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4. Identification et évaluation quantitative des apports et des résultats

4.1 Introduction

L'une des étapes les plus décisives, et souvent les plus difficiles, de l'analyse économique des projets forestiers est l'identification correcte des apports et des résultats du projet. Les estimations d'apports directs sont en général les plus faciles à faire. Ces apports comprennent des facteurs de production tels que main-d'oeuvre, terre, biens d'équipement, fournitures diverses.

Les estimations de biens produits, tels que bois de feu, bois d'oeuvre, fourrage, etc. peuvent également en général être traitées de manière simple. En revanche, les services rendus par la forêt en matière d'environnement posent davantage de problèmes pour leur évaluation chiffrée. Il faut souvent les traiter dans un sens qualitatif, par exemple en relation avec la protection de bassins versants, la préservation de la biodiversité, les avantages esthétiques, la contribution au tourisme de nature, etc. La foresterie environnementale se préoccupe pour une large part d'éviter des pertes, et de tels bénéfices sont difficiles à estimer.

Dans ce chapitre nous présenterons un cadre général pour l'identification et l'évaluation chiffrée des apports et des résultats associés à différents types de projets forestiers.

Dans tous les cas, la même séquence générale peut être suivie:

1. Première étape, l'analyste identifie les composantes du projet pouvant être analysées séparément, c'est-à-dire celles pour lesquelles on peut raisonnablement dissocier les apports et les résultats et les analyser comme entités distinctes du point de vue des relations coûts-bénéfices. Dissocier les composantes d'un projet est important pour deux raisons. Tout d'abord, cela rend le processus d'analyse plus maniable, et ensuite, comme indiqué aux chapitres 2 et 3, les conditions de l'efficacité financière et économique comportent l'exigence que toutes les composantes dissociables du projet aient des bénéfices au moins égaux aux coûts (L'efficacité financière ou économique pour l'ensemble du projet pourrait être accrue en renonçant aux composantes dont les coûts excèdent les bénéfices). Cette étape est discutée à la section 4.2.

2. Dans la deuxième étape, l'analyste identifie et chiffre les apports et les résultats qui entreront dans les analyses financières effectuées pour répondre aux questions financières discutées aux chapitres 2 et 3. Ce sont les facteurs de production et les produits qui seront achetés ou vendus par les entités participant au projet. Dans la plupart des cas, ils seront classés par catégories de parties intéressées au projet, et éventuellement selon d'autres groupements d'éléments dissociables identifiés dans l'étape précédente. Cette étape fait l'objet des sections 4.3 et 4.4.

3. Dans la troisième étape, l'analyste identifie et, dans la mesure du possible, chiffre les apports et résultats non marchands qui seront inclus dans les analyses nécessaires pour répondre aux questions concernant l'efficacité économique.[7] Ils comprennent des services environnementaux, des fonctions de protection, des produits non commercialisés et autoconsommés, etc. (voir figure 4.1). Cette étape fait l'objet des sections 4.5 et 4.6.

Figure 4.1 Le rôle central des forêts dans la vie humaine (Source: Kenya Forestry Research Institute Newsletter No. 2, May-June 1987).

4.2 Composantes du projet: dissociabilité et interdépendance

Comme on l'a mentionné ci-dessus, la première étape dans l'identification et l'évaluation chiffrée des apports et des résultats consiste à décider, au moins à titre préliminaire, quelles sont les composantes du projet qui peuvent être traitées comme des éléments dissociables pour être analysées séparément. Les composantes d'un projet sont généralement liées entre elles de l'une des trois façons suivantes. Il y a tout d'abord des liens horizontaux, c'est-à-dire que les composantes sont parallèles entre elles. Par exemple, on pourrait considérer les activités d'un millier de familles d'agriculteurs participant à un projet de reboisement comme un millier de composantes liées horizontalement pendant toute la durée du projet. La question est de savoir si elles doivent être analysées séparément.

En second lieu, il y a des composantes qui sont liées verticalement, lorsqu'une activité ou une composante du projet dépendent directement d'autres activités ou composantes, par exemple une plantation forestière et la fertilisation qui s'y associe. Les liaisons verticales constituent en général une dépendance à sens unique; par exemple, la fertilisation n'a de sens que s'il y a des arbres à fertiliser, par conséquent il n'est logique d'envisager cette composante qu'en fonction de la plantation d'arbres effectuée. L'inverse n'est pas vrai. On devrait logiquement analyser l'économie d'une plantation avec et sans apport d'engrais, c'est-à-dire vis-à-vis de la composante dissociable de fertilisation. La question est de savoir si le coût supplémentaire de l'engrais est justifié par les bénéfices supplémentaires attendus (par exemple, croissance supplémentaire par unité de temps). Si ce n'est pas le cas, cette composante dissociable devra être éliminée.

