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Chapitre IX - Participation de la population locale


1. Introduction
2. Contraintes et conditions de la participation de la population
3. Points marquants de ce chapitre


1. Introduction

Dans les zones arides du monde, les produits dérivés de la forêt fournissent les biens et services indispensables tels que le combustible pour la cuisine et pour le chauffage, les matériaux de construction pour le logement, du fourrage pour le bétail et des produits autres que le bois. La forêt elle-même aide à assurer la pureté de l'eau et dans beaucoup de régions fournit une ombre contre un soleil brûlant. Dans de nombreux cas, tous ces avantages ont été tenus pour acquis. Or, du fait d'une pression démographique croissante et de l'absence de stratégies appropriées en matière d'aménagement forestier, ces avantages ne sont plus toujours présents. Les pressions croissantes exercées sur les forêts pour ces usages et d'autres se sont traduites par la dégradation des ressources végétales et l'appauvrissement de la terre. En fin de compte, les besoins fondamentaux de l'homme ne sont plus toujours satisfaits. On peut remédier à cette situation en améliorant la gestion des forêts naturelles et en créant des plantations forestières. Mais pour cela, il faut que la population participe à la conception, à l'exécution et au suivi de ces activités. Pour obtenir cette participation, il faut surmonter un certain nombre de difficultés.

Un objectif central des programmes forestiers est d'aider la population à devenir autonome. Cependant, ces programmes ne réussiront pas s'ils ne correspondent pas à l'idée que se fait la population elle-même de ses besoins, de ses aspirations et de ses problèmes. C'est pourquoi les opérations de foresterie doivent être réalisées pour le bien de la population et, c'est important, avec sa participation.

2. Contraintes et conditions de la participation de la population


2.1 Concurrence pour la terre
2.2 Le délai de la foresterie
2.3 La répartition spatiale des avantages
2.4 Contraintes institutionnelles et techniques


On trouvera résumés au Tableau 9.1 quelques-uns des facteurs à prendre en compte lorsqu'on analyse la place de la foresterie dans l'économie rurale. Un examen plus détaillé de ces facteurs et quelques-unes des réponses possibles sont présentées ci-après.

Tableau 9.1 - Facteurs à prendre en compte dans l'analyse de la place de la foresterie dans l'économie rurale

Facteurs

Réponses possibles

Concurrence pour les terres (les arbres et arbustes constituent une utilisation moins intensive que les cultures)


- Concurrence pour les terres forestières

- Intercaler arbres et cultures

- Répartir les terres forestières de façon rationnelle entre les arbres et les cultures

- Améliorer les avantages autres qu'alimentaires pour les communautés de la foret (emplois dans les industries alimentaires forestières, revenu tiré des produits autres que le bois, infrastructure sociale, etc.)

- Concurrence pour les terres à cultures et à pâturages à boiser

- Planter des arbres le long des routes, des cours d'eau, autour des champs et sur d'autres terrains inutilisés; zones marginales pour la culture; zones érodables ne convenant pas à la culture ni au pâturage

- Améliorer la productivité sur les terres plus arables de façon à dégager du terrain pour la plantation d'arbres

- Planter des espèces d'arbres et d'arbustes polyvalentes ou mélanger les espèces pour accroître la productivité

- Intercaler arbres et arbustes avec d'autres cultures ou avec du pâturage

- Introduire des sources supplémentaires de revenu (apiculture par exemple)

Délais qu'impliquent la foresterie (délai de rentabilité des plantations d'arbres et d'arbustes)


- La production des arbres et arbustes ne répondra pas aux besoins immédiats

- Planter des espèces d'arbres et arbustes polyvalentes permettant d'obtenir rapidement une certaine rentabilité

- Assurer un soutien financier pendant les périodes d'installation: prêts à faible intérêt, dons, subventions, emplois rémunérés, etc.

