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Le transfert de technologie

Amaret Sila-On

AMARET SILA-ON est le directeur général de la Siam Kraft Paper Co. Ltd., Bangkok. Le présent article s'inspire d'une communication qu'il a faite à la Consultation d'experts de la FAO sur la demande, l'offre et le commerce des pâtes et papier dans le monde, organisée à Tunis en septembre 1977.

L'expérience thaïlandaise et les troubles de croissance d'une industrie des pâtes et papiers

Le papier fait à la main a été fabriqué et assez largement utilisé depuis des siècles, mais la Thaïlande n'a connu la papeterie moderne qu'au début du vingtième siècle. C'est la Société de cartographie des forces armées qui a fondé en 1935 une modeste usine de papier à Bangkok. Environ quatre ans plus tard, une usine intégrée de pâte et papier d'une capacité journalière de 10 t a commencé à fonctionner dans la province de Karnchanaburi, à l'ouest ce Bangkok, où poussait en abondance le bambou, principale matière première. Cependant, la première vraie papeterie à vocation commerciale et dotée d'un matériel et d'un procédé de fabrication modernes a vu le jour en 1958 à Bang-pa-in, à une centaine de kilomètres au nord de Bangkok, où les opérations ont débuté en 1962. Il s'agissait, là encore, d'une usine intégrée de pâte et papier utilisant comme matière; première la paille de riz et d'une capacité de production de 40 t/j. Cette usine possédait aussi ses propres installations de fabrication chimique. Ainsi donc, la Thaïlande ne connait réellement la technologie de papeterie moderne que depuis une quinzaine d'années. Heureusement, ou peut-être malheureusement, cette usine a été mise en route par le gouvernement royal de la. Thaïlande, auquel elle appartient et qui l'exploite aujourd'hui encore. L'affaire a débuté avec un investissement total de 17 millions de dollars. Au cours des 15 dernières années, elle a réussi à accumuler des pertes totalisant 8 millions de dollars. Peut-être est-ce là le coût réel de l'acquisition d'une technologie de papeterie moderne au stade initial.

Cependant, nous avons parcouru un long chemin depuis lors. En 1962, la Thaïlande comptait six papeteries d'une capacité de production de 18000 t/an, et l'on y trouve aujourd'hui 34 usines de papier d'une capacité de production annuelle de 330000 t de papier, soit 18 fois plus que 15 ans auparavant. Parmi ces entreprises, la Siam Kraft Paper Company possède la plus grande usine de pâte et papier du pays et elle représente quelque 25 pour cent de toute la production de papier de Thaïlande et 50 pour cent de la production de papier industriel.

L'une des principales difficultés qui surgissent continuellement à l'occasion du transfert de technologie entre des entreprises de pays développés et des entreprises de pays en développement est l'incompréhension due au manque de concordance dans la perception des problèmes. Par exemple, lorsqu'un entrepreneur d'un pays en développement se propose de fonder une fabrique de pâte dans son propre pays, il se peut qu'il connaisse ou qu'il ignore la nature réelle de l'industrie des pâtes et papiers et il cherchera peut-être quelqu'un qui soit en mesure de lui fournir une technologie composite pour la réduction en pâte. Généralement, il se met en rapport avec un consultant en pâtes et papiers; après des discussions prolongées, des études de faisabilité, des rapports détaillés, etc., on met en place une usine de pâte fondée sur les conclusions et recommandations du consultant. Or, après que l'usine a commencé à fonctionner, il se peut que l'entrepreneur découvre que les résultats ne correspondent pas à ses espérances.

