dans les séries pluviométriques de Trinité, dans les Antilles, ainsi que dans les séries de bilans hydriques en raison des fluctuations concomitantes de températures qu'on y observe (Granger, 1971). Ces oscillations se traduisent par quatre années de déficit hydrique relativement élevé, ~ 40 cm, pendant la saison sèche, suivies d'une année de faible déficit, ~ 7,7 cm (figure 1). Depuis 1957, toutefois, on a constaté une tendance à une aridité plus grande, coïncidant avec une nette décroissance des températures de ~ 1°C.

Les études mentionnées ci-dessus, de même que celles de Kraus (1954, 1955, 1958), Trenberth (1976), Longley (1,°53), Bradley (1976), Krueger et Gray Jr. (1967), Lamb (1966), Hastenrath (1967), Winstanley (1973b), Bunting et al. (1976), pour n'en citer que quelques-unes, indiquent clairement que températures et précipitations ont fluctué dans le passé sur de vastes parties du globe, et on peut en inférer que des fluctuations analogues se produiront dans l'avenir. En outre, il y a tout lieu de conclure à un parallélisme dans le comportement des régimes climatiques de différentes régions, par exemple entre les régimes de mousson d'Afrique et d'Asie notamment le long de leurs bordures arides (Kraus, 1971), et entre les régimes de pluies d'été de l'ancien et du nouveau monde (Byrne et al., 1978).

On en conclut inévitablement que les sécheresses dévastatrices des années soixante-dix dans le Sahel, en U.R.S.S., en Californie et dans d'autres régions du monde doivent être admises comme faisant partie du climat normal de ces régions, et on doit donc s'attendre à les voir se reproduire. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que la période 1931-60 prise presque universellement comme étalon de comparaison, a été une période de pluviométrie supérieure à la moyenne dans la plupart des régions du globe. Si nous partons du principe que l'effet des aberrations climatiques peut être atténué lorsqu'il est possible de les prévoir, le problème se réduit à élaborer des modèles de prévision solides et à évaluer la gravité des perturbations sociales et économiques engendrées par les accidents climatiques à différents degrés d'ampleur et d'intensité. Granger et al. (1978), essayant de répondre à la première de ces conditions, ont imaginé un modèle pour la Californie à partir des résultats des recherches de Byrne et al. (1978).

Ces auteurs ont procédé à une analyse comparative des tendances récentes des précipitations dans les régions subtropicales de l'ancien et du nouveau monde mises en lumière par les travaux de Winstanley (1973a, 1973b), et ont découvert un effet de décalage inattendu de 7 ans entre la pluviométrie d'été dans le centre-nord du Mexique et la pluviométrie d'hiver dans le sud de la Californie. Toutefois, la plus forte corrélation déphasée apparaissait dans des séries pluviométriques lissées par l'emploi de moyennes mobiles sur 5 ans et pouvant donc être soumises à l'effet Slutzky-Yule. La figure 2 montre les résultats pour deux stations. Granger et al. (1978) poussèrent plus loin l'étude de ce décalage dans les domaines de la fréquence et du temps en utilisant une analyse spectrale croisée et isolant toutes les échelles possibles de différenciation de la fluctuation dans la série de données, et des analyses de corrélation déphasée.

Figure 3. A. Spectres de puissance des séries chronologiques de précipitations saisonnières pour Mazatlan et an Diego

Figure 3. B. Spectre croisé des deux mêmes séries

Figure 3. C. Carré de la cohérence entre les deux séries, Mazatlan étant la série indépendante

Figure 3. D. Déphasage correspondant au décalage entre les deux séries, celle de Mazatlan précédant celle de San Diego

La série de données consistait en (a) totaux saisonniers des précipitations de stations du Mexique et de Californie indiquées dans le tableau 1 pour la période 1880-1973; (mai à octobre pour le Mexique, novembre à avril pour La Californie); (b) totaux saisonniers exprimés en pourcentage de leur moyenne à long terme pour permettre de comparer les valeurs des deux régimes pluviométriques à la même échelle; (c) moyennes régionales des pourcentages de précipitations saisonnières; (d) moyennes mobiles des pourcentages de précipitations saisonnières, pondérées en fonction des coefficients binomiaux pour 6 périodes. Les stations californiennes ont été choisies compte tenu de l'homogénéité de leurs régimes pluviométriques, indiquée par les coefficients de corrélation entre stations et les coefficients de variation, tandis que les stations mexicaines l'ont été d'après la classification des régimes pluviométriques du Mexique établie par Wallen (1955), confirmée par des analyses de corrélation entre stations.

