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Sylviculture sociale en Inde

M.M. Pant

M.M. PANT est économiste forestier à l'Institut de recherche forestière et à l'université de Dehra Dun (Inde).

Il s'est établi en Inde une distinction conceptuelle entre la sylviculture de production - limitée jusqu'à présent aux réserves forestières - et la sylviculture sociale, pratiquée sur les terres dispersées qui se prêtent à la culture des arbres.

La sylviculture sociale procède en fait de la doctrine de Gandhi touchant la croissance économique et le développement communautaire. Imaginons une économie dans laquelle les terres et les eaux, appartenant à des individus ou à des collectivités, et à présent inemployées, seraient aménagées à de meilleures fins en y faisant travailler tous les sans - emploi. Les avantages sociaux qui en découleraient et les ressources nouvelles ainsi créées, ouvriraient la voie à l'indépendance économique.

Les objectifs de la sylviculture sociale, tels que définis par la Commission nationale de l'agriculture (NCA, 1976), sont les suivants: (a) fournir du bois de feu pour remplacer la bouse de vache employée comme combustible; (b) fournir des petits bois d'œuvre; (c) fournir du fourrage; (d) protéger les champs du vent et les sols contre l'érosion; (e) créer des espaces d'agrément.

Elle prend essentiellement les formes suivantes: sylviculture paysanne, plantations forestières rurales et plantations urbaines. Généralement parlant, leurs objectifs sont presque identiques, et les différences entre eux, quoique subtiles, méritent d'être examinées.

Sylviculture paysanne

Elle a pour objet la plantation d'arbres en association avec l'agriculture. Son but est d'apporter la révolution verte dans l'économie agricole indienne. Dans son état actuel, notre économie rurale est mal équilibrée. Nous produisons des aliments, sans nous soucier de produire du combustible, ce qui amène inévitablement à utiliser la bouse de vache en guise de combustible pour le chauffage et la cuisson des aliments, autrement dit à dépouiller Paul pour payer Pierre. La bouse de vache mêlée à la litière et aux feuilles vertes donne un fumier organique qui est le sang nourricier de la terre. Sans lui, la terre des champs est privée de phosphore, de potasse et d'azote, et sa fertilité fort amoindrie. On estime à plus de 458 millions de t la quantité de déjections animales détournée annuellement pour être brûlée dans les foyers ruraux. A raison de 5 t/ha, ce fumier pourrait fertiliser 91 millions d'ha. En supposant qu'on pourrait ainsi récolter 5 q de denrées alimentaires de plus à l'hectare, on peut estimer la perte de nourriture qui en résulte chaque année à 45 millions de t d'une valeur de 36 milliards de roupies, soit 4390243 dollars U.S. (Srivastava et Pant, 1979). La sylviculture paysanne vise à remplacer cette perte par un gain annuel; c'est pourquoi la création de ressources en bois de feu sur la terre même du paysan et le retour du fumier animal à son usage normal constituent ses principaux objectifs.

En outre elle cherche à améliorer le bien-être de l'agriculteur en lui permettant de suffire à ses propres besoins en bois de feu, petits bois d'œuvre et fourrage, ainsi qu'à lui procurer un revenu par la vente du bois et du fourrage excédentaires, à assurer la stabilité des sols et la conservation des eaux, et à éviter les méfaits de l'érosion due au vent.

Les arbres plantés en bordure des champs servent de haies de protection et de rideaux - abris. Les arbres judicieusement plantés en brise-vent mettent obstacle aux tempêtes de sable et maintiennent ainsi la fertilité des sols. On peut en voir un exemple frappant dans le district de Mohindargarh, Etat de Haryana, où la création d'un réseau de brise-vent a pratiquement mis fin à l'envahissement par les sables venus du Rajasthan. Des travaux aussi spectaculaires ont été également réalisés dans les Etats du Gujerat, du Tamil Nadu et du Rajasthan.

Il faut éviter que les multiples avantages qu'apportent les plantations paysannes à l'économie rurale ne s'accompagnent d'une diminution de la productivité normale des cultures. Pour cela un choix judicieux des essences et une disposition rationnelle des arbres et des cultures agricoles sont d'importance capitale. La stratégie à adopter dépend d'un certain nombre de facteurs, principalement type de sol, pluviométrie, température, humidité du sol, régime des vents.

