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Législation en matière d'exploitation du bois et aménagement forestier

Franz Schmithüsen

FRANZ SCHMITHÜSEN est forestier dans le Bade-Würtemberg, R.F.A. Il était membre du Département des forêts, lors de la rédaction du présent article.

Cameroun, Congo, Gabon et Côte-d'Ivoire

Arrêter des objectifs de politique forestière qui soient réalistes, puis les traduire sous forme de législation est indispensable à une expansion équilibrée de l'utilisation des ressources forestières. Dans les pays francophones de l'Afrique occidentale, d'importants progrès ont été réalisés dans l'évolution d'une législation forestière nationale orientée vers le développement socio-économique de ce secteur. Ainsi, la réglementation, introduite antérieurement et applicable uniformément à tous les territoires francophones de la région, a graduellement été remplacée par une législation propre à chaque pays tandis que de nouvelles lois et décrets ont été adoptés dans le but d'assurer un développement plus soutenu du secteur forestier et des industries de transformation. La façon dont les principaux pays producteurs de bois ont modifié le cadre juridique de l'utilisation des ressources forestières varie considérablement: lois forestières révisées intégralement au Cameroun (1973) et au Congo (1974); dispositions légales profondément remaniées en Côte-d'Ivoire (1965/66 et 1972/73); et refonte d'une partie de l'ancienne législation moyennant de nombreux amendements au Gabon (1961/68).

L'adaptation de la législation aux besoins locaux du secteur forestier s'est en particulier effectuée au Cameroun et au Congo par l'adoption récente de codes forestiers et de leurs décrets d'application, qui tiennent compte, à bien des égards, de l'importance que revêtent des lois forestières modernes concernant la réglementation de la propriété et du statut légal des forêts; ce sont là codes et décrets particulièrement remarquables en ce sens qu'ils représentent une synthèse intéressante des dispositions antérieurement en vigueur dans les parties francophone et anglophone respectivement. En ce qui concerne le Code forestier congolais, on doit spécialement mentionner le règlement des droits d'exploitation et les dispositions détaillées de la loi sur la fiscalité forestière.

En Côte-d'Ivoire, la législation forestière a également fait l'objet de nombreuses modifications concernant, par exemple, l'attribution des droits d'exploitation, le ravitaillement de l'industrie locale en bois rond et le remaniement des droits de sortie sur les grumes exportées, mais il reste encore fort à faire dans ce domaine.

Le droit forestier du Gabon a conservé en grande partie la réglementation applicable avant l'indépendance, désormais dépassée et inadéquate. Il faudrait refondre les nombreuses lois, décrets et arrêtés administratifs dans des textes clairs intelligibles et plus concis. Cela s'applique surtout aux décrets. Pour régler les aspects courants de certains problèmes il vaut mieux recourir aux arrêtés qu'aux décrets. Pour ce qui est, par contre, des aspects fondamentaux, un aménagement plus adéquat des ressources forestières et une supervision plus efficace de l'exploitation, une législation bien précise s'impose.

L'analyse comparative du contenu de la législation des quatre pays mentionnés permet d'ailleurs de conclure que les modifications du droit forestier reflètent une même tendance, dont les principaux facteurs s'inspirent de:

· L'utilisation plus rationnelle de la matière première par la détermination d'un minimum de conditions essentielles à un aménagement forestier à long terme.

· L'accroissement du pourcentage de la transformation locale en prévoyant un ravitaillement prioritaire en matière première pour les unités industrielles intégrées.

· La participation plus forte des ressortissants nationaux au capital et à la gestion des entreprises de ce secteur et d'une formation accélérée du personnel administratif et technique de l'industrie du bois.

· L'élévation des revenus fiscaux provenant de l'exploitation en appliquant des méthodes appropriées de taxation forestière.

Dans ces quatre pays, les bases législatives de l'attribution des permis et concessions ont en principe suivi la même voie, avec quelques différences dans la durée des permis et l'étendue des superficies en fonction de la structure et de l'importance des sociétés d'exploitation et de transformation. On peut actuellement distinguer trois catégories de concessions: des concessions à long terme assurant l'approvisionnement de grandes industries forestières intégrées; des concessions à moyen terme pour les sociétés d'exploitation largement mécanisées et des permis à court terme pour les petites entreprises et exploitants locaux.

