Troisième étape - Le systéme de commercialisation

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Il ne suffit pas d'offrir le produit que demandent les clients; il faut également leur fournir les services qu'ils exigent. Il faut donc commencer par étudier la meilleure façon de travailler dans le système de commercialisation existant, et pour cela bien comprendre comment les produits sont distribués et vendus. Il faut étudier les rapports de prix entre les différentes étapes de la filière de commercialisation; il faut identifier les sociétés de distribution qui ont bonne réputation; il faut trouver les moyens de tenir les producteurs au courant des prix du marché ainsi que des quantités et qualités demandées. Les intermédiaires ont très mauvaise réputation, souvent de façon assez injustifiée. On les accuse d'être malhonnêtes, de faire des bénéfices excessifs. On ne se rend pas compte qu'ils remplissent une fonction essentielle: ce sont eux qui évacuent le produit des zones rurales et font revenir l'argent aux producteurs. L'expérience montre que dès lors qu'un débouché est identifié--ce qui est généralement la tâche de l'intermédiaire- les agriculteurs réagissent en produisant ce qui est demandé. Il est rare que l'obstacle soit le manque de technologie.

Dans un climat de vive concurrence, les intermédiaires n'ont guère l'occasion de faire des bénéfices excessifs. Comme dans n'importe quelle profession, il y en a de malhonnêtes. Il appartient aux vulgarisateurs d'identifier les intermédiaires de confiance et de veiller à ce que les possibilités de fraude soient réduites au minimum dans toute la filière de commercialisation.

Système de distribution des produits

Il existe beaucoup de systèmes différents de commercialisation des fruits et légumes. Les systèmes varient d'un pays à l'autre, et parfois d'un produit à l'autre et d'un producteur à l'autre. Le vulgarisateur devra bien comprendre le système de commercialisation pour le mettre au service des producteurs.

Il est essentiel de bien comprendre la première étape de la filière, c'est-à-dire le rapport entre le producteur et l'acheteur. Pour comprendre le système il est utile de dresser un organigramme montrant les différentes étapes de la filière de distribution.

Divers types d'intervenants peuvent constituer les maillons de cette filière:

L'organigramme montre un exemple de filière de commercialisation classique dans une bonne partie du Proche-Orient et de l'Asie pour des fruits d'arbres. Environ 70 pour cent du produit est vendu sur pied à l'adjudicataire le mieux offrant qui verse en général un tiers du prix trois mois avant la cueillette, un tiers pendant la cueillette et un tiers à la fin de la campagne. Il se charge lui-même de la récolte, du tri, du conditionnement et de la distribution, et parfois de la conservation en chambre froide. Ce système présente divers avantages:

Dans ce système, c'est l'adjudicataire qui prend sur lui l'essentiel du risque. Risques et bénéfices sont étroitement associes.

Environ 30 pour cent de la production, généralement celle des gros producteurs, est vendue directement sur le marché de gros. Ces producteurs, relativement riches, peuvent prendre eux-mêmes le risque de commercialiser directement leurs produits.

Dans la plupart des filières de commercialisation, un intervenant joue un rôle dominant. Dans notre exemple, c'est le commissionnaire. On pourrait croire que son rôle se limite à mettre le produit aux enchères sur le marché de gros et à percevoir une petite commission. Mais en fait il joue le rôle de banquier: c'est lui qui donne du crédit--un crédit qui souvent est en apparence gratuit--aux agriculteurs, aux adjudicataires et aux grossistes. Ce crédit lui donne la garantie de commercialiser le produit.

Le commissionnaire vend aux grossistes. Normalement, les grossistes achètent plusieurs lots de fruits et les regroupent pour les expédier vers des marchés éloignés où ils sont remis aux enchères. Mais certains grossistes achètent le produit en vrac aux enchères, le répartissent en petits lots et le vendent immédiatement aux détaillants, souvent à crédit.