Toutefois, la révolution verte ne pourra porter ses fruits que si l'agriculteur parvient à l'autosuffisance en combustible, fourrage, fumure et petits bois de construction. Il faut tout d'abord, sans tarder, faire comprendre à l'agriculteur et au villageois le rôle bénéfique de la forêt en tant qu'auxiliaire de l'agriculture, leur dire que le moyen de sortir d'une économie boiteuse est à portée de leur main. La doctrine de la sylviculture paysanne doit être diffusée de proche en proche dans tout le pays de façon à toucher intégralement la population rurale, à la lui faire comprendre et accepter.

L'économie rurale de l'Inde est bancale. Utiliser la bouse de vache comme combustible revient à faire un trou pour en boucher un autre

Les opérations qui entrent dans la sylviculture paysanne sont dans l'ensemble simples et faciles. Tout ce que doit faire l'agriculteur, c'est planter des arbres d'essences appropriées de manière que les cultures agricoles et les arbres ne se gênent pas mutuellement. Cette double culture n'empêche pas l'agriculteur de faire normalement ses récoltes de plein champ. Dans le cas des arbres, par contre il devra attendre qu'ils aient achevé leur cycle de croissance avant de pouvoir en tirer un profit en argent et en nature. La durée du cycle peut être de 5 à 10 ans, mais une fois qu'il a commencé la récolte se fait par rotation et assure un revenu annuel.

La sylviculture paysanne se heurte à certains préjugés qui tiennent davantage à l'ignorance qu'à des faits réels. On croit par exemple que les arbres abritent des oiseaux nuisibles aux cultures vivrières, qu'ils font de l'ombre empêchant la croissance des cultures, ou encore qu'ils abaissent le niveau de la nappe phréatique par une transpiration excessive.

Ces préjugés ne disparaîtront pas d'eux-mêmes. Pour combattre les idées fausses il est indispensable de rétablir la vérité des faits par des campagnes systématiques d'information, par des conférences, des émissions agricoles à la radio, des réunions dans les villages, etc.

En attendant, faisons immédiatement justice de certaines erreurs courantes. Pour commencer par les oiseaux, ils constituent un moyen de lutte naturelle contre les insectes nuisibles, les rongeurs et autres vermines. Ils se nourrissent d'insectes, de vers et de chenilles ennemis des plantes. Les chenilles dévorent chaque jour deux fois leur poids de feuilles. La voracité des criquets est légendaire. Des oiseaux tels que la cigogne blanche non seulement prélèvent un lourd tribut parmi les chenilles et les criquets, mais déterrent les œufs d'insectes qu'ils dévorent. De nombreux oiseaux tels que le martin roselin se nourrissent et alimentent leurs jeunes exclusivement d'insectes. Un ornithologiste allemand a estimé qu'un seul couple de mésanges, avec sa nichée, détruit annuellement au moins 120 millions d'œufs d'insectes ou 150000 chenilles et larves. Les chouettes et hiboux, les aigles, les faucons et autres rapaces sont les auxiliaires de la nature qui freinent la multiplication des rats et autres rongeurs. Voilà donc pour les oiseaux.

L'idée que l'ombre des arbres nuit aux cultures est peut-être juste dans certaines circonstances. D'après des expériences à grande échelle menées en Ukraine, les pertes de récolte dues aux arbres sont compensées en deux ans avec les peupliers, et en cinq ans avec les chênes, et à la longue on constate un accroissement de rendement de l'herbe aussi bien que du blé. Toutefois, pour éviter un antagonisme entre arbres et cultures du fait de l'ombre, il est d'importance primordiale qu'il y ait une bonne adaptation mutuelle entre les deux, la meilleure solution réside dans un choix judicieux des essences utilisées et une densité correcte de plantation.