L'introduction de concessions à long terme, couvrant des superficies étendues et accordées dans le but spécifique de promouvoir l'implantation de nouvelles industries intégrées, retient particulièrement l'attention. Ce nouveau type de concession, «le permis industriel», a fait son apparition en Côte-d'Ivoire à partir de 1965, et peu après au Gabon et au Congo. L'attribution était limitée aux entreprises s'engageant à transformer localement un certain pourcentage de grumes. Au Cameroun, c'est à partir de 1968 que d'importantes licences d'exploitation ont été concédées à de nouvelles entreprises.

Les résultats de cette première phase d'attribution de concessions de longue durée ont été assez discutables. D'une part, les Etats en cause, en distribuant de grandes surfaces, ont réussi à attirer un certain nombre d'entreprises forestières importantes mais, de l'autre, après un premier succès dans l'implantation de certaines unités de transformation, on a dû constater que l'attribution de ces concessions a encore plus favorisé l'exploitation de grumes. En effet, jusqu'à présent, le taux de la transformation locale de la matière première n'a guère dépassé 30 à 40 pour cent de la production de bois rond. Parmi les raisons ayant conduit à une telle situation on peut principalement citer le manque de dispositions suffisamment claires obligeant les concessionnaires à transformer sur place un pourcentage substantiel de leur production de grumes et l'absence de moyens de contrôle pour assurer leur application.

C'est pourquoi plusieurs pays ont introduit de nouvelles mesures pour limiter l'exportation des bois ronds. Ces mesures fixent des contingents de transformation aux concessionnaires disposant d'unités de transformation ou des contingents de ravitaillèrent contraignant les exploitants à fournir un certain pourcentage de leur production en grumes aux industries locales.

L'obligation de transformer au moins 60 pour cent de la production de grumes applicable à toutes les grandes concessions existe depuis 1974 au Cameroun. En outre, les concessionnaires sont tenus d'édifier, suivant la grandeur des superficies accordées, certaines installations de transformation. Ces obligations se répartissent de la manière suivante:

· Superficies au-dessous de 10000 ha: pas d'obligation particulière.

· Superficies de 10000 à 75000 ha: installation d'une scierie avec deux scies à ruban, dont une à ouverture d'au moins 140 cm.

· Superficies de 75000 à 130000 ha: scierie avec deux scies à ruban, dont une avec une ouverture d'au moins 160 cm.

· Superficies de 130000 à 175000 ha: scierie avec deux scies principales, dont une avec une ouverture d'au moins 180 cm.

· Superficies de 175000 à 250000 ha: usine de déroulage ou de contreplaqué et une scierie avec deux scies à ruban, dont une avec une ouverture d'au moins 160 cm.

Au Congo, le quota minimal de transformation a été fixé à 40 pour cent pour les forêts du nord. Dans les forêts non exploitées de la partie sud du pays, on prévoit actuellement un taux de transformation de 100 pour cent dans le cas de l'okoumé et d'au moins 50 pour cent pour les autres essences exploitables.

LE PORT D'ABIDJAN, CÔTE-D'IVOIRE la législation peut améliorer la rentabilité de l'exploitation forestière

En Côte-d'Ivoire, le décret n° 543 a établi en 1972 le principe d'un quota d'approvisionnement pour transformation applicable à tous les producteurs de grumes. Ce quota est actuellement d'environ 66 pour cent du volume des grumes exportées pour la plupart des entreprises et de 100 pour cent du volume exporté en grumes pour les sociétés ayant obtenu des superficies particulièrement étendues.

Certains pays appliquent aussi des mesures qui visent à promouvoir l'activité des entreprises locales et à faire participer plus étroitement les cadres nationaux à la gestion des sociétés d'exploitation et de transformation du bois. Ces mesures prévoient également:

· Une attribution prioritaire des nouveaux permis en faveur des exploitants se regroupant dans des unités plus grandes.

· Des crédits d'investissement destinés à encourager l'implantation des entrepreneurs nationaux.

· L'obligation des sociétés à capital étranger de former du personnel national technique et de gestion.

· Le transfert des unités d'exploitation à un nouveau régime intensifiant la participation nationale, ou à des sociétés étatiques en fin de durée de concession.

· La mise en œuvre de certains ouvrages d'infrastructure en faveur de la population locale.