C'est pourquoi il importe que les espérances de celui qui acquiert la technologie soient clairement énoncées dès le départ. Qu'espère-t-il exactement? Veut-il une usine de pâte tout juste capable de satisfaire les besoins quelconques d'un marché protégé? Quel type de procédé de fabrication ou de technologie veut-on acheter, rudimentaire ou complexe? Et quel type offre-t-on? De plus, il se peut que le consultant technique ne soit pas parfaitement à la hauteur, ce défaut n'étant pas perceptible au stade initial lorsque sont menées les négociations relatives aux études de faisabilité. Cela est dû au fait que, très souvent, les consultants techniques ne savent pas gérer une usine en vue de réaliser des bénéfices. Peut-être peuvent-ils comparer différents procédés de fabrication et conseiller un client quant au choix le meilleur compte tenu des contraintes budgétaires, de l'infrastructure existante et du niveau général de compétence technique. Néanmoins, une fois que l'usine a commencé à fonctionner et lorsqu'elle se trouve en difficulté, il se peut que les consultants ne soient pas en mesure de dénouer le problème ou n'aient pas l'expérience nécessaire pour le faire, et cela peut conduire à bien des déboires, voire à des récriminations.

C'est pourquoi il importe au plus haut point que, le plus tôt possible, le fournisseur et le bénéficiaire de la technologie se mettent bien d'accord sur ce qui est nécessaire et ce qui est offert et, si possible, il faut que soient énoncés par écrit les conditions, et modalités de l'affaire de même que le type de technologie réclamée ou proposée. Comme dans la plupart des transactions commerciales, notamment celles qui impliquent une collaboration de longue durée entre les deux parties, il est toujours de bonne politique que chacune d'entre elles soit sûre que l'autre profite aussi de l'affaire d'une manière quelconque. Dans toute transaction de ce, genre, la bonne foi et la bonne volonté sont des éléments primordiaux; or, la bonne volonté pourrait rapidement s'émousser si l'une ou l'autre des parties en cause avait une perception différente de la nature exacte de ce qui est acheté et vendu.

Dans toute nouvelle entreprise de fabrication, le succès ou l'échec peut aussi dépendre de la structure de l'ensemble qu'on offre ou qu'on acquiert. Par exemple, en ce qui concerne le type de technologie à transférer: s'agit-il d'un procédé de fabrication, d'un accord spécial de licence ou d'une technologie composite? Dans la plupart des cas de transfert entre entreprise de pays développé et entreprise de pays en développement, il s'agira d'une technologie composite ou technologie d'ensemble. La partie la plus compétente a la responsabilité morale de s'assurer que la structure de l'ensemble est solide et complète. Il convient de préciser les éléments importants de l'ensemble, notamment les données chronologiques, le type de savoir-faire, la technologie du procédé de fabrication, l'assistance technique après l'installation et le démarrage des opérations, de même que les services de gestion tels que l'achat outre-mer des pièces de rechange et autres matériels indispensables. Il faut aussi préciser la rémunération à laquelle a droit la partie qui fournit ces prestations.

Parmi les autres questions qui soulèvent souvent des difficultés à un stade ultérieur, il faut mentionner la formation du personnel local, ainsi que le type de personnel étranger qui est affecté au projet dans le pays en développement. On conçoit fort bien que les entreprises industrielles des pays avancés éprouvent quelque difficulté à convaincre les meilleurs éléments de leur personnel d'aller travailler et vivre pendant une période assez longue dans un pays en développement où les conditions de vie ne sont peut-être pas très attrayantes, ou bien encore il se peut que l'entreprise qui offre la technologie ait du mal à libérer à cette fin les meilleurs éléments de son personnel. Or, cela peut susciter toutes sortes de problèmes. En effet, le personnel de deuxième catégorie, une fois transféré dans un pays en développement pour y travailler, risque d'y acquérir au bout d'un certain temps le goût de la vie facile et d'être séduit par le mode de vie princier qui lui est offert dans ce pays. Dans ce cas, bien qu'il soit censé former du personnel local qui prendra sa place au bout d'un certain temps, il jugera peut-être plus commode de n'en rien faire et d'ailleurs il trouvera toutes sortes de prétextes, consciemment ou inconsciemment, pour retarder la formation du personnel local afin de différer son propre départ. Les gens les plus valables n'auront pas un tel comportement parce qu'en règle générale ils se seront fixé pour objectif un poste plus élevé dans leur propre pays. On a constaté lors de bien des projets mettant en œuvre une technologie relativement classique et où les experts étrangers sont censés former le personnel local pour qu'il les remplace, qu'après cinq ou dix ans les experts annoncent que «les autochtones ne sont pas aussi intelligents qu'on le pensait au départ» et que «l'ingénieur autochtone ne sera pas capable de prendre en charge l'usine dans un avenir prévisible» - ce qui signifie que l'expert étranger doit rester sur place dans l'intérêt du projet. Il va sans dire qu'entre-temps les autochtones commencent à trouver le temps long et cela aboutira probablement à une détérioration des relations entre toutes les parties en cause.