Les arbres ne font pas baisser le niveau de la nappe. Au contraire ils reconstituent les réserves d'eau du sol pendant la mousson, grâce à l'infiltration. Dans le Pendjab, l'Haryana et l'Uttar Pradesh, où on a planté Eucalyptus tereticornis le long des routes, sur les berges des canaux et en bordure des champs, on cultive des blés à haut rendement avec des résultats encourageants. Il est difficile d'avoir des données scientifiques sur la consommation d'eau des arbres et des cultures, des études systématiques dans ce domaine pourraient être utiles afin de rassurer les agriculteurs. De toute façon, un agriculteur qui a un préjugé à l'encontre d'une espèce d'arbre donnée peut toujours en planter d'autres. Les plantations de jamun (Syzygium cumini) en lignes sur les limites de champs dans le district de Saharanpur (Uttar Pradesh), de shisham (Dalbergia sissoo) sur buttes dans les champs au Dinajpur occidental, d'eucalyptus dans le Pendjab et l'Haryana, de Casuarina equisetifolia sur sols sableux dans l'Etat d'Orissa et en Inde méridionale ont montré que les arbres ne causaient aucun préjudice sérieux aux cultures. Dans ces régions, la plantation d'arbres est une pratique très ancienne.

La forêt paysanne de Vatava dans le Gujerat, a démontré que la capacité d'absorption de l'eau par le sol s'accroît considérablement dans les terrains plantés d'arbres. En 1976, une pluie de 304 mm fut absorbée en quelques heures dans cette forêt tandis que dans les champs voisins dépourvus d'arbres l'eau de pluie séjourna pendant 4 ou 5 jours sans être absorbée (Srivastava et Pant, 1979). Les arbres contribuent donc à recharger la nappe, ce qui compense en partie la différence de taux de transpiration par rapport aux cultures saisonnières.

Les agriculteurs peuvent faire pousser des arbres pour produire leurs bois d'œuvre et de feu, ainsi que du fourrage le long des limites de champs et sur les terres marginales incultes. Les lisières des fermes représentent au total une surface considérable. La superficie totale des terres cultivables dans l'Uttar Pradesh, l'Haryana et le Pendjab est estimée à 34047000 ha. Si l'on prend, modestement, un pour cent pour les limites, on arrive à un total de 340470 ha pour ces trois Etats. Cette superficie, qui autrement serait improductive, peut être utilisée pour planter plus de 900 millions d'arbres.

L'agriculteur peut adapter la culture des arbres à ses besoins propres. Ils lui procurent un abri pour son bétail et ses outils agricoles, et régularisent la température.

Les ressources des services forestiers et des gouvernements des Etats sont trop limitées pour financer des projets de plantation sur des terrains privés. C'est donc aux agriculteurs d'entreprendre ces plantations eux-mêmes. Un arbre n'est pas seulement un bien de consommation, c'est aussi une usine que la nature fait travailler pour l'homme. En plantant des arbres sur les limites de champs et autres terrains incultivables, on peut créer un capital utile pour un coût pratiquement nul. En quelques années, un plant qui revient à 10 ou 15 paisa ($ 0,01 à 0,02) devient un arbre d'une valeur de 40 à 80 roupies ($ 4,88 à 9,76).

Il va sans dire que les arbres sont une culture de rapport qui possède un avantage marqué sur les cultures agricoles traditionnelles: le produit n'est pas périssable. Si à un moment quelconque le propriétaire n'en obtient pas le prix attendu, il n'a pas besoin de récolter ses arbres, qui continueront à pousser et à prendre de la valeur; il pourra toujours les vendre lorsque le marché sera favorable. Dans le cas des cultures de rapport, l'agriculteur n'a d'autre choix que de les récolter lorsqu'elles arrivent à maturité, quelles que soient les conditions du marché.

La sylviculture rurale est également qualifiée de sylviculture populaire. Elle englobe des activités sylvicoles entreprises sur les terres communautaires ou villageoises, dans les forêts dégradées, sur les bords de route et de voie ferrée, sur les berges de canaux, au bénéfice des populations rurales. Elle inclut aussi la restauration de terrains abandonnés tels que ceux qui portent la trace de carrières, mines, briqueteries, fours à chaux, construction de routes, etc.