Troisièmement, il y a des interdépendances avec d'autres projets qui doivent être considérées. Dans la plupart des cas, cela revient à la question de savoir si les limites du projet ont été identifiées et définies de manière appropriée. Par exemple, on doit se demander si une plantation forestière destinée à une opération industrielle doit être traitée comme un projet distinct ou comme une composante d'un projet intégré plus large, forestier et industriel.[8] D'autres questions particulières se rapportent au traitement de projets ne constituant qu'une étape dans un programme en cours, dont les résultats finaux ne se produiront qu'après achèvement du projet analysé. Il faut dans ce cas se préoccuper des reports de valeurs, et de la question de la définition d'un cadre temporel approprié pour le projet.

4.2.1 Composantes horizontales des projets

Les projets forestiers peuvent comporter deux types de composantes horizontales. Le premier se rencontre dans des projets conçus en vue de produire des résultats multiples, par exemple sciages et contreplaqué, ou encore des biens et services simultanés tels que bois d'oeuvre, protection des sols ou des bassins versants, habitat de la faune sauvage. Le deuxième se rapporte à l'échelle du projet, c'est-à-dire le cas où des unités multiples, relativement indépendantes produisant les mêmes résultats sont pour des raisons administratives ou autres associées dans un même projet. Ce pourra être par exemple un projet communautaire de plantation de bois de feu comportant des sous-unités ou composantes dans un certain nombre de communautés indépendantes, ou encore un projet de foresterie paysanne comportant un appui pour la réalisation de nombreuses petites plantations indépendantes sur des terres privées dans une région donnée.[9]

Pour ces deux types de composantes horizontales - résultats multiples ou producteurs multiples de même(s) résultat(s) - il y aura toujours des apports communs qui seront nécessaires pour toutes les composantes, ne serait-ce que l'administration du projet du fait qu'elles sont intégrées dans un même projet, mais très souvent elles auront aussi d'autres apports en commun, par exemple infrastructure, services de commercialisation, etc.

Dans certains cas il est possible d'opérer des analyses séparées de chaque composante. Un cas caractéristique est celui où plusieurs activités de production parallèles sont incluses dans le cadre d'un même projet. Par exemple, dans un projet destiné à produire du contreplaqué et des sciages, les principaux facteurs de production peuvent généralement être affectés séparément aux deux activités - bien que sans doute elles en auront aussi en commun, par exemple administration, une partie de l'infrastructure, etc.

Dans de nombreux autres types de projets forestiers ayant des résultats multiples, il n'est guère possible de faire des analyses séparées des composantes, étant donné que la plupart des apports nécessaires pour produire les résultats prévus sont communs à toutes. Par exemple, un projet agroforestier pourra produire du bois, du fourrage, et des rendements agricoles accrus grâce à la protection du sol. Ces trois résultats (usages multiples des arbres plantés) proviennent du même système de production, et des mêmes apports de facteurs de production, et il est par conséquent difficile, sinon impossible, de les dissocier du point de vue des apports.

Dans ce dernier cas, on pourrait analyser le coût de l'addition d'un objectif ou d'un résultat. Par exemple, on pourrait analyser le coût supplémentaire de gestion et d'exploitation associé à la fonction de protection des sols d'une plantation sur un terrain en pente destinée en premier lieu à fournir du bois et un habitat pour la faune sauvage. Mais ce ne serait pas la même chose que d'analyser le résultat de protection du sol comme une composante horizontale distincte, étant donné que les coûts supplémentaires requis pour obtenir la protection du sol ne seraient pas les mêmes que les coûts totaux de cette action prise isolément.

Pour un projet mettant en jeu un certain nombre d'unités relativement indépendantes produisant les mêmes résultats (tel que les exemples de plantation de bois de feu ou d'agroforesterie paysanne cités ci-dessus), il y a un ensemble différent de questions que l'on doit se poser pour déterminer l'intérêt de considérer des unités dissociables. Tout d'abord, et surtout, se pose la question des données et des informations sur lesquelles on puisse fonder cette dissociation. Si, comme c'est souvent le cas, on utilise pour toutes les composantes des estimations de conditions moyennes ou typiques, par manque d'informations plus détaillées, des analyses séparées n'auront guère de sens, étant donné que toutes les composantes présenteront les mêmes conditions supposées, et que par suite les analyses de chacune d'elles fourniront les mêmes résultats (voir encadré 4.1).