PAPETERIE MODERNE EN EUROPE - les meilleures associations sont fondées sur les techniques complémentaires

Comment transférer la technologie

Les conditions d'acquisition et de transfert de la technologie peuvent être définies de diverses façons. En se référant a un recueil directives concernant l'acquisition de technologies étrangères par les pays en développement, publié en 1973 par les Nations Unies, on peut dire que la technologie, telle qu'elle est conçue ici, consiste dans la somme de connaissances, d'expérience et de compétences requises pour fabriquer un ou plusieurs produits et créer une entreprise à cet effet. Dans les pays en développement, la technologie doit être entendue dans un sens assez large englobant non seulement un procédé ou une technique de fabrication spécifique mais aussi divers autres types de connaissances et de compétences nécessaires non seulement pour créer une usine mais aussi pour la faire fonctionner avec succès. C'est la technologie «composite».

Les entreprises des pays en développement préfèrent généralement acquérir une technologie composite plutôt que des connaissances spécifiques couvertes par un brevet ou une marque de fabrique, forme usuelle des transferts de technologie entre pays industrialisés. Ceci parce que le niveau général des connaissances et des compétences en matière de technologie industrielle est bien inférieur dans le, pays en développement. Le transfert de procédés ou de techniques de production spécifiques doit donc souvent s'accompagner d'une assistance technique. Cette opération englobe tant la création que le fonctionnement d'une entreprise industrielle.

Les projets de création d'une entreprise industrielle dans un pays en développement passent par plusieurs stades.

· D'abord une étude de préinvestissement comprenant la préparation d'une étude de faisabilité, suivie d'un rapport détaillé.

· Deuxièmement, si le projet est jugé réalisable, il faudra procéder à des études techniques de base détaillées comprenant l'établissement de spécifications pour les machines ainsi que la conception et le plan des installations.

· Troisièmement, le propriétaire, avec l'aide de son partenaire technique, devra choisir l'équipement, construire l'usine, monter et installer les machines et mettre la production en route.

· Quatrièmement, il faudra acquérir ou transférer le procédé ou la technique de fabrication nécessaires pour permettre au projet de démarrer.

Cinquièmement, une assistance technique sera probablement nécessaire durant la période suivant l'installation, par le biais notamment de programmes de formation pour le personnel local et de diverses formes d'assistance en matière de gestion.

L'implantation d'entreprises industrielles dans des pays en développement nécessite souvent le concours d'experts étrangers à plusieurs de ces stades. Le démarrage d'une nouvelle industrie manufacturière exige fréquemment l'exécution d'études de faisabilité par des consultants étrangers, tandis que les services techniques de base et même la technologie élémentaire doivent généralement être obtenus a l'étranger. Au stade de la construction, les compétences disponibles sur place peuvent suffire pour les travaux de génie civil mais il se peut que l'usine et l'équipement doivent être installés par des experts étrangers. L'infrastructure de base peut aussi faire défaut, et seul un effort résolu du secteur public peut combler cette lacune