- Introduire ou développer des sources complémentaires de revenu non forestier

- Risque que le producteur n'en tire pas

- Assurer la sécurité de tenure des terres profit utilisées pour la plantation d'arbres et d'arbustes

Répartition spatiale des avantages des programmes forestiers


- Les avantages des forets de protection ou de production de bois peuvent se situer en partie à l'extérieur de la communauté

- Assurer une compensation pour les bénéfices abandonnés ou les intrants fournis par la communauté qui génèrent des avantages ailleurs

Pénurie saisonnière de main-d'oeuvre

- Adopter des pratiques forestières qui ne sont pas en concurrence avec les pointes de demande de main-d'oeuvre

Absence de traditions forestières(manque de familiarité avec les techniques nécessaires, non compréhension des causes et des effets, comportements nuisibles ou défavorables aux pratiques forestières)

- Fournir des conseils et un soutien grâce à des services de vulgarisation; éducation de la population, conseils techniques et intrants techniques, formation à la base

- Projets de démonstration

2.1 Concurrence pour la terre

Il se produit une concurrence pour la terre lorsque la pression démographique est élevée et que la terre est nécessaire à la production vivrière. Ce type de concurrence peut être évité en exploitant des zones inutilisées ou en intercalant arbres et cultures.

Là où la nécessité d'assurer sur le terrain un couvert d'arbres est évidente, par exemple sur les fortes pentes d'un sol pauvre, la foresterie cède néanmoins le pas à la nécessité plus urgente de la production vivrière. Une condition évidente pour insérer des activités de foresterie dans ce genre de situation est qu'elle s'accompagne de mesures permettant à l'exploitant agricole ou à la communauté d'assurer par d'autres moyens leur production agricole ou leur élevage, ou de compenser le revenu abandonné en utilisant une partie de la terre pour la plantation d'arbres.

L'introduction d'arbres et arbustes dans des modes d'utilisation intensive de la terre peut être réalisée par diverses formes de cultures intercalaires, de façon à assurer une utilisation polyvalente de la terre. La zone de plantation peut être intercalée avec des herbages pour fournir du fourrage au bétail en stabulation. Le fourrage sous forme de certains arbres est un élément important de cette utilisation polyvalente. Non moins importantes sont les mesures visant à améliorer la productivité agricole sur les zones plus arables et plus plates et à améliorer d'autres secteurs de l'économie des communautés ainsi que leurs infrastructures physiques et sociales afin de leur permettre de dégager de la terre pour planter un couvert d'arbres et d'arbustes.

Toute la question de l'utilisation de la terre est généralement compliquée par le manque d'information sur ses capacités et sur les facteurs nécessaires pour en planifier l'aménagement. Malheureusement, on connaît rarement les frontières qui séparent des terres permettant une agriculture soutenue et celles qui doivent être consacrées de façon périodique ou permanente à un couvert forestier.

2.2 Le délai de la foresterie

Dans bien des cas, l'attachement à une technique particulière de production vivrière est renforcé par des considérations relatives au délai de rentabilité de la foresterie, Historiquement, beaucoup de populations rurales sont devenues tributaires des produits de la forêt parce que celle-ci existait et était une ressource naturelle locale abondante utilisable presque à volonté. Tant que les produits du bois sont demeurés abondants, ce processus d'exploitation a pu se poursuivre sans que l'on se préoccupe du délai relativement long qu'il fallait pour produire du bois d'une taille utilisable. Cependant, lorsqu'on atteint le stade où l'on ne peut obtenir du bois qu'en le faisant pousser, le délai que cela implique peut constituer un important facteur limitant.

Il est fréquent que le délai de rendement de la foresterie soit en conflit avec les priorités de la population rurale; tout à fait logiquement, ces priorités sont axées sur la satisfaction des besoins fondamentaux du moment. Ces besoins sont impératifs, en particulier dans l'exploitation de subsistance. On ne saurait facilement détourner au profit de la production de bois, qui ne sera disponible que plusieurs ou de nombreuses années plus tard, des terres, de la main-d'oeuvre et d'autres ressources qui pourraient être consacrées à produire les aliments, le combustible et le revenu nécessaires aujourd'hui.

La foresterie ne peut continuer à exister ou être introduite que si elle permet à la population de satisfaire ses besoins actuels. S'il existe encore localement un couvert d'arbres et d'arbustes, il peut être possible d'assurer le même niveau de production de façon moins destructrice. Dans certaines zones, par exemple, on peut stopper et inverser la destruction de la forêt par l'abattage local en concentrant l'abattage dans des zones désignées à des moments désignés et en protégeant le reste de la zone de façon qu'il puisse se produire une régénération naturelle. Dans d'autres zones, on peut introduire la foresterie en conjonction avec d'autres activités assurant un revenu pour répondre aux besoins de l'exploitant jusqu'à ce que ses arbres produisent.