UTTAR PRADESH: SÉCHAGE AU SOLEIL DE BOUSES DE VACHE QUI SERVIRONT DE COMBUSTIBLE la foresterie sociale remédierait à ce problème

Les objectifs de la sylviculture rurale sont dans l'ensemble identiques à ceux de la sylviculture paysanne - satisfaire les besoins des populations des campagnes. Il y a toutefois une différence importante: la propriété du terrain. Dans la sylviculture paysanne il s'agit généralement d'une propriété privée, individuelle, tandis que dans la sylviculture rurale la propriété est collective. Il en résulte des problèmes particuliers de protection et de gestion, qui exigent la participation de la collectivité tout entière pour une bonne réalisation des projets. Cette association systématique des populations rurales activités forestières mettra au premier plan les multiples avantages tirés de l'arboriculture - bois, fourrage et autres produits. Le premier objectif de tous les programmes de sylviculture rurale est de sortir les paysans de leur condition de pauvreté et d'ignorance et de les aider à acquérir l'autosuffisance.

Un certain nombre d'industries artisanales peuvent se développer à partir des ressources fournies par les arbres: apiculture, articles de sport, sériciculture, extraction d'huile des graines, fabrication de meubles en bois et en bambou, élevage laitier grâce au feuillage fourrager, tannerie avec l'écorce, utilisation des graines et feuilles comestibles, etc.

La sylviculture sociale vise à faire pousser des arbres partout où c'est possible sur des terres incultes, isolément, en bouquets ou en bandes. Les terres actuellement inutilisées sont les bords de route et de voie ferrée, les berges de canaux, les fossés de drainage, ce qui représente plus de 900000 ha qui pourraient être plantés avec profit. On peut y ajouter les berges de fleuves, les terrains dégradés dans les villages, les ravins, marécages, champs crématoires, parcs d'écoles, d'universités, d'hôpitaux, d'immeubles, etc. Sur les 75 millions d'ha classés comme forêts en Inde, une bonne part est formée de forêts complètement dégradées et de peuplements à rénover. Dans le même temps, quelque 220 millions de personnes, principalement dans les zones rurales, vivent au-dessous du seuil de pauvreté parce qu'elles sont inemployées ou sous employées. Convenablement stimulés et formés, ces chômeurs pourraient être utilement employés pour reboiser de vastes étendues de terres à présent inexploitées.

En règle générale, un hectare de reboisement crée, en zones rurales, de 150 à 500 journées de travail pendant les trois premières années. Par la suite, l'exploitation des arbres procure des emplois plus rémunérateurs, pour un nombre de journées de travail presque double, sans parler des emplois secondaires dans la transformation du bois et autres produits forestiers, qui ont de fortes liaisons en aval.

Les arbres plantés en bosquets ou en bandes sur le territoire des villages sont également rentables. L'analyse avantage/coût de certaines plantations de bords de route et de villages dans les Etats de Gujerat et de Haryana montre qu'elles donnent un taux de rentabilité financière interne - loyer de la terre exclu - variant entre 7 pour cent dans les sols salins les plus mauvais et 32 pour cent dans les meilleurs sols (Srivastava et Pant, 1979).

La sylviculture urbaine a un double objectif: faire croître des arbres tout près des maisons et améliorer l'esthétique de l'environnement. On plante des arbres d'essences ornementales, qui fleurissent et fructifient à différentes saisons, le long des routes et des canaux, et autour des villes et des villages. La sylviculture urbaine a aussi pour but d'embellir les terrains d'habitation, les voies, les terrains inoccupés, et de créer des parcs dans les villes. Le parc de Borivali à Bombay, la forêt de Kukrail à Lucknow, le parc de Banargatta à Bangalore en sont des exemples. Ces parcs sont des lieux de loisirs au grand air très fréquentés des habitants des villes.

La foresterie sociale fait en réalité partie intégrante de la philosophie gandhienne de croissance économique et de développement communautaire

L'Etat de Gujerat pratique la sylviculture sociale en grand. Le respect de l'arbre est entré dans les mœurs. Des événements sociaux importants, comme le mariage, et des solennités religieuses sont précédés par la plantation d'arbres. Certaines dispositions originales et intéressantes touchant les arbres ont également été instaurées, notamment celles - ci: tout terrain d'habitation doit avoir un minimum de 5 arbres, condition préalable à l'approbation des plans et à la délivrance du permis de construire. L'abattage des jeunes arbres est interdit. On va même jusqu'à changer le tracé des routes pour éviter d'abattre des arbres. Les grandes réceptions données par le gouverneur, les ministres et les personnalités importantes sont invariablement précédées par des plantations rituelles. Les cérémonies religieuses sont marquées par la plantation d'arbres.

