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Pour une planification équilibrée de l'aménagement du territoire

S. Kolade Adeyoju

S. Kolade Adeyoju est professeur et chef du Département de l'aménagement des ressources forestières à la Faculté d'agriculture et de sciences forestières de l'université d'Ibadan (Nigeria). Cet article est une version abrège d'un document présente a la Consultation FAO/SIDA et intitule Aspects critiques des projets forestiers pour le développement rural

La planification de l'utilisation des terres n'est pas chose nouvelle. Tout ce qui a été dit sur cette question, que ce soit dans les pays industrialisés ou les pays en développement, au cours des 20 ou 30 dernières années, fait apparaître une similitude remarquable avec la situation actuelle tant en ce qui concerne les problèmes posés que les solutions envisagées.

Dans les pays en développement, toutefois, deux faits intéressants sont à noter: le premier est que le contrôle effectif de l'utilisation des terres passe graduellement de son pôle traditionnel - chefferies, familles ou groupes ethniques - aux instances provinciales et nationales; le second est qu'en matière de planification la pratique rattrape, très lentement, la théorie. Les planificateurs, longtemps accoutumés à élaborer des documents de fond dont ils savaient qu'ils resteraient lettre morte, se voient soudain pris au sérieux par les dirigeants.

Les méthodes qui ont été employées pour évaluer les terres forestières par rapport aux autres formes concurrentes d'utilisation sont presque aussi diverses que le sont les types de forêts ou de cultures eux-mêmes. Ce sont notamment: les inventaires forestiers ou agricoles nationaux visant à réunir une information détaillée sur les types de forêts naturelles et sur la production agricole; la détermination d'indices de station pour les plantations arboricoles et les essences forestières exotiques; la cartographie des paysages basée sur la géologie, la topographie et la pédologie; l'évaluation de l'aptitude des terres par la détermination de leur potentiel de production en mètres cubes de biomasse à l'hectare; l'estimation des surfaces de forêts spontanées à classer en réserves à des fins scientifiques.

Ces études sont inspirées par le fait que les ressources en terre ne sont pas toujours excédentaires. La forêt n'est ainsi qu'une des nombreuses formes d'utilisation possibles, et dans bien des cas elle ne doit même pas avoir priorité sur les autres. Aussi les gestionnaires fonciers cherchent-ils souvent à combiner une forme d'utilisation avec une autre pour atténuer ou éliminer les conflits et la concurrence entre elles. De fait, il est souvent vrai qu'une zone donnée peut servir à la fois pour la production de bois et, dans une certaine mesure, pour le pâturage, et en même temps jouer le rôle de bassin versant et présenter un intérêt considérable comme aire de loisirs et refuge pour la faune sauvage. L'exploitation minière peut aussi être pratiquée sur un même terrain sans trop contrarier les autres utilisations en surface.

Les paramètres intervenant dans l'affectation des terres ne sont jamais purement économiques ni exclusivement biologiques. Les décisions doivent être guidées par les avantages économiques comparés, la disponibilité de terres pour d'autres utilisations et l'orientation politique des autorités responsables. Cependant, comme la plupart des produits forestiers sont importants en tant que biens marchands plutôt que denrées de première nécessité (comme le sont les aliments de base), la sylviculture passe invariablement après l'agriculture. Elle doit donc rivaliser à égalité avec d'autres utilisations possibles des terres.

Les remèdes qui ont été proposés pour éliminer les conflits dans l'utilisation des terres vont généralement de l'intervention de groupements organisés et de comités consultatifs au recours

DANS LES FAUBOURGS DE LIMA l'exode rural doit être enrayé

à des pouvoirs législatifs. L'efficacité de la solution dépend dans une très large mesure des sentiments personnels et de l'identité communautaire de la population concernée. Lorsqu'un gouvernement ou tout autre corps constitué tente de resserrer son contrôle sur un territoire qui signifie tant de choses pour ses habitants, ses efforts risquent de susciter de sérieux litiges et rivalités. Ces litiges prennent parfois un tour dramatique, comme lorsque des propriétaires en colère s'opposent à une procédure d'expropriation. D'autres fois, les conflits sont plus insidieux et échappent à l'attention des responsables, pour réapparaître plus tard sous la forme de nouveaux problèmes.

ZAMBIE UNE PLANTATION D Acacia albida

ESTIMATION DU VOLUME SUR PIED DANS UNE FORÊT D'EQUATEUR

deux formules de mise en valeur

L'aménagement du territoire n'est un problème simple pouvant être résolu par une décision ou un texte de loi unique. Il exige toute une chaîne de décisions, qui modèlent judicieusement le futur environnement humain.

