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L'évolution de la législation forestière en faveur des communautés rurales

Christian du Saussay

Il y a 50 ans, la législation forestière des pays tropicaux réglementait surtout l'extraction des produits forestiers, essentiellement le bois d'œuvre, destinés à l'exportation. Toutefois, depuis une vingtaine d'années, ces pays adoptent progressivement des lois régissant des domaines jusque-là négligés, tels que droits d'usage et ressources forestières. Les problèmes en jeu sont importants, complexes et parfois assez étonnants.

L'idée que la forêt est au service des populations rurales répond à un sentiment de justice sociale évident. Cependant, on se trouve aussi en présence de problèmes d'aménagement du territoire, de productivité de la terre et de protection de l'environnement qu'il faut résoudre.

Il s'agit, en premier lieu, de freiner l'exode des ruraux vers les grandes villes. L'entassement des nouveaux venus dans les bidonvilles qui cernent celles-ci crée des risques sanitaires énormes, engendre des troubles sociaux et augmente la criminalité. Si les dirigeants réagissent en concentrant les investissements publics dans les capitales ou les zones urbanisées, ils ne font qu'activer l'exode. Ce n'est qu'en offrant aux ruraux de meilleures conditions de vie qu'on peut surmonter la plupart des difficultés suscitées par les agglomérations surpeuplées.

En second lieu, il est nécessaire d'accroître la production agricole et forestière. Celle-ci est non seulement insuffisante pour satisfaire les besoins de populations en proie à des dérèglements démographiques, mais souffre aussi trop souvent du déboisement, ainsi que de l'appauvrissement et de l'érosion des sols. Or, en plus des techniques proprement agricoles, diverses solutions sont possibles pour redresser cette situation, dont un vaste développement forestier sous forme de massifs, de bocages ou de plantations antiérosives. Toutefois, cette restauration forestière ne peut se faire sans la participation active des ruraux.

UNE PÉPINIÈRE AU PAKISTAN les ruraux participent activement au reboisement

Enfin, la protection de l'environnement apparaît tout à la fois comme un moyen de relever la productivité immédiate des sols et comme la garantie du maintien des ressources naturelles pour l'avenir. Elle suppose aussi que ceux qui supportent le plus directement les charges et disciplines imposées par la protection de la nature en retirent des bénéfices et en comprennent les avantages.

Ainsi, d'où l'on parte, est-on ramené à ce point central qu'est l'amélioration des conditions de vie des ruraux, en particulier par l'accès aux richesses forestières. On aboutirait à la même constatation en partant d'un autre point de vue, celui de l'évolution comparée des démographies en Europe et dans le tiers monde. En Europe, l'accroissement démographique, amorcé à la fin du XVIIIe siècle, est le fruit d'une progression simultanée de l'ensemble des techniques, aussi bien agricoles qu'industrielles ou médicales.

Dans le tiers monde, l'accroissement de la population paraît résulter essentiellement d'une réduction de la mortalité due à l'intervention de la médecine, les autres secteurs, et en particulier l'agriculture, n'ayant pas suivi le mouvement. Il n'a pu en résulter qu'un appauvrissement général et les désordres que nous connaissons. Il importe donc de rétablir les équilibres rompus, notamment par le développement des productions agricoles et forestières.

Sans doute cet objectif entre-t-il dans les missions d'intérêt général dont l'Etat assume la charge. Tous les pays se sont fixé des «plans de développement» dont les ruraux devraient recueillir les fruits au même titre que leurs concitoyens appartenant à d'autres secteurs d'activité. Toutefois, l'expérience montre qu'il y a bien loin de l'exploitation d'une ressource naturelle à la perception des bénéfices par les communautés rurales. Sans entrer dans les exemples caricaturaux de mauvais usage des fonds publics, il n'est pas exagéré de dire que la proportion des recettes publiques que les gouvernements consacrent au développement rural est souvent insuffisante ou inopérante.

CES GRUMES D'ACAJOU FLOTTENT VERS LE MARCHÉ D'ABIDJAN il faut des lois prévoyant le réinvestissement des recettes dans la foresterie

Si le circuit économique médiatisé par l'Etat comporte trop de déperditions, on est logiquement conduit à la conclusion qu'il convient de l'éliminer. En d'autres termes, il paraît opportun d'organiser le développement des communautés rurales à partir de l'exploitation même des ressources naturelles sans attendre que l'Etat s'en charge et en redistribue les profits directs auxdites communautés. Le problème est alors de savoir dans quelle mesure la législation peut favoriser une telle politique.

