Chapitre 6 - Huit erreurs à éviter dans la commercialisation des produits horticoles

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On peut tirer des enseignements aussi bien des échecs que des succès mentionnés au chapitre 2. On présente dans ce dernier chapitre certaines erreurs très répandues en matière de commercialisation des produits horticoles et leurs conséquences possibles.

1. Achats de l'État à prix fixes

La production de fruits et légumes est une spéculation très risquée; les prix du marché sont parfois trop bas pour couvrir les coûts. Les producteurs réclament alors que l 'Etat achète les produits horticoles à des prix fixes.

Chaque fois que de telles garanties ont été introduites, les horticulteurs ont accru leur production. En effet, les prix fixes garantissent les bénéfices et suppriment les risques. La production est sans aucun rapport avec la demande. D'énormes quantités sont gaspillées. Ce genre de programme obère le budget public, alors que les ressources pourraient être mieux utilisées ailleurs, par exemple pour stimuler la demande locale et développer de nouveaux marchés.

2. Transtormation des produits alimentaires pour écouler les excédents

Quand la surproduction fait baisser les prix, on recommande souvent d'établir une agro-industrie pour utiliser les excédents.

Une agro-industrie rentable ne peut être basée sur des approvisionnements occasionnels qui deviennent disponibles seulement quand le marché est saturé. La transformation des produits horticoles exige des machines coûteuses. Il faut optimiser l'utilisation de cet investissement et éviter les temps morts. Pour bien marcher, l'usine doit pouvoir compter sur un approvisionnement en matière première et sur des débouchés. Les agroindustries passent des contrats avec les agriculteurs pour s'assurer un approvisionnement étalé sur une saison aussi longue que possible.

Filiere intégrée de production et de commercialisation

3. Mécanisation du tri

On croit trop souvent que la mécanisation du tri améliore la qualité des produits.

Le classement n'améliore jamais la qualité, il sépare des lots de qualités différentes. La qualité des produits dépend principalement des conditions de croissance, des techniques de production et de la manutention après récolte. Des calibreurs mécaniques permettent de séparer très efficacement les produits en classes de taille. Mais c'est là l'aspect le moins important du classement. L'essentiel est de trier les produits en classes de qualités. Pour cela, l'oeil humain est indispensable. C'est une erreur très répandue de croire que la technologie, et en particulier la technologie de pointe, suffit pour résoudre les problèmes. Il est beaucoup plus important d'améliorer la gestion et d'adapter les systèmes existants. Quand le classement est déjà pratiqué avec succès, il peut devenir intéressant d'investir dans des machines coûteuses. Mais pour que le classement centralisé soit rentable, l'investissement doit être réduit au minimum. Des tables de classement d'un modèle simple peuvent étre fabriquées par des menuisiers locaux. Le seul accessoire mécanique nécessaire est une bande transporteuse. Des chaînes de classement coûteuses ne sont généralement nécessaires que s'il faut classer et emballer de grandes quantités de produit pour les marchés développés.

4. Normes nationales de qualité pour le marché intérieur

On croit trop souvent que la commercialisation des produits horticoles s'améliorera si l'on impose des normes de qualité pour le marché intérieur. S'il est vrai que des normes nationales sont souvent justifiées pour les produits destinés à l'exportation, l'adoption de normes obligatoires pour le marché intérieur fait monter les prix à la consommation. Elles ont donc l'effet contraire à celui que l'on cherche à obtenir: elles tendent à réduire la consommation, et donc la taille du marché local. En principe, si le gouvernement prend des mesures, cela doit être pour faire diminuer les prix, et donc augmenter la consommation.

Les normes de qualité sont généralement introduites par le secteur luimême quand les consommateurs sont prêts à payer plus cher un produit homogène. Très souvent, des normes de qualité informelles et souples sont appliquées pour répondre aux besoins du marché, selon l'état de l'offre et de la demande. Si l'on cherche à imposer des normes trop tôt, il sera très difficile de les faire respecter, et cela se traduira seulement par un gaspillage des ressources de l'État.

En général, les premiers producteurs qui classent leurs produits obtiennent des prix trés supérieurs à la moyenne pour la première qualité, mais inférieurs pour la troisième qualité. A mesure que d'autres producteurs suivent leur exemple, l'offre des produits de première qualité augmente, ce qui peut faire baisser les prix, à tel point que le tri n'est plus rentable. La rentabilité du classement dépend du nombre de consommateurs qui sont disposés à payer le produit assez cher.

En pratique, le classement se fait tout au long de la filière de commercialisation. Il commence au moment de la cueillette, en particulier pour les fruits. Un nouveau tri a souvent lieu au stade de la vente en gros et au détail, pour déclasser les produits endommagés pendant le transport. Dans ces tris successifs, il faut trouver un équilibre entre le prix plus élevé qui peut être obtenu quand la qualité est uniforme et le prix le plus bas dû à la détérioration du produit provoquée par le tri lui-même.