Il n'est pas inutile de souligner à ce stade que l'entreprise qui offre une technologie doit, de son côté, choisir avec soin celle à laquelle elle la proposera. Dans la plupart des pays en développement les courtiers abondent, c'est-à-dire des gens qui profitent des contacts qu'ils ont pu nouer pour acheter de la technologie à des entreprises renommées de pays industrialisés, afin de l'écouler auprès des entreprises industrielles dans les pays en développement qui ne sont pas aussi habiles dans leurs relations. En pareil cas, les choses peuvent se détériorer assez rapidement. Par conséquent, dans la mesure où c'est possible, le détenteur d'une technologie doit s'assurer que les gens qui la lui achètent sont bien ceux qui vont l'utiliser et, ce qui importe encore davantage, que les acheteurs possèdent bien le savoir-faire nécessaire. En effet, il n'est guère utile de vendre une centrale nucléaire à des gens qui ne savent même pas faire fonctionner une machine à vapeur, et pourtant c'est ce qui s'est produit bien souvent.

Examinons maintenant le cas de la Siam Kraft. La Siam Kraft Paper est une entreprise qui fonctionne depuis environ huit ans. Elle possède une fabrique de papier kraft et de carton d'une capacité de 200 t/j à Banpong, à 86 km à l'ouest de Bangkok, ainsi qu'une usine de pâte d'une capacité de 60 t/jour utilisant comme matière première la bagasse. Le projet initial prévoyait la fabrication du papier kraft par mélange de pâte kraft importée avec de la pâte de bagasse de production locale et une certaine proportion de déchets de papier recyclés. Au cours de ces huit longues années, la société a manqué de faire faillite trois fois.

D'ailleurs, si elle a pu survivre pendant les cinq premières années, c'est parce qu'elle s'est vu accorder un monopole absolu de la fabrication du papier kraft en Thaïlande. Juste avant l'expiration de cette période de monopole, le gouvernement est même venu à son aide en imposant une interdiction totale sur les importations.

Bien des experts ont visité cette usine et ont estimé qu'elle était généralement tien construite et que la plupart des machines installées étaient satisfaisantes et pourtant l'entreprise était incapable de faire des bénéfices.. Pendant La période initiale, depuis le stade des études de faisabilité jusqu'à une époque se situant 12 mois après le démarrage des opérations, le partenaire chargé de la gestion et des aspects techniques était Par son & Whittemore. Pendant la deuxième période d'environ quatre ans, un groupe de techniciens américains, composé principalement d'anciens membres du personnel de la société W. R. Grace, a assumé la responsabilité du fonctionnement de l'usine, mais l'entreprise est devenue insolvable un an après le démarrage des opérations. Le deuxième groupe est intervenu après la réorganisation financière et a effectué de nombreuses améliorations techniques, notamment en équilibrant divers matériels et en donnant aux installations la capacité de production projetée. Néanmoins, l'entreprise est de nouveau devenue insolvable quatre ans plus tard. La plupart des problèmes auxquels se heurtait la Siam Kraft n'avaient rien à voir avec le transfert de technologie. Il s'agissait dans la majorité des cas de faiblesses de structure dans le projet lui-même, surtout du point de vue de la gestion. La structure financière de l'entreprise était trop faible et, sur le plan de la gestion commerciale, elle manquait de fermeté et d'orientation. Il est exact par ailleurs qu'en dépit du matériel très complet dont elle disposait, l'entreprise était incapable de produire du papier d'une qualité acceptable pour beaucoup de ses clients, ses produits ne pouvant en aucun cas correspondre aux normes internationales. Or c'est là de toute évidence un problème de technologie, sept ans environ après le démarrage des opérations, il a fallu encore conserver sur place un grand nombre d'agents expatriés parce qu'on estimait qu'un personnel local ne serait pas capable d'assumer la responsabilité de l'entreprise. Par conséquent, on peut dire que, dans un certain sens, il n'y avait pas eu transfert de technologie. Telle fut l'expérience de la Siam Kraft, entreprise thaïlandaise, avec deux groupes de partenaires techniques et commerciaux en provenance d'un pays qui est sans doute à la pointe extrême du progrès technologique dans le monde, les Etats-Unis.

