Page précédente Table des matières Page suivante


L'évaluation des impacts sur l'environnement en droit forestier

Dominique Alhéritière

DOMINIQUE ALHÉRITIÈRE, fonctionnaire chargé des questions juridiques (droit de l'environnement), FAO.

On ne compte plus les néologismes des sciences administratives et juridiques. Parmi eux peu atteignent le succès. La nouvelle expression «évaluation des impacts sur l'environnement» (que nous citerons sous le sigle EIE) semble connaître une faveur d'une amplitude exceptionnelle, comparable à celle qui il y a plus d'un quart de siècle avait permis au concept d'«analyse coûts-bénéfices», de triompher. Cette dernière expression n'avait pas marqué le début de la prise en considération des critères économiques, pas plus que l'EIE n'indique aujourd'hui les premières paroles d'une certaine conscience de l'environnement. Cette conscience, Platon l'avait déjà lorsque vers 400 avant Jésus-Christ, il pleurait les arbres disparus de l'Attique. D'idées nouvelles point, mais un renouveau de leur importance marqué du sceau de la création terminologique. L'objectif de la présente étude est de faire un bref tour d'horizon de l'EIE en droit forestier en essayant d'analyser les diverses situations existantes tant dans les pays développés que dans les pays du tiers monde.

Le forestier a plus que tout autre gestionnaire des ressources naturelles pratiqué l'EIE. Cela fait partie de sa formation et l'on pourrait dire qu'un forestier qui ne se livre pas d'une manière ou d'une autre à l'EIE commet en quelque sorte une faute professionnelle. La politique forestière se doit d'être une vaste opération d'EIE avec le train habituel des mesures que connaît tout bon gestionnaire des ressources naturelles, rassemblement et analyse des données et des ressources existantes, évaluation des pressions que des opérations de coupe peuvent exercer sur la zone forestière, sur sa composition et sur son rôle dans l'environnement d'ensemble. Il est certain que des interdictions de défrichement ou d'exploitation commerciale, ou les limitations faites par certains textes législatifs ou réglementaires ainsi que la création de réserves naturelles destinées à la conservation d'écosystèmes sont autant de mesures qui n'ont pu avoir pour origine qu'une évaluation des impacts que ces actions, n'eussent-elles été interdites, auraient pu avoir sur l'environnement.

L'EIE est une procédure destinée à identifier et à prédire les effets que peut avoir sur l'environnement tout texte législatif ou réglementaire, tout programme, tout projet avant son adoption ou sa mise à exécution à décrire les solutions de rechange disponibles, à interpréter et à communiquer tout renseignement utile ayant trait à ces effets. Il s'agit d'une évaluation a priori d'une analyse des coûts et des bénéfices pour l'environnement que l'on peut attendre d'une action donnée et de ses variantes.

Le droit forestier a bien entendu répondu avec une élasticité plus ou moins grande aux diverses attitudes sociales vis-à-vis de la forêt. La plupart des textes et des décisions qui forment le droit forestier sont témoins d'une centaine EIE. Ce qui a changé c'est l'importance accordée par le droit forestier à cette notion, et surtout, la façon de l'incorporer au droit. Traditionnellement et jusqu'à une époque fort récente l'EIE restait une notion parfois secondaire, souvent vague et toujours incomplète. Elle n'apparaissait dans le droit que de façon implicite. Aujourd'hui, de plus en plus, l'EIE est obligatoire et systématique. Elle apparaît aussi de façon claire et explicite. Le droit forestier est à cet égard en pleine mutation et il est intéressant de décrire et de porter un premier jugement sur une évolution qui est loin encore de s'être arrêtée.

* * *

Dans les temps modernes, la législation forestière fut probablement l'une des premières à promouvoir l'idée que développement et protection de l'environnement doivent aller de pair. Des textes tels que le Code forestier français de 1827 ou la Ley de Montes espagnole de 1864 intègrent les concepts de production et de conservation. Les préoccupations écologiques y sont présentes bien avant que l'adjectif n'entre dans le vocabulaire courant.