En ce qui concerne la course à la terre entre agriculture et sylviculture, le problème ne réside pas simplement dans la perte des terres forestières au profit de l'agriculture, mais aussi dans celle de superficies agricoles toujours plus étendues sous l'effet de l'urbanisation croissante. Les agriculteurs de ces zones de transition urbaine exercent sur le domaine forestier une pression encore plus forte que les cultivateurs itinérants. Ils pénètrent toujours plus avant dans le domaine forestier, non pas nécessairement parce que leur population croît rapidement ou que leur terre est improductive, mais parce qu'ils se sentent menacés par les spéculateurs et les promoteurs qui accaparent leurs terres, et aussi parce qu'ils sont mus par le désir de passer d'une agriculture de pure subsistance à une agriculture de plantation.

Cette catégorie de pressions est souvent qualifiée de «syndrome d'impermanence». Bien que dans la plupart des pays en développement les disponibilités de terres puissent paraître suffisantes pour faire face à la demande actuelle et même future, il y a des facteurs imprévisibles, tels que aléas climatiques, propension à la désertification ressources énergétiques futures, incertitude des perspectives de la production agricole et effets nuisibles à long terme de l'érosion sur la productivité des sols, qui peuvent compromettre de manière dramatique les disponibilités futures de terres.

Nous sommes donc placés dans un pénible dilemme. Protéger insuffisamment les terres boisées risque d'être désastreux trop les préserver risque d'aggraver les problèmes déjà sérieux que posent les pénuries alimentaires et l'insuffisance de produits forestiers. En attendant les résultats de nouvelles recherches sur cette question délicate, il semble que, pour être prudente, une politique forestière ne devrait pas chercher à proscrire purement et simplement tout déclassement de forêts' mais au contraire s'attacher à réduire la superficie forestière atteinte du syndrome d'impermanence. L'agroforesterie (sous ses multiples formes) offre à cet égard des perspectives prometteuses pour une stratégie équilibrée.

Une autre approche pourrait consister à créer des terroirs agricoles «intangibles», dont l'objet serait de maintenir les terres en culture jusqu'au moment où elles seraient absolument nécessaires pour d'autres utilisations. Ainsi, l'agriculture serait plus stable, et on pourrait instaurer une répartition régionale rationnelle de la production, en même temps que rétablir un élément de bons sens - ce qui est en fait la raison d'être de tout plan d'aménagement du territoire.

De tels principes supposent certes une révision des lois existantes, mais il est un domaine dans lequel les planificateurs peuvent, dès maintenant, faire preuve d'une plus grande conscience de l'ampleur des problèmes auxquels ils sont confrontés. Il s'agit de la collecte, du dépouillement, de l'analyse et de la diffusion de données précises concernant l'utilisation des terres.

Il est vrai que certains planificateurs ont entrepris par le passé des enquêtes de divers types, mais celles-ci ont rarement servi de base à des rapports mettant en lumière les problèmes en jeu et indiquant les types de décisions qu'ils appellent. Cela tient sans aucun doute à une question de disponibilité et de qualification du personnel voulu, mais n'explique pas totalement pourquoi les ministères et les services provinciaux et nationaux concernés ne disent pas quelles sont les innovations et les décisions nécessaires pour transformer la structure traditionnelle de l'utilisation des terres en une structure plus à même de répondre aux besoins d'une société en voie d'industrialisation.

L'aménagement du territoire n'est pas un problème simple pouvant être résolu par une décision ou un texte de loi unique. Il exige toute une chaîne de décisions, qui modèlent judicieusement le futur environnement humain. Ces décisions ne peuvent être prises par un échelon étatique unique; elles doivent associer tous les acteurs de la mise en valeur: propriétaires terriens, responsables du développement, consommateurs et fonctionnaires de administration à tous les niveaux. Il s'agit donc en fin de compte non pas qu'un échelon de l'autorité domine l'autre, mais que chacun ait la faculté de donner à l'aménagement des terres et au développement la place qui leur a été longtemps refusée.

Techniques utilisées pour l'affectation des terres

Zonage. En pratique, on assignera à chaque zone d'une unité de planification donnée certaines utilisations présumées compatibles avec ses caractéristiques. A la différence des pratiques traditionnelles de laisser-faire, les utilisations admises par le corps constitué doivent répondre à certains critères environnementaux. Lorsqu'on élabore des directives pour le zonage, il faut veiller à affecter aux secteurs importants, tels qu'habitat, forêt et élevage, des surfaces qui ne soient ni trop petites ni trop grandes. La législation à cet égard doit par conséquent avoir pour objectif général une utilisation rationnelle et équilibrée des ressources en terres.