Des évaluations spectrales avec des périodes de base de 2 mÑ t ont été obtenues pour des bandes de fréquences de 0,0167 cycle par an pour m = 30 et Ñ t = 1 an. Les évaluations brutes ont été régularisées par «hanning». L'hypothèse zéro d'un continuum de «bruit blanc» a été adoptée parce que la fonction d'autocorrélation de premier ordre n'était pas significativement différente de zéro et qu'il n'y avait pas d'indice de persistance linéaire markovienne. Les limites de confiance à 95 pour cent et 5 pour cent ont été calculées pour chaque spectre selon la théorie d'échantillonnage élaborée par Tukey (1950). La phase et la cohérence au carré ont également été calculées (figure 3). Quatre bandes dominantes caractérisent le spectre, quoique seule la bande 2,0-2,1 années ait atteint le seuil de signification statistique a priori. Les maxima à 2,1 et 5,5 années ajoutent à l'indice spectral déjà considérable d'oscillations dans les variables météorologiques concernant les précipitations dans les régions pacifiques centre et nord avec des périodes semblables (Wagner, 1971; Angell et Korshover, 1974; White et Clark, 1975; Trojer, 1960; Portig, 1958; et Belarge, 1966).

Le spectre croisé et la cohérence au carré (figures 3b et 3c) montrent une association étroite entre les deux séries aux périodes 15-30 ans, 12 ans, 4,3 ans, 2,7 ans et 2,1 ans. La cohérence au carré pour ces périodes est toujours supérieure à 0,60 et est significativement différente d'un événement aléatoire. Le spectre de phase de temps (figure 3d) montre que les fréquences basses (0,017 à 0,133 cycle par an) ont un déplacement de phase moyen en temps de décalage de ~ 7 ans, tandis que les fréquences moyennes ont des temps de décalage compris entre 3 et 4 ans. Ces derniers, en résumé, produisent une fréquence de battement avec un retard de 6,8 années.

Figure 4. Relation entre coefficients de corrélation du décalage et temps de décalage, exprimé en années, entre Mazatlan et San Diego pour les précipitations saisonnières et saisonnières pondérées, et entre régions mexicaine et californienne pour les précipitations saisonnières régionales et régionales pondérées

Ces résultats corroborent les conclusions de Byrne et al., et conduisent à l'hypothèse que l'effet de décalage indiqué par l'analyse de Mazatlan-San Diego pourrait être extrapolé dans l'espace étant donné que le choix des stations dans les deux régimes climatiques était basé sur l'homogénéité et sur des corrélations élevées entre stations. On a donc calculé les coefficients de corrélation de décalage entre Mazatlan et San Diego pour les pourcentages de précipitations saisonnières et entre les moyennes de la région mexicaine et celles de la région californienne pour les mêmes variables. En outre, on a analysé de la même manière les séries binomiales régularisées (figure 4).

Les précipitations d'été dans les stations mexicaines sont en corrélation négative au décalage zéro, mais en corrélation positive élevée avec les précipitations d'hiver et de printemps dans les stations californiennes choisies 7 ans plus tard. Les coefficients de corrélation au décalage 7 sont significatifs à la limite de confiance de 1 pour cent avec des tests qui tiennent compte des effets de corrélation sérielle et des changements dans les degrés de liberté dus à la régularisation (Quenoille, 1952; Bartlett, 1946).

La similitude des résultats en ce qui concerne les domaines de fréquence aussi bien que de temps indique que le décalage de 7 ans a une réalité statistique. Il semble toutefois associé plus fortement aux variances de basse fréquence (périodes de 7 à 30 ans) dans les deux séries pluviométriques.

