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La participation populaire: Clef du succès

Y.S. Rao

Y.S. Rao est fonctionnaire régional (économie forestière) au Bureau régional de la FAO pour l'Asie et le Pacifique à Bangkok, Thaïlande. La présent article est une adaptation d'une étude présentée à l'atelier régional sur la foresterie communautaire qui a eu lieu à Korat, Thaïlande, du 22 au 29 août 1983 Cette étude a été publiée par la FAO, le PNUD et l'institut de l'environnement et des politiques du East-West Center, Honolulu, Hawaï, Etats-Unis, sous le titre Community forestry: some aspects, dans les actes du séminaire parus en 1984

L'aménagement forestier était autrefois exclusivement une affaire de protection et de production. La notion de foresterie communautaire ou sociale commence à lui conférer aujourd'hui une importante dimension sociale. Dans le présent article, Y.S. Rao donne une définition claire et succincte de la foresterie communautaire, décrit les conditions nécessaires à son succès et examine les contraintes auxquelles elle se heurte actuellement. Selon lui, la foresterie sociale exigera une restructuration radicale des politiques, pratiques et institutions forestières traditionnelles.

Depuis toujours, les forêts sont l'une des plus importantes sources de richesses renouvelables pour l'homme. Elles remplissent un rôle crucial en maintenant l'équilibre écologique entre le sol, l'eau, la flore et la faune, dont dépend la vie telle que nous la connaissons. Ce rôle naturel de la forêt est souvent appelé rôle de protection. Par ailleurs, les forêts produisent le bois nécessaire à de nombreuses activités industrielles, dont dépend la survie économique de l'homme. Les gouvernements les exploitent depuis longtemps pour accroître les recettes du Trésor public ou pour gagner des devises. C'est là le rôle de production des forêts.

Traditionnellement, l'aménagement forestier était fondé sur les fonctions de protection et de production des forêts naturelles. Les considérations biologiques, techniques et macro-économiques primaient tout. Dans ces conditions, l'aménagement forestier était généralement orienté vers les objectifs suivants:

· Créer une «barrière juridique» entre le public et les forêts. La réglementation et la surveillance du domaine forestier étaient devenues une obsession.

· Fixer des objectifs de production commerciale de grumes et accroître la production forestière sans se demander qui en profiterait.

· Maximiser les bénéfices immédiats. Le principe du rendement soutenu était plus souvent préconisé qu'appliqué, ce qui entraînait une érosion graduelle des ressources forestières elles-mêmes.

· Appliquer dans le domaine forestier de l'Etat des stratégies et des programmes élaborés par l'administration publique sans consulter la population.

· Avoir recours à la population exclusivement en tant que source de main-d'oeuvre salariée, sans tenir compte du rôle qu'elle peut jouer pour protéger les ressources forestières.

Cette optique pouvait sans doute se justifier quand la densité démographique était faible, que la société n'avait pas encore adopté les valeurs de l'équité et de la justice et que les biosystèmes dominaient l'homme et la société et non pas l'inverse. Mais, à mesure que diminuaient les ressources et que croissaient les populations locales qui traditionnellement tirent de la forêt des produits très divers, les anciens systèmes d'aménagement ont peu à peu cessé d'être valables. Leur maintien a donné un sentiment d'aliénation aux habitants de la forêt et des zones voisines, qui ne voyaient pas comment les programmes forestiers pouvaient leur être utiles. Jour après jour, des grumiers traversaient leurs villages pour aller livrer leurs chargements aux industries des villes ou aux exportateurs. Cette exploitation était sans aucun doute rentable, mais elle ne laissait aux populations locales pour leurs besoins quotidiens qu'une forêt très appauvrie, incapable de protéger leur agriculture et de produire ce dont elles avaient besoin pour survivre

Depuis quelques années, le rôle social des forêts mobilise l'attention internationale, particulièrement dans la région Asie-Pacifique. On reconnaît maintenant la nécessité d'intégrer le rôle social de la forêt à ses fonctions de protection et de production. Le principe selon lequel la foresterie doit être au service du développement est désormais largement accepté.

