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L'aspect social des contrats d'exploitation forestière

Richard D. Pardo

Richard D. Pardo est spécialiste de la législation et des politiques forestières. Il travaille dans la Division des ressources forestières (Département des forêts) de la FAO, à Rome.

FLOTTAGE DES GRUMES EN CHINE comment faire pour assurer aux populations locales au moins une parée des profits?

Autrefois, il arrivait souvent que des sociétés étrangères ouvrent un chantier dans un pays en développement, enlèvent le bois et s'en aillent. Cette exploitation ne rapportait pas grand-chose aux populations locales, qui parfois même y perdaient une bonne partie de leur patrimoine. Mais, à notre époque, de plus en plus de gouvernements veillent à ce que les populations locales bénéficient des contrats d'exploitation forestière passés avec des sociétés nationales ou étrangères. Le présent article décrit les lois récentes adoptées dans ce domaine par les pays en développement et signale les clauses qui devraient figurer dans tous les contrats.

Dans de nombreux pays en développement, et en particulier dans ceux où les forêts sont en majeure partie domaniales ou placées sous la tutelle de l'Etat, les forêts sont exploitées dans le cadre de divers types de contrats passés entre le gouvernement et la société exploitante. Ces contrats peuvent prendre diverses formes: concessions, licenses d'exploitation, etc.

Dans les premiers temps du développement forestier, les gouvernements aliénaient souvent le bois de vastes forêts domaniales en vertu d'instruments juridiques simples, qui octroyaient à des sociétés forestières étrangères des droits d'exploitation apparemment illimités en échange de redevances de loin inférieures à la valeur du bois emporté, et ce presque sans tenir compte des conséquences de cette exploitation pour les ruraux (Leslie, 1980). Cela était dû en partie à la persistance des politiques d'exploitation coloniale et en partie au manque de capitaux, de compétences et d'expérience des gouvernements eux-mêmes.

Les temps ont changé. Les gouvernements ont acquis de l'expérience et savent maintenant utiliser de façon beaucoup plus subtile les contrats d'exploitation forestière. De nombreux pays ont passé ou étudient des lois, règlements et contrats d'exploitation forestière, qui sont de véritables outils au service du développement économique et social et non plus de simples autorisations d'enlever tout ce qu'il y a de bon en vue d'un profit immédiat.

Un aspect commun de la plupart de ces nouveaux textes est la prise de conscience des besoins des ruraux qui vivent dans les zones à exploiter ou à proximité, qui dépendent des produits et services de la forêt et dont la vie quotidienne est étroitement liée à l'environnement forestier. Autrefois, leurs intérêts n'étaient pas pris en compte ou étaient à peine mentionnés, dans l'idée qu'ils bénéficieraient automatiquement d'une utilisation économique du bois. Mais, trop souvent, les bénéfices économiques qui leur parvenaient étaient de loin inférieurs aux bénéfices intangibles qu'ils perdaient: droits coutumiers d'usage, modes de vie traditionnels, utilisation directe des ressources.

Pour qu'une politique d'exploitation forestière puisse véritablement améliorer le sort des ruraux les concessions ne doivent être accordées que si les cinq conditions ci-dessous sont réalisées:

· mise en place d'infrastructures pour les populations rurales (écoles, routes, adduction d'eau, équipement sanitaire);

· reconnaissance et sauvegarde des droits coutumiers d'usage;

· participation des ruraux aux entreprises forestières;

· programmes d'utilisation des terres après l'exploitation (agriculture, reboisement, pâturage, etc.);

· participation des populations à la planification des programmes de développement forestier influant sur leur mode de vie.

Le présent article passe en revue certaines des tendances récentes dans la législation, les règlements et les pratiques forestières adoptés en ce qui concerne ces cinq domaines importants des concessions et de l'exploitation forestières.

Infrastructure

Routes. L'un des moyens les plus directs d'améliorer le sort des populations qui vivent dans les grandes concessions forestières ou à proximité est de leur fournir les services et les équipements dont elles manquent.

Les forêts sont souvent dépourvues de routes ou desservies par un réseau routier primitif et fréquemment impraticable. Leur exploitation nécessite des routes capables de supporter la circulation des grumiers. Ces routes peuvent, en même temps, permettre d'atteindre des marchés précédemment inaccessibles aux villageois et aux ruraux isolés, leur donnant ainsi de nouveaux débouchés pour leur production agricole, artisanale et forestière (miel, champignons, bois de feu).