2.3 La répartition spatiale des avantages

Les conditions relatives à la répartition spatiale des avantages de la forêt sont importantes. Pour l'agriculteur, la forêt est une terre sur laquelle pratiquer ses cultures vivrières et de rente, une source de combustible et de matériaux de construction et une source de fourrage et d'ombrage. Le fait qu'il utilise des arbres et des arbustes qui pourraient fournir les matières premières nécessaires à une industrie économiquement importante ailleurs lui importe peu. Il ne serait pas réaliste d'espérer qu'il adapte son mode d'existence pour tenir compte des intérêts d'autrui. C'est pourquoi la mise en place de systèmes plus stables de plantation d'arbres ou d'exploitation forestière ne se produira que lorsque la communauté tirera d'une façon ou d'une autre des avantages suffisants d'un changement du mode d'utilisation des ressources naturelles.

Le coeur du problème pour la population rurale est généralement qu'elle tire de la forêt des avantages insuffisants; en général, cela est imputable aux objectifs traditionnels de gestion de la forêt et aux pratiques administratives telles que l'orientation des ressources naturelles vers la conservation, la production de bois, la perception de recettes et la régulation par une législation et une réglementation répressives, En conséquence, la tâche du forestier est de susciter une participation plus entière, positive et bénéfique de la population à la gestion, à l'utilisation et à la protection; cela peut se faire par une participation plus grande de la population aux travaux forestiers, par le développement des possibilités de revenu qu'offrent divers produits que peut fournir la forêt, ou par l'affectation de terres forestières à des activités parallèles de foresterie et d'agriculture ou de foresterie et d'élevage.

La question de la répartition des avantages peut aussi se poser avec un aménagement visant à implanter des cultures forestières industrielles dans le cadre de systèmes d'exploitation combinant la culture d'arbres ou d'arbustes avec les cultures vivrières et de rente. En eux-mêmes, il se peut que les arbres et arbustes n'apportent aucun avantage direct au cultivateur; au contraire, ils lui compliquent plutôt la tâche. De tels systèmes ne réussiront donc que lorsque l'agriculteur reçoit une compensation adéquate. La terre n'est pas en soi une incitation suffisante sinon peut-être à court terme; on a observé qu'avec le temps les systèmes polyvalents tendent à évoluer soit vers l'agriculture pure (sans association avec des arbres ou arbustes) soit vers un emploi forestier à plein temps.

2.4 Contraintes institutionnelles et techniques

Il subsiste des situations où il n'y a ni manque d'intérêt pour la foresterie ni conflit avec d'autres aspects du mode d'existence, mais simplement un manque d'organisation ou de moyens. Les zones qui sont marginales pour l'agriculture peuvent aussi être marginales pour la foresterie; c'est le cas en particulier dans les zones arides, où les contraintes climatiques tendent à être sévères pour l'arboriculture. En outre, les environnements arides imposent d'autres contraintes telles que la disponibilité de main-d'oeuvre. D'autre part, les saisons de plantation dans l'agriculture et dans la foresterie sont courtes et coïncident. De ce fait, la disponibilité de main-d'oeuvre pour la plantation d'arbres ou d'arbustes risque d'être limitée et la planification doit être faite de façon à permettre une souplesse suffisante pour surmonter cette contrainte.

Une autre contrainte qui pèse sur la foresterie en environnement aride est le coût. Pour réussir, les programmes de plantation d'arbres ou d'arbustes nécessitent souvent une préparation complexe du site et des techniques sophistiquées de plantation qui elles-mêmes demandent des matériels sophistiquées et onéreux. Ce peut être une activité qui dépasse les capacités et les ressources de la communauté locale. C'est pourquoi la foresterie, en tant qu'activité réalisable par la communauté, se limite souvent à la manipulation de la végétation existante, les plantations elles-mêmes étant assurées par les services techniques compétents de l'Etat.

L'aménagement des terres dans les zones en altitude présentant de fortes pentes risque aussi de présenter des problèmes de stabilisation du sol et de régulation du ruissellement de l'eau; l'installation d'un couvert forestier sur certaines parties du bassin versant doit s'accompagner de mesures de conservation (telles que la construction de terrasses) pour permettre une production agricole stable dans d'autres parties de ce bassin. Les agriculteurs n'ont souvent pas les moyens de le faire. Pour construire des terrasses, par exemple, il faudrait qu'ils renoncent à une récolte. C'est pourquoi il leur faudra un soutien extérieur, tel que du crédit et une aide alimentaire.