Dans l'histoire de tous les peuples, la forêt a procuré à ses riverains ou à ses hôtes des moyens de subsistance, objets de droits coutumiers que les législateurs se sont efforcés de contenir ou de restreindre. En Europe, il s'agit de garantir la production de bois nécessaire aux besoins nationaux, en particulier ceux de la marine, et de consacrer les principes libéraux de la propriété privée ou encore l'exploitation rationnelle du patrimoine forestier.

Les législations mises en vigueur pour les pays tropicaux sont parties des mêmes bases. Si l'on étudiait leur évolution au cours des 50 dernières années, sans doute constaterait-on, notamment en Afrique, que le droit forestier a été adopté initialement comme une sorte de «droit minier» régissant l'extraction de produits destinés à l'exportation et reléguant au deuxième plan les usages coutumiers. Le résultat de cette législation, qui laissait une trop grande liberté aux entreprises concessionnaires, fut l'écrémage des essences précieuses et le gaspillage des ressources. Aujourd'hui, malheureusement, ce ne sont plus les seuls arbres de valeur qui sont en cause, mais bien la forêt tout entière.

Le droit a réagi en réglementant plus étroitement les coupes et en organisant la gestion du patrimoine forestier. Parallèlement, il est apparu que le produit forestier n'était pas payé à sa juste valeur par l'exploitant industriel. L'ancienne notion des «taxes» a été remplacée par celle des «prix de vente» dans l'espoir d'amener ces derniers plus près des cours en vigueur sur le marché.

Un autre progrès est venu de la constatation amère qu'ont pu faire certains forestiers qui voyaient les revenus procurés par l'exploitation disparaître dans le budget général de l'Etat, sans que celui-ci les dote des moyens financiers nécessaires à la gestion de la forêt. On a ainsi été amené à instituer des fonds forestiers destinés à garantir le réinvestissement dans la foresterie des recettes publiques venant de la forêt.

Quant au rôle de la forêt dans l'économie rurale, s'il n'a jamais été complètement perdu de vue, ainsi qu'en témoigne la permanence des droits d'usage, il ne constitue qu'une préoccupation récente des législateurs. Certains pays font dans ce domaine figure de pionniers. L'idée s'en est largement répandue. Mais on est encore très souvent à la recherche des solutions juridiques qui permettraient de mettre la richesse forestière au service du développement rural.

Sans nul doute la richesse forestière comprend les produits de la forêt au sens strict. La forêt pouvant se définir comme une association végétale où les arbres dominent, ces produits englobent la faune inféodée au milieu forestier. Mais les lois forestières partent en général d'un concept beaucoup plus vaste de la forêt embrassant pratiquement tout l'espace naturel, que les arbres dominent ou non. Par ailleurs, là où, faute de terres, il est impossible de reboiser à grande échelle, les administrations forestières tendent à établir des bocages ou des plantations linéaires associés à des activités agricoles ou pastorales. Toutefois, il ne nous appartient pas de nous demander ici si ces politiques doivent relever des administrations et législations forestières, de celles de l'agriculture ou de la conservation des sols. On retiendra simplement qu'il vaut mieux intégrer au concept de richesse forestière les produits des essences forestières utilisées dans de semblables associations. En définitive, est «forestière» toute ressource vivante terrestre qui n'est pas considérée comme agricole ou pastorale.

ZAMBIE. LES HABITANTS DES FORÊTS Quels instruments juridiques peuvent régir la coexistence des hommes et de la faune?

ZAMBIE. LES HABITANTS DES FORÊTS Quels instruments juridiques peuvent régir la coexistence des hommes et de la faune?

ZAMBIE. LES HABITANTS DES FORÊTS Quels instruments juridiques peuvent régir la coexistence des hommes et de la faune?

Pour permettre aux ruraux d'accéder à cette ressource, le droit comparé offre toute une gamme de possibilités dont on peut ordonner la présentation autour de deux axes, selon qu'elles ont pour objet de garantir aux communautés rurales un simple partage de la richesse forestière ou de les associer à la création et la gestion de celle-ci.

Le partage de la richesse forestière

Selon la distinction qui se dégage de la comparaison des textes, il y a partage de la richesse forestière lorsque le droit en attribue une fraction aux communautés rurales, sans leur reconnaître de pouvoirs ou exiger en contrepartie des prestations particulières. Par hypothèse, il ne peut s'agir que de la richesse forestière publique, possédée ou à tout le moins gérée par l'Etat. L'attribution, qui est donc gratuite, peut se faire sous la forme de revenus ou d'accès direct aux produits naturels.