On a incorporé l'effet de décalage de 7 ans dans des analyses de régression en utilisant toutes les années de séries pluviométriques (1880-1973) sauf les huit dernières pour en tirer des équations de prédiction, en laissant de côté la période 1966-76 pour l'utiliser comme test indépendant. La régression des précipitations saisonnières à San Diego par rapport à celles de Mazatlan sept ans plus tôt donne une équation avec un coefficient de corrélation significatif mais avec une erreur type élevée et une variance expliquée faible. Ce résultat était inattendu étant donné le bruit dans les séries de précipitations saisonnières et la nature du décalage de 7 ans indiqué plus haut. Les moyennes pondérées pour San Diego Psw, mises en équation de régression avec les moyennes pondérées pour Mazatlan Pmw avec un décalage de 7 donnent:

Psw = 0,658 Pmw-7 + 35,3 ± 16,2%;

r = 0,60, n = 73 (2)

Pour tester la stabilité de la corrélation, on a scindé arbitrairement les ensembles de données en deux périodes, 1880-1920 et 1921-65. Les relations résultantes sont respectivement:

Psw = 0,421 Pmw-7 + 56,9 ± 14,6%;

r = 0,38, n = 35 (3a)

et

Psw = 0,765 Pmw-7 + 24,3 ± 17,1 %;

r = 0,67, n = 39 (3b)

Les coefficients de corrélation sont significatifs au seuil 1 pour cent en utilisant la formule de Bartlett pour tenir compte de la corrélation sérielle dans les séries de temps et de la réduction dans les nombres de degrés de liberté. La différence dans les coefficients de corrélation peut être due au fait que les précipitations du dix-neuvième et du début du vingtième siècles en Californie différaient quelque peu de la période suivante (Granger, 1977).

Les moyennes régionales régularisées pour la période entière (1880-1965) et pour la sous-période (1921-65) ont été soumises à une analyse de régression comme précédemment et ont donné respectivement:

Pcwa = 0,696 Pmwa-7 + 30,9 ± 13,4%;

r = 0,51, n = 73 (4a)

et

Pcwa = 0,919 Pmwa-7 + 7,7 ± 15%;

r = 0,48, n = 34 (4b)

dans lesquelles les lettres placées en indice signifient:

c = Californie, m = Mexique,
a = moyenne régionale et
w = moyennes cumulées pondérées.

Là aussi, les coefficients de corrélation sont significatifs au niveau 1 pour cent.

Les équations 2, 3b, 4a et 4b ont été utilisées pour prédire les précipitations saisonnières régularisées à San Diego à partir de celles de Mazatlan et les moyennes régionales de Californie à partir de celles du Mexique pour la période test indépendante 1966-76. On a calculé les critères de vérification exprimés sous la forme d'une erreur absolue e, et de la racine carrée de la somme des carrés des erreurs (RMSE = root mean square error). Les résultats sont indiqués dans le tableau 2. La valeur de prédiction des équations est très bonne. L'hypothèse zéro que les moyennes des échantillons observés et prédits ne sont pas significativement différentes ne pouvait être rejetée à p < 0,01 avec un test de rapport F. Comme test complémentaire pour apprécier la constance de l'effet de décalage vis-à-vis de la prévision climatique, on a choisi Los Angeles et Sacramento qui se trouvent respectivement à 190 et 780 km de San Diego. En suivant la même procédure que pour les équations 2 et 3b, on a établi des relations de prévision. Les pronostics basés sur ces relations sont en accord avec ceux de San Diego et ont des caractéristiques statistiques analogues. Nous avons démontré ailleurs que les résultats obtenus à partir des relations statistiques données ci-dessus peuvent, moyennant certaines précautions, être décomposés mathématiquement pour donner des estimations de précipitations saisonnières réelles. Les prévisions pour 1977-78 basées sur une telle décomposition s'avèrent plus exactes que celles proposées pour la Californie par d'autres chercheurs utilisant des méthodes différentes.