Une autre question d'ordre institutionnel est la sécurité de tenure. Les traditions d'utilisation des terres tribales ou communales ne prévoient pas des usages tels que la foresterie qui exigent que l'on mette en réserve des terres pour un usage particulier pendant des temps relativement longs. Il faut que les agriculteurs aient l'assurance d'avoir la maîtrise de la terre sur laquelle sont plantés les arbres ou arbustes.

Il est fréquent que l'absence de traditions forestières ne soit pas seulement due à l'absence de connaissances sur la culture des arbres et des arbustes ou d'un cadre institutionnel approprié. Il s'agit généralement d'un conflit avec une tradition profondément enracinée d'agriculture. Cette l'opposition se reflète dans les attitudes de la population vis-à-vis de la foresterie, qui sont sensiblement différentes de ses attitudes envers l'agriculture et l'élevage. Des agriculteurs ont souvent tendance à voir dans la forêt un élément négatif de l'environnement. Pour celui qui s'installe, c'est un obstacle au défrichement de sa terre et un refuge pour ses ennemis. Cette mentalité peut persister longtemps après que la forêt a disparu du voisinage immédiat d'une exploitation agricole ou d'une communauté. L'hostilité envers la forêt et les arbres peut persister dans des régions qui connaissent déjà des pénuries de bois de feu et de bois de construction, à cause des dommages causés aux cultures par les oiseaux qui nichent dans les arbres.

D'autres contraintes institutionnelles peuvent également limiter le succès des tentatives de foresterie communautaire: l'insuffisance des systèmes de distribution des semences, une mauvaise gestion, l'absence de moyens financiers dans le village pour payer la main-d'oeuvre, le manque de main-d'oeuvre au moment voulu, la plantation d'espèces exotiques mal adaptées par rapport à d'autres options d'aménagement des peuplements naturels, etc.

Assurer la protection des bois communaux est un problème particulièrement fréquent auquel on peut parfois en partie remédier en échelonnant les plantations d'arbres sur plusieurs années de façon que la zone à protéger à un moment quelconque soit aussi réduite que possible. Lorsque les arbres ont atteint le stade où ils ne peuvent être détériorés par le bétail, la zone peut être ouverte au pâturage et au broutage. On peut aussi donner accès aux zones protégées à la population pour la collecte de fourrage et il y a de grandes chances que la production de fourrage soit plus importante sur ces terres si elles sont protégées contre un pâturage libre.

Le type de système d'aménagement sylvicole adopté est également important. Par exemple, si l'on veut que les besoins de la communauté continuent à être satisfaits, il peut falloir prévoir des cycles annuels d'abattage. Cependant, si le bois est très réduit et la communauté très importante, il se peut qu'il ne soit pas possible de diviser une récolte réduite sur une base annuelle. De même, si l'on veut que la population locale participe à la récolte, des solutions praticables socialement telles que les coupes rases peuvent être préférables à des solutions plus difficiles techniquement telles qu'un éclaircissage sélectif. Tout système d'aménagement doit évidemment être de la compétence technique du groupe utilisateur et être suffisamment simple pour que les membres de ce groupe jugent qu'ils peuvent réellement le maîtriser.

3. Points marquants de ce chapitre

Avec l'augmentation de la pression démographique, les produits forestiers qui étaient tenus pour acquis dans le passé ne sont plus aussi abondants. Compte tenu de leur forte tradition d'agriculture, les populations rurales sont parfois réticentes à pratiquer la foresterie sur leurs terres. Cependant, elles sont réellement dépendantes des produits forestiers (bois de feu, bois de construction, produits alimentaires, revenu et emplois). Pour qu'un programme de plantation d'arbres ou d'arbustes réussisse, il faut tenir compte des besoins présents et futurs de la population, ainsi que de ses préjugés et de ses traditions. Du fait qu'il y a concurrence entre l'agriculture, l'élevage et le développement de la foresterie, il faut convaincre la population locale que les programmes polyvalents (qui ne donnent des résultats qu'au bout de quelques années) sont utiles.

Il arrive qu'il existe une contrainte institutionnelle à l'exécution de programmes de plantation d'arbres et d'arbustes; ce sont des cas par exemple où il n'y a pas de structure organisationnelle ou de sécurité de tenure. Les coûts relativement élevés de certains programmes et les compétences techniques nécessaires peuvent aussi être des obstacles. D'autre part, la non compréhension du rôle des arbres et des arbustes dans l'enrichissement de l'environnement ou le refus du changement peuvent entraver les efforts pour lutter contre la désertification au moyen de la foresterie.


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