Le système du double veto. On trouve communément un système que l'on pourrait qualifier du «double veto», en vertu duquel les autorités locales conservent leur pouvoir d'évaluer les projets de construction, - d'approuver et d'octroyer des permis de raccordement aux réseaux d'eau et d'égouts, mais qui parfois aussi oblige les promoteurs à solliciter une autorisation distincte auprès des autorités provinciales. C'est le cas notamment s'il s'agit d'un projet d'un type particulier, tel qu'usine de transformation, ou d'un gros investissement. Inversement, l'une ou l'autre des deux autorités peut refuser son agrément ou imposer certaines conditions pour le projet. Les autorités locales, toutefois peuvent avoir du mal à dicter des conditions à des projets qui doivent être réalisés sur un terrain déjà affecté à une utilisation déterminée et qui ne requièrent que des permis ordinaires de construction et d'occupation.

Fixation de lignes directrices. On peut tenter d'élaborer des directives qui contiennent des informations détaillées sur l'aptitude de telle ou telle zone au développement et sur les grands objectifs politiques. On peut également demander à des organismes d'Etat par exemple au service de l'habitat et de l'agriculture ou aux compagnies de transport - de dresser des «cartes fonctionnelles» et de les soumettre à l'autorité législatrice. Dans ce cas, l'autorité, provinciale s'appuiera sur la persuasion morale et sur une large publicité pour amener les autorités locales et les organes de planification à mettre leurs plans en conformité avec les objectifs nationaux ou provinciaux.

Une autre approche consiste à fixer des normes, qui, tout en étant de portée limitée, ont néanmoins valeur réglementaire. Dans ce cas, c'est l'autorité provinciale qui dicte les normes de planification et réglementation locales, le plus souvent sous la forme d'une législation régissant dans les diverses subdivisions régionales les zones de conservation, les réserves naturelles ou sanctuaires, les routes pittoresques, etc.

Planification concertée. Cette méthode, qui connaît une vogue croissante, comporte une concertation entre autorités de planification urbaine, offices d'aménagement foncier et ministères chargés de l'habitat et de l'aménagement du territoire. Elle rattache certains aspects de la planification intégrale à des normes obligatoires. En général, l'autorité provinciale définit les grands objectifs ou la politique de planification, puis demande aux autorités locales et autres responsables de l'utilisation des terres d'incorporer les objectifs spécifiques, dans leurs propres plans.

Considérations particulières

Zones critiques. Dans des circonstances particulières, certaines catégories de terrain peuvent être déclarées «zones critiques» demandant une intervention des autorités régionales ou nationales pour assurer leur protection. Il peut s'agir de sites de grande valeur esthétique ou historique, ou encore d'espaces indispensables à la survie d'espèces végétales et animales menacées. Ce peut être par exemple des portions de littoral, des lacs ou des plaines inondables.

D'autres zones pouvant être considérées comme critiques sont celles qui sont exposées à des dangers naturels: régions volcaniques, grande sensibilité au feu, sols instables ou sujets à l'érosion. Une zone peut aussi être classée comme critique en raison de son potentiel de production ou des ressources naturelles spécifiques qu'elle renferme. Un terroir agricole de première valeur peut par ce moyen être spécialement protégé contre un lotissement abusif.

Croissance urbaine. L'Etat peut désirer exercer son contrôle direct sur les terrains qui entourent les zones urbaines, soit parce qu'ils ne sont pas aménagés soit parce qu'ils n'ont pas encore fait l'objet d'un zonage par les autorités locales, ce qui est très souvent le cas. Il est urgent de définir les limites de l'expansion urbaine, d'identifier les terrains urbanisables et de les distinguer des terrains ruraux, de façon que leur aménagement puisse être circonscrit et systématique. Cela exige des plans détaillés d'occupation des sols, qui incitent à une mise en valeur intensive des zones existantes, favorisent une croissance ordonnée dans les zones adjacentes et permettent un aménagement méthodique dans les autres zones.

Planification régionale. Passé un certain point, les pouvoirs locaux peuvent ne pas avoir les moyens, ni la compétence juridique, pour exécuter les projets nécessaires. La taille d'un projet considéré comme ayant un «impact régional» variera naturellement d'un pays à l'autre. Aussi les autorités régionales ou nationales peuvent-elles être appelées à diriger de tels projets de développement et à en assumer toute la charge. Ainsi en va-t-il pour les grands offices d'aménagement de bassins fluviaux et de lacs.

Infrastructures essentielles. A la notion de planification régionale se rattache étroitement celle d'«infrastructures essentielles». Ce n'est pas ici la taille du projet qui compte le plus, mais son potentiel d'induction du développement. Une autoroute, un aéroport, un complexe universitaire, un institut de recherches, un grand barrage, un projet d'assèchement de marais ou d'irrigation entraînent normalement la croissance des zones environnantes. Il n'est pas toujours aisé de coordonner les investissements et les objectifs de planification de ces «zones de croissance» avec ceux de l'ensemble de la nation. Par conséquent, là où il existe des possibilités particulières de développement au bénéfice d'une région, les autorités provinciales ou nationales doivent créer des organismes spécialement chargés de l'aménagement du territoire, afin d'assurer une bonne coordination des plans d'investissements publics.


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