En dépit de l'exactitude des équations, le problème de causalité n'est toujours pas résolu, bien qu'il fasse l'objet de recherches intensives. Nous sommes convaincus que l'effet de décalage est lié d'une manière ou d'une autre à la répartition dans le temps et dans l'espace des anomalies que présentent les températures de la surface de la mer dans le Pacifique nord. On ne dispose malheureusement pas à l'heure actuelle de données complètes sur la température de la surface des mers couvrant une période suffisamment longue pour permettre une résolution convenable aux échelles de temps pour lesquelles le décalage apparaît comme ayant le plus d'importance. Michaelsen (1977) a trouvé certaines relations significatives mais elles s'avèrent instables dans le temps.

Nous présumons en outre que l'effet de décalage n'est qu'un aspect d'un couplage à l'échelle mondiale entre les systèmes climatiques des tropiques et ceux des latitudes moyennes. Les études de Nicholls (1977) en Australasie et de Namias (1957) dans le nord-ouest de l'Europe ont révélé des décalages analogues quoique plus courts entre systèmes tropicaux et systèmes de moyennes latitudes. La conjonction pluviométrique entre Californie et Mexique est de toute évidence de nature complexe, comme le montre le résultat de l'analyse du domaine de fréquences, et plu sieurs mécanismes peuvent entrer en jeu; d'après les résultats de Byrne et al. (1978), il est probable qu'une relation analogue, faisant intervenir un ou plusieurs mécanismes contraignants semblables, existe entre régions analogues de l'ancien monde. Nous étudions actuellement la nature de ces relations, dans la mesure où le permettent les données disponibles.

A notre connaissance, la méthode de prévision des précipitations saisonnières exposées ci-dessus n'a pas été utilisée ailleurs; nous savons toutefois avec certitude que pour la Californie un décalage de 7 ans dans les prévisions des précipitations saisonnières peut représenter un avantage pour les planificateurs des ressources en eau, les agronomes, les forestiers et tous ceux qu'intéressent les disponibilités en eau dans les plaines du centre et du sud de la Californie. Si les résultats des recherches en cours confirment que l'effet de décalage n'est pas qu'un phénomène particulier à la région du Pacifique nord, des prévisions analogues pour d'autres régions du monde constitueront un apport d'une valeur inestimable pour les décisions à prendre en matière d'aménagement forestier.

REMERCIEMENTS

M. Roger Byrne ainsi que Joel Michaelsen et John Monteverdi (candidats au diplôme supérieur) ont collaboré au projet initial de recherche d'où ont été tirés certains des résultats ci-dessus, et l'université de Californie, Berkeley, nous a fourni gratuitement les temps d'ordinateur sans lesquels l'analyse n'aurait pu être réalisée.

TABLEAU 2. Prévisions de précipitations saisonnières lissées1

Moyenne pondérée

Oi

Equation

Oi

Equation

2 Fi

3b Fi

4a Fi

4b Fi

1965

100,6

121,8

124,9

93,0

109,7

111,7

1966

118,2

118,5

121,0

105,3

108,2

109,7

1967

118,6

102,7

102,7

116,3

100,7

99,8

1968

109,5

89,7

87,5

121,3

94,7

91,9

1969

99,4

87,1

84,5

118,1

93,4

90,1

1970

87,6

91,4

89,5

106,4

93,8

90,8

1971

77,7

97,2

96,3

95,6

94,1

91,1

1972

77,4

101,2

100,9

97,3

94,7

91,9

1973

85,4

102,2

102,1

107,1

96,4

94,1

1974

93,1

103,8

103,9

106,2

99,2

97,9

1975


109,2

110,2


104,0

104,2

1976


115,9

118,0


109,7

111,6

1977


118,2

120,7


111,8

114,4



e = 4,8%

e = 4,6%


e = - 7,9%

= - 9,8%



RMSE = 16,1%

= 16,9%


RMSE = 14,7%

= 16,8%

1 Utilisant les équations 2, 3b, 4a et 4b, et les critères de vérification exprimés en valeur absolue moyenne e, et en racine carrée de la somme des carrés des erreurs (RMSE). La saison indiquée correspond à l'année où tombe la période janvier-avril.

Références

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