Les dispositions légales régissant le paiement des redevances et taxes forestières ont été considérablement modifiées ces dernières années. Par «redevances et taxes forestières» on entend ici tous les paiements expressément liés à l'activité du secteur forestier que les entreprises d'exploitation, de transformation et d'exportation doivent acquitter en échange des droits de coupe attribués ou de la matière première utilisée. Ne sont pas incluses dans cette définition les taxes et redevances commerciales de caractère général (droits d'importation sur les machines, taxe à la valeur ajoutée, impôt sur les bénéfices, etc.).

Les taxes forestières peuvent être groupées en droits à l'exportation, perçus par les services de douane, et taxes intérieures, versées à l'administration forestière ou au service du domaine. Les taxes et redevances intérieures englobent:

· Les taxes d'attribution, de prolongation et de cession des droits d'exploitation.

· La taxe de superficie à payer annuellement par hectare de superficie de forêt attribuée.

· La taxe d'abattage calculée par mètre cube de bois exploité ou, selon d'anciens règlements, par arbre.

· Les versements à effectuer pour la réalisation de certains ouvrages d'infrastructure dans l'intérêt de la population locale.

Gabon

Population: 530000 (est. 1976)
Superficie: 267000 km2
Langue officielle: Français
Capitale: Libreville

Le pays est couvert par une forêt dense et consiste en basses terres côtières, en plateaux dans le nord-est et le sud, en montagnes dans le nord, le sud-est et le centre.

Le bois ne constitue pas un produit d'exportation important.

La France avait établi sa domination sur le pays au milieu du dix-neuvième siècle. Le Gabon est devenu indépendant le 17 août 1960.

République populaire du Congo

Population: 1390000 (est. 1976)
Superficie: 342000 km2
Langue officielle: Français
Capitale: Brazzaville

Une grande partie du Congo est couverte d'épaisses forêts. Une plaine côtière mène à la vallée fertile du Niari. Le centre est constitué par un plateau.

Le bassin du Congo est formé par des plaines alluviales dans sa partie basse et des savanes dans sa partie haute. Les produits du bois sont parmi les principales exportations.

En 1885, la France avait établi sa domination sur l'ancien royaume Loango et Anzico. Le Congo a accédé à l'indépendance le 15 août 1960.

République-Unie du Cameroun

Population: 6530000
Superficie: 475441 km2
Langues officielles: Le Cameroun est le seul pays d'Afrique où le français et l'anglais sont tous deux langues officielles (français à l'est, anglais à l'ouest).
Capitale: Yaoundé

Plaine côtière basse avec forêts humides au sud, plateaux au centre menant à des montagnes boisées à l'ouest; pâturages au nord conduisant à des marais autour du lac Tchad.

Le Cameroun, colonie allemande de 1884 à 1916, fut ensuite divisé en deux territoires sous mandat de la Société des Nations et confiés respectivement à la France et à l'Angleterre. Ces deux territoires sont passés sous la tutelle des Nations Unies après la seconde guerre mondiale. Le Cameroun français a accédé à l'indépendance le 1er janvier 1960. Une partie du Cameroun anglais y a été incorporée en 1961 et l'autre intégrée au Nigeria.

République de Côte-d'Ivoire

Population: 5020000 (est. 1976)
Superficie: 322500 km2
Langue officielle: Français
Capitale: Abidjan

Située sur la côte méridionale de l'Afrique de l'Ouest. Les forêts couvrent la partie ouest du pays, et vont d'une bande côtière jusqu'à mi-chemin vers le nord à l'est.

Une plaine intérieure à végétation clairsemée mène à des montagnes de basse altitude au nord-ouest.

Les ressources principales sont les bois tropicaux et le caoutchouc. A accédé à l'indépendance en 1960.

UN CHANTIER D'EXPLOITATION FORESTIERE AU CAMEROUN plus d'ouvriers qualifiés pour une profonde réforme

Les taxes à l'exportation comprennent surtout les droits de sortie sur les grumes et les produits de bois transformés. Il existe en outre des taxes spécialement affectées à l'aménagement forestier et au financement du reboisement: celles-ci peuvent être perçues comme taxes forestières internes ou à l'exportation.

Les droits de sortie levés sur les grumes et produits de bois transformés sont actuellement de première importance. Ils représenteraient en effet 80 à 90 pour cent de toutes les recettes que l'Etat tire de l'utilisation des ressources forestières. Avant l'indépendance, ces droits étaient calculés en déterminant des valeurs marchandes pour chaque produit et en appliquant des taux de fiscalité différenciés selon les essences et catégories de produits exportés. Les valeurs marchandes et les taux, exprimés en pourcentage de ces valeurs, étaient fixés par loi et décret. Les valeurs marchandes s'établissaient en général à 75 ou 80 pour cent des prix d'exportation (prix f.o.b.) et étaient revues de temps en temps sur l'avis de l'administration compétente. Ce système, appliqué pratiquement dans tous les pays francophones de l'Afrique occidentale, présentait des inconvénients majeurs.