Marges

Le pourcentage du prix de détail qui revient aux producteurs est une question très controversée et qui soulève les passions. Le calcul des marges dans la filière de commercialisation peut être un exercice difficile car ces marges varient selon le prix de détail du produit, sa fragilité et les coûts de commercialisation, en particulier les coûts de transport et de conditionnement.

Le tableau 7 montre comment on peut calculer la marge à partir de l'exemple du marchand de tomates dont il est question plus haut.

Fonctionnement du marché

Normalement, le prix que l'on peut connaître le plus facilement est le prix de gros, c'est-àdire celui auquel les produits sont vendus aux détaillants.

On pense en général à tort que le bénéfice du détaillant est égal à la différence entre le prix de détail et le prix de gros. En fait, il arrive souvent que le lot ne soit pas entièrement vendu au même prix et qu'une partie du produit soit vendue au rabais ou même entièrement perdue. Dans le tableau 7, le prix moyen au détail est de 1,05 LE le kilo. Si l'on ne tient pas compte des 10 pour cent de pertes, il semblerait que le prix moyen de détail soit de 1,17 LE le kilo et que la marge représente 41 pour cent du prix d'achat alors qu'en fait elle n'est que de 21 pour cent.

Organigramme 1.Filieres de commercialisation des fruits ,Proche-Orient

TABLEAU 7. Marge du détaillant vendant des tomates sur un marché de village, Egypte (en livres égyptiennes)

Achat d'une caisse de tomates de 18 payée 15 LE, soit 0,83 LE/kg
Les tomates ont été vendues comme suit:
1,75 LE pour 10% des tomates, soit 1,8 kg 3,15
1,2 LE pour 60%, soit 10,8 kg 12,96
0,8 LE pour 20%, soit 3,6 kg 2,88
pertes: 1,8 kg
Prix total au détail de la caisse 18,99
Prix moyen de vente par kg acheté 1,05
Prix moyen de vente par kg vendu 1,17
Marge par caisse 3,99
Marge par kg acheté 0,22
Marge apparente par kg vendu 0,34
Marge réelle en pourcentage du prix d'achat 21%
Marge apparente en pourcentage du prix d'achat 41%

Par ailleurs, il est faux que la marge-, dans notre exemple, près de 4 LE la caisse ou 0,22 LE le kilo--soit égale au bénéfice.. Outre la rémunération du détaillant, la marge doit financer les frais de transport, les éventuels salaires, loyers, impôts, l'amortissement de l'équipement, la constitution d'une provision pour les périodes où le détaillant perd de l'argent.

Il est intéressant de remonter du prix de gros au prix sortie exploitation. Pour cela,l'agent de vulgarisation devra déterminer les marges calculées sur les marchés de gros. Sur ce point, les informations sont tres précaires et devront être vérifiées auprès de diverses sources (producteurs, adjudicataires, commissionnaires, grossistes et détaillants).

Pour bien faire, l'agent de vulgarisation devra remonter toute la filière de commercialisation et obtenir de chaque intermédiaire qu'il lui communique son prix d'achat et son prix de vente. En général, les marges sont plus élevées quand les intermédiaires paient un prix fixe et que le produit devient leur propriété. En effet, dans ces conditions c'est sur eux que retombe le risque: or, il y a une corrélation entre risque et bénéfice. Quand le produit est mis aux enchères ou vendu en consignation, l'intermédiaire, qu'il soit grossiste, importateur ou commissionnaire, prélève une commission, généralement versée par le vendeur, mais parfois aussi par l'acheteur.

Le tableau 8 donne un exemple de calcul des recettes du producteur. Les pages qui précèdent montrent à quel point il est difficile de calculer correctement les marges. Trop souvent, on accuse les intermédiaires de faire des bénéfices excessifs à partir d'une comparaison simpliste entre le prix de détail, le prix de gros et le prix à la production.

Grossistes et intermédiaires

Une partie importante du travail du vulgarisateur est d'identifier des intermédiaires compétents et fiables. Il faut d'abord déterminer quelles sociétés sont bien équipées et disposées à traiter le produit envisagé. Ensuite, il faut savoir si ces sociétés ont bonne réputation. Pour cela, il faut non seulement rencontrer les partenaires commerciaux potentiels, mais aussi demander des références à d'autres négociants.