La notion de foresterie communautaire

Plusieurs gouvernements de la région Asie-Pacifique cherchent, plus particulièrement depuis une dizaine d'années, à mettre au point des programmes de «foresterie communautaire» ou «foresterie au service des collectivités locales» ou «foresterie sociale». En 1978, la FAO a donné une définition de cette nouvelle notion de foresterie communautaire: il s'agit de tous les cas dans lesquels les populations locales sont étroitement associées à une activité forestière. Cela peut aller des plantations de village destinées à satisfaire les besoins locaux dans les zones pauvres en bois et en produits forestiers à la culture d'arbres à la ferme, en passant par la transformation artisanale des produits forestiers, les petites industries du bois destinées à créer des revenus et les activités des habitants de la forêt. La foresterie industrielle de grande échelle et toutes les activités qui ne contribuent au développement communautaire que par l'emploi et les salaires qu'elles fournissent sont exclues de cette définition, mais non pas les industries forestières locales ni les activités forestières publiques au niveau de la communauté. La foresterie communautaire est potentiellement compatible avec tous les types de régimes fonciers.

La foresterie communautaire est potentiellement compatible avec tous les types de régimes fonciers.

Le postulat selon lequel le progrès technique se propagerait automatiquement et atteindrait même les groupes ruraux les plus pauvres s'est révélé erroné.

Au cours des années, la gamme d'activités relevant de la foresterie communautaire s'est beaucoup élargie. Depuis un certain temps, les forestiers ne se limitent plus à intervenir dans les forêts réservées, mais cherchent à créer des peuplements dans les zones qui manquent de bois et d'autres produits fores tiers. Ils empiètent sur les zones traditionnellement agricoles et cherchent à trouver de la terre pour les arbres à côté des cultures de plein champ. Ils envahissent le centre des villes et plantent des arbres dans tous les espaces libres, s'efforçant de créer une «interface ville-campagne». Ils cherchent à établir une association population-arbres. Plus que jamais, ils pratiquent leur profession à proximité de la grande majorité de la population.

Les conditions du succès

La foresterie communautaire est pratiquée dans des contextes très différents. L'analyse des points communs suggère un certain nombre de conditions nécessaires ainsi qu'un certain nombre de contraintes. Les systèmes forestiers destinés aux communautés rurales n'ont guère de chances de succès si les populations concernées ne sont pas persuadées de leur utilité. Elles doivent percevoir l'intérêt que présentent pour elles les activités envisagées et en tirer des avantages suffisants pour justifier leur participation. Parmi les conditions indispensables, citons:

· l'engagement politique;
· l'évaluation des besoins ruraux;
· le choix de solutions techniques adéquates;
· un système de stimulants;
· l'existence d'institutions rurales appropriées;
· l'existence d'organisations de soutien;
· un réseau de vulgarisation;
· le soutien de la recherche.

Engagement politique. Les activités forestières au service des collectivités rurales varient énormément selon les idéologies et les ressources de chaque pays, son modèle de société et sa situation géographique. Mais certaines considérations sont valables pour la plupart des pays. Premièrement, il faut que le gouvernement soit fermement résolu à travailler au développement du secteur rural, et en particulier des zones où la population est très pauvre. Comme l'a souligné la Conférence mondiale sur la réforme agraire et le développement rural (1979), il pourra être nécessaire à cette fin de redistribuer les ressources en faveur des zones rurales. Deuxièmement, il faudra peut-être limiter dans une certaine mesure la propriété par des lois réglementant les régimes fonciers. Troisièmement, il est indispensable que les ruraux participent pleinement au développement forestier et que les programmes soient élaborés en aval et non pas imposés en amont. Enfin, comme la foresterie est une entreprise de longue haleine, elle exige un engagement à long terne.

Evaluation des besoins ruraux. Il faut tout d'abord identifier les besoins de la communauté en la consultant directement et déterminer ce qui est possible dans l'environnement existant. Il faut satisfaire les besoins de façon à assurer des avantages maximaux au plus grand nombre possible de personnes.

Il sera nécessaire de faire une enquête dans la zone où l'on envisage d'intervenir. Cette zone devra être une unité bien définie, par exemple un bassin versant ou un groupe de villages. L'enquête te portera sur l'environnement physique et biologique - climat, sol, végétation, utilisation des terres; sur les forêts et ressources forestières existantes; sur la consommation, la demande et le marché du bois; enfin, sur la communauté elle même: systèmes sociaux, régimes fonciers, habitudes alimentaires, etc. La population devra participer au maximum à cette enquête.