Les faiblesses du système de la fiscalité forestière, constatées dans la plupart des pays de l'Afrique occidentale, tenaient probablement à ce que l'on considérait les redevances et taxes forestières presque exclusivement comme un instrument de la fiscalité générale. Il était destiné à procurer des revenus à l'Etat et on pouvait le manier aisément sans avoir à tenir compte des fluctuations économiques de la production forestière. Cette attitude témoigne d'une méconnaissance de la nature de ces paiements. L'ensemble des redevances et taxes perçues spécifiquement sur le bois représente en effet le prix de la matière première que les entreprises du secteur forestier doivent acquitter à l'Etat en tant que propriétaire de ressources forestières. Si l'on devait, dans les conditions actuelles de l'exploitation en forêt tropicale, appliquer ce principe, il faudrait que la somme totale des différentes taxes forestières corresponde à la valeur des arbres sur pied.

Cependant, un nouveau concept et une meilleure compréhension du rôle de la fiscalité forestière se sont peu à peu répandus dans plusieurs pays de la région. Ainsi de nouvelles dispositions ont été prises pour déterminer les paiements des concessionnaires et des exportateurs en se basant plus étroitement sur l'évolution des prix internationaux du bois, tout en tenant compte des conditions économiques d'exploitation et de transport. Ces mesures visent de toute évidence à assurer une compensation financière plus réaliste en échange des droits de coupe attribués par l'Etat.

DÉBUSQUAGE DE GRUMES DANS UNE FORET DU CONGO un but: éviter les plans d'exploitation faisant appel à des concessions

L'évolution d'une nouvelle conception en matière de fiscalité forestière a évidemment entraîné d'importances modifications dans les textes législatifs. En 1974, le Congo et le Cameroun ont aboli le recours aux valeurs marchandes, fixées à l'avance par décret, et ces deux pays utilisent maintenant comme unité de référence pour le calcul des taxes les prix courants à l'exportation (prix f.o.b.). En Côte-d'Ivoire, on a retenu jusqu'à présent les valeurs marchandes mais on les a modifiées plus fréquemment. Par exemple, elles ont subi entre 1971 et 1975 cinq augmentations, ce qui a permis d'ajuster plus rapidement le niveau de taxation en fonction de l'évolution réelle des prix à l'exportation. Mais ces mesures n'ont pas entièrement suffi à compenser l'écart entre l'évolution des prix et celle du coût de production. C'est pourquoi on a également modifié en plusieurs occasions les taux du droit de sortie pour mieux les aligner sur le niveau de prix des essences commercialisables. Tous ces remaniements ont sensiblement accru les revenus de l'Etat.

Malgré toute une série de mesures individuelles visant à promouvoir une politique de prix plus active en faveur du propriétaire forestier, il manquait jusqu'à présent dans la législation de ces pays l'affirmation formelle que l'ensemble des taxes forestières doit correspondre de façon aussi réaliste que possible à la valeur de la matière première récoltée. D'où l'intérêt particulier de l'article 26 du nouveau Code forestier congolais qui, pour la première fois, énonce explicitement ce principe dans le cadre du droit forestier. Une loi relative à la fiscalité forestière, adaptée en même temps que le Code forestier, complète cet article en disposant que: (a) le paiement des droits de sortie est établi en fonction des prix moyens f.o.b., calculés semestriellement; (b) le taux de la redevance à la sortie est modulé en fonction de la valeur économique des diverses essences et suivant les différentes qualités de chaque essence; (c) le taux de cette redevance est différencié selon huit régions du pays, compte tenu des variations des frais de transport; (d) dans chaque région, les différences de coûts d'exploitation suivant les circonstances locales peuvent également entrer en ligne de compte.

Cette loi stipule en outre que le nouveau système pourra être revu tous les cinq ans et, à titre exceptionnel, au bout de ses 30 premiers mois de mise en vigueur, ce laps de temps constituant une période de transition.