Souvent, on n'a pas d'information claire sur les sociétés commerciales avec lesquelles il serait possible de faire affaire alors que ces informations sont essentielles quand des producteurs se préparent à se lancer sur un nouveau marché ou à entreprendre une production commerciale. La condition sine qua non doit étre l'honnêteté, mais il faut aussi que le partenaire potentiel traite le produit que l'on cherche à vendre à l'échelle envisagée.

Services d'Information

Les horticulteurs doivent faire des programmes à long terme, car des mois ou même des années peuvent s'écouler entre la plantation et la récolte. Une bonne partie du présent chapitre concerne les moyens de prévoir les tendances à long terme. Il n'en est pas moins important d'introduire autant de souplesse que possible dans la commercialisation afin de maximiser les bénéfices et de minimiser les risques. Pour cela, il faut mettre en place un système qui permette au producteur de recevoir rapidement l'information en retour sur l'état des différents marchés, qu'il s'agisse des prix, de la demande ou des exigences de qualité. Ces informations permettent de maximiser les ventes quand il y a pénurie sur le marché et que les exigences de qualité sont plus souples. Quand les prix sont très bas, le producteur peut soit n'envoyer que ses produits de première qualité, soit, exceptionnellement, renoncer à récolter.

TABLEAU 8. Prix à l'exploitation calculé à partir du prix de gros (en livres égyptiennes)

Le producteur expédie 100 caisses de tomates de 18 kg au marché de gros
  Prix devente(LE)
10 caisses à 18 LE l'une 180
60 caisses a 15 LE l'une 900
20 caisses à 10 LE l'une 200
5 caisses à 7 LE l'une  
5 caisses invendues  
Recettes brutes 1315
Moins commission (5%) 66
Redevance due au marché (0,25 LE par caisse) 25
Recettes nettes de l'agriculteur 1224
Prix moyen touché par l'agriculteur pour chaque caisse envoyée au marché 12,24
Prix moyen touché par l'agriculteur pour chaque kg envoyé au marché 0,68
Moins transport (2 LE par caisse)  
Prix moyen sortie exploitation 10,24
Moins coût du conditionnement 13.5 LE par caisse)  
Prix moyen par caisse avant conditionnement 6,74
Prix moyen par kg avant conditionnement 0,37

TABLEAU 9. Choix des partenaires commerciaux

Acheteurs Honnéteté Produit approprié Collaboration Prix Recommandation
A Oui Non Oui Médiocre Non
B ? Oui Oui Bon Non
C Oui Oui Oui Moyen Oui

S'il dispose d'informations sur plusieurs marchés, il peut choisir vers lequel il dirigera sa production pour maximiser ses rentrées. Il est donc essentiel que l'information sur les marchés soit exacte et rapide. En pratique, le meilleur moyen de communication est le téléphone, mais rares sont les agriculteurs des pays en développement qui y ont accès. Ce serait pourtant, dans bien des cas, l'investissement le plus rentable que puisse faire un horticulteur, un investissement qui rapporterait vite plusieurs fois la mise de fonds. En l'absence de téléphone, un bulletin radiodiffusé, indiquant les prix et l'état de l'offre, présente divers avantages. Presque tous les producteurs ont un transistor. Ils peuvent réagir à l'état des marchés en changeant la destination de leur production. Cette adaptation réduit en définitive les différences de prix entre un marché et l'autre, ce qui est avantageux pour le consommateur puisque cela stabilise les prix et les approvisionnements.

En règle générale, les grossistes et les intermédiaires sont avantagés dans les négociations parce qu'ils sont mieux au courant des prix du marché. Le pouvoir de négociation des producteurs est amélioré s'ils ont eux aussi accès à l'information. C'est particulièrement important quand il y a peu de concurrence entre acheteurs et, à plus forte raison, quand il y a une seule offre. Le vulgarisateur doit étudier les moyens de rendre plus accessible l'information sur les prix Il est possible, par exemple, de publier les prix dans les journaux ou de les afficher sur les places de village.