Le bois de feu étant un produit de première nécessité pour les communautés rurales, une partie importante de l'enquête doit lui être consacrée. Il faut par ailleurs déterminer de quelle façon la population rurale utilise les autres produits forestiers: fruits, graines, noix, produits comestibles des palmiers, champignons, miel, gibier, fourrage. Il faut en outre recenser les activités forestières qui fournissent de l'emploi ou des revenus: gemmage, de soie tussah, collecte de graines, de gousses ou d'écorce pour la production de tanin, cueillette d'autres parties des arbres destinées à des usages médicinaux ou industriels.

AU TRAVAIL DANS UN PROJET DE FORESTERIE COMMUNAUTAIRE il faut faire participer les populations à toue les stades

Solutions techniques appropriées. A certains égards, les solutions forestières traditionnelles souffrent d'un excès d'orthodoxie. Conçues par des techniciens, elles sont imposées de façon dictatoriale ou paternaliste. Le forestier oublie trop souvent que les ruraux se rendent bien compte de la complexité de leurs problèmes. Leur attitude est parfois plus interdisciplinaire que celle des savants, même si elle n'est pas à proprement parler scientifique. D'où la nécessité d'élaborer des solutions techniques avec les populations et non pas pour elles.

On devra chercher à modifier le moins possible les pratiques habituelles d'utilisation des terres et à aménager la terre de façon à produire divers assortiments de plantes, en associant les arbres aux cultures vivrières. Les réalisations de la Perum Perhutani à Java sont un exemple intéressant des premières tentatives de foresterie communautaire dans lesquelles de nouvelles pratiques d'utilisation intensive des terres ont fourni une contribution importante à l'aménagement. Il a été prouvé qu'il est possible d'associer avec succès l'agriculture à la foresterie, de produire en forêt du fourrage pour le bétail et de combiner la production de bois de feu avec la sériciculture et l'apiculture.

Les grands principes à suivre pour choisir des solutions techniques appropriées dans la foresterie communautaire sont énoncés ci-dessous.

1. Quand il y a une concurrence pour les terres forestières:

· intercaler arbres et cultures de subsistance ou de rente;

· répartir de façon rationnelle la terre forestière entre les arbres et les autres cultures;

· maximiser les avantages fournis aux communautés forestières - emploi dans la forêt ou les industries forestières, revenus tirés des produits forestiers secondaires, etc.

2. Quand l'agriculture et l'élevage sont en concurrence avec les arbres et qu'on manque de terres à boiser

· planter des arbres au bord des routes et des rivières, aux limites des champs et sur toute autre terre peu propice à la production agricole, ainsi que dans les zones sujettes à l'érosion et qui ne se prêtent pas au labour ni au pâturage;

· améliorer la productivité des meilleures arables afin de libérer des terres pour les arbres;

· planter des essences polyvalentes ou des mélanges d'essences pour accroître la productivité;

· intercaler entre les arbres d'autres cultures ou associer la plantation d'arbres au pâturage;

· introduire de nouvelles activités lucratives (par exemple l'apiculture).

3. Quand la production des arbres est insuffisante pour satisfaire les besoins immédiats:

· planter des essences polyvalentes ou des mélanges d'essences qui donnent assez vite une production rentable;

· fournir un soutien financier pendant la période d'établissement: crédit à faible taux d'intérêt, subventions, primes, emplois salariés, etc.;

· introduire ou développer des sources complémentaires de revenus;

· adopter des systèmes forestiers tels qu'il n'y ait pas de concurrence pour la main-d'oeuvre en périodes de pointe;

4. Quand il n'y a pas de tradition forestière ou que les populations intéressées n'ont pas l'habitude des techniques appropriées:

· donner des conseils et un appui par divers moyens: vulgarisation, éducation, conseils techniques et fourniture de facteurs de production, formation au ras du sol, démonstrations.

Les problèmes rencontrés quand on cherche à mette la foresterie au service des communautés rurales sont beaucoup moins d'ordre technique que d'ordre institutionnel, social et politique.