TRAINS DE BOIS AU GABON il est plus facile d'enlever les grumes que de doter In la foresterie d'institutions

Dans la plupart des pays tropicaux de l'Afrique occidentale, l'exploitation forestière ces vingt dernières années a surtout été laissée à l'initiative de sociétés privées et a évolué en fonction des réactions de ces dernières à la conjoncture internationale des marchés de bois tropicaux. Seule une très faible partie du volume de bois sur pied était utilisée, tandis que l'on n'abattait guère plus de 1 à 3 arbres de haute valeur par hectare. D'où le déplacement constant des chantiers forestiers et des campements et villages qui en vivaient. Pour maintenir le secteur en activité, il fallait ouvrir à un rythme accéléré de nouvelles zones forestières. Aussi, les centres de production de grumes se déplaçaient-ils rapidement d'une région à l'autre ou même d'un pays à un autre. Cette façon de procéder risquait, par suite d'une exploitation irréfléchie et anarchique, de se solder à moyen et à long terme par une sous-utilisation des ressources en matière première et une forte instabilité dans l'économie forestière.

Pour pallier ces inconvénients, la mise en valeur des ressources forestières doit s'étayer sur la planification de grandes unités régionales d'exploitation du bois et être régie par des principes techniques d'aménagement forestier. Cette procédure est également indispensable pour encourager l'implantation d'unités industrielles intégrées, qui contribueront à une transformation plus poussée de la matière première. Dans les Etats francophones de l'Afrique occidentale, l'aménagement systématique de la forêt dense tropicale, grâce auquel l'exploitation de zones forestières jusque-là inaccessibles pourra progresser rapidement, est d'autant plus urgent que d'importantes améliorations d'infrastructure viennent d'être apportées ou le seront. C'est ainsi qu'on a, entre autres, construit de nouveaux ports et agrandi ceux existants, développé et amélioré le réseau ferré et fait de nouvelles routes convenant à un trafic lourd et rapide.

La législation sur l'aménagement forestier en vigueur dans les pays francophones au moment de leur accession à l'indépendance s'est avérée tout à fait insuffisante pour planifier au niveau régional l'exploitation de vastes superficies de forêt. Il y manquait notamment des normes techniques, cohérentes et bien structurées qui auraient permis un développement harmonieux du secteur à long terme. Ainsi, les programmes de production annuelle de grumes pouvaient être établis librement par les entreprises, sans aucune programmation. Le progrès de l'exploitation n'était dû de ce fait qu'au nombre de permis octroyés à des concessionnaires. Les uns, après avoir obtenu des droits de coupe dans les zones non exploitées, s'efforçaient d'utiliser aussi vite que possible les essences de haute valeur qui se trouvaient dans les forêts qui leur avaient été attribuées. D'autres, dont les permis étaient sur le point d'expirer, essayaient d'obtenir rapidement de nouveaux chantiers proches du centre de leurs opérations. Il difficile, lorsque l'exploitation à grande échelle a commencé, d'en prévoir les conséquences nuisibles vu qu'au départ ces sociétés étaient peu nombreuses. Elles avaient en effet devant elles d'immenses superficies de forêts non exploitées et l'octroi libéral des permis facilitait l'expansion de la production forestière. Mais au bout de quelques années, les forêts étaient de plus en plus exploitées et les essences commerciales les plus recherchées se raréfiaient.

La première chose qu'a faite l'administration pour assurer un développement forestier plus soutenu au niveau de chaque région a été d'augmenter la durée des concessions et l'étendue des superficies concédées aux entreprises. Plusieurs pays ont instauré une réglementation qui permettrait de modifier la durée des concessions et le nombre des permis attribués selon le type d'entreprise. Cette mesure visait en particulier à réduire la migration constante des chantiers et à garantir le ravitaillement de nouvelles usines de transformation pour des périodes plus longues. Cependant, cette tentative n'a pas donné les résultats escomptés. Les fréquents échecs ont tenu surtout à l'absence de données suffisantes sur le volume exploitable et sur sa répartition par groupes d'essences dans chaque unité de concession. Ainsi les services forestiers n'étaient guère en mesure d'aligner l'évolution de l'exploitation sur les ressources disponibles à moyen et long terme. Il était aussi pratiquement impossible d'établir des quotas pour la coupe qui auraient pu servir de point de référence aux sociétés pour la préparation de leurs programmes annuels de production.