C'est en prenant conscience du fait que l'exploitation forestière ne pouvait, sans dommages pour l'environnement, suivre les seuls objectifs de la rentabilité économique à court terme, que de nombreux pays ont adopté des lois afin d'assurer une gestion plus écologique des ressources forestières. De telles lois supposent par définition qu'une EIE d'ensemble a été faite sans être exigée formellement au niveau des projets. C'est ce que l'on pourrait appeler l'EIE. «implicite». La plupart des lois forestières, surtout dans les zones sensibles, traduisent un énorme effort d'EIE au moment de leur conception. Ainsi la Legge forestale regionale (1978) de la Vénétie est presque entièrement dirigée vers les problèmes de conservation des sols et des eaux. l'EIE. est obligatoirement présente à l'esprit du législateur lorsque celui - ci propose par exemple une classification des forêts en catégories (voir l'article 2 de l'amendement de 1975 au Forest Enactment, 1975) de l'Etat du Sabah en Malaisie, le chapitre 11 de la Ley Forestal (1974) du Guatemala, le chapitre III de la Ley General Forestal de la Nación (1974) de Bolivie et l'article 7 de l'ordonnance de novembre 1961 fixant le régime forestier sur le territoire du Cameroun oriental. (Voir aussi Christy. 1971). Le souci d'intégration entre les forêts, les sols et les eaux, objet même de l'écologie, apparaît dans certaines lois déjà anciennes mais remarquablement conçues comme la Ley Forestal de Suelos y de Aguas (1966) du Venezuela et la Ley de Montes espagnole de 1957 (titre IV).

Ces législations comportent les mesures minimales que le forestier doit prendre dans l'exploitation des ressources afin de limiter les dommages à l'environnement: interdiction du flottage dans certains cours d'eau; interdiction d'ouverture de chemins forestiers à pente raide ou à pente directe, obligation de dégager les passages pour poissons anadromes. Certaines de ces mesures ont un effet précis sur une situation bien déterminée. C'est le cas par exemple de l'interdiction de coupe le long des autoroutes qui a pour effet de maintenir une certaine qualité esthétique le long des voies de communication routières. D'autres peuvent avoir des effets multiples sur l'environnement et visent non seulement à préserver la beauté d'un site mais aussi ses qualités objectives (capacité de rétention des eaux de pluie et de recharge des nappes aquifères, protection du potentiel piscicole, etc.).

Les mesures législatives concernant le reboisement sont nombreuses et procèdent généralement du même esprit de protection de l'environnement (voir par exemple l'article 4 du Forestry Act, 1967 de Grande-Bretagne, le titre III du Reglamento de Ordenación Forestal (1977) du Pérou), même lorsque de telles dispositions poursuivent surtout des fins économiques (reconstitution des ressources forestières nationales afin par exemple de diminuer à long terme les importations de bois: loi polonaise de 1960).

Dans les zones sensibles, le souci de production ne peut aller sans esprit de conservation (voir par exemple la Ley de Fomento de Producción Forestal (1977) d'Espagne) qui comprend des mesures précises de conservation alors que son but premier exprimé en préambule est la production de bois; (voir aussi l'article 6 de la Ley de Conservación, Protección y Desarrollo de las Riguezas Forestales (1967) du Nicaragua, l'article I de la Ley Forestal (1973) du Salvador, etc.). Que le législateur brésilien impose de maintenir 50 pour cent des terres à l'état boisé dans les plans actuels de colonisation de la cuvette amazonienne dénote qu'il est conscient du fait que l'influence du déboisement sur l'environnement dépend aussi de la dimension et de la densité des clairières qui sont ouvertes en forêts (article 16 (b) du Código Florestal de 1965). En France, le pourcentage de la superficie à maintenir boisée s'élève à 90 pour cent pour les espaces boisés classés par un document d'urbanisme (Code de l'Urbanisme, chapitre L-130), pour des raisons de qualité de vie. En Suisse, lorsque l'autorisation de défrichement demandée risque de porter atteinte à l'environnement, une expertise de la Commission fédérale pour la protection de la nature et du paysage est obligatoire. Aux Etats-Unis, les conditions d'exploitation et de déboisement sont fixées par les Forest Practice Acts étatiques. Le plus ancien de ces textes remonte à 1922. Aujourd'hui, près de la moitié des Etats membres de la Fédération ont une législation sur les coupes et les activités forestières, et la constitutionnalité de ces lois fut confirmée par l'arrêt de la Cour suprême State v. Dexter (1947).

L'Indonésie, les Philippines, la Papouasie Nouvelle-Guinée, la Malaisie et la Thaïlande possèdent, à des degrés divers, des textes ou projets de textes législatifs forestiers témoignant d'une évaluation implicite et réglementant l'exploitation forestière (Pardo, 1978).