Pour donner une impulsion à la plantation d'arbres, un chef religieux, le pandit Shamboo Maharaj, a offert de réciter le «Mahabharat Katha»gratuitement pour tout agriculteur qui planterait 500 arbres sur sa terre. Le Mahabharat Katha dure 5 à 6 jours. Le pandit Shamboo Maharaj est bien connu pour ses dons de conteur et son offre a incité bien des agriculteurs à planter des arbres. Les organisations sociales ont également entrepris des plantations forestières à grande échelle. Toutes ces activités ont donné aux gens le goût des arbres et les a incités à transformer leur morne environnement en plaisante verdure.

Projets pilotes

De nombreux établissements d'enseignement, écoles, collèges, universités, instituts polytechniques, ont créé des parcelles boisées plantées par les élèves sur les terrains libres dans leurs institutions et alentour. Les plantations d'embellissement des villes réalisées par les étudiants pendant leur temps de loisirs méritent d'être vues. Le Département des forêts a lancé des programmes de production de plants de pépinière par le travail volontaire des enfants des écoles. Cette entreprise n'est pas incompatible avec les programmes scolaires. En 1977, 54 écoles disséminées dans 8 districts du Gujerat ont élevé 466500 plants, et en 1978/84 écoles ont poursuivi ce programme. Les semences, sacs de polyéthylène, etc., sont fournis par le Département des forêts, qui achète ensuite les plants à un prix symbolique de 15 paisa ($ 0,02) chacun. L'argent ainsi recueilli est utilisé pour aider les écoliers pauvres, acheter des livres, organiser des excursions, etc. L'impact socio-économique de cette activité est bien plus profond qu'il n'apparaît. L'action que mène le Département des forêts a en réalité pour effet d'éveiller les citoyens de demain à l'amour de l'arbre et aux nobles aspirations de la révolution verte. Si chaque écolier du pays plante 10 arbres chaque année, on pourra élever plus de 770 millions de jeunes plants par an.

Dans plusieurs grandes villes de l'Inde les eaux d'égout posent un sérieux problème de pollution. Le Département des forêts a ingénieusement disposé des écrans boisés autour de ces effluents malsains. Les eaux usées servent à irriguer les arbres et les éléments solides donnent un engrais organique de valeur pour les champs. Les arbres absorbent en même temps les émanations fétides des champs d'épandage.

Le travail réalisé par le corps de police de réserve de l'Etat à Saijpur, Ahmedabad, sous la conduite du Département des forêts, mérite d'être mentionné. Depuis 1973 les terrains incultes du camp, soit près de 8 ha sur un total de 28 ha, sont progressivement boisés. Les soldats du camp ont mis en terre 28400 plants fournis par le Département des forêts lors de fêtes de la forêt. Les plants sont irrigués, entretenus et surveillés par les soldats pendant leurs heures libres. Les eaux usées servent à la fois pour la fertilisation et l'irrigation, et profitent aux arbres et aux cultures agricoles. La valeur du capital vert ainsi créé à ce jour dans le camp de Saijpur est estimée à 284000 roupies, à raison de 10 roupies par arbre.

Les arbres ont eu une influence favorable sur la température du lieu. D'après le commandant du camp elle y est d'environ 3°F (1,7°C) inférieure à celle des alentours.

En Inde, les divers corps militaires et paramilitaires répartis dans le pays constituent un vaste réservoir de main-d'oeuvre potentielle. Les terrains situés dans les camps et autour, en particulier les bassins de réception de cours d'eau, fournissent des sites de plantation idéaux. Si l'on fournit aux hommes disciplinés de ces unités des plants gratuits, en leur donnant les instructions voulues, ils pourront reboiser chaque année des superficies considérables à un faible coût pour le gouvernement. Afin de susciter une saine émulation entre les diverses formations, on pourrait décerner des prix pour récompenser les meilleurs efforts de reboisement.