Un autre fait attestait de l'absence de toute planification de l'utilisation des ressources forestières, à savoir l'inexistence de dispositions rendant obligatoire l'établissement de plans d'aménagement pour toutes les zones forestières dont la mise en exploitation était envisagée. Faute de telles clauses, les administrations forestières n'avaient aucune base juridique pour organiser l'exploitation au niveau régional conformément aux principes d'une utilisation soutenue de la ressource. De toute évidence, le manque de plans d'aménagement, fixant annuellement, au moins pour les essences commerciales les plus recherchées, un volume maximal d'exploitation, a beaucoup contribué à favoriser la coupe sélective de grumes de haute valeur.

La situation en Côte-d'Ivoire illustre bien l'évolution de la politique forestière dans ces pays. Sur ce territoire, une grande partie de la superficie forestière avait été ouverte à l'exploitation bien avant que l'administration fût en mesure d'élaborer des concepts techniques qui auraient pu guider la mise en valeur à long terme de ses ressources. L'attribution des droits d'exploitation et la programmation de la production reposaient exclusivement sur le nombre de permis, formés par un carré de 5000 × 5000 m, qui avaient été octroyés aux différents concessionnaires. En dehors de l'unité d'un «permis», d'ailleurs peu étendue (2500 ha) et difficile à démarquer sur le terrain, il n'existait aucune division régionale, soit administrative soit technique, qui aurait facilité une planification de la mise en valeur des zones forestières et un contrôle des opérations sur le terrain. Ce n'est qu'en 1972/73 que plusieurs décrets importants vinrent modifier cette situation.

Ainsi, le décret n° 114 introduit la notion de «périmètres régionaux d'approvisionnement», dans lesquels le volume de bois annuellement exploitable doit être fixé à un plafond en rapport avec le potentiel des ressources forestières disponibles dans chacune de ces unités. Ce décret prévoit également que le service forestier peut établir par arrêté des plans d'aménagement qui limitent la coupe de certaines essences ou groupes d'essences et dont les dispositions s'appliqueront aux permis déjà accordés ou qui le seront à l'avenir.

Un programme d'inventaires régionaux couvrant des superficies forestières de 300 à 500000 ha fut entrepris pour obtenir les informations indispensables à la préparation de ces plans. Ces inventaires ont été exécutés par la SODEFOR, société semi-autonome de reboisement, et les résultats sont main tenant disponibles pour la plupart des périmètres. Grâce à ces informations, il sera possible de tracer pour chaque périmètre les grandes lignes d'un schéma d'implantation de l'industrie du bois, afin d'assurer l'approvisionnement à long terme des unités déjà établies ou de celles prévues dans l'avenir. Une réorganisation de l'industrie du bois est d'ailleurs facilitée par une autre clause du décret selon laquelle les superficies pour lesquelles les permis d'exploitation arrivent à expiration ne pourront être réattribuées qu'à des sociétés disposant d'une unité de transformation ou s'engageant à en construire.

Avec l'institutionnalisation de périmètres régionaux d'approvisionnement et l'obligation formelle de préparer des plans d'aménagement pour chaque unité, l'administration dispose maintenant de bases légales suffisamment solides pour réorganiser l'exploitation forestière du pays. Ce ne sera, toutefois, pas une tâche facile, car cela supposera, au moins dans certaines zones forestières déjà attribuées, un abaissement de la production annuelle d'essences de valeur. Une réorganisation de l'exploitation exigera en outre des liens plus étroits entre les entreprises principalement orientées vers la production de grumes d'exportation et les unités de transformation qui nécessitent un approvisionnement assuré en matière première.

Au Gabon, l'administration forestière a envisagé de stabiliser l'exploitation et de garantir le ravitaillement régulier de quelques grandes unités de transformation. A cette fin, il a fallu modifier la politique d'attribution de permis que le gouvernement avait élaborée en 1967. Celle-ci prévoyait la mise en réserve de vastes superficies en faveur de certaines entreprises disposant d'un capital suffisant pour assurer l'implantation d'industries forestières intégrées. La modification du Code forestier de 1968 jetait les bases législatives pour une planification régionale à grande échelle et un aménagement forestier soutenu. Ainsi les articles 42bis et suivants stipulaient que les forêts destinées à long terme principalement à la production de matière première et au ravitaillement des industries intégrées seraient considérées comme faisant partie du domaine forestier permanent du pays. Des plans d'aménagement, autorisés par décret, seraient préparés pour ces superficies. La section IV de l'article 42 revêt encore aujourd'hui un intérêt particulier. L'objectif de l'aménagement forestier y est défini comme suit: «l'aménagement visé par l'art. 42teret ses amendements successifs a pour but d'obtenir progressivement dans la forêt classée une production de bois optimale en quantité comme en qualité, compte tenu de la situation et des conditions physiques de cette forêt, ainsi que des besoins économiques et sociaux de la région et de l'ensemble du pays.» Cette disposition marque un net progrès, surtout si l'on pense à ce qu'est la situation actuelle de la forêt dense tropicale en Afrique occidentale. Pour la première fois, en effet, elle pose le principe selon lequel l'utilisation forestière doit s'étayer sur un aménagement à long terme, voire soutenu. Vu les conditions actuelles de l'économie forestière dans cette région, il sera probablement malaisé de l'appliquer dès maintenant dans son intégralité. Mais le fait qu'elle a été retenue dans le Code forestier facilitera sûrement la mise en oeuvre graduelle d'un aménagement plus rationnel des vastes étendues forestières du pays.