A la fin de 1974, la société était en difficulté financière pour la deuxième fois et un groupe des principaux créanciers comprenant plusieurs banques importantes ayant leur siège en Thaïlande ou aux Etats-Unis a persuadé la Siam Cement Company, la plus grande entreprise industrielle de Thaïlande, de prendre en charge les fonctions de gestion. Cependant, la Siam Cement a eu le bon sens d'admettre qu'elle ne possédait pas de technologie en matière de pâtes et papiers. Cette entreprise fabrique des produits depuis une soixantaine d'années et elle possède une vaste expérience dans des domaines aussi divers que le ciment, l'acier pour charpentes métalliques et d'autres matériaux de construction (feuilles d'amiante-ciment, tuyauteries en chlorure de polyvinyle, produits en béton, briques réfractaires, etc.). Toutefois, ne possédant aucune expérience de la fabrication des pâtes et papiers, la Siam Cement a persuadé la Honshu Paper du Japon de devenir son partenaire technique. Bien qu'un accord d'assistance technique ait été conclu entre la Honshu Paper et la Siam Kraft, il est bien admis sur le plan pratique qu'il s'agissait en fait d'une «mission de secours internationale» organisée par une grande entreprise locale qui a fourni les compétences en matière de gestion commerciale et industrielle et par un groupe de banquiers thaïs et américains qui ont apporté le soutien financier, tandis que l'entreprise japonaise de pâtes et papiers offrait de son côté le savoir-faire technique nécessaire. C'est ainsi que débuta en novembre 1975 la troisième période de vie de la Siam Kraft Paper.

Quand la direction actuelle de la Siam Kraft a pris en charge l'entreprise, celle-ci devait faire face à toutes sortes de problèmes, en bref à tous ceux auxquels peut être confrontée une fabrique de pâtes et papiers, depuis les problèmes de pollution, de commercialisation et de gestion des stocks jusqu'aux troubles sociaux et aux problèmes de liquidités. Sur le plan technique, la Siam Kraft pouvait certes fabriquer du papier, mais elle était incapable d'en contrôler la qualité non plus que les prix de revient. Le personnel chargé de la fabrication pouvait faire fonctionner l'usine, mais il ne comprenait pas suffisamment la situation pour que les résultats obtenus passent du stade de la médiocrité à celui de l'efficacité: or c'est toujours là le facteur critique qui détermine la différence entre une entreprise gui parvient tout juste à subsister et celle qui réalise des bénéfices.

Comment fonctionna l'accord technique avec la Honshu

Il nous faut à ce stade exposer en détail comment fut planifiée la nouvelle organisation.

Quelques mois après que la Siam Cement eut pris en charge la gestion de la Siam Kraft, elle réussit à persuader la Honshu Paper, quatrième entreprise de pâtes et papiers du Japon, de conclure avec la Siam Kraft un accord d'assistance technique aux termes duquel la Honshu s'engageait à fournir tout le savoir-faire technique nécessaire au fonctionnement de la fabrique de pâtes et papiers de la Siam Kraft. Le contrat était conclu pour une durée de 1 an et, à l'expiration de cette période d'essai de 12 mois, la Honshu a accepté de passer un contrat à plus long terme qui restera en vigueur jusqu'à la fin de 1981. Les modalités du contrat étaient simples: la Honshu fournirait tout le savoir-faire et l'assistance technique nécessaires au fonctionnement de l'usine et affecterait à celle-ci un certain nombre d'experts qui s'installeraient en Thaïlande, ainsi que des spécialistes de différents aspects de l'exploitation qui se rendraient sur place à titre temporaire selon les besoins. Aux termes du contrat, la Honshu devait se voir rembourser ses dépenses et percevoir en outre des honoraires fixes de consultant. Pour le contrat à plus long terme, la Honshu aurait également droit à une prime d'encouragement dont le montant serait calculé en fonction des bénéfices d'exploitation de la Siam Kraft.