Les routes facilitent aussi l'accès à des emplois non agricoles, aidant ainsi à combattre le grave fléau du chômage rural. Beaucoup de familles rurales, même parmi celles qui ont accès à des terres agricoles, ont besoin de revenus d'appoint pour avoir un niveau de vie adéquat. Les planificateurs savent maintenant que la création d'emplois non agricoles dans des industries rurales (y compris des entreprises forestières) est un élément indispensable du développement rural. Mais pour atteindre les lieux de travail, il faut des routes, que les routes aient ou non été construites principalement à l'intention des populations locales, celles-ci les utiliseront de toute façon. C'est un fait dont il faut tenir compte en dessinant le réseau routier, qui, autant que possible, devra répondre à la fois aux besoins des populations locales et à ceux de l'entreprise forestière. Par exemple, si deux itinéraires sont possibles pour atteindre la concession, il faudra, toutes choses étant égales par ailleurs, choisir le plus commode pour la population.

Les conditions dans lesquelles le public est admis à utiliser les routes devront être déterminées à la suite de consultations entre les pouvoirs publics, le concessionnaire et les intéressés, et devront être stipulées dans le contrat de concession. Pour des raisons de sécurité, il peut en effet être nécessaire de fermer au public pendant certaines périodes les routes forestières où circulent les grumiers. Les interdictions ont plus de chances d'être respectées si les populations locales sont consultées et averties dès le stade de la planification.

De nombreux pays adoptent des lois modernes sur les concessions d'exploitation forestière, qui sont de véritables outils au servi ce du développement économique et social et non plus de simples autorisations d'enlever tout ce qu'il y a de bon en vue d'un profit immédiat.

On peut en outre envisager des dispositions privilégiant les riverains. Aux Fidji, par exemple, un contrat de concession typique prévoit un péage pour les véhicules commerciaux lourds, ««à l'exception de ceux qui transportent des produits de la terre provenant de la zone de la concession». Les producteurs locaux peuvent donc utiliser gratuitement la route pour livrer leurs produits aux marchés.

Il est connu que les paysans sans terre et les agriculteurs itinérants ont tendance à défricher des parcelles au bord des routes forestières. Il faut prévoir cette éventualité et, avant d'accorder la concession, arrêter les mesures à prendre pour y parer. S'il s'agit d'une forêt réservée, ce défrichement est illégal selon les termes de la plupart des lois forestières existantes. Mais la construction de la route crée une possibilité alléchante dont les paysans affamés de terre tireront très vite parti malgré la loi. Il n'est pas rare de voir des paysans sans terre suivre les équipes de topographes qui font les levés avant l'ouverture du chantier, afin de repérer d'avance les meilleures terres à mettre en culture. Si l'on prévoit un afflux massif de paysans en quête de terre, c'est qu'en général il y a une grave pénurie de celle-ci. En tel cas, le mieux est parfois de reconnaître cette pénurie et de satisfaire les besoins, même s'il faut pour cela allouer des droits d'usage dans des zones prédéterminées propres aux cultures agricoles, plutôt que de chercher en vain à interdire le défrichement. Pour cela, il peut être nécessaire d'amender la loi fondamentale sur les réserves forestières.

Services. Un approvisionnement suffisant en eau de bonne qualité est aussi un besoin prioritaire de nombreux villages, de même qu'un équipement sanitaire et des écoles. Dans des pays de plus en plus nombreux, les gros concessionnaires industriels sont tenus de fournir ces équipements dans le cadre du contrat de concession forestière.

Dans certains cas, c'est le concessionnaire lui-même qui doit construire les équipements nécessaires, les services étant fournis par les administrations compétentes (éducation, santé publique, hygiène, etc.). Dans d'autres cas, le concessionnaire verse une redevance - généralement calculée en fonction du volume de bois à enlever - qui est utilisée par l'Etat ou par l'administration locale pour fournir les équipements et services voulus.

Par exemple, aux termes d'un contrat standard utilisé en Indonésie pour les grandes concessions, le concessionnaire doit construire un lieu de culte, mettre en place un réseau de communications pour l'administration locale, électrifier les villages, participer aux aménagements d'urbanisme et à la construction de logements à bon marché, fournir des services médicaux à ses employés et les mettre à la disposition des autres habitants de la zone à bas prix, et construire des écoles.