Système d'encouragements. La nécessité impérieuse de subsister au jour le pur empêche les ruraux d'investir dans des activités qui ne sont rentables qu'au bout de plusieurs années. Il faut donc trouver le moyen d'assurer des revenus à la communauté en attendant l'âge d'exploitabilité des arbres. On peut soit fournir un soutien extérieur sous forme de salaires ou d'autres paiements en espèces (comme cela se fait par exemple au Gujarat, en Inde), soit avoir soin de planter des essences polyvalentes ou des mélanges d'essences qui donnent dés la première année des produits vendables tels que fourrage ou fruits.

Une autre possibilité consiste à introduire dans la collectivité de nouvelles sources de revenus en même temps que les activités forestières. On peut également fournir un crédit direct. Toutefois, la plupart des pays en développement ont une expérience du crédit rural directement lié aux cultures vivrières et de rente, mais n'ont aucune habitude du crédit destiné à des activités aussi peu traditionnelles que la ligniculture Il faudra mettre au point des mécanismes qui permettraient d'accélérer le crédit aux ligniculteurs.

Au premier stade d'une plantation, primes et subventions incitent les petits paysans à assumer le coût du défrichement et de la préparation du terrain. On peut en outre les exonérer des taxes forestières, droits fonciers, redevances pour l'eau d'irrigation et autres charges fiscales. Il conviendrait aussi d'accorder des abattements fiscaux à ceux qui investissent en milieu rural, de façon à accroître l'emploi dans le secteur rural.

Autre stimulant: le partage du produit. La communauté fournit la terre et la main-d'oeuvre, tandis que le service forestier ou une société privée fournit les plants, les engrais et l'assistance technique. A la récolte, le produit est partagé au prorata des apports de chaque participant.

Il y a encore d'autres stimulants: fourniture de semences et plants gratuits (y compris le transport); fourniture d'outils manuels pour la plantation, d'engrais ou d'aide alimentaire (comme le fait le Programme alimentaire mondial dans de nombreux pays); enfin, services médicaux gratuits, réseaux de distribution de l'eau ou matériaux de construction.

Outre ces mesures axées directement sur la plantation des arbres, il faut des investissements sociaux pour aider les ligniculteurs vivant loin des villages traditionnels: construction de routes de village et de réseaux d'irrigation, établissement d'écoles, de coopératives, de dispensaires, etc. Ces infrastructures sociales ont le double avantage d'aider les ligniculteurs et d'intégrer la foresterie communautaire au développement des autres secteurs. La promotion d'artisanats associée à la ligniculture, à l'agriculture et à la sériciculture permet aussi d'accroître les revenus et l'emploi ruraux au moyen de programmes intégrés, pour le plus grand bien de la communauté.

La structure de la consommation dans les sociétés rurales n'est pas très favorable au développement d'un marché basé sur l'offre et la demande, si bien que le bois de feu, les poteaux, le fourrage, les fruits et les graminées ramassés gratuitement dans les forêts communautaires sont uniquement consommés ou utilisés sur place et ne sont pas mis en vente, même s'il y a une demande ailleurs. Il serait essentiel de mettre au point des systèmes de commercialisation novateurs, pour permettre aux villageois de vendre à des prix rémunérateurs leur production excédentaire.

Institutions rurales. On connaît mal les lois sociologiques qui régissent l'acceptation et la diffusion des innovations techniques. Le postulat selon lequel le progrès technique se propagerait automatiquement et atteindrait les groupes ruraux les plus pauvres s'est révélé erroné.

Le développement rural doit passer par les institutions existantes, mais celles-ci sont parfois un obstacle au progrès. Elles peuvent par exemple représenter plutôt les intérêts des riches que ceux des pauvres. D'où la nécessité d'encourager la constitution de nouvelles organisations locales. Les associations d'agriculteurs, comme celles qui existent en République de Corée, et les organisations non gouvernementales peuvent jouer un rôle important. Il convient donc de les faire participer dès les premiers stades.

Il ne faut pas oublier l'apport que les industries forestières peuvent fournir à la foresterie communautaire. Lorsque cette dernière est introduite à des fins lucratives, l'industrie peut directement appuyer les programmes forestiers locaux en assurant des débouchés et en fournissant un soutien technique, comme cela a été le cas aux Philippines. Elle peut y être incitée par des abattements fiscaux ou des crédits.

Le régime foncier existant a beaucoup d'influence sur l'attitude des populations locales à l'égard des forêts qui les entourent et de la foresterie communautaire. Dans certains cas, il faudra réexaminer et modifier les régimes forestiers pour les encourager à participer davantage à la gestion et à l'utilisation des forêts. Quand on manque de terres pour la foresterie communautaire, une formule de propriété communale ou coopérative peut être une solution. Dans un certain sens, le système chinois des communes, brigades et équipes de production présente tous les éléments essentiels d'un modèle de propriété communale et coopérative assurant une répartition équitable du produit de la terre et des revenus. Les coopératives forestières pourraient être constituées au niveau d'un village ou d'un groupe de villages ou de groupes de fermiers et de propriétaires forestiers. Elles pourraient avoir pour principal objectif la plantation d'arbres et l'exploitation du produit forestier, mais elles pourraient également étendre leurs activités à la transformation et à la commercialisation pour maximiser les bénéfices de la communauté.

Il faut que le gouvernement soit fermement résolu à travailler au développement du secteur rural, et en particulier des zones où la population est très pauvre.

Organisation de soutien. Il faudrait une modification radicale des attitudes, des méthodes de formation et de la structure du personnel forestier, afin d'orienter les activités en fonction des besoins et des aspirations de la communauté rurale. Dans certains cas, il faudra créer à divers niveaux de l'administration forestière des services spéciaux chargés de la foresterie communautaire, de la vulgarisation et de la formation, et étoffer le personnel pour permettre des contacts fréquents au niveau du village. Il faudra évaluer avec soin les besoins de personnel et notamment de spécialistes de disciplines autres que la foresterie (par exemple de sociologues). N'oublions pas que les problèmes rencontrés quand on cherche à mettre la foresterie au service des communautés rurales sont beaucoup moins d'ordre technique que d'ordre institutionnel, social et politique. La promotion de la foresterie communautaire exige donc tout d'abord une formation et une éducation propres à modifier l'attitude de l'administration et la mise en place d'un cadre institutionnel facilitant les communications avec les ruraux.

Les structures institutionnelles et administratives existantes se sont révélées inadéquates pour ces nouveaux objectifs. Dans l'ensemble, les systèmes d'éducation forestière ont formé d'excellents techniciens. Mais pour promouvoir la nouvelle approche socio-économique, les forestiers devront associer à leur formation technique une formation sociologique.

Etant donné l'ampleur des programmes de foresterie communautaire nécessaires pour répondre aux besoins des ruraux, l'Etat devra tôt ou tard transférer une partie de la responsabilité de l'aménagement aux collectivités rurales. Il faudra donc donner à des notables ruraux des notions de foresterie sociale au moyen de programmes de formation faisant appel à des stages, des visites sur le terrain, des démonstrations pratiques et des documents soigneusement rédigés.

Réseau de vulgarisation. Pour la foresterie communautaire, le personnel, et en particulier le personnel de terrain, n'a pas besoin d'en savoir autant que les forestiers traditionnels dans des domaines tels que la sylviculture et le génie forestier, mais il doit en savoir beaucoup plus en matière de sociologie et de vulgarisation, par exemple. Il peut donc, dans bien des cas, se passer d'une formation forestière classique, et les postes de foresterie communautaire devraient être pourvus par des vulgarisateurs connaissant bien la société rurale, éventuellement après un stage sur les techniques de plantation. Les vulgarisateurs doivent faire fonction de messagers, transmettant les innovations aux agriculteurs et faisant également connaître aux chercheurs les problèmes des paysans.

ENFANTS DANS UN VILLAGE FORESTIER DE THAÏLANDE le foresterie peut construire un avenir meilleur

Un programme de foresterie communautaire doit donc prévoir l'élaboration de matériel de vulgarisation et mettre les vulgarisateurs au courant des essences, du matériel et des techniques appropriés. Lorsque ce type d'informations manque, le programme devra chercher à les obtenir.

Soutien à la recherche. Dans un programme de foresterie communautaire, qui progresse et s'adapte sans cesse en fonction de l'évolution des besoins, des idées et des situations, la recherche a une fonction de toute première importance. Les domaines pertinents pour la foresterie communautaire sont notamment les suivants: sociologie, introduction d'essences, amélioration des sols, systèmes agronomiques et sylvicoles, systèmes associant à long terme l'agriculture et la foresterie, systèmes sylvopastoraux, utilisation des produits, identification de nouvelles sources de revenus, développement des techniques, économie de la production et conservation des sols et des eaux

Contraintes

La contrainte la plus évidente est l'incompatibilité entre la longue période de gestation des activités forestières et les priorités des ruraux pauvres qui, naturellement, cherchent avant tout à produire de quoi survivre au jour le jour, et peuvent difficilement consacrer la terre, le travail et les autres ressources dont ils ont besoin pour se nourrir, se chauffer et gagner de l'argent à la production d'un bois qui ne sera disponible qu'au bout de nombreuses années. La foresterie ne peut être maintenue ou introduite au niveau des communautés que si elle est compatible avec les besoins réels des ruraux pauvres dans l'immédiat.

Dans de nombreux pays, la foresterie n'a encore trouvé sa place ni dans les programmes de développement rural intégré, ni dans les projets de développement communautaire. Les forêts et leurs effets bénéfiques sur l'environnement sont souvent considérés comme acquis une fois pour toutes, et l'on ne fait pas d'efforts délibérés pour développer la foresterie en tant qu'utilisation des terres profitable pour les communautés locales. La plupart des systèmes actuels d'utilisation des terres sont orientés exclusivement vers la production de nourriture. La monoculture destinée à produire des vivres et un peu d'argent règne presque partout. Ce sont les terres impropres aux cultures vivrières ou de rente et impossibles à irriguer qui sont réservées au développement forestier. Elles sont généralement éloignées des habitats humains et dépourvues d'infrastructures sociales. Il n'est pas toujours facile d'obtenir des organismes nationaux ou locaux responsables du développement qu'ils déplacent ou étendent leur domaine d'intervention pour incorporer la foresterie dans leurs activités.

Une autre grave contrainte tient à l'insécurité de l'occupation des terres. Si les paysans ou la communauté ne sont pas certains que les arbres leur appartiendront encore lors de l'exploitation, pourquoi coopéreraient-ils? Dans bien des cas, il est difficile d'introduire la foresterie avant d'appliquer une réforme radicale des régimes fonciers et de modifier l'utilisation des terres.

L'absence d'une tradition d'aménagement forestier contraste dans la plupart des pays en développement avec une tradition agricole solidement établie.

Même là où on manque de produits de première nécessité, tels que le bois de feu ou les poteaux de construction, les populations restent parfois hostiles aux forêts qui abritent des oiseaux nuisibles et d'autres animaux prédateurs des récoltes. Cette attitude, héritée de l'époque où les forêts étaient abondantes, n'est pas favorable à l'aménagement forestier. Les ruraux ne peuvent guère se rendre compte des résultats de la destruction des forêts avant d'en souffrir concrètement. Il est donc difficile de les convaincre de l'utilité de l'aménagement forestier, et cela exige souvent une modification radicale des attitudes et des comportements.

S'ils ne veulent pas faire appel à la coercition, les promoteurs du développement doivent jouir de la confiance de la population et faire preuve d'une grande ouverture d'esprit à l'égard des modes de vie traditionnels. D'autres contraintes tiennent aux structures des administrations qui doivent intervenir dans le changement: procédures trop rigides, interprétation trop stricte des règles, arrogance des bureaucrates, formation insuffisante des subalternes. En outre, la responsabilité du développement rural est trop souvent dispersée entre plusieurs organismes mal coordonnés.

ENFANTS DANS UN VILLAGE FORESTIER DE THAÏLANDE le foresterie peut construire un avenir meilleur

L'aménagement forestier classique, axé sur la protection et la production de bois destiné à l'industrie, ne correspond guère aux besoins des ruraux pauvres. Or, la structure, le personnel et les priorités budgétaires des administrations forestières, ainsi que la formation des forestiers, ont été conçus pour cet aménagement classique. Si l'on veut que les forêts contribuent à améliorer le sort des ruraux pauvres, il faudra une réorientation radicale de toute la discipline forestière, depuis ses fondations techniques jusqu'aux politiques elles-mêmes.


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