On voit clairement comment se répartissent les tâches. Tandis que la Honshu se charge de fournir le savoir-faire technique pour la fabrication des pâtes et papiers, la Siam Cement assume la responsabilité de toutes les questions opérationnelles et de la gestion non technique, notamment le calcul des coûts et le système de contrôle interne, le personnel, le service juridique, le traitement électronique des données, etc. On estime qu'une telle combinaison permet de tirer parti au mieux des capacités respectives de chaque partenaire. Cette association Siam Cement-Honshu fonctionne ainsi depuis près de deux ans et jusqu'à présent les choses se sont déroulées d'une manière assez satisfaisante. Bien que nous soyons tous Asiatiques, il existe un véritable abîme culturel entre les Thaïlandais et les Japonais. Cet abîme n'est pas plus étroit que celui qui sépare les cultures orientale et occidentale. Les difficultés d'ordre culturel ont pu être dans une large mesure surmontées, mais le facteur le plus critique qui aide à franchir un tel abîme est la détermination résolue des deux parties à assurer le succès de cette entreprise qui constitue un véritable défi. Grâce à la détermination de c es deux groupes de gens si différents, la Siam Kraft a désormais pris résolument du rétablissement. Certes, il reste encore bien des ponts à franchir et beaucoup d'obstacles nous attendent, surtout sur les plans juridique et financier. Néanmoins, du point de vue opérationnel, nous pouvons maintenant certifier que la société est en bon état de santé et que, moyennant un certain délai et un programme judicieux d'investissement, ses opérations devraient se révéler tout a fait rentables au cours des quelques prochaines années.

Il est exact que la direction actuelle a eu l'avantage de pouvoir tirer les enseignements du passé, connaissant les problèmes qui avaient conduit la Siam Kraft au bord du gouffre deux fois en dix ans. Mais c'est ainsi que le monde parvient à progresser: l'expérience se nourrit des erreurs du passé, qu'elles soient commises par soi-même ou par d'autres. Or, nous avons beaucoup appris, non seulement par suite des erreurs de la direction précédente, mais aussi de celles que nous avons faites nous-mêmes au cours des deux dernières années. Nous espérons que cette vaste somme d'expériences nous permettra d'édifier une entreprise rationnelle et viable et, à long terme, une société qui offrira des assises solides pour le développement ultérieur de l'industrie des pâtes et papiers en Thaïlande.

Une proposition: le programme «Grand frère»

Nous devons maintenant nous demander si l'expérience amère de la Siam Kraft nous apporte un enseignement quelconque qui puisse être utile à d'autres pays en développement qui cherchent à étendre leur industrie des pâtes et papiers. Je pense qu'un arrangement global comme celui conclu par la Siam Cement et la Honshu pourrait servir de véhicule pour un transfert de technologie relativement indolore au sein de l'industrie des pâtes et papiers. A mon avis, les facteurs critiques consistent à faire concorder la perception des choses chez les partenaires dans les divers pays et à harmoniser les compétences spéciales avec les connaissances complémentaires. Dans le secteur des pâtes et papiers, industrie de base a fort coefficient de capital, la volonté de réussir ne saurait suffire; encore faut-il la compléter par toutes les compétences et les ressources nécessaires de part et d'autre. Dans les pays en développement notamment, où l'industrie des pâtes et papiers en est encore aux premiers balbutiements, il est toujours préférable d'acheter une technologie composite plutôt qu'un savoir-faire spécialisé. Mieux vaut également pour les aspirants entrepreneurs ou les propriétaires d'entreprises industrielles pour lesquels les pâtes et papiers représentent un domaine nouveau s'assurer dans la mesure du possible le concours de partenaires techniques qui sont des praticiens de l'industrie, c'est-à-dire des entreprises de pâtes et papiers plutôt que des consultants spécialisés qui peuvent avoir une très grande compétence pour certains aspects mais chez qui fait défaut l'aptitude à résoudre en permanence des problèmes complexes et interdépendants.

Et maintenant je voudrais proposer, pour le transfert de technologie entre pays développés et pays en développement, un nouveau véhicule que j'appellerai le programme «Grand frère». En ce qui concerne la solution des problèmes de transfert de technologie dans le domaine des pâtes et papiers, j'estime que les gens les mieux qualifiés pour aider les entreprises des pays en développement sont les grandes sociétés de pâtes et papiers dans les pays développés.

Cette aide doit être offerte sur une base commerciale, mais peut-être au départ le savoir-faire pourrait-il être communiqué à des conditions de faveur, le principe appliqué étant toutefois que rien d'utile ne doit être gratuit. Quoi qu'il en soit, dans une économie libérale, rien ne donne de meilleurs résultats que l'intérêt personnel, si bien qu'un tel programme doit aussi comporter quelques avantages matériels pour les «Grands frères», c'est-à-dire les entreprises de pâtes et papiers dans les pays développés. Il pourrait s'agir de prestige international, ou encore de la possibilité d'offrir à leur propre personnel des occasions de formation dans des conditions différentes et un élargissement de ses connaissances et de son expérience, ou bien ce pourrait être simplement la chance d'accéder à un marché jusque-là inaccessible.

Prenons l'exemple de l'ASEAN; c'est un groupement régional de pays de l'Asie du Sud-Est: Indonésie, Malaisie, Philippines, Singapour et Thaïlande. Cette région, qui compte 250 millions d'habitants, est riche en ressources naturelles, elle possède une infrastructure assez satisfaisante et elle a une tradition de libre entreprise Ces 250 millions de personnes, consomment actuellement environ 1500000 t de papier par an et il leur en faudra beaucoup plus dans un proche avenir. Je me tourne donc vers les géants industriels de l'OCDE et je leur dis: si vous ne pouvez pas nous faire profiter de votre technologie classique, en revanche vous pouvez sûrement détacher une partie de votre meilleur personnel pendant quelques années. J'exhorte donc ces pays à choisir eux-mêmes une région où ils désireraient imposer leur «présence» a long terme en y choisissant en définitive de nouveaux associés.

Un des problèmes qui retardent le transfert de technologie entre pays développés et pays en développement est que, jusqu'à présent, les contacts se sont principalement établis par l'intermédiaire des administrations nationales. Or je suis sûr que des contacts plus directs entre entreprises du secteur privé des pays développés et des pays en développement réduiraient considérablement les délais. A longue échéance, on peut tout à fait concevoir qu'il résulterait un effet synergique de la combinaison entre, d'une part, la technologie occidentale et la vaste demande des pays occidentaux, et, d'autre part, la main-d'œuvre bon marché des pays en développement et leurs forêts tropicales à croissance rapide qui pourraient constituer des facteurs non négligeables du côté de l'offre dès la fin du vingtième siècle.

En tout état de cause, j'espère sincèrement qu'on trouvera le moyen de rendre viable ce programme, ou quelque chose d'approchant, car c'est à long terme dans l'intérêt des pays développés comme des pays en développement. Toutefois, je tiens à préciser ceci à nos «Grands frères» des économies plus évoluées: en procédant à un transfert de technologie ou en offrant une aide et un soutien à vos homologues des pays moins développés, veuillez ne pas nous traiter comme une clientèle de bienfaisance et ne pas nous choyer mais apprenez-nous plutôt à nous tenir debout tout seuls et à marcher, voire à courir, par nos propres moyens. J'ose espérer que vous examinerez sérieusement la présente proposition afin que le transfert de la technologie devienne une réalité et se révèle efficace sans demeurer simplement un beau principe consigné dans quelque rapport.


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