UNE CONCESSION FORESTIERE EN AFRIQUE OCCIDENTALE foute la série des opérations doit s'étayer sur une législation rationnelle

Dans une certaine mesure, la situation du Cameroun paraît comparable. Ces dix dernières années, de grandes unités de concession y ont été attribuées qui permettaient une répartition régionale des chantiers. Le droit forestier unifié, adopté en 1973, contient en outre plusieurs nouvelles dispositions visant à un aménagement ordonné des ressources forestières. Ainsi l'article 16 stipule l'élaboration d'un règlement d'aménagement pour toutes les forêts domaniales délimitées. Par contre, il n'existe jusqu'à présent que peu de normes précises définissant les principaux objectifs d'un tel aménagement et les clauses du décret d'application sont peu spécifiques à ce sujet. En outre, le processus de délimitation du domaine forestier de l'Etat est bien peu avancé dans la partie francophone du pays. A l'exception de l'unique disposition qui, dans le décret d'application, touche à l'aménagement en dehors des forêts domaniales délimitées, la législation donne peu d'indications quant à la planification régionale et à l'établissement de quotas annuels d'exploitation dans les zones forestières non encore assujetties à un règlement de classement. Les dispositions concernant l'aménagement forestier risquent donc de rester, au moins dans un proche avenir, assez peu opérantes.

Une révision complète des clauses relatives à l'aménagement des ressources forestières a été faite lors de la préparation du Code forestier congolais. Le régime retenu diffère profondément du précédent aux termes duquel on pouvait attribuer des droits d'exploitation sans réglementer la coupe annuelle ni exiger un plan d'aménagement. La situation du secteur forestier se prêtait à l'introduction de ces modifications importantes, car le nord du pays laissait de vastes superficies forestières inexploitées et, déjà en 1970, le gouvernement avait décidé d'arrêter l'attribution de nouveaux permis jusqu'à ce que les résultats d'inventaires et des plans d'aménagement fussent disponibles.

Le schéma du règlement de l'aménagement à long terme, inséré dans la législation forestière congolaise, peut se résumer comme suit:

· La superficie forestière du pays est divisée en unités régionales, appelées unités forestières d'aménagement. Celles-ci servent de points de référence à toute activité forestière, qu'il s'agisse d'administration, d'aménagement, d'exploitation, de planification des industries ou de contrôle sur le terrain. L'unité forestière d'aménagement comprend des superficies qui n'ont pas encore été ouvertes à l'exploitation, mais aussi des zones qui ont déjà fait l'objet d'un premier cycle de coupe. En ce qui concerne la mise en valeur des forêts jusqu'à présent, il est obligatoire d'attendre les résultats des inventaires forestiers et des plans d'aménagement avant que de nouveaux contrats ne puissent être concédés.

· Pour chaque unité forestière, un plan d'aménagement doit être préparé, réglementant l'utilisation du potentiel forestier à long terme. A signaler que ce plan ne concerne pas uniquement l'exploitation du bois, mais aussi les aspects touristiques de certaines zones forestières ainsi que l'exercice de la chasse et la protection de la faune.

· Un des objectifs principaux du plan d'aménagement est de fixer un quota annuel de coupe qui établit un volume maximal annuel exploitable pour les principales essences commerciales. Le plan doit également inclure un schéma d'infrastructure générale indiquant en particulier le réseau des routes forestières, ainsi que des prescriptions concernant la sylviculture.

· L'unité d'aménagement peut être entièrement concédée à une seule entreprise auquel cas les dispositions du plan d'aménagement s'appliquent directement à ladite entreprise. Mais il est également possible d'attribuer plusieurs contrats d'exploitation de bois dans une unité d'aménagement. La superficie en est alors divisée en plusieurs unités forestières d'exploitation. En fonction du plan d'aménagement, on dresse pour chaque sous-division des plans d'exploitation qui s'intègrent au contrat. L'ensemble des quotas annuels de coupe décernés aux différentes unités ne peut dépasser le volume maximal annuel fixé pour l'ensemble de l'unité régionale.

· La préparation des plans d'aménagement se fonde sur les résultats des inventaires régionaux.

L'application de la nouvelle réglementation facilite l'utilisation du potentiel forestier à long terme, stabilise l'exploitation au niveau régional et régularise l'approvisionnement en matière première des grandes industries intégrées de transformation. L'ensemble des dispositions offre à l'administration une formule souple pour pratiquer une politique de concession réaliste et pour négocier de nouveaux contrats d'exploitation à des conditions plus favorables. Ainsi, il devrait être possible d'éviter une des difficultés majeures auxquelles on se heurte dans plusieurs pays francophones pour mettre harmonieusement en valeur les forêts difficulté qui réside dans ce que toute mesure de planification dépend directement du système adopté pour l'attribution des droits de coupe. La réglementation du nouveau Code forestier rétablit clairement pour sa part la séquence logique et indispensable à une utilisation rationnelle de la forêt. L'inventaire et l'aménagement forestiers doivent venir en premier, après quoi on peut décider de l'attribution des permis. A noter en passant que ces nouvelles dispositions s'inspirent des règlements en vigueur dans plusieurs pays anglophones de la zone tropicale.

Il convient aussi de noter que les mesures d'aménagement prévues dans les textes législatifs de l'Afrique occidentale n'impliquent pas nécessairement la stricte application du principe d'une utilisation soutenue du potentiel forestier. Les textes en vigueur n'en permettent pas moins de répartir dans chaque unité régionale les volumes exploitables pour une période assez longue comme, par exemple, 30 ans. On peut ainsi assurer le ravitaillement à long terme des grandes industries de bois et ériger une infrastructure stable dans les principales régions productrices de bois.

Parmi les autres mesures d'aménagement, on doit mentionner les clauses établissant des diamètres minimaux à l'exploitation. Au-dessous de ces diamètres, l'abattage des arbres est interdit. Le but de cette réglementation est de préserver les arbres qui n'ont pas encore atteint un volume exploitable et qui de ce fait ne pourront être coupés qu'ultérieurement. La législation forestière de la plupart des pays francophones prescrit des diamètres minimaux qui varient généralement selon les différents groupes d'essences commerciales. Souvent, néanmoins, il n'existe pas de réglementation complémentaire pour couvrir les cas exceptionnels où les superficies à exploiter ne sont pas appelées à rester en permanence sous couvert forestier.

Dans l'ensemble, le cadre législatif de l'utilisation et de l'aménagement des forêts tropicales de l'Afrique occidentale s'est considérablement amélioré ces dernières années tant dans le fond que dans la forme.

On peut se demander, quand on se penche sur certaines dispositions des lois et décrets récemment adoptés, si les administrations forestières des pays francophones de l'Afrique occidentale sont actuellement toujours en mesure de les appliquer.

La modernisation de la législation forestière en vue de donner à l'Etat plus de poids dans le développement du secteur forestier doit être suivie d'un renforcement des instruments de planification et de contrôle de l'administration compétente. Ces dix dernières années, les pays francophones ont commencé à restructurer et à élargir leurs services forestiers. Mais ceux-ci sont encore trop souvent handicapés par le manque de cadres moyens et supérieurs. Il faudrait que, dans les prochaines années, on s'emploie à former du personnel, à étoffer encore les structures administratives et à accroître les ressources budgétaires, afin que les administrations forestières publiques puissent appliquer les dispositions législatives et mettre en œuvre un aménagement efficace de la forêt.

En conclusion, ce qui se dégage avant tout c'est que de nouvelles dispositions législatives sans un renforcement substantiel de la structure et de l'efficacité des services forestiers ne sauraient résoudre les problèmes urgents du secteur forestier. A souligner également qu'une législation forestière cohérente et bien structurée contribue puissamment à garantir une utilisation plus rationnelle des ressources forestières.


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