Les vulgarisateurs doivent aussi veiller à ce que l'information fournie corresponde aux besoins des producteurs. Les prix pratiqués sur des marchés éloignés auxquels ils n'ont pas accès les intéressent beaucoup moins que les prix sur les marchés des villages et villes du voisinage. Or, ces prix locaux ne sont souvent pas indiqués par les stations de radio. Le vulgarisateur doit les relever et les faire connaître aux agriculteurs dont il est responsable. Il peut le faire verbalement ou affcher des mercuriales dans les endroits fréquentes par les producteurs: marchés, case du chef, centre de distribution des intrants, etc.

 

LISTE DE QUESTIONS A POSER AUX PARTENAIRES POTENTIELS

1. Raison sociale

2. Activités de la société (importateurs/ grossistes/commisslonnaires)

3. Procédure normale

4. Opinion d'autres sociétés commercialisant des produits agricoles et ayant acquis une bonne réputation (fiabilité, honnêteté, gestion saine, méthodes modernes, compétence).

Le vulgarisateur doit savoir que les producteurs risquent de ne pas bien s'expliquer la différence entre le prix qu'ils touchent, le prix de gros et le prix de détail. Il faut leur faire comprendre que la distribution et la commercialisation entraînent des frais et des risques, et que les prix finals doivent permettre de rémunérer tous ceux qui interviennent dans la filiere; si ces coûts ne sont pas couverts, le système s'effondre.

Résumé et conclusions

Le présent chapitre traite principalement de l'importance de l'information et des moyens de l'obtenir et de la diffuser.

Certaines des informations nécessaires sont publiées dans les rapports et statistiques, mais l'essentiel devra être obtenu en interrogeant diverses personnes. Cette enquête demande de grandes compétences. Beaucoup des renseignements demandes, en particulier ceux qui concernent les prix, sont considérés comme délicats ou confidentiels. Certaines des personnes interrogées risquent de se mefier.Elles peuvent craindre par exemple que les renseignements ne soient communiques au fisc ou utilisés pour prouver qu'elles font trop de benefices.

Au début de tout entretien, le vulgarisateur doit se presenter, expliqucr ce qu'il essaie de faire et montrer que son action a toutes chances d'être avantageuse pour son interlocuteur. Les personnes interrogées seront beaucoup plus communicatives si l'entretien a lieu à une heure qui leur convient. Par exemple, pour les grossistes, la meilleure heure est souvent après la scance de vente.Au debut d'un entretien, il faut qu'un bon rapports s'élablisse entre l'enquêteur et l'cnquête. Normalement, les gens aiment bien parler de leur travail, raconter comment leur affaire s'est dcveloppée et savoir qu'on les ecoute avec intérêt et qu'on demande leur avis. Il vaut mieux garder les questions les plus délicates pour la fin de l'entretien, quand la méfiance s'est dissipée et a été remplacée par un climat d'intérêt et de coopération. Les opinions exprimées seront parfois contradictoires; le vulgarisateur devra s'efforcer de toutes les utiliser pour se faire une idée génerale du marché et de son fonctionnement.

Pour finir, une mise en garde s'impose

«Quand on observe une tendance, c'est que quelqu'un a identifié un débouché potentiel et a commencé à l'exploiter. Mais tous les débouchés sont d'ampleur limitée; le marché se sature, puis devient pléthorique. Ce sont ceux qui sont à l'origine d'une tendance qui réussissent à gagner de l'argent, et pas ceux qui la suivent. Ceux qui essaient de monter en marche risquent de tomber et de se faire mal. » (L. Broadbent, 1985, Horticulturists Handbook, Doncan Publishing, Londres, Royaume-Uni.)

Pour être à l'origine d'une tendance, il faut avoir du flair et du courage.


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