I1 y a des montagnes en Attique qui maintenant ne nourrissent plus que des abeilles, mais qui il n'y a pas si longtemps portaient un manteau de beaux grands arbres, dont le bois permettait de couvrir les plus grands bâtiments; on peut voir aujourd'hui encore les charpentes taillées jadis dans ces arbres. Il y avait aussi dans le pays beaucoup de nobles arbres fruitiers, et de beaux pâturages pour nourrir le bétail. La pluie qui tombait chaque année ne s'écoulait pas comme maintenant sur des sols dénudés, pour aller se perdre dans la mer.

PLATON

D'une manière générale l'exploitation forestière est souvent sujette à une autorisation préalable. Il faut alors dresser un plan d'exploitation (Ley Forestal (1959) du Costa Rica, loi turque de 1956), justifier la provenance du bois transporté sous peine de confiscation (loi malienne de 1968; voir aussi Christy, 1971).

Le législateur se préoccupe parfois d'un impact très précis et particulier tel que par exemple l'impact des résineux sur la qualité des eaux (voir l'arrêté royal belge du 8 mars 1963 déterminant les cours d'eau le long desquels toute plantation de résineux ne peut s'effectuer qu'à une distance d'au moins 6 m des bords).

UN TEMPLE GREC collines dénudées et terre aride

Des procédures administratives formelles, obligatoires et préliminaires à l'abattage des arbres existent depuis fort longtemps dans les législations nationales. Certaines d'entre elles sont détaillées même dans la loi (partie VII du Forests Act, 1973, de Zambie) et exigent que la fonction protectrice de la forêt et l'esthétique soient prises en considération lors de l'examen de toute demande de défrichement (article 26 de l'ordonnance d'exécution de la loi fédérale suisse concernant la haute surveillance de la Confédération sur la police des forêts, 1965). Elles ne peuvent cependant être considérées comme des procédures explicites d'EIE dans la mesure où elles répondent à des buts plus variés que la simple EIE (sécurité, protection des biens et des personnes, etc.). L'obtention d'un permis d'abattage d'arbres couverts par un arrêté de protection est en Grande-Bretagne un bon exemple de ce genre de procédure (article 15 du Forestry Act, 1967). Ces formalités sont toutefois si proches de la procédure d'EIE que certaines administrations les utilisent comme telle.

Le déclassement du domaine forestier de l'Etat a pu et peut dans la tradition juridique d'inspiration française donner l'occasion d'une EIE. La préparation du cahier des charges pour l'entrepreneur auquel est allouée une concession de coupe peut être un autre prétexte pour prendre en compte l'impact sur l'environnement. Il en va de même du classement ou de l'expropriation qui dans certains textes ne peut survenir que si le projet risque d'avoir un impact négatif sur la défense du sol contre les érosions, les envahissements des cours d'eaux, la protection des sources, la fixation des dunes ou la salubrité publique (article 5 du Code forestier centrafricain de 1962). Ce dernier texte soumet le défrichement de terrains boisés privés à une autorisation administrative lorsque l'étendue du défrichement proposé dépasse 50 ha (article 44), et l'article 45 précise les critères qui doivent permettre à l'administration de refuser l'autorisation. Cinq des six critères énumérés relèvent d'une EIE.

Les études et renseignements techniques qui bien souvent sont exigés par l'administration préalablement à la délivrance d'une autorisation d'exploitation ou de coupe (voir par exemple les articles 107 et suivants du Reglamento de la Ley Forestal de Suelos y de Aguas (1977) du Venezuela) peuvent être rapprochés de l'EIE explicite (voir l'article 32 de la Ley Forestal (1974) du Guatemala).

Comme dernier exemple, il est intéressant de se reporter à l'annexe I du décret français de 1977 sur les études d'impact. L'article 3-B de ce texte dispense de l'obligation d'étude d'impact les défrichements soumis au Code forestier. Tout cela tendrait à prouver d'abord que le droit forestier classique a parfois su incorporer les préoccupations d'environnement au point de rendre toute procédure d'EIE superflue, et ensuite que l'EIE se cache souvent dans les procédures administratives de délivrance de permis, les défrichements visés par le Code forestier étant soumis à autorisation spéciale.

Si l'EIE n'apparaît pas complètement comme un concept nouveau dans la législation forestière, il serait néanmoins excessif d'écrire que les préoccupations d'environnement étaient au centre de la législation forestière classique. Il y a seulement vingt ans (voir Unasylva, vol. 15, n° 3) la protection de l'environnement était présentée davantage comme l'effet normal et incident d'une bonne législation forestière, alors que la législation forestière moderne, en incorporant la notion d'EIE, tend à considérer la protection de l'environnement comme l'un des objectifs fondamentaux de la politique forestière, la protection des forêts elles - mêmes étant ainsi ramenée au niveau des mesures, des moyens, et non des fins.

Il n'a donc pas fallu attendre les années soixante-dix pour que le droit forestier se préoccupe de l'EIE Toutefois, les formes traditionnelles de l'EIE ne sont ni systématiques (l'exigence d'une EIE apparaît souvent comme l'accessoire d'autres formalités administratives et ne suit pas de modèle précis), ni complètes (absence de variantes ou de solutions de rechange), ni suffisamment précoces. A cet égard, l'EIE doit être différenciée de la simple prise en considération des impacts sur l'environnement lors de la délivrance d'un permis ou d'une autorisation administrative. La demande de permis s'effectue généralement lorsque le projet est définitivement fixé et il est alors souvent trop tard pour que l'EIE contenant les diverses variantes ait une pleine portée.

La nouvelle ère de l'évaluation explicite qui s'est ouverte en 1970 par la promulgation aux Etats-Unis du National Environmental Protection Act a immédiatement affecté le droit forestier dans la plupart des pays qui se sont dotés d'un outil juridique comparable à celui qui fut forgé par l'article 102 de la loi américaine. On tend progressivement vers une EIE. généralisée dans toutes les phases de la politique et de la gestion forestières.

Il y a peu de temps encore, la législation ne tenait qu'implicitement compte de l'évaluation des effets sur l'environnement. Aujourd'hui, cette évaluation est de plus en plus obligatoire, systématique, claire et explicite

Dans les quelques pays qui se sont dotés de procédures modernes d'EIE, les lois, règlements, plans et programmes d'aménagement forestier ainsi que les travaux et constructions d'ouvrages en forêt et les activités forestières sont souvent couverts par les nouvelles mesures d'une façon plus large que les autres secteurs. Ainsi le défrichement de forêts ayant pour but des opérations d'urbanisation ou d'implantation industrielle doivent selon le décret français du 12 octobre 1977 faire l'objet d'une EIE. même si leur coût est inférieur à six millions de francs, alors que la plupart des autres ouvrages ou activités engageant des sommes au-dessous de cette limite en sont dispensés (les défrichements à usage agricole ne sont cependant soumis qu'à la notice d'impact limitée à une EIE succincte et peu détaillée). Dans un pays, au Luxembourg, c'est même le Ministère des eaux et forêts qui est chargé de la rédaction des études d'impact pour les projets publics et privés importants par leurs dimensions ou par leurs incidences sur le milieu naturel (Loi sur la protection de l'environnement naturel, 1978). L'une des toutes premières études d'impact a d'ailleurs eu pour objet la construction d'une autoroute à travers un important massif forestier. Aux Pays-Bas, l'évaluation des conséquences écologiques de la construction d'une route à travers une forêt près d'Utrecht a servi de banc d'essai au Ministère des affaires culturelles, du bien-être et des loisirs pour tester l'efficacité des procédures formelles d'EIE. Même dans les pays qui ne connaissent pas un système généralisé d'EIE, des dispositions législatives spéciales ont pu l'introduire dans le secteur forestier. Ainsi, selon l'article 136(a) de la loi suédoise sur les constructions, toute création ou modification d'entreprise industrielle est soumise à une EIE dans la mesure où elle affecte les forêts.

L'exception au traitement particulier accordé aux forêts ou aux activités forestières pourrait être trouvée dans le Local Government (Planning and Development) Act, 1976, d'Irlande. Ce texte qui introduit l'EIE explicitement dans le pays, limite l'exigence d'une EIE. aux activités qui font l'objet de l'autorisation préalable prévue par la loi de 1963. Donc, tous les projets forestiers des collectivités publiques ainsi que les opérations forestières en général sont dispensés d'étude d'impact puisqu'ils sont également exemptés d'autorisation préalable. Les conditions naturelles du pays justifient peut-être cette exception.

Lorsque l'exigence d'une procédure d'EIE est explicite, ce n'est pas obligatoirement une loi spécifique qui lie les promoteurs. Il peut s'agir d'une mesure législative introduite par amendement dans une loi antérieure (Land Surface Conservation and Reclamation Act, 1973, Alberta), d'une mesure réglementaire, ou d'une simple décision ou directive gouvernementale (décision de 1973 du Cabinet fédéral, Canada; décision du 9 septembre 1972 et du 12 septembre 1975, République fédérale d'Allemagne, etc.). Souvent, les gouvernements fondent leur action en la matière sur des dispositions de lois particulières (Land Act, 1970, et Water Act, 1960, de Colombie britannique; article 4 du décret-loi portugais n° 348 de 1977 sur les investissements étrangers, etc.). Toutefois il n'a pas été possible de trouver un exemple d'introduction de procédures d'EIE explicite par le seul biais et aux seules fins de la législation forestière.

Le droit forestier n'apparaît donc pas comme une source d'abondance pour l'EIE. explicite. Certes le National Forest Management Act, 1976, des Etats-Unis fait référence aux impacts sur l'environnement à plusieurs reprises (articles 2(3) et (6)(g)(3)(A)) mais c'est un texte bien postérieur à l'introduction dans ce pays des procédures formelles d'EIE.

* * *

L'EIE. qu'elle soit implicite ou explicite doit être faite à toutes les étapes de la politique forestière lors de la définition de cette politique d'abord. Ainsi, il est prévu en République fédérale d'Allemagne que tous les projets de lois, décrets ou prescriptions administratives doivent faire état expressément de l'absence ou de l'existence d'effets sur l'environnement. Toute loi forestière étant susceptible a priori d'avoir d'importants effets sur l'environnement, il est souhaitable de les soumettre à l'EIE. Il en va de même des règlements, même lorsqu'ils semblent être destinés à n'avoir que des effets bénéfiques. Prieur et Lambrechts (1979) citent le cas des règlements créant des réserves de chasse qui multiplient le gibier et portent atteinte à certaines espèces forestières. Plus en aval encore dans le processus politique, l'EIE devrait s'appliquer à la planification. Au niveau de chaque projet en effet, le choix et le nombre des solutions de rechange ou des variantes sont souvent limités, et le décideur peut se trouver pris dans un carcan qui aurait pu être desserré au moment de la planification ou de la préparation des programmes.

Enfin, c'est au niveau de chaque projet, dans le secteur forestier comme dans les autres secteurs, que l'EIE. prend sa pleine signification. La question est de savoir quels projets doivent y être soumis. Doit - on faire peser une présomption d'impact sur tout projet forestier et en déduire que tous les projets forestiers, sauf ceux pour lesquels une étude préliminaire démontre l'absence d'impact, doivent être soumis à l'EIE? Doit-on recommander la préparation par l'administration de listes qui énuméreraient les projets forestiers devant obligatoirement être soumis à l'EIE. et ceux qui en seraient automatiquement dispensés? Cette dernière méthode serait intéressante et l'administration pourrait décider cas par cas des projets forestiers ne figurant sur aucune des deux listes. Dans tous les cas, on voit bien la grande valeur que peut représenter la préparation de lignes directrices et de critères pour aider l'administration forestière dans son action. La FAO s'emploie à cette préparation pour les pays des forêts tropicales humides.

En un sens, tout forestier qui s'abstient d'évaluer les effets sur l'environnement commet quelque erreur professionnelle

Le champ d'application des procédures d'EIE devrait idéalement varier en fonction de la nature du projet, en relation étroite avec sa localisation. En fait, des critères artificiels et totalement étrangers aux exigences de l'écologie en général, et de l'écologie forestière en particulier, ont été retenus par la plupart des lois modernes d'EIE, Le caractère public des activités est parfois l'un des critères retenus. C'est le cas aux Etats-Unis, en Australie et au Canada. encore que dans ces pays l'arbitraire d'un tel critère ne se fasse pas trop sentir dans le domaine forestier, une proportion très importante des forêts appartenant encore à l'Etat. En France le coût du projet fait partie des critères retenus. Dans le domaine forestier, un tel critère, pas plus que celui de la dimension du projet, n'est satisfaisant. La pulvérisation à grande échelle d'insecticides sur des massifs forestiers peut être une opération infiniment moins coûteuse que des coupes sélectives en milieu peu sensible, et c'est la première opération et non la seconde qui exigerait une EIE systématique. Les tribunaux, en interprétant les textes législatifs, ont parfois introduit certains critères ad hoc qui permettent de préciser le champ d'application des procédures d'EIE, Ainsi, aux Etats-Unis, il fut décidé qu'une étude d'impact devait être entreprise avant une décision de déclassement de toute National Forest roadless area.

Au Canada l'article 5a de la loi de 1979 sur l'organisation du gouvernement donne au Ministre de l'environnement un rôle de coordination et d'incitation en matière d'EIE, Tout projet, activité ou programme forestier mené sur les terres fédérales (parcs nationaux, zones militaires, terres de la Couronne fédérale) ou financé par les crédits fédéraux et susceptible d'avoir un impact important sur l'environnement (auto-évaluation) doit être soumis au Ministre de l'environnement pour être examiné par une commission d'évaluation environnementale. Ces mesures fédérales sont complétées, à des degrés divers, dans chaque province, et plusieurs gouvernements provinciaux ont adopté des mesures imposant l'EIE. Dans l'Ontario, les opérations forestières d'une certaine envergure entreprises par la province ou par les municipalités sont soumises à la procédure. Les opérations privées peuvent aussi y être soumises sur décision spéciale du cabinet.

* * *

La question du financement de l'EIE. dans le domaine forestier peut poser des problèmes particuliers. Généralement, c'est le pétitionnaire ou le maître d'ouvrage qui est responsable de l'EIE, à ses frais. Le mieux serait peut-être d'imaginer un système où l'administration forestière rembourserait les études d'EIE jusqu'à concurrence d'un certain pourcentage du coût total du projet (1 ou 2 pour cent), le surplus, si surplus il y a, restant à la charge de l'auteur du projet. Un tel système qui ne semble pas encore avoir été retenu en droit positif aurait l'avantage de ne pas ralentir les initiatives des particuliers s'engageant dans des opérations forestières de routine, tout en décourageant les projets fantaisistes qui par le nombre et la complexité de leurs impacts possibles sur l'environnement entraîneraient des coûts d'EIE hors de proportion avec l'importance économique du projet.

* * *

Plus encore que le problème du financement de l'EIE c'est le problème de la responsabilité pour la préparation des études d'EIE qui, dans le secteur forestier se révèle particulièrement délicat. L'entrepreneur forestier n'a généralement ni la compétence ni le recul nécessaire pour préparer lui-même les études d'EIE, que cet entrepreneur soit public ou privé. On pourrait peut-être penser à un organisme de techniciens indépendants des décideurs qui se spécialiserait dans la préparation des études d'EIE dans le secteur forestier. En définitive, le choix d'un système particulier dépendra d'autres facteurs tels que l'existence ou l'absence d'un contrôle judiciaire pour déterminer le sérieux des études, la possibilité pour les personnes ayant un intérêt pour agir de demander aux juges ou à l'administration de réviser le contenu de l'EIE

* * *

La plupart des législations sur les études d'impact connaissent le stade intermédiaire de l'étude d'impact sommaire (décret français de 1977, directive canadienne de 1973, loi américaine de 1970, etc.). L'étude d'impact peut aussi être, dans le cas où une autorisation administrative est requise, une pièce supplémentaire à verser au dossier de la demande d'autorisation. Ainsi, selon l'article 11 du décret français de 1977, les demandes d'autorisation de défrichement faites en application de l'article L.311-1 du Code forestier doivent être accompagnées de l'étude d'impact ou de la notice d'impact sommaire selon le cas. C'est une pièce essentielle du dossier.

* * *

Les impacts que des lois, règlements, plans, programmes, activités et projets forestiers ont sur l'environnement peuvent être irréversibles. Il est donc important de donner à l'EIE en droit forestier un effet juridique précis. L'absence d'EIE, dans le cas où elle est obligatoire, devrait donc permettre au juge de prononcer d'urgence le sursis à exécution (droits continentaux, d'inspiration française) ou d'émettre l'injonction que connaissent les pays de Common Law. Les nouvelles directives du CEQ américain tendent à veiller à ce que l'EIE devienne un véritable instrument de décision administrative ou politique.

Les procédures d'EIE ont parfois une fonction prévisionnelle et un effet décisionnel. Pour augmenter cet effet sur la décision administrative on pourrait exiger de l'autorité compétente qu'elle se réfère aux études d'EIE, dans l'exposé des motifs de sa décision.

Se lancer dans une entreprise forestière majeure sans en évaluer auparavant les effets sur l'environnement devrait être tout aussi inconcevable qu'abattre le Taj Mahal pour construire une route

Les règles qui organisent la publicité de l'EIE ne sont pas spéciales au secteur forestier, mais certains détails peuvent être d'application particulière à ce secteur. Le décret français de 1977 a par exemple prévu une publicité spéciale liée à l'étude d'impact des opérations de défrichement visées par le Code forestier. L'affichage en mairie et l'affichage sur le terrain qui indiquent l'existence d'une étude d'impact doivent commencer au moins quinze jours avant le début des travaux de défrichement.

* * *

Au cours de cette brève analyse de l'évaluation explicite en droit forestier l'occasion de se référer aux législations des pays en développement ne s'est pas présentée, alors que les exemples se sont multipliés au cours des brefs rappels sur l'évaluation implicite. Ceci tient au fait que peu de pays du tiers monde (la Colombie, les Philippines sont encore l'exception) se sont dotés d'une procédure d'EIE. Certains n'en ont pas ressenti le besoin, soit parce qu'ils possèdent une planification sévère et contraignante qui ne laisse que peu de solutions de rechange au stade des projets, soit parce que les conditions naturelles, sociales, politiques, juridiques et économiques ne sont pas favorables à l'introduction d'une telle procédure. L'EIE est parfois mal comprise et perçue comme un luxe de pays développés à économie de marché, ou au contraire comme une étape supplémentaire d'un contrôle étatique indésiré. L'extension du droit forestier vers l'EIE ne peut être que favorisée par les initiatives prises par les nombreuses institutions internationales en faveur de l'introduction de l'EIE dans les programmes de coopération. Ainsi, le Fond européen de Développement de la Communauté européenne cherche à rattacher aux accords de Lomé II, passés entre la Communauté et 57 Etats d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, des lignes directrices en matière d'environnement qui pourraient fort bien affecter le secteur forestier. La Banque mondiale prépare des lignes directrices pour l'EIE des projets agricoles. Une partie de la méthodologie mise au point en 1978 par l'Organisation des Etats américains en matière d'EIE de la mise en valeur des bassins fluviaux concerne les projets forestiers. Plusieurs agences bilatérales de coopération dont l'Agence pour le développement international (USAID), l'Agence canadienne de développement international (ACDI) et l'Office central suédois pour l'aide au développement international (SIDA) pourraient également jouer un rôle incitatif pour l'introduction dans les pays en développement des procédures d'EIE, pour les projets forestiers en particulier. L'USAID est déjà, de par la loi américaine, obligée de soumettre ses principaux projets de développement outre-mer à l'EIE Le 2 août 1979 le président Carter écrivait à l'Administrateur de l'AID pour lui demander d'activer l'EIE des programmes d'assistance afin de chercher à préserver les écosystèmes forestiers naturels et la diversité des forêts tropicales, à diminuer les pressions sur les espaces forestiers impropres à l'agriculture, et à développer les projets intégrés de reboisement. Enfin, le système des Nations Unies lui-même s'efforce d'assurer que l'EIE des projets forestiers soit menée à bien. La FAO, agence spécialisée dont relèvent les problèmes forestiers, prépare des lignes directrices précises pour la préparation de l'EIE des activités, projets et programmes forestiers. De telles directives existent déjà pour l'élaboration des projets de développement dans les pays du Sahel. Ces directives, préparées par le Comité permanent inter-Etats de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (CILSS), font une place importante à la sylviculture et aux projets forestiers, tout en accordant une attention particulière aux effets des divers projets de développement sur les ressources forestières.

L'introduction d'une procédure administrative supplémentaire ne doit pas être recommandée à la légère. L'EIE. a un certain coût en capital, en temps, en personnel spécialisé, qui ne doit pas être ignoré, qu'il soit ou non largement compensé par les bénéfices inhérents à l'action préventive. A cet égard, l'attitude extrêmement prudente et réfléchie que montrent certains pays comme le Royaume-Uni et les Pays-Bas, est exemplaire. Les pays qui connaissent une planification soigneuse et un système poussé d'aménagement du territoire ressentent probablement moins la nécessité de mesures spécifiques d'EIE, C'est le cas par exemple d'un pays comme Malte qui possède une planification nationale intégrée. La multiplication des législations générales sur l'EIE ne devrait pas paralyser l'évolution propre du droit forestier. Dans certains pays, en Allemagne (République fédérale) par exemple, l'introduction de l'EIE. vient seulement combler les lacunes de la réglementation et ne s'applique donc qu'aux activités non couvertes par une loi spéciale.

Pour reprendre la comparaison proposée par Chapuisat (1979), la procédure d'EIE ne doit pas apparaître comme une greffe d'organe dans un tissu insuffisamment préparé et dont les causes de rejet sont aussi grandes que les facteurs de réussite. Le tissu législatif relatif aux forêts est particulièrement réceptif aux questions d'EIE puisque la notion d'écologie est à la base de bien des législations forestières. Là plus que dans tout autre secteur législatif se pose donc la question de l'utilité d'inclure des nouvelles procédures d'EIE, La réponse dépend bien sûr de chaque situation nationale, mais en préparant cette réponse, il faut toujours garder à l'esprit que l'EIE. constitue un examen de conscience indispensable. Selon le bon mot d'un écologiste bien connu il devrait être aussi inconcevable d'entreprendre une action forestière majeure sans EIE préalable que de raser le Taj Mahal pour y faire passer une route.

Références

ANDERSON, G. B. 1977 Forest Conservation Laws, Part II. Am. For., 19:83(4).

BANQUE MONDIALE. 1978 Forestry sector policy paper. Washington, D.C.

BARLOW, T. & HALL J.F. NRDC v. NFPA: 1976 Two views on the Monongahela. J. For., 74(2):87.

CEE. 1979 Report of the Seminar on Environmental Impact Assessment, Villach (Austria), 24-29 September 1979. Geneva. ENV/SEM. 10/3 ECE.

CHAPUISAT, L.J. 1979 Les études d'impact et la forêt. Actualité juridique, 57.

CHRISTY, L.C. 1971 Legislative principles of soil conservation. Rome. FAO Soils Bulletin 15.

CILSS. 1979 Directives écologiques pour l'élaboration des projets de développement dans les pays du CILSS. Club du Sahel, 7911 Equipe écologie et forêts. 2 vols.

ECKHOLM. 1979 Shrinking forests threaten us all. Directions du développement/Development Directions, 2(5):12.

FAO. 1977 Les aménagements des bassins versants. Rome. Cahiers FAO: Conservation des sols, 1.

FAO. 1977 Soil conservation and management in developing countries. Rome. FAO Soils Bulletin 33.

FAO. 1978a Le rôle des forêts dans le développement des collectivités locales. Rome. Etudes FAO: Forêts n° 7.

FAO. 1978b La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture, 1977, p. 3-1-3-64. Rome. FAO: Collection Agriculture n° 8.

FONTAINE, R.G. 1976 Les conséquences sur l'environnement des pratiques forestières en forêts tropicales humides. Rome, FAO. FO:FDT/76/8(b).

FRANÇOIS, T. 1961 Que doit contenir une législation forestière élémentaire? Unasylva, 15(3):140.

GRUENFELD, J. 1977 Environmental impact statements. Am. For., 18:83(5).

HUNKLE, H. 1978 Forestry support for agriculture through watershed management, windbreaks and other conservation actions. Position Paper. Huitième Congrès forestier mondial.

HED. 1978 Banking on the biosphere? p. 105-122. Rockville, Md, Reproductions Inc.

KEMP, R.H. & WHITMORE, T.C. 1978 International cooperation for the conservation of tropical and subtropical forest genetic resources exemplified by South East Asia. Huitième Congrès forestier mondial. FOL/26-11.

KING, K.F.S. 1974/75 Politiques forestières et développement national. Unasylva, 27, n° 107.

KLEMPERER, W. 1979 On the theory of optimal forest harvesting regulations. Journal of Environmental Management, 1.

MAY, E. 1978 Canada's moth war. New Ecologist, 4:115.

PARDO, R.D. 1978 A review of forestry legislation in Indonesia, the Philippines, Papua New Guinea, Malaysia and Thailand. Rome, FAO.

POORE, D. 1976 The values of the tropical moist forest ecosystems and the environmental consequences of their removal. Rome. FAO:FDT/76/8(a).

PRIEUR, M. & LAMBRECHTS, CL. 1979 Modèle cadre relatif à l'impact sur l'environnement dans l'optique d'un aménagement ou d'une planification intégrée du milieu nature. Strasbourg, Council of Europe. SN-PM (79) 2.

RANJITSINH, M.K. 1979 Forest destruction in Asia and the South Pacific. Ambio, 7(5):192.

SCHMITHUSEN, F. 1977 An annotated bibliography on forest legislation in developing countries. Rome. FAO Background Paper No. 12, Legislation Branch.

SIEGEL, W.C. 1974 State forest practice laws today. l. For., 208:72(4).

Symposium on Federal Lands Forest Policy. 1978 Special number, Environmental Law, 8. Washington, D.C.


Page précédente Début de page Page suivante