Les recettes forestières. Le partage des recettes forestières se fait en principe au profit des communautés rurales et non des particuliers, lesquels cependant peuvent parfois bénéficier indirectement d'une partie de ces recettes sous forme d'allocations en espèces ou en nature. C'est le cas des primes accordées aux agriculteurs pour l'entretien d'autres forestiers travaillant avec eux. C'est aussi le cas, au Kenya, avec l'indemnisation des dommages causés par la faune sauvage. Un tel dédommagement est rarement prévu. Pourtant, il découle logiquement du principe d'égalité.

En encourageant la préservation de la faune sauvage, l'Etat expose les ruraux à des risques hors du commun. Il faut bien s'attendre, par exemple, que les hérons mangent le poisson des bassins de pisciculture, que les carnassiers se jettent sur le bétail et que les singes pillent les vergers. Mais alors, ce sont les ruraux qui en pâtissent. Il est donc juste de les indemniser pour les préjudices subis. Si la politique jurisprudentielle des tribunaux chargés de statuer sur ces indemnités tient compte de la faute de la victime qui n'a pas pris les précautions nécessaires pour sauvegarder ses cultures ou son bétail, les paysans seront incités à prendre des mesures de défense passive contre la faune et donc à mieux s'accommoder de sa présence. Il faut bien convenir toutefois que ces indemnités, primes ou lots de concours agricoles n'ont que bien peu de valeur économique.

Le partage de la richesse forestière au bénéfice de collectivités rurales peut se faire sous forme d'affectation de revenus ou de prestations de services à la communauté, services qui sont à la charge des titulaires de contrats d'exploitation forestière.

Les revenus peuvent être affectés de diverses façons. Ainsi, en République-Unie du Cameroun, la loi confie à l'Etat la gestion des forêts appartenant aux collectivités publiques. Elle prévoit par ailleurs que les communes perçoivent une «redevance communale» à l'occasion de l'exploitation de leurs forêts. Le taux de cette redevance est déterminé par «la loi de finance».

Au Kenya, une partie des recettes publiques provenant de l'exploitation de la faune sauvage serait, selon un rapport de la FAO, reversée aux conseils de comtés. Il ne s'agit pas en l'occurrence d'une disposition prévue par la loi, mais d'une pratique administrative destinée à dédommager les populations locales de la charge que constitue pour elles le maintien d'une densité élevée d'animaux sauvages. Dans tous les cas, l'EtatDiktat est tenu de verser un minimum de recettes aux collectivités locales, à charge pour celles-ci de les employer au financement d'équipements collectifs. L'efficacité de ce système pour améliorer les conditions de vie de chacun dépend de la capacité des administrateurs locaux à employer au mieux leurs crédits et à éviter les dépenses improductives.

Le second type d'aide publique aux collectivités est dispensé moyennant certaines dispositions de cahiers des charges d'exploitation forestière. Il y est d'ordinaire stipulé, par exemple, que les routes et pistes forestières construites par l'entrepreneur seront ouvertes à la circulation générale, ce qui est en soi un facteur d'amélioration économique. Partant de là, on peut imaginer d'inclure dans le contrat d'autres obligations de type social telles que des cours d'alphabétisation ou des centres de soins, mais il n'est pas évident que des entreprises d'exploitation forestière prennent très au sérieux de telles missions de service public. Il serait préférable de leur demander de concourir au développement collectif par des taxes ou redevances au profit d'organismes spécialisés.

ZIMBABWE. LA RÉSERVE DE GIBIER DE WANKIE la faune fait partie de la vie quotidienne

Législation en matière d'aménagement forestier

Ethiopie. Proclamation de la loi N° 192 de 1980, alinéas 2, 5 et 6, stipulant la conservation et l'aménagement des forêts et de la faune.

Honduras. Loi de 1976, article 24 sur la Société hondurienne pour le développement forestier.

Kenya. Ordonnance de 1951, article 63, sur la protection des animaux sauvages.

Pérou. L'article 9 de la loi sur les communautés indiennes et le développement agricole de la Selva et de ses forêts claires stipule la composition de ces communautés. Elles peuvent s'organiser en Empresa comunal, Granja comunal et Cooperativa comunal y agraria de producción.

République de Corée. Les autorités coréennes ont vu dans l'association des producteurs et des consommateurs le moyen de susciter l'esprit de coopération en vue de l'aménagement forestier. Voir le rapport de Bong Won Ahn au VIIIe Congrès forestier mondial (Jakarta, 1978) intitulé Village forestry in Korea.

Sénégal. Décret N° 65-078 du 10 février 1965, articles 19, 20, 21 et 23, portant établissement du code forestier (partie Règlements).

Soudan. Voir rapport de la FAO au gouvernement soudanais sur la législation concernant la faune et les parcs nationaux, document N° TA 3300, Rome 1974, article 46.