Dans les forêts de Dangs, de Dharampur et de Vyarat, la culture itinérante est pratiquée par certains groupes depuis plusieurs années, au grand détriment de la fertilité des sols, de sorte que l'érosion et les méthodes primitives de culture ont réduit les agriculteurs à une affreuse misère. Le Département des forêts a mis sur pied un projet original pour améliorer leur sort. Les habitants reçoivent une aide technique et financière. Les terrains sont plantés de teck et de bambous, exploités à une révolution de 15 ans. Durant cette période de croissance du peuplement, les villageois reçoivent une allocation de subsistance équivalant à leurs gains annuels provenant de l'agriculture, et se voient aussi offrir d'autres possibilités d'emploi. Le Département des forêts établit la plantation et l'entretient pendant les 3 premières années, ensuite elle est confiée à la garde de l'exploitant, qui continue à recevoir tous les ans une allocation de subsistance. Le bois provenant des opérations d'entretien lui est offert en priorité pour ses besoins normaux, et le reste est vendu. Au bout de 15 ans les tecks et les bambous seront bons à exploiter. L'allocation de subsistance sera déduite, sans intérêt, du produit de la vente, et le reste sera distribué aux occupants à titre de revenu supplémentaire de leur terre.

En règle générale, un hectare de plantation engendre de 150 à 500 journées de travail pendant les trois premières années

Ce système peut être adopté, avec les modifications appropriées, dans l'Arunachal Pradesh, le Meghalaya et le Nagaland, où la culture itinérante largement pratiquée détruit de précieuses ressources en terre et crée des problèmes écologiques.

Foresterie sociale et notion de propriété

Les jeunes plants forestiers exigent soins et protection. Si on ne les protège pas pendant au moins 4 ou 5 ans, ou jusqu'au moment où ils sont bien installés, la réussite finale est douteuse. Les chances de succès sont fonction de la santé et de la vigueur des plants, mieux ils sont soignés dans le jeune âge, plus tôt ils arriveront à maturité.

Dans le cas de la sylviculture sociale, la protection des arbres pose certains problèmes dont l'un a trait au droit de propriété. Le droit de propriété constitue un stimulant puissant de l'intérêt individuel. Dans la sylviculture sociale nous avons affaire à des propriétaires fonciers divers: Etat, collectivité, individus. La protection des plantations faites sur terrain domanial ou communal dépend de la perception qu'ont les individus et la population rurale dans son ensemble du droit de propriété. Lorsqu'il s'agit de terres privées, le droit de propriété est bien défini et concerne l'individu, mais dans le cas de terres appartenant à l'Etat ou à la collectivité il est généralement vague et, par suite, la protection des arbres y est relativement malaisée.

Une protection efficace des plantations, en particulier de celles établies sur les bords de route, peut être assurée par l'attribution des arbres aux habitants du lieu, qui devraient se partager les avantages des arbres placés sous leur garde. Dans le cas d'arbres produisant des fruits, des fleurs ou des graines, le produit annuel devrait leur être laissé gratuitement ou à un prix symbolique, et ils recevraient en outre une part du produit de la vente des arbres.

La notion de propriété, en éveillant l'intérêt individuel, constituera un stimulant puissant. En zones urbaines, on peut à cet effet organiser des brigades de protection, des associations d'amis des arbres, et recruter des gardiens bénévoles. En zones rurales, par contre, il doit y avoir des stimulants économiques, comme indiqué ci-dessus. Il peut être nécessaire d'apporter certaines modifications au régime foncier. Le succès d'une telle politique dépend naturellement pour une large part de la propagande faite pour faire connaître les agréments et les profits qu'apporte la protection des arbres.

Le gouvernement indien a proposé trois grands projets de sylviculture sociale subventionnés à l'échelon national: plantations mixtes sur des terres appartenant à des villages ou aux services forestiers; reboisement de forêts dégradées; conservation intégrée des sols et des eaux dans la région himalayenne.

Dans les zones rurales ces projets offrent en outre de grandes possibilités de création d'emplois pour des travailleurs non qualifiés.