5. Conservation du produit dans l'attente d'une hausse des prix

On s'imagine souvent qu'en période de pléthore il est possible de conserver le produit pour le vendre quand les prix remonteront.

La plupart des produits horticoles ne peuvent être conserves peu de temps, souvent quelques jours seulement. L'entreposage est coûteux et nuit à la qualité et à la fraîcheur du produit. Le plus souvent, le produit qui a attendu dans l'entrepôt est en concurrence avec des produits fraîchement arrivés sur le marché. Il se vend moins cher et, en plus, il a fallu payer l'entreposage.

Relativement peu de produits horticoles peuvent être conservés longtemps. Ces produits doivent être stockés aussitôt après la récolte. Si les prix sont bas au moment de la récolte, les producteurs entreposeront une plus grande proportion de la production. En conséquence, quand ces produits conserves seront mis sur le marché, la concurrence sera forte et tendra à faire baisser les prix. Il n'est en général pas rentable de stocker dans les zones de production parce que les entrepôts seraient sous-utilisés pendant une bonne partie de l'année.

6. Commercialisation par l'État

On accuse souvent les intermédiaires et les négociants de faire des bénéfices excessifs. On s'imagine que des systèmes publics de commercialisation des produits horticoles permettraient aux producteurs de toucher plus et aux consommateurs de payer moins.

En pratique, la plupart des entreprises publiques de commercialisation des produits horticoles échouent; elles ne peuvent couvrir leurs frais que si elles ont un monopole (par exemple pour l'importation des denrées vivrières). Les principales causes d'échecs sont les suivantes:

La commercialisation des produits horticoles est une entreprise hautement concurrentielle; elle exige un esprit d'entreprise et le sens du commerce. Il faut décider rapidement et travailler de longues heures, et les services civils ne sont pas organisés pour opérer de cette façon.

Toutefois, beaucoup d'organismes publics assurent avec succès le développement et la promotion des exportations de produits horticoles. Ces offices publics présentent plusieurs avantages:

En général, le secteur public assure les activités de soutien et de contrôle et laisse au secteur privé les fonctions proprement commerciales.

7. Techniques aprés-récolte ultra-modernes

On affirme souvent que les pertes aprés-récolte sont particulièrement élevées dans les pays en développement. On croit que les techniques après récolte utilisées dans les sociétés développées telles que les chaînes du froid et les méthodes d'emballage très modernes réduiront les pertes.

La plupart des techniques après-récolte modernes sont très coûteuses et exigent un investissement initial considérable dans du matériel importé. Elles nécessitent aussi un personnel technique et administratif hautement qualifié et des services d'entretien rapides et compétents.

Par exemple, les boîtes en carton ne peuvent être utilisées qu'une fois. Leur fabrication exige de gros investissements dans l'industrie et des importations constantes de matières premières. La chaîne du froid nécessite des magasins réfrigérés spécialisés proches des zones de production pour refroidir le produit aussitôt après la cueillette, ainsi que des véhicules frigorifiques. Les conteneurs réfrigérés sont très coûteux; en outre, le produit emmagasiné sous froid doit être conservé dans des réfrigérateurs même dans les magasins de détail. Ce système n'est pratique et viable que quand il existe une chaîne complète, ce qui exige des investissements coordonnés considérables, qui souvent ne peuvent pas être faits par une seule société; cela ne se justifie que pour des volumes considérables de produit.

Ces techniques ne sont souvent pas adaptées aux pays en développement parce qu'elles y coûtent plus qu'elles ne rapportent. Elles conviennent surtout à des pays possédant une infrastructure très développée (bonnes routes, réseau électrique fiable et économique, main-d'oeuvre qualifiée, disponibilité de pièces détachées). Surtout, il faut que les consommateurs soient disposés à payer le produit plus cher. Les techniques de pointe de ce genre ne sont pas applicables isolément. Il n'est pas rentable d'introduire des techniques beaucoup plus avancées que le niveau général de technologie existant localement. Il faut soigneusement analyser les coûts pour éviter d'introduire des techniques qui renchérissent la commercialisation et la distribution.

8. Le changement pour le changement

Un conseiller en commercialisation ou un vulgarisateur spécialement chargé de la commercialisation peut se sentir obligé d'apporter des modifications au système existant. On ne se rend pas toujours compte que la plupart des systèmes ont évolué avec le marché et continueront à le faire. En général, il y a de très bonnes raisons pour qu'ils fonctionnent comme ils le font. Comme n'importe quel systcmc, ils ont des imperfections. Toutefois, s'ils fonctionnent à peu près bien, s'il y a une concurrence et si les produits sont bien distribues dans tout le pays, les conseillers doivent être prudents et veiller à ne pas imposer de changements sans nécessité. Ils risqueraient d'obtenir l'effet contraire à l'effet visé. Quand le changement n'est pas nécessaire, il est nécessaire de ne pas changer.


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