République-Unie du Cameroun. Ordonnance N° 73/18 du 22 mai 1973, articles 5, 29 et 30, portant établissement des règlements forestiers nationaux. Voir aussi décret N° 74/357 du 17 avril 1974 stipulant l'application de l'ordonnance N° 73/18 du 22 mai 1973, article 10, définissant le régime forestier national.

Le partage des produits forestiers. Le partage des produits forestiers est implicitement reconnu par les droits d'usage, coutumiers ou traditionnels, dont on trouve des exemples dans les législations de toutes les parties du monde. Ces droits correspondent en effet à une tendance profonde de l'homme qui, s'il respecte généralement le fruit du travail d'autrui, n'estime pas moins légitime de s'approprier ce que la nature lui offre. C'est en Afrique qu'ils sont actuellement les plus vivaces, mais ils étaient jadis plus répandus encore en Europe puisque, au Moyen Age, ils s'exerçaient à la fois sur les forêts domaniales et sur les champs cultivés par les particuliers.

L'avantage évident des droits d'usage est de mettre immédiatement les produits forestiers à la disposition des communautés rurales sans les déperditions qu'entraîne un circuit économique à plusieurs intermédiaires. Lorsque l'Etat n'a rien à offrir de mieux pour améliorer le sort des ruraux, c'est encore les droits d'usage qui constituent son plus sûr moyen.

Le régime juridique des droits d'usage. Toutes les législations consacrant des droits d'usage forestiers ont un dénominateur commun qui renferme trois principes. Premièrement, les droits d'usage sont réservés à l'autoconsommation. Deuxièmement, ils sont gratuits et libres, sauf au Sénégal où les usagers sont tenus à contribuer en contrepartie. Troisièmement, ils sont limités par les législations, et c'est sur ce point qu'apparaissent les divergences essentielles entre pays.

Le principe de la limitation existe toujours, mais il est appliqué de manière très variable. Parfois, les limites obéissent au seul souci de faciliter l'exploitation financière des ressources naturelles. Il en va ainsi lorsque les droits de chasse traditionnels sont supprimés dans des territoires cynégétiques affermés à des sociétés de safari, ou encore lorsque la loi prévoit la possibilité de suspendre les droits d'usage dans les forêts objets de contrats d'exploitation. Inversement, certaines législations interdisent ce genre de situation. La loi sénégalaise, par exemple, stipule que «les droits d'usage des collectivités continuent à s'exercer sur les chantiers forestiers et dans le cadre des permis de coupe ou d'exploitation sans que les titulaires de ces permis puissent prétendre à aucune compensation».

Très souvent, les limites paraissent dictées par la nécessité de protéger certaines espèces ou leurs biotopes. Citons par exemple les limites imposées à l'exploitation dans les parcs nationaux et les réserves naturelles de certains animaux ou essences forestières. On peut d'ailleurs dans cette hypothèse ne pas nécessairement recourir à une interdiction absolue. Au Sénégal, le prélèvement «des essences forestières protégées» ainsi que des «bois destinés à la construction ou à la réparation des maisons» est soumis à «l'obtention d'un permis de coupe délivré à titre gratuit par le chef de secteur forestier»

Dans le cas particulier de la faune, il faut se poser la question de savoir si l'exclusion des espèces «partiellement protégées» n'est pas destinée à réserver ces dernières aux chasseurs sportifs payant des taxes. Par ailleurs, il est d'usage de n'admettre que la chasse traditionnelle (au moyen de pièges, lances et flèches), et on peut se demander s'il n'y a pas là un archaïsme à corriger. C'est dans l'obligation qu'ont certaines populations de chasser pour avoir de quoi manger que réside vraiment la tradition, non dans leurs méthodes de chasse. Pourquoi leur imposer des moyens dangereux, aléatoires et, en ce qui concerne les pièges, peu sélectifs? Mieux vaut, comme dans le projet de loi soudanais, prévoir un «permis de chasse tribal» par lequel le directeur du service de la faune délivre aux chefs de tribus locales ou de villages des autorisations de chasser au fusil, dans des conditions précisées, pour les besoins de la communauté.

Aspect social des droits d'usage. Pour bien faire comprendre à la communauté intéressée l'utilité sociale des droits d'usage, on peut en réglementer l'exercice, en rendre l'abolition plus difficile et l'assortir de compensation, ou imposer, dans certaines zones, des droits garantis avec plus de force. On constate, en effet, que si les limites des droits d'usage sont toujours prévues par les législations, c'est rarement dans l'intérêt des usagers eux-mêmes.

Les usagers peuvent mettre les écosystèmes forestiers en danger en y opérant des prélèvements abusifs. Si l'Etat veut veiller au maintien de ses ressources naturelles, il doit donc empêcher toute forme de prélèvements qui conduirait à terme à un appauvrissement des communautés rurales. C'est ce que prévoit la législation du Sénégal lorsqu'elle déclare: «l'exercice des droits d'usage [...] demeure toujours subordonné à l'état et aux possibilités du peuplement forestier et de la végétation. Il peut être temporairement suspendu par arrêté du Ministre de l'économie rurale dans tous les cas où le service forestier estime nécessaire d'apporter des restrictions en vue de la sauvegarde du patrimoine forestier».

En ce qui concerne la suppression des droits d'usage, cette faculté est parfois laissée à l'arbitraire de l'administration. Or, si cet acte a pour effet de priver des communautés de ressources importantes, on doit au moins en apprécier les conséquences prévisibles avant de le décider. La procédure indiquée à cet égard est celle de l'enquête publique avec audition des intéressés. La loi camerounaise prévoit aussi une information du public préalable à tout classement de forêt ou délivrance de licences d'exploitation. «Le décret de classement [...] doit déterminer la nature et l'importance des droits d'usage et, le cas échéant, leur cantonnement ou leur rachat.».

Enfin, dans le cas où il apparaît que l'exercice des droits d'usage constitue l'unique ressource d'une communauté, ce qui se vérifie par exemple pour les tribus de pygmées en Afrique, on peut envisager de classer cette forêt en «zone d'usages protégés». A l'intérieur de cette zone seules seraient autorisées les activités d'exploitation compatibles avec le maintien concret, et non pas seulement juridique, des droits d'usage considérés. Le déclassement d'une telle zone pourrait être réservé à la décision des instances politiques les plus élevées. Il faudrait également se préoccuper de prévenir un afflux de population excédant les capacités du milieu naturel.

Moyen le plus direct de garantir la survie matérielle d'une communauté rurale, les droits d'usage supposent la présence de ressources forestières suffisantes et ne constituent donc pas une solution applicable à toutes les régions.

Dès lors qu'il s'agit d'élever le niveau de vie des populations rurales ou de reconstituer une richesse forestière qui n'existe plus, on est amené à considérer d'autres formules associant ces populations au développement forestier.

Création et exploitation de la richesse forestière. Les moyens dont dispose l'Etat pour associer les ruraux à la création et à l'exploitation de la richesse forestière sont très différents selon qu'ils s'appliquent à des terres publiques ou privées. Mais cette distinction est très ambiguë en droit comparé. D'une part les statuts fonciers sont très variés, d'autre part leur définition juridique ne coïncide pas toujours avec la réalité sociale. Il arrive, par exemple en Afrique, que les droits de celui qui a mis en valeur la terre soient pratiquement aussi respectés que ceux d'un propriétaire, alors que, selon les textes, il ne s'agit que d'une simple «occupation» d'un sol appartenant juridiquement à l'Etat. De même, si la conception traditionnelle romaine de la propriété prévaut dans le droit latino-américain, elle est largement infléchie par la prise en considération de sa «fonction sociale».

Dans ces conditions, il serait plus juste de choisir, comme dénominateur commun permettant des comparaisons, le concept global de «maîtrise de la terre». La maîtrise du sol par une personne privée peut recouvrir un droit de propriété absolu, mais aussi un droit d'usage permanent. La maîtrise du sol par l'Etat impliquerait que ce dernier puisse en disposer à sa convenance sans avoir à exproprier des terres légalement possédées par des particuliers.

Terres sous maîtrise privée. Lorsque les possibilités d'action de l'Etat sont limitées par les droits fonciers des personnes privées, celui-ci peut mettre en œuvre des politiques tendant soit à la constitution de massifs boisés, soit à l'implantation d'arbres forestiers dans le paysage agricole ou pastoral. Les moyens pour atteindre ces deux objectifs sont sensiblement les mêmes. Ils relèvent de la décision autoritaire ou de l'incitation.

On peut recourir à la décision autoritaire pour prescrire aux particuliers certaines obligations de faire ou de ne pas faire. Il s'agit alors de discipliner l'activité privée. En poussant la contrainte plus loin elle permet aussi de modifier unilatéralement les structures foncières.

Si l'on ne conçoit pas d'imposer à un particulier de créer ex nihilo un massif forestier, on recourt en revanche à la réglementation de police pour la gestion des forêts privées. L'évolution des codes forestiers tend à généraliser le système du plan d'aménagement approuvé par l'administration forestière ou à soumettre à autorisation préalable le défrichement et la coupe des bois.

Dans les activités agroforestières, le règlement de police est prévu tant par les lois forestières que par celles de la conservation des sols. Il permet de prescrire la plantation et l'entretien d'arbres ou de végétations antiérosives. L'association d'arbres forestiers aux cultures agricoles est appelée à se développer partout où la pression démographique accroît les besoins domestiques en bois tout en réduisant les surfaces disponibles pour des plantations purement forestières. Or, le droit n'offre pas encore les concepts et outils juridiques convenables pour traiter ce type de problème.

La géographie connaît la notion de bocage, mais celle-ci d'une part n'est pas consacrée en droit, d'autre part ne s'applique qu'à des alignements d'arbres formant des haies vives. Peut-être devrait-on forger des critères juridiques pour les plantations forestières en alignements ou en bosquets. Pour la définition d'une zone agroforestière doit-on prendre en compte la densité de certaines essences, leur implantation ou la quantité de produits forestiers qu'on peut en retirer?

Dans l'immédiat, on observera que le procédé de police ne peut avoir qu'un rôle limité pour de multiples raisons tenant à la psychologie des paysans, à l'insuffisance de leur encadrement par le service public ou aux conditions techniques de l'agriculture. Aussi serait-il préférable qu'il s'exprime davantage par des obligations de résultats que par des obligations de moyens. Les premières sont en effet plus respectueuses de la liberté de l'exploitant puisqu'elles lui assignent un objectif à atteindre, sans l'enfermer dans le carcan d'une réglementation trop détaillée. Elles sont également plus simples à contrôler pour l'administration. En d'autres termes, il vaut mieux imposer le maintien d'un minimum de pieds de telle ou telle essence dans telles ou telles conditions plutôt que d'exiger un permis pour couper la moindre branche d'arbre. En fait, les instruments les plus efficaces d'une politique agroforestière sont surtout ceux qui reposent sur l'incitation.

A notre sens, l'utilité de la décision autoritaire apparaît mieux lorsqu'il s'agit de surmonter les obstacles dus aux structures foncières ou à de mauvaises pratiques agricoles.

Modification des structures foncières. L es structures foncières sont susceptibles d'entraver une politique de développement forestier de diverses manières. L'un des obstacles peut être l'exiguïté et l'irrégularité des parcelles pour lesquelles le droit offre plusieurs solutions.

La première solution consiste à instituer des groupements obligatoires qui coordonnent les travaux ou assurent une gestion commune pour le compte de l'ensemble des propriétaires. Cela suppose une utilisation homogène des terrains.

La deuxième solution, plus radicale, est apportée par le remembrement. En France les opérations de remembrement s'effectuent par l'intermédiaire de sociétés d'aménagement foncier chargées d'acheter des terrains, sur lesquels elles établissent des exploitations de diverses tailles qu'elles rétrocèdent aux agriculteurs. L'achat des terres peut se faire à l'amiable ou par l'exercice du droit de préemption.

Les déséquilibres fonciers nés du contraste entre latifundia et minifundia peuvent être corrigés par les lois de réforme agraire. Celles-ci sont aussi un moyen de mettre un terme aux formes juridiques de tenure des sols empêchant le développement rural.

La législation cap-verdienne a ainsi supprimé les contrats de «sous-métayage» qui conduisaient à une prolétarisation des agriculteurs. Pour encourager les ruraux à mettre en œuvre les techniques proposées, le moyen le mieux adapté est incontestablement celui que prévoit la loi péruvienne du 21 mai 1964, laquelle définit la réforme agraire comme étant «un processus intégré, pacifique et démocratique destiné à transformer la structure agricole du pays [...] moyennant remplacement du régime des latifundia et des minifundia par un système équitable de propriété foncière, de tenure et d'exploitation propre à accroître la production».

Enfin, le droit peut répondre à la carence des agriculteurs par la sus pension temporaire de la jouissance. Cette dernière peut être transférée à l'Etat lorsqu'il s'agit de la «mise en défens» des sols, ou encore à un tiers pour la mise en culture. En toute hypothèse, les procédés autoritaires sont inopérants s'ils ne sont pas accompagnés de mesures d'incitation.

Les incitations. Elles permettent de viser deux objectifs complémentaires: mettre à la disposition des ruraux les techniques agroforestières, et les encourager à adopter ces techniques.

La première catégorie d'incitations comprend l'ouverture d'un réseau de pépinières, la mise en place de points de distribution des matériels et produits nécessaires, ainsi que des activités de consultation et de vulgarisation.

La meilleure façon d'amener les ruraux à appliquer les techniques préconisées est de faire des démonstrations expérimentales dans des fermes d'État, ou, mieux encore, de confier ce soin aux paysans eux-mêmes acceptant de jouer un rôle pilote dans leur région.

Les aides financières représentent un autre levier puissant d'évolution. Sous la forme d'exonérations fiscales, elles ne sont guère applicables dans les régions où la pauvreté des ruraux ne permet pas de les assujettir à l'impôt. En revanche, l'organisation du crédit, qui se pratique parfois en toute liberté et de manière particulièrement abusive, a son utilité, pourvu toutefois que l'Etat ait les moyens financiers.

Enfin, dès lors que l'on veut pousser les paysans à dépasser le stade de l'autoconsommation, il convient de prendre garde que leurs revenus ne soient pas confisqués par les intermédiaires et que, par ailleurs, les fluctuations des marchés agricoles ne soient pas anarchiques. Ces considérations conduisent les pouvoirs publics à intervenir sur les marchés pour contrôler les réseaux de distribution et promouvoir l'établissement de coopératives.

En général, les incitations doivent être conçues comme des moyens de transition entre une pauvreté stérile et une relative aisance. Elles ne doivent pas aboutir à faire des paysans des assistés perpétuels de la collectivité publique. Leur succès dépend pour une grande partie du savoir-faire des vulgarisateurs et de l'adaptation des mesures proposées. Ainsi, la loi doit prévoir le principe d'incitations et prescrire celles d'entre elles qui relèvent du domaine législatif, telles que l'organisation des coopératives ou du crédit. Mais elle doit laisser à la souplesse du règlement le soin de préciser les modalités pratiques.

Terres dont l'Etat a la maîtrise. Lorsque l'Etat possède la maîtrise de terres forestières, il peut les céder à des particuliers ou à d'autres collectivités publiques en pleine propriété ou en usufruit. Le développement rural passe alors par les moyens précédemment évoqués pour influencer les activités privées. Bien que l'on ait des exemples historiques de privatisations massives du domaine forestier national, ce type d'opération n'est pas considéré comme le plus favorable au maintien du couvert forestier ni au développement rural. Les politiques suivies reposent au contraire sur une association des communautés rurales à la gestion et à l'exploitation de forêts dont l'Etat garde la maîtrise. Il faut, dans ce cas, s'interroger sur la façon dont les communautés rurales doivent être organisées pour être admises comme partenaires de l'Etat, et sur les modalités à adopter pour qu'elles puissent participer à la mise en œuvre de la politique forestière.

L'organisation des communautés rurales. Elle est avant tout fonction des divisions administratives du territoire national, en particulier de la commune. Elle peut également devoir tenir compte des droits historiques qu'ont certaines populations sur les terres.

RÉCOLTE DE BOIS DE FEU DANS UNE FORÊT HONDURIENNE les droits d'usage répondent à un concept juridique très répandu

Dans les pays tropicaux' la législation forestière a laissé une trop grande liberté aux entreprises concessionnaires, d'où l'écrémage des essences précieuses et le gaspillage des ressources. Aujourd'hui, ce ne sont plus les seuls arbres de valeur qui sont en cause, maïs bien la forêt tout entière.

C'est le cas au Pérou où 10 millions d'hectares, soit 14 pour cent du sol national, sont affectés par tradition immémoriale aux communautés indiennes. Plus rarement, le progrès des communautés rurales passera par la modification des systèmes d'habitat. Les autorités mozambicaines ont ainsi conçu, dans le cadre des réformes foncières et forestières, un modèle de communauté, l'aldeia comunal (communauté villageoise), qui devrait regrouper dans des centres ruraux des populations traditionnellement établies en habitat dispersé. Il y aurait coïncidence entre la circonscription administrative nouvelle, son organisation politique et celle de la communauté rurale associée à la gestion forestière.

Cependant, il s'agit là d'une exception à une situation très générale caractérisée par l'autonomie des communautés rurales par rapport aux institutions administratives territoriales. Leur organisation peut être pluraliste ou non.

La République de Corée offre un exemple d'organisation non pluraliste comportant des structures de base intégrées dans une pyramide nationale. Les «village forestry associations» sont regroupées en «forestry association unions» au niveau du comté. Au sommet se trouve la «Federation of national forestry association unions».

Il n'y a qu'une seule «forestry association» par village. Celle-ci regroupe les propriétaires forestiers et les consommateurs locaux de bois. Elle apparaît tout à la fois comme une coopérative pour la gestion des forêts privées (qui sont de petite taille) et comme un partenaire de l'Etat pour la gestion des forêts publiques ou sous contrôle étatique.

De même, l'Ethiopie a adopté un système de communautés comportant des «peasant associations» et des «urban dwellers' associations» auxquelles sont affectées des forêts domaniales appelées kebele.

Lorsque le pluralisme prévaut, la législation avance plusieurs formules d'organisation communautaire. La coopérative ou l'association forestière représente des institutions juridiquement très structurées. Or, les paysans n'ont pas forcément les capacités requises pour les faire fonctionner correctement, tenir la comptabilité de leurs fonds de réserve, procéder aux désignations statutaires, etc. Il est donc utile de prévoir des formes de regroupement plus simples ou, si l'on préfère, des «précoopératives». Au Honduras, le système forestier social intègre des communautés réunies en «groupes de travail, coopératives ou autres formes associatives».

Pour le Cap-Vert on a proposé un type de communauté dans lequel l'administration forestière enregistre les membres, distribue collectivement les tâches et arbitre la répartition des produits entre les membres.

Il est essentiel que la forme juridique retenue pour organiser les communautés rurales soit adaptée à leur mentalité et à leurs capacités. Aussi est-il préférable en général que le législateur ouvre la porte à différentes possibilités. Par ailleurs, l'introduction de structures communautaires dans un milieu de tradition individualiste devrait se faire sous le contrôle étroit de l'administration. Si l'expérience réussit, elle attirera vraisemblablement plus de gens et, de ce fait, des problèmes d'équilibre surgiront entre les ressources affectées à la communauté et le nombre de ses membres. Il faudra donc fixer des critères à l'adhésion ou des priorités aux candidatures.

Les modalités de participation. Les communautés rurales peuvent tenir leurs droits d'un contrat conclu avec l'Etat ou d'une autorisation unilatérale de ce dernier. Dans tous les cas, elles sont assujetties au contrôle de l'administration forestière compétente. Ce qui en revanche varie considérablement c'est l'étendue des missions qui leur sont confiées. Au minimum, elles agissent comme des collaborateurs auxiliaires du service public. C'est le cas en République de Corée où, dans les forêts domaniales, les «village associations» sont chargées d'effectuer des patrouilles de surveillance ou de lutter contre les incendies. En échange, elles reçoivent une part des produits. C'est déjà un beau résultat si les plantations établies par les services forestiers nationaux ne sont ni pillées par des voleurs de bois, ni malmenées par des pâturages abusifs, ni détruites par les feux. Au maximum, la communauté peut se voir attribuer la jouissance exclusive d'une forêt qu'elle va gérer et exploiter collectivement en élaborant elle-même son plan d'aménagement. Là encore, le degré d'autonomie accordé aux communautés doit pouvoir varier en fonction de leurs capacités et de la situation des ressources naturelles. Il serait imprudent pour un pays combattant une désertification avancée de placer une confiance exagérée dans des communautés rurales. L'expérience historique des forêts communales en Europe montre que la décentralisation n'est pas le meilleur gage de pérennité d'une forêt.

Que les communautés rurales soient simplement admises à partager la richesse forestière ou à la gérer et à l'exploiter, elles ont toujours besoin d'un service forestier national pour préserver les ressources et guider leurs activités. On ne peut, sans risque d'échec, rogner sur les responsabilités de l'Etat dans le développement communautaire rural.

C'est bien plutôt un changement qualitatif que le développement rural va requérir des administrations forestières. Celles-ci devront enrichir leurs connaissances sur la façon dont opèrent les mécanismes sociaux pour remplir leur nouveau rôle de conseillers et apprendre à vulgariser les techniques de production au lieu de se borner à l'utilisation économique des produits. Pour améliorer les conditions de vie des ruraux, il faut aussi réduire le gaspillage du bois, notamment dans les usages domestiques. Pour prendre un exemple, les Rwandais, en négligeant de faire tremper les haricots, base de leur alimentation, dépensent en longues cuissons de grosses quantités de bois. Comme, dans ce domaine, les femmes sont les premières intéressées, il serait utile qu'on en recrute dans les corps forestiers.

Cette extension des missions du service public suppose de la part de l'Etat une certaine capacité de financement. A cet égard, la constitution de fonds forestiers apparaît comme l'instrument privilégié d'une politique de développement rural. Par son intermédiaire, l'exploitation classique des forêts de production peut jouer le rôle de mécène des forêts communautaires.

Dans cet ensemble, la place du législateur est des plus incommodes. Il doit en effet tenir un difficile équilibre entre un laxisme générateur d'abus et une rigidité paralysante, apprécier exactement les données sociales qu'il ne peut bousculer et s'efforcer cependant d'apporter les changements nécessaires au progrès. La loi est une œuvre de synthèse et de compromis. Mal conçue, inadaptée aux conditions particulières d'un pays, elle ira au mieux grossir les nécropoles juridiques. Si parfaite soit-elle, elle restera lettre morte sans la volonté politique de ceux qui sont chargés de la mettre en œuvre.

FILLETTE QUECHUA AVEC UN AMI SUR LES ANCIENNES TERRES DES INCAS les Indiens gèrent 10 millions d'hectares du territoire péruvien


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