Encadré 4.1. Dissociabilité des composantes lorsqu'on utilise des moyennes

Dans l'exemple d'un projet agroforestier aux Philippines, comportant l'octroi de subventions à plusieurs centaines de petits agriculteurs, la base de données était telle que le mieux que l'analyste puisse faire, compte tenu des limitations de temps et de fonds, était d'utiliser des estimations des besoins “normaux” de facteurs de production et des rendements “normaux” dans la zone de projet. On ne disposait pas d'information sur laquelle on puisse fonder une analyse séparée de la rentabilité relative pour différents types d'exploitations agricoles ou différents sites. C'est pourquoi on n'a pas fait d'analyses séparées, mais analysé une exploitation moyenne et extrapolé les résultats pour prendre en compte tous les participants présumés au projet.

Même si l'on avait disposé de données plus détaillées, il ne valait pas la peine que l'analyste consacre du temps et des efforts pour analyser séparément chaque participant potentiel. Toutefois, on aurait pu faire des analyses distinctes pour plusieurs grandes catégories de sites ou de productivité afin de donner une indication de la rentabilité relative pour différents groupes à l'intérieur du projet d'ensemble. Une telle information serait utile pour établir des priorités dans le cas où il y aurait plus de participants que de fonds disponibles.

La justification de la dissociation des composantes, même si l'on dispose de l'information nécessaire pour la faire, dépend de la situation particulière du projet, du temps et des fonds disponibles pour l'analyse, et des objectifs et contraintes des institutions engagées dans le projet. Il est rarement indiqué de dissocier toutes les composantes d'un projet, mais il vaut généralement la peine, dans la plupart des types de projets forestiers, de considérer certaines grandes catégories de composantes. Une fois que la dissociation appropriée a été décidée, l'analyste peut poursuivre l'identification des apports et des résultats par composante, en établissant des tableaux distincts de flux physiques et de valeurs unitaires pour chacune d'elles.

Certains objectent que, tant que l'on ne peut affecter séparément tous les apports à des composantes déterminées, il est peu justifié des faire des analyses séparées des composantes. Leur argument est que l'affectation arbitraire de coûts communs est artificielle, et peut conduire à des décisions erronées. C'est en réalité une question de proportion. Dans le cas où les coûts communs sont importants en comparaison des coûts dissociables (disons de l'ordre de 25 pour cent ou plus des coûts totaux), des analyses séparées des composantes pourraient entraîner des difficultés.

En résumé, pour les composantes d'un projet liées horizontalement, l'analyste doit rechercher dans quelle mesure les apports et les résultats (les coûts et bénéfices) peuvent être dissociés de manière utile. Si les trois-quarts ou plus des coûts requis pour une composante donnée peuvent être isolés du reste, il est sans doute à propos d'analyser cette composante séparément, en utilisant toutes informations et tous jugements disponibles pour la répartition des coûts communs. Si aucune des composantes du projet n'apparaît être raisonnablement dissociable du point de vue des apports, ceux-ci devront alors simplement être relevés pour l'ensemble du projet.

Ce qui précède se rapporte à l'analyse d'un projet dont la portée est déjà définie. Si l'analyse économique est utilisée pour déterminer la portée et le contenu qu'il convient de donner à un projet (donc au stade d'identification du projet), les composantes horizontales et les diverses combinaisons possibles de composantes pourront être examinées plus en détail.

4.2.2 Composantes verticales des projets et dépendance unilatérale

On peut également distinguer dans la plupart des projets forestiers et des projets d'industrie forestière des composantes ou des activités verticales, pour lesquels le produit ou résultat d'une composante est un apport à une autre composante du projet. Par exemple, le bois produit par un reboisement est un apport à une activité de transformation, tous deux étant des éléments d'un projet intégré défini de reboisement et d'industrie forestière. La production de bois et sa transformation sont des activités distinctes bien définies, si le bois a d'autres emplois ou valeurs possibles que dans les activités de transformation du projet (s'il n'a pas d'autres emplois possibles, il ne doit pas être analysé séparément). Le principal point à garder présent à l'esprit lorsqu'on traite de composantