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Protéger les jeunes industries de pâte et papier: Les avantages du libre-échange

Salah El Serafy

Salah El Serafy est économiste principal a la Banque mondiale à Washington D.C., mais le présent article ne reflète pas nécessairement les points de vue de la Banque. Ce texte est également publié dans l'étude FAO: Forêts N° 45 intitulée Establishing pulp and paper mills (voir l'analyse de cet ouvrage dans le présent numéro d'Unasylva).

Il est inévitable qu'au départ toute nouvelle industrie de pâte et papier dans un pays en développement perde de l'argent et se heurte à la concurrence serrée des importations. Il est alors très tentant de prendre des mesures protectionnistes, mais la question cruciale est de savoir si ces mesures, une fois adoptées, pourront jamais être supprimées. Pour cela, il faut que les coûts baissent, ce qui dans la plupart des cas n'est pas du tout certain ni même probable. En outre, soutient Salah El Serafy, une politique protectionniste enlèverait aux jeunes industries de pâte et papier les multiples avantages du libre-échange.

LIBRE-ÉCHANGE OU PROTECTIONNISME? un dilemme pour l'industrie papetière

· D'une manière générale, le libre-échange offre aux pays en voie d'industrialisation de meilleures perspectives que le protectionnisme. Il fait place à des produits moins chers et ouvre aux exportateurs des marchés plus larges, et par suite, des économies d'échelle aboutissant à une baisse des prix. La pression de la concurrence liée au libre-échange oblige les producteurs à être efficaces. Le protectionnisme, au contraire, fait monter les prix des produits protégés pour les utilisateurs - consommateurs individuels ou industriels - , ce qui désavantage la société tout entière et bouleverse encore plus les prix relatifs sur lesquels on se guide pour répartir les ressources.

On reconnaît depuis le siècle dernier la nécessité de protéger les jeunes industries jusqu'à leur maturité, mais cette protection est censée être temporaire et devrait cesser dès que l'industrie peut soutenir la concurrence. Dans la pratique, l'ennui c'est qu'une fois cette protection instaurée les intérêts en place s'opposent à sa suppression, au détriment de l'économie.

Comme dans les pays en développement l'industrie papetière n'a que peu de liens en amont et en aval avec le reste de l'économie, elle ne risque guère d'apporter des avantages appréciables aux autres industries ou de déclencher l'expansion d'autres secteurs. A moins de facteurs particuliers garantissant que les coûts initiaux élevés de cette activité à fort coefficient de capital, consommatrice d'énergie et à haut niveau de technologie (généralement importée) baisseront à mesure qu'elle grandira, l'abriter un rampart de protectionnisme contribuerait plus à appauvrir le pays qu'à l'enrichir. Si, toutefois, on opte pour le protectionnisme, le mieux est de le faire sous la forme d'une subvention directe qui ne fausse pas les prix relatifs. A défaut, des droits de douane sont préférables à des restrictions quantitatives, et une protection effective modérée et uniforme est préférable à des degrés élevés et variables de protection. Une analyse serrée des coûts et avantages, entreprise préalablement à l'installation d'une industrie et utilisant des prix qui reflètent exactement les coûts d'opportunité des facteurs de production et des produits dans la période initiale aussi bien qu'en régime de croisière, indiquera normalement si une protection est justifiée ou non.

Tout donne à penser que les pays qui ont adopté la politique de la porte ouverte, et exposé leur économie à la concurrence internationale, connaissent maintenant une meilleure croissance économique et ont une balance des paiements plus équilibrée que les pays qui ont opté pour le protectionnisme

Nous ne nous étendrons pas ici sur les pratiques commerciales illicites telles que le dumping, mais nous y ferons brièvement allusion, ainsi qu'à l'argument nouvellement avancé selon lequel le libre-échange perpétuerait le sous-développement dans le tiers monde - argument repris, semble-t-il, du motif invoqué au siècle dernier pour justifier le protectionnisme.

Les pays en développement, impatients de s'industrialiser, ont tendance à protéger leurs jeunes industries, convaincus que, si au début elles ne peuvent rivaliser avec les industries étrangères bien établies, elles y parviendront un jour. Le protectionnisme prend des formes variées, utilisées isolément ou en combinaison; à citer, entre autres, l'interdiction pure et simple d'importer, les contingentements, les taxations douanières, les taux de change spéciaux, les subventions directes et indirectes. En attendant que la jeune industrie devienne adulte et que la protection soit supprimée, l'économie du pays est perturbée, mais ce mal est toléré dans l'espoir qu'il sera plus que compensé par les avantages futurs qu'apportera ladite industrie: produits moins chers, création d'emplois, débouchés à l'exportation. Cependant, le préjudice que la protection cause aux exportations des partenaires commerciaux est très rarement pris en considération.

Le présent article plaide contre la protection en général, et en particulier lorsqu'il s'agit d'une industrie telle que celle de la pâte et du papier, qui est à forte intensité de capital, tributaire de technologies importées, et qui fait appel à des facteurs de production hautement spécialisés. Il n'est pas impossible certes qu'une industrie de pâte et papier nouvellement installée puisse un jour se tenir debout toute seule et devenir concurrentielle sans protection, mais je soutiens que c'est généralement improbable. Tout pays en développement qui envisage de protéger une industrie naissante avec la conviction qu'elle surmontera ses handicaps initiaux devrait voir si ses prix de revient pourront plus tard baisser suffisamment pour compenser les pertes subies pendant son «enfance». Faute de procéder ainsi, il doit se rendre compte qu'il s'engage dans une entreprise à perte, sans certitude de réaliser un jour des bénéfices. Il convient, avant d'encourager une telle activité, de réunir les conditions qui s'imposent et de proposer des mesures de protection qui reviennent le moins cher possible à la société durant les années de formation.

Libre-échange

Ce n'est pas un hasard si le libre-échange en tant que mouvement et doctrine a pris naissance en Grande-Bretagne pendant la première moitié du siècle dernier, après que la révolution industrielle a pris racine. Pour les économistes britanniques classiques le libre jeu des forces du marché constituait le moteur de nouveaux processus de production, conduisant à la spécialisation et à une plus forte productivité. Pourvoyant un marché plus large, les producteurs pouvaient réaliser des économies que la concurrence les obligeait à répercuter sur leurs partenaires commerciaux. Aussi, prônaient-ils volontiers la libre interaction des forces du marché, au plan tant intérieur qu'international.

La spécialisation parmi les nation commerçantes était considéré comme un facteur qui accroissait le compétences, permettait une plus grande division du travail et conduisait à une production à plus grande échelle, davantage d'économies et des coûts réduits. Le libre-échange garantissait la concurrence et forçai les moins bons à céder le pas au meilleurs, de sorte que les coûts et les prix baissaient, les marché s'élargissaient peu à peu et les produits parvenaient à un plus grand nombre de gens. Dès l'instant où cette expansion ne donnait pas naissance au monopolisée - éventualité à laquelle, de toute façon, l'Etat pourrait parer par la législation - , les avantages du libre-échange sautaient quasiment aux yeux. L'entra ver ne ferait que mener à l'inefficacité, au rétrécissement des marché et à une hausse des coûts, et renverser le processus d'expansion.

Cependant, les pays tard venus l'industrialisation firent bientôt observer que le libre-échange, te que préconisé par les pays déjà industrialisés, favoriserait toujours les industries établies par rapport aux nouvelles venues, lesquelles avaient peut-être en vérité un avantage relatif, qui ne se manifesterait qu'une fois qu'elles auraient commencé à produire. Comme elles seraient incapables de démarrer leur production et de la vendre face à la concurrence des industries plus anciennes et plus efficaces, l'Etat devrait provisoirement les protéger.

La protection des industries naissantes se caractérise essentiellement par son caractère temporaire, le principe étant qu'une fois l'industrie établie et parvenue à l'âge adulte à l'abri de ces barrières protectrices, ses prix de revient auront baissé suffisamment pour que l'on puisse retirer ces dernières et réinstaurer le libre-échange au profit de tous. Il ne s'agit donc en fait que d'une suspension momentanée des règles du jeu jusqu'à ce que les joueurs soient de nouveau à égalité dans la compétition.

Plus récemment, les principes de la spécialisation internationale associée au libre-échange ont été poussés encore plus loin. On a recherché les causes premières des avantages relatifs des protagonistes du marché, supputées jusque-là par les économistes, telles que leur richesse en ressources. Les pays tendent à se spécialiser dans des branches d'activité correspondant à leurs ressources. Le Brésil ou l'Argentine, par exemple, peuvent se concentrer sur l'élevage, l'Australie sur la production minière, les pays d'Extrême-Orient sur l'électronique, les pays scandinaves et l'Amérique du Nord sur les pâtes et papiers toujours en fonction de leurs ressources naturelles, parmi lesquelles figure aussi l'ingéniosité humaine, qui s'adapte auxdites ressources et les met en valeur. L'image de cette spécialisation évolue constamment avec la recherche incessante de nouvelles méthodes de production plus efficaces et sous la pression de la concurrence, ce qui amène les pays à ralentir ou abandonner d'anciennes activités de production pour d'autres. Il se crée ainsi une diversité entre pays et de nouvelles possibilités d'échangés commerciaux. Continuellement, des productions peu rentables cèdent le pas à des productions modernes qui rendent davantage, tandis que par le biais du libre-échange, les fruits de ce progrès se répartissent entre les pays commerçants, qu'ils soient acheteurs ou vendeurs.

TRIAGE DE VIEUX PAPIERS AU COSTA RICA: quel est l'effet stimulant pour l'économie ?

Tout donne à penser que les pays ayant adopté la politique de la porte ouverte, et exposé leur économie à la concurrence internationale, connaissent maintenant une meilleure croissance économique et ont une balance des paiements plus équilibrée que les pays qui ont opté pour le protectionnisme. Fermer la porte à la concurrence extérieure isole l'industrie nationale, la prive du bénéfice des idées nouvelles véhiculées par les relations internationales, et encourage chez les industriels nationaux des habitudes de pensée et des comportements qui les mènent en définitive à l'impéritie.

Production de pâte et papier

Dans sa forme moderne l'industrie papetière est une industrie de transformation qui requiert d'énormes capitaux par rapport aux emplois qu'elle crée. Essentiellement simple, le processus de production se divise en deux phases: la fabrication de la pâte et la transformation de la pâte en papier.

La première phase nécessite une base cellulosique, associée à des solvants chimiques et à la chaleur, afin de transformer la matière première en pâte à l'état semi-liquide, qui est ensuite blanchie, moulée et séchée pour donner divers produits papetiers. Cette phase, tributaire des disponibilités de bois à pâte ou autres matières premières fibreuses (bagasse, paille de riz, linters, autres matières végétales) qui sont généralement encombrantes et coûteuses à transporter, se situe autant que possible près de la source de matière première. Bien que pour préparer cette dernière certaines fractions non utilisables puissent être brûlées comme combustible, cette industrie consomme beaucoup d'énergie, celle-ci représentant à l'heure actuelle environ la moitié des coûts variables de fabrication.

Si l'on opte pour le protectionnisme, le mieux est de le faire sous la forme d'une subvention directe qui ne fausse pas les prix relatifs.

Il ne suffit pas de se fier à la croyance instinctive que, dès l'instant où un pays en développement sera familiarisé avec l'industrie de la pâte et du papier, les coûts baisseront automatiquement au cours des années.

La phase de fabrication du papier est tout aussi exigeante en capital et en énergie car elle est fortement mécanisée, et la technologie est dominée par les grandes usines établies depuis longtemps. A ce stade, l'investissement par emploi créé est normalement de l'ordre d'au moins 200000 dollars.

Pour des raisons pratiques, les deux phases de la fabrication sont intégrées, souvent dans un même bâtiment. Bien qu'il puisse paraître logique d'implanter les usines de pâte près des sources de cellulose et les papeteries à proximité des débouchés finals, procéder ainsi n'économiserait certainement pas les frais de transport. En outre, pour amener la pâte à la papeterie, il faudrait des traitements supplémentaires, nécessitant une énergie coûteuse pour sécher la pâte en vue du transport, et ensuite la liquéfier de nouveau avant de la transformer en papier; le coût en serait prohibitif. C'est pourquoi les usines de pâte et papier se situent d'ordinaire près des sources de bois à pâte dans les pays riches en forêts.

Il y a cependant moyen de fabriquer le papier loin des sources de matière première. On fabrique sou vent des papiers de qualités inférieures par recyclage de vieux papiers, avec des techniques plus simples qui sont généralement à forte intensité de main-d'œuvre. On peut aussi exploiter des sources locales de cellulose, soit seules, soit en mélange avec du papier recyclé. Une telle production est habituellement rentable et ne nécessite aucune protection de la part de l'Etat contre l'importation de produits rivaux. Par ailleurs, elle revient d'habitude peu cher en dépenses de transport et n'est que très rarement écoulée sur le marché international. Mais qui dit faible valeur du produit dit aussi faible valeur ajoutée, de sorte que la fabrication de ce type de papier, bien que profitable à l'économie du pays, ne lui apporte pas de gros bénéfices. La grande masse des papiers vendus sur le marché, même dans un pays en développement, est d'assez haute qualité, et ce type de papiers de basse qualité, quoique utile, ne représente généralement qu'une petite fraction de la consommation totale.

Démarrage. Un pays en développement qui essaie de meure sur pied une industrie moderne et intégrée de pâte et papier dans des conditions où il est moins cher d'importer le papier doit s'interroger sur le bien-fondé réel d'une telle démarche. S'il lui apparaît que les coûts de production ne seront élevés qu'au début et diminueront à la longue, il doit identifier et examiner avec soin les raisons de ces forts coûts initiaux et les facteurs d'amélioration ultérieure de la productivité. Il ne suffit pas de se fier à la croyance instinctive que dès l'instant où on se sera familiarisé avec l'industrie, les coûts baisseront automatiquement au cours des années. Il est à supposer que le pays concerné aura déjà - ou développera avec le temps - un marché assez important pour faire vivre une usine de la taille choisie. Les pays à population peu nombreuse et à faible revenu par habitant n'ont généralement pas un marché de la taille voulue pour entretenir une industrie viable, et il est souvent illusoire d'espérer exporter un produit qui déjà ne bénéficie que d'un débouché intérieur restreint. Mais même l'existence de débouchés, bien que nécessaire, n'est certainement pas suffisante. Avec un marché déjà en place, les perspectives de la nouvelle industrie seraient meilleures si elle disposait en outre de matières premières fibreuses locales, c'est-à-dire, pour bien faire, sous forme de bois à pâte de la qualité convenant à la technologie existante; mais il se peut que d'autres sources de cellulose soient plus ou moins exploitables, selon la qualité de papier fabriqué. Des cadres, des chimistes et des techniciens compétents, ainsi que des sources d'énergie, de la main-d'œuvre, des moyens de transport, des facilités de crédit et des installations d'entretien disponibles sur place constituent des avantages certains, sans lesquels un pays ne tirerait guère profit de «l'apprentissage par la pratique», en soutenant une industrie perdante au départ, dépourvue des éléments qui en général favorisent la productivité et réduisent les coûts.

Quiconque décide de protéger une industrie parce qu'elle est novice doit être bien conscient de ce qu'il en résultera inévitablement des pertes. Au nombre de celles-ci figurent non seulement la différence entre des importations bon marché et une production nationale coûteuse, mais également la pénalisation de la production, dans ce secteur comme dans d'autres, du fait des prix élevés résultant des distorsions introduites par la protection. S'il apparaît à l'évidence que ces pertes ne seront que temporaires et plus que compensées par les gains futurs, la protection se justifie; sinon il n'y a aucune raison pour protéger une industrie qui engendrera indéfiniment des pertes.

Les formes de protection

Une fois qu'une décision a été prise en toute connaissance de cause de créer une industrie de pâte et papier, qui sera déficitaire au départ mais rentable ensuite, l'analyse économique permet de dégager une série de règles propres à assurer une protection optimale. Pour des raisons d'efficacité, le meilleur moyen à cette fin est la subvention directe. Une subvention payée à une industrie nouvellement établie sur les fonds du Trésor public est en effet immédiatement reconnaissable et mesurable, de telle sorte que le coût de l'aide consentie à ladite industrie sera connu et soumis à révision périodique au moment de l'établissement du budget. De cette manière, la subvention peut être réduite par étapes à mesure que l'industrie grandit. Cette méthode offre un avantage en ce sens que les prix intérieurs ne sont pas modifiés par la protection; elle est donc meilleure que d'autres du point de vue de l'efficacité de la répartition.

A défaut, la protection doit prendre la forme de taxation douanière plutôt que de restrictions quantitatives, et le niveau des droits perçus doit être aussi bas que possible, être proportionné à la rentabilité et faire l'objet de révisions périodiques. Il y a en effet une tendance, dès l'instant où sont instaurés de tels droits, à les maintenir indéfiniment sous la pression politique des intérêts établis. Lorsque les coûts de production finissent par baisser et que les industriels peuvent faire des bénéfices sans protection, les barrières douanières n'ont plus de raison d'être.

Une autre règle procédant de l'analyse économique est que le niveau de taxation douanière appliqué ne doit pas trop s'écarter de celui des autres droits protectionnistes, car il convient autant que possible d'uniformiser les droits effectifs perçus sur tous les produits protégés. La notion de protection effective relie le montant des droits perçus non pas au prix du produit mais à la part de valeur ajoutée. Celle-ci étant, dans le cas de la production de pâte et papier, de l'ordre de 40 pour cent du prix du papier fini en vigueur sur le marché international, un droit de 20 pour cent perçu sur les papiers importés équivaut à une protection effective de 50 pour cent. En règle générale, il est bon que les niveaux de protection effective mesurés en prix internationaux soient, dans la mesure du possible, bas et convergents entre les différentes branches d'activités industrielles. La protection au moyen de droits de douane ou de restrictions quantitatives fait incontestablement monter les prix intérieurs, et par conséquent perturbe l'équilibre des prix relatifs résultant du jeu de l'offre et de la demande. A cause de cette «distorsion» les prix ne reflètent ni les besoins de la société ni les coûts de production, d'où une mauvaise répartition des ressources, qui revient cher.

Toute spéculation basée sur l'hypothèse que les coûts initiaux élevés de l'industrie feront place à des coûts plus bas et finalement rentables doit être attentivement examinée et discutée. On peut se demander si, dans le cas d'une industrie de transformation telle que celle de la pâte et du papier, la simple maîtrise du processus de fabrication a des chances de réduire les coûts et de relever la productivité. Cette industrie ayant peu de liens en amont et en aval avec d'autres industries, son expansion peut éventuellement donner naissance à des activités connexes et engendrer ainsi des économies externes de production. En réalité, il y a beaucoup plus de probabilités pour que, une fois l'usine installée, on se heurte à des difficultés par manque d'expérience des machines, insuffisance d'entretien, pénurie de pièces de rechange ou d'ingrédients essentiels, ou encore tout simplement mauvaise gestion. L'assertion que la nouvelle industrie surmontera ses difficultés initiales et tiendra debout toute seule, alors qu'elle en est incapable au départ, devra s'étayer sur de solides preuves. Si ces dernières ne peuvent être fournies, il vaut mieux s'abstenir carrément de donner suite au projet, car on n'aurait aucun intérêt à créer une activité qui ne ferait que drainer perpétuellement l'économie.

Je sais bien que les cours internationaux des produits tout comme des biens d'équipement, qui devraient servir de fondement aux décisions d'investissement et autres des pays en développement, ne reflètent pas toujours le libre jeu des forces du marché, qu'ils sont aussi la résultante d'indivisibilités et d'éléments de monopole, et sont souvent sujets à des fluctuations, voire à des manipulations artificielles telles que la pratique du dumping. De telles imperfections, lorsqu'elles existent, doivent être prises en compte dans les calculs faits à l'appui de la politique de protection avant d'arrêter cette dernière. Mais si imparfaits que soient les marchés internationaux, ils offrent souvent à ceux qui y participent la possibilité de réaliser des gains par les échanges commerciaux.

Un autre point qui mérite mention est l'opposition tapageuse, de la part de certains milieux, au principe du libre-échange, même lorsque les cours internationaux traduisent un avantage comparatif réel. La spécialisation internationale entre partenaires inégaux, soutient-on, conduirait à perpétuer le sous-développement des pays du tiers monde et les obligerait à rester éternellement cantonnés dans les activités primaires. Comme solution de remplacement au libre-échange, ces milieux proposent l'isolement économique - lequel n'est guère propre à favoriser la croissance des petits pays - et l'intensification des échanges entre pays en développement. Cette solution, bien que bonne en théorie, risque en pratique d'avoir une portée et des avantages limités. En l'examinant de plus près, on s'aperçoit qu'elle ne fait en réalité que reprendre les arguments protectionnistes du dix-neuvième siècle contre le libre-échange.


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