Au cours de la campagne 1975-76, 1500 ha et 1355 km ont été plantés au titre de la sylviculture sociale. L'objectif pour 1977-78 était de 6300 ha et 5400 km et pour 1978-79 105000 ha et 3700 km. Les programmes de sylviculture sociale subventionnés par le gouvernement pour la durée du plan quinquennal prévoient la plantation de 186500 ha et 10500 kilomètres.

En raison de l'accroissement rapide de la population et du développement économique du pays il apparaît inévitable que dans un avenir plus ou moins proche certains cantons morcelés de forêts de diverses catégories, contiguës à des zones peuplées, soient défrichés et mis en culture. Bien qu'on n'ait pas de données précises à cet égard, on peut estimer au bas mot à 4136000 ha les superficies perdues par les forêts de l'Inde au cours des trois décennies qui ont suivi l'indépendance - ce qui fait beaucoup. Le concept de sylviculture sociale fournit une solution à nos problèmes forestiers.

Les diverses catégories reboisements qu'elle propose - plantations paysannes. rurales, urbaines, etc. - profiteront également à la faune sauvage, en élargissant le chétif habitat qui leur est laissé au sein des réserves aménagées dans des lambeaux de forêts protégées. Par leur ampleur ces plantations aideront à restaurer l'espace vital perdu par les animaux sauvages dans la période récente et à leur fournir les vastes refuges indispensables à leur libre prolifération.

Les reboisements permettront également d'alléger la charge économique que les forêts protégées risquent de ne plus pouvoir supporter intégralement. C'est ainsi par exemple que pour créer l'espace nécessaire au «Projet tigre», de vastes superficies de futaie, d'un total de 499800 ha, ont été fermées à l'exploitation et au pâturage et mises en réserve afin de créer les conditions idéales pour la subsistance et la reproduction des tigres (Srivastava, 1979).

La fermeture de massifs forestiers a de graves répercussions économiques. Tout d'abord elle aboutit à la suppression totale des droits d'usage et autres privilèges, tels que l'accès aux biens: bois de feu, bois d'œuvre, bambous, fourrage, menus produits, et aux services (pâturage) que procure la forêt. La pénurie actuelle de ressources forestières, face à la demande croissante d'une population en expansion, risque de faire apparaître l'impossibilité de préserver la faune sauvage au prix de souffrances humaines.

Pour concilier les deux objectifs - conservation de la faune et satisfaction des besoins humains - nous devons trouver d'autres ressources afin de maintenir les disponibilités. La solution qui s'impose est de créer immédiatement des ressources forestières supplémentaires, grâce à des programmes de sylviculture sociale.

La croisade contre l'abattage des arbres, lancée par le mouvement CHIPKO de désobéissance civique, et qui fait rage actuellement à Tehri Garhwal (Uttar Pradesh), risque de restreindre sévèrement les perspectives d'exploitation forestière dans les montagnes. CHIPKO est un mouvement contre l'abattage des arbres, lancé en 1974 par Sri Sunder Lal Bahuguna et Sri Chandi Prasad Bhatt. Son mode d'action, quelque peu théâtral, consiste à s'opposer physiquement à l'abattage en étreignant chaque arbre marqué pour la coupe, dans une tentative désespérée pour le sauver des coups mortels du bûcheron. L'idéologie de CHIPKO vise à la suspension immédiate de la coupe d'arbres verts dans les montagnes et les bassins versants. En dépit de son origine politique turbulente et de son mode tapageur d'embrigadement ses idéals ont des motivations patriotiques et ses clameurs contribuent à attirer l'attention sur la situation critique de la forêt indienne. L'action menée par CHIPKO est susceptible d'influencer pareillement beaucoup d'autres régions du pays qui sont aux prises avec des problèmes identiques de déforestation.

La réussite des projets de sylviculture sociale est conditionnée par la continuité de l'aide financière du gouvernement central et des Etats. Une propagande intensive par les mass media est indispensable pour acquérir le soutien entier de l'opinion publique. Pour que soient résolument adoptés des projets intéressant des terrains privés ou communaux, des stimulants économiques seront utiles. Ils consisteront entre autres en exemptions de taxes, assouplissement du régime d'impôts sur la fortune et sur le revenu fourniture gratuite ou à un prix symbolique de semences et de plants, octroi de subventions au reboisement, assistance et formation techniques études de marchés, organisation dé coopératives forestières.

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