En République du Cameroun, la loi prescrit que les concessions d'exploitation forestière soient assorties d'une contribution pour les services et équipements sociaux. La contribution est fixée chaque année par la loi de finance et revient en totalité aux conseils locaux, qui doivent l'utiliser exclusivement aux fins prescrites.

En Guinée équatoriale, les concessionnaires doivent mettre en place des services et des équipements. En République centrafricaine, ils sont tenus de construire des routes, des écoles et des dispensaires pour les populations locales.

Dans tous les cas, que les équipements soient construits par le concessionnaire ou non, les administrateurs locaux et la population rurale elle-même doivent participer à la planification, à l'aménagement et à la construction, pour que les équipements mis en place correspondent aux besoins des populations et soient véritablement utilisés par elles.

Les équipements peuvent être construits dans les villages existants, ou bien dans des zones où la population est dispersée. On pourra profiter du tracé des routes, des réseaux d'adduction d'eau et de l'implantation des écoles pour créer un nouveau village de façon à amorcer le regroupement des peuplements épars en communautés organisées. On peut en outre prévoir des salles communes pour les réunions sociales ou religieuses, l'éducation des adultes, ou autres activités, dans les nouveaux villages et dans les villages existants qui en ont besoin.

ROUTE D'EXPLOITATION EN MONTAGNE elle peut être très utile aux population locales

Le principe du village forestier est très utilisé en Thaïlande. C'est un moyen de sédentariser les populations et d'améliorer les pratiques agricoles tout en offrant du travail non agricole dans les programmes de boisement et de reboisement du Département des forêts et de l'Organisation de l'industrie forestière. Ces programmes ne sont pas directement liés à l'octroi des concessions d'exploitation forestière, mais le principe de constituer des villages pour améliorer les niveaux de vie et réduire les empiétements de l'agriculture itinérante sur la forêt peut également s'appliquer dans les grandes concessions forestières, puisque l'objectif est en définitive le même dans les deux cas: doter de services les populations locales dans les régions où l'on cherche à assurer une production soutenue de vivres et de produits forestiers.

C'est l'Organisation de l'industrie forestière qui a eu la première recours aux villages forestiers en Thaïlande, à l'occasion de la création et de l'entretien des plantations forestières commerciales. L'idée a ensuite été reprise par le Département royal des forêts pour restaurer les forêts réservées qui étaient en grande partie envahies par des paysans sans terre. Au lieu d'évincer ces paysans, qui n'auraient d'autre recours que d'aller ailleurs défricher illégalement de nouvelles forêts, on leur donne la possibilité de s'intégrer à de nouveaux villages. Chaque famille reçoit du terrain pour sa maison et son potager et des terres pour les cultures vivrières. Les terres restantes sont reboisées en forêt productive, et les villageois travaillent au reboisement.

On pourrait s'inspirer de ce système dans les concessions forestières où l'on craint un afflux de paysans sans terre. Il est possible d'identifier d'avance les terres propres à l'agriculture, de créer des villages et d'intégrer délibérément les ruraux dans les systèmes d'utilisation des terres après l'exploitation, au lieu d'attendre qu'ils s'installent illégalement.

Protection des droits coutumiers

Dans bien des cas, les concessions forestières comprennent des zones où les ruraux exercent traditionnellement certains droits coutumiers, tels que le droit d'affouage et le droit de prélever gratuitement du fourrage et des produits autres que le bois pour leur usage personnel. Les droits d'usage peuvent être coutumiers (droits non écrits) ou définis par la loi.

Il faut tenir compte de ces droits, qui doivent être protégés, dans toute la mesure où le permettent les plans d'exploitation et d'aménagement de la forêt, par des clauses appropriées de la législation forestière et des contrats d'exploitation.

Dans de nombreux pays en développement, le régime de propriété est coutumier: ce sont ceux qui occupent la terre qui en sont les propriétaires. Lorsque c'est le cas, les lois forestières fondamentales reconnaissent et protègent généralement ces droits, même si elles confèrent au gouvernement la fonction d'administrer la terre au nom des propriétaires coutumiers.

Dans d'autres cas, la terre appartient à l'Etat, mais les populations vivant dans la forêt ou à proximité y ramassent du bois de feu et des poteaux pour leur propre usage, y font paître leur bétail, chassent, pêchent ou ramassent toutes sortes de produits et matériaux pour fabriquer des outils, des ustensiles, etc., comme si la forêt leur appartenait. Que ces droits soient formellement reconnus ou qu'il s'agisse de tolérances, leur perte risque en tout état de cause d'avoir de graves conséquences sur le mode de vie des ruraux. Pour que les populations locales tirent avantage de l'exploitation de la forêt, il faut que ces droits soient maintenus et même dans certains cas élargis. Les abolir purement et simplement quand on octroie une concession forestière, c'est réduire à néant un des principaux avantages que les populations locales tirent de la forêt.

Ainsi, avant d'accorder une concession, il faut identifier les droits d'usage, de concert avec les populations locales, et mettre au point une formule acceptable pour les maintenir, les protéger et même en faciliter l'exercice.

On peut en effet accroître la valeur de ces droits en facilitant l'accès à la forêt, en fournissant des informations sur les produits forestiers secondaires et des méthodes de production améliorées et, lorsqu'il y a des débouchés, en aidant à créer des mécanismes de commercialisation pour les produits autres que le bois.

Les droits d'usage devraient être administrés conjointement par le Département des forêts, les représentants des populations intéressées et le concessionnaire. Ce dernier aurait un rôle relativement passif en ce qui concerne l'exercice et le contrôle de ces droits, mais il n'en doit pas moins participer à la planification du programme pour bien comprendre ses responsabilités et les droits qu'il devra respecter pendant les opérations d'exploitation. Il faut ôter au concessionnaire toute possibilité de prétendre qu'il n'était pas au courant des droits des populations.

Les contrats doivent préciser explicitement les droits qui sont garantis, la zone dans laquelle ils s'appliquent et les personnes qui en bénéficient. Les utilisations de la forêt, telles que le ramassage du bois de feu et du fourrage, l'exploitation de la faune, des produits secondaires et des produits autres que le bois, sont souvent compatibles avec les programmes d'aménagement, et il n'est pas nécessaire de les limiter si ce n'est quand, pour des raisons de sécurité, il faut restreindre l'accès aux parterres de coupe. Pour filtrer les ayants droit, on peut leur délivrer des cartes d'identité ou des insignes à porter sur eux, qui pourraient être contrôlés par les responsables des opérations forestières. Il ne s'agit pas d'empêcher tout usage non autorisé, ce qui serait difficile sinon impossible, mais plutôt de donner aux populations locales la possibilité de prouver leur bon droit en cas de contestation.

Quand on décide de reboiser une zone traditionnellement utilisée par l'agriculture itinérante, ou d'y aménager définitivement la forêt secondaire, il peut être nécessaire soit d'affecter d'autres terres appropriées aux cultures, soit de donner des compensations financières aux agriculteurs évincés. Le pâturage en forêt est un autre droit coutumier courant qui, dans certains cas, devra être limité ou aboli dans les zones destinées à une production forestière continue. Là encore, il faudra donner des compensations.

La façon dont les droits coutumiers sont reconnus par la loi varie d'un pays à l'autre:

· En République du Cameroun, la loi prévoit que le titulaire d'une licence d'exploitation forestière ne peut pas s'opposer à l'exploitation des produits ramassés de façon traditionnelle.

· Au Pérou, la loi forestière stipule que les populations locales peuvent gratuitement utiliser les produits forestiers pour leurs propres besoins, mais les utilisations industrielles ou commerciales sont soumises à un régime de contrats et de licences.

· En Indonésie, les concessionnaires doivent reconnaître les droits et privilèges traditionnels, particulièrement le droit des populations locales de pénétrer dans la forêt pour y ramasser certaines essences destinées à leur propre usage et d'exploiter les produits forestiers secondaires.

Participation aux entreprises forestières

La plupart des contrats de concession contiennent une clause prévoyant l'emploi des populations locales aux opérations en forêt, dans les industries de transformation et dans les divers travaux de reboisement (pépinières et plantations). En outre, il est obligatoire de former du personnel national au moins dans les techniques fondamentales pour pouvoir l'employer dans les opérations d'exploitation.

En Indonésie, par exemple, le contrat standard stipule que le concessionnaire doit employer des nationaux, pour autant qu'il existe des personnes qualifiées désireuses de travailler pour lui, et qu'il doit, en tout état de cause, exécuter des programmes énergiques de recrutement et de formation du personnel national.

Ces clauses doivent être étudiées avec soin, de façon à être équitables à la fois pour le concessionnaire et pour ses employés éventuels. Pour éviter d'incorporer des clauses irréalisables dans un contrat, il faut vérifier s'il y a bien de la main-d'oeuvre sur place et si elle n'est pas entièrement prise par ses obligations familiales ou par des travaux agricoles saisonniers.

Si ces obligations de recrutement imposent au concessionnaire une charge financière qui n'existerait pas autrement, il faut en tenir compte et lui accorder des compensations appropriées.

Les clauses relatives au recrutement et à la formation du personnel sont souvent comprises dans les contrats aux termes desquels le concessionnaire est tenu de construire et d'exploiter des installations de transformation dans le pays. Les contrats stipulant l'obligation de transformer le produit dans le pays ont un triple avantage: ils créent de l'emploi pour des ressortissants nationaux; ils stimulent le développement d'une capacité de production soutenue; et ils accroissent la valeur ajoutée dans le pays puisque le bois est transformé sur place au lieu d'être exporté sous forme de grumes. Là encore, les pouvoirs publics, les concessionnaires et les populations locales doivent recenser de concert les besoins et les ressources de personnel et la formation nécessaire pour déterminer, tout au moins dans les grandes lignes, les conditions à stipuler en matière d'emploi et de formation dans l'industrie. Il ne faudrait pas croire que les populations locales seront automatiquement désireuses ou capables de prendre un nouveau travail auquel elles ne sont pas habituées, simplement parce qu'on le leur offre.

En dehors de ces questions fondamentales d'emploi et de formation, il faut donner aux locaux et aux ressortissants nationaux en général la possibilité de participer aux entreprises d'exploitation forestière. On peut par exemple réserver de petites parcelles à des bûcherons locaux ou offrir du crédit pour l'achat de matériel simple de sciage et d'exploitation forestière.

Au Congo, les contrats d'exploitation passés avec des Congolais disposant de moyens financiers limités stipulent simplement que l'exploitant doit disposer d'une scierie mobile.

En Guinée équatoriale, des «forêts communales», représentant au maximum 4 ha par habitant, sont délimitées à l'intérieur des forêts réservées pour que les habitants de la forêt puissent y exercer leurs droits coutumiers. Ils doivent utiliser sur place 80 pour cent du bois ainsi prélevé.

Au Gabon, l'exploitation en vue de la consommation locale est soumise à des licences spéciales. D'autres licences sont délivrées à des familles ou à des ressortissants nationaux disposant des moyens financiers nécessaires pour valoriser la forêt. Des concessions de plus grandes dimensions sont accordées pour des exploitations industrielles les, mais à condition que 75 pour cent du bois soient transformés dans le pays.

En encourageant ce genre d'activités, il faut veiller à prévenir les pratiques défectueuses d'exploitation et de transformation qui risquent d'endommager le soi et les arbres ou d'aboutir à un gaspillage de bois.

Pour assurer l'approvisionnement des industries locales, plusieurs pays prélèvent de forts droits d'exportation sur les grumes de certaines essences précieuses de façon à encourager l'industrie nationale.

Il est d'autres moyens de garantir les approvisionnements locaux en bois de sciage. Les contrats de concession du Native Land Trust Board (NLTB) des Fidji, qui agit pour le compte des unités indigènes propriétaires, stipulent que 25 pour cent des sciages provenant d'une concession dans des terres de propriété indigène doivent être vendus aux membres de l'unité s'ils le demandent. Les licences d'exploitation du NLTB applicables aux petites opérations d'exploitation précisent qu'une quantité de sciages (sujette à négociation) doit être fournie gratuitement aux propriétaires.

Les contrats et licences d'exploitation forestière peuvent contribuer d'une autre façon encore au développement rural: par la création de sociétés d'exploitation forestière et d'industries du bois dont le capital social est souscrit principalement par l'Etat et par des investisseurs nationaux privés. Il s'agit normalement d'opérations de relativement petite échelle, travaillant principalement pour le marché intérieur, car les grandes usines intégrées exigent en général plus de capital que n'en peuvent fournir l'Etat et les investisseurs privés nationaux.

La Papouasie-Nouvelle-Guinée a eu recours à cette formule dans des sociétés de développement forestier financées à 75 pour cent par des capitaux publics et privés nationaux, et à 25 pour cent par une société extérieure d'investissement et de gestion qui effectue directement les opérations d'exploitation forestière et de transformation du bois.

Aux Fidji, la Commission du pin est une société publique de développement forestier qui cultive et exploite des pins sur des terres prises à bail par des propriétaires indigènes coutumiers. On espère que les propriétaires réinvestiront l'argent qui leur reviendra de la transformation du bois dans des actions de la Commission du pin, de façon que celle-ci finisse un jour par leur appartenir intégralement.

Utilisation ultérieure des terres

Quand un plan d'utilisation des terres ou d'aménagement intégral de la forêt n'est pas mis en place aussitôt après la coupe, l'exploitation entraîne une destruction irréversible des ressources naturelles, dont les effets sont particulièrement sensibles quand la forêt relève d'un régime de propriété coutumier ou communal, car les groupes locaux qui en profitaient précédemment n'ont plus alors qu'une forêt dégradée. Mais même quand les terres appartiennent à l'Etat ou à la province, l'exploitation non suivie d'un aménagement approprié dépossède les générations futures.

L'aménagement ultérieur ne peut être efficace que s'il est planifié dès l'octroi de la concession, et ce pour deux raisons. Tout d'abord, si les études préalables indiquent que des facteurs économiques, politiques, sociaux ou autres risquent d'empêcher les activités ultérieures, on peut différer l'exploitation jusqu'à ce qu'il devienne possible d'assurer le reboisement ou un autre type d'aménagement des terres. Deuxièmement, si le plan n'est pas établi avant l'exploitation, il risque de ne jamais l'être. Une fois le bois coupé et enlevé, les pouvoirs publics ne disposent plus guère de moyens de pression sur la société ou l'organisme responsable des activités ultérieures. C'est pourquoi il vaut mieux obtenir leur engagement avant d'octroyer la concession. Cela est particulièrement vrai dans le cas des contrats passés par l'Etat une grande société expérimentée. Le gouvernement se trouve souvent en situation de faiblesse dans les négociations, car les fonctionnaires ont moins de connaissances, moins d'expérience et moins de poids politique que les représentants de la société commerciale. La possibilité de refuser la permission d'exploiter tant que la question cruciale de la responsabilité de l'aménagement ultérieur n'est pas réglée est un des meilleurs atouts du gouvernement.

Le reboisement est une des activités ultérieures les plus évidentes. La question qui se pose à ce sujet est de savoir qui en sera chargé: le concessionnaire ou l'Etat? Autrefois, les contrats d'exploitation forestière attribuaient souvent cette responsabilité au concessionnaire parce que, dans bien des pays en développement, le Département des forêts n'avait ni le personnel ni les compétences nécessaires. Mais c'était là une solution peu fiable car bien souvent les concessionnaires ne faisaient que des efforts symboliques ou nuis. C'est pourquoi, ces dernières années, on tend plutôt à confier la responsabilité du reboisement au secteur public, qu'il s'agisse d'un service du Département des forêts ou, comme c'est souvent le cas, d'organismes publics créés spécialement pour le reboisement, tels ceux qui existent en République du Cameroun, au Congo et en Côte-d'Ivoire, pour citer plusieurs exemples récents.

Les programmes de reboisement sont souvent financés par un impôt spécial prélevé sur les concessionnaires. L'impôt de reboisement doit être fixé en fonction du coût du reboisement et non pas du prix des produits, de façon à ne pas compromettre les activités quand le cours du bois est faible. Il est difficile de déterminer la part du coût prévu du nouveau peuplement qui doit être financée par un prélèvement sur la coupe. Elle doit être au moins égale au coût initial de production des plants, de préparation du terrain et de mise en terre, à moins que ces coûts ne soient subventionnés dans une mesure suffisante pour permettre des opérations efficaces assurant la reprise des jeunes plants. Autrement l'exploitation est purement destructive.

VILLAGE HIMALAYEN AU PAKISTAN il possède 60 pour cent de la forêt

Cependant, le reboisement n'est pas toujours le meilleur mode d'utilisation des terres après l'exploitation. La formule optimale doit être déterminée par une planification de l'utilisation des terres qui doit précéder l'octroi de la concession. Certaines terres peuvent être plus appropriées à des utilisations agricoles, y compris des programmes de colonisation agraire, d'agroforesterie ou d'exploitation agrosylvopastorale. Il convient de prévoir le financement pour ces activités dès avant la coupe.

Participation populaire

La participation populaire est devenue un élément clef de la plupart des programmes de développement rural. L'expérience prouve que, si les populations ne participent pas à la planification de l'introduction des nouvelles techniques, elles sont rarement motivées à adopter durablement des innovations. Tous les efforts et tous les crédits de l'Etat et des organismes de développement sont alors dépensés en pure perte, et la population rurale n'en tire aucun bénéfice.

La participation populaire est tout particulièrement importante dans le cas des programmes d'exploitation du bols. Si l'on ne veille pas à protéger les intérêts des ruraux concernes, leur situation risque d'empirer; ils s'opposent aux concessionnaires et se méfient d'eux, et il devient impossible d'optimiser les bénéfices pour toutes les parties intéressées - Etat, concessionnaires et populations locales. (De' Ath, 1980).

La mesure dans laquelle il est possible de concilier les intérêts de l'Etat, ceux des concessionnaires et ceux des populations locales varie selon les cas.

INDIEN DE LA FORÊT AMAZONIENNE il faut protéger les droits traditionnels des indigènes

Mais si l'on veut tenir pleinement compte des intérêts des ruraux, il faut établir des mécanismes et des procédures permettant à leurs représentants d'avoir leur mot à dire dés le début de la planification de l'exploitation. On peut avoir recours pour cela aux institutions villageoises ou tribales existantes ou à des comités consultatifs créés spécifiquement pour chaque projet. La meilleure formule dépend des structures sociales, politiques et juridiques, et n'est donc pas la même pour tous les pays.

Quelle que soit la formule choisie, elle doit permettre une concertation entre l'Etat, le concessionnaire et les populations locales pour la préparation du programme d'utilisation. En l'absence d'une telle concertation, le contrat le plus soigneusement rédigé n'aura guère d'utilité pour le développement rural au vrai sens du terme.

Conclusion

Dans de nombreux pays en développement, l'essentiel de l'exploitation et de la transformation du bois continuera à se faire dans le cadre de contrats d'exploitation passés entre l'Etat et les investisseurs privés. Or, la mise en valeur et l'aménagement de la forêt ont, le plus souvent, des effets directs sur la vie des populations locales. Pour que celles-ci bénéficient réellement de l'utilisation de la forêt, il faut que leurs besoins et leurs intérêts soient pris en compte dans l'exécution des concessions forestières. Dans beaucoup de pays en développement, on modernise actuellement la législation, les règlements et les contrats forestiers en y incorporant des clauses concernant les infrastructures socio-économiques, la protection des droits d'usage traditionnels, la participation aux entreprises forestières, les programmes d'utilisation ultérieure des terres et la participation de la population à la planification et à l'administration des projets.

Il faut rappeler que les lois et règlements ne sont qu'un élément du processus complexe de développement rural. Toute l'histoire du développement est parsemée de ruines de projets qui, pour diverses raisons, ne répondaient pas aux aspirations ni aux besoins des populations locales.

Les lois doivent être appuyées par des institutions publiques fortes, dotées d'un personnel de terrain qualifié et capable de fournir au moment voulu des services techniques appropriés. Les organisations locales représentant la population cible doivent être renforcées, et on doit les aider à bien remplir leurs fonctions dans le subtil équilibre des échanges sociopolitiques qui doit caractériser le processus du développement. Il convient de mettre au point des systèmes d'utilisation des terres capables de concilier les besoins concurrentiels de terres et d'apaiser les conflits. Il faut concevoir des formules appropriées de compromis entre les besoins immédiats et les objectifs à long terme. Et surtout, la foresterie doit apporter des avantages économiques durables aux communautés rurales, soit directement par le moyen d'entreprises forestières appropriées, soit indirectement en accroissant la productivité des terres agricoles, de l'élevage, etc.

Il est impossible de protéger la forêt sans protéger en même temps les populations qui dépendent d'elle.

Références

DE' ATH, C. 1980, The throwaway people: social impact of the Gogil Timber Project, Madang Province. Boroko,. Papouasie-Nouvelle-Guinée, Institute of Applied Social and Economic Research.

LESLIE, A.J. 1980, Concessions forestières: mettre tous les atouts de son côté. Unasylva (FAO), 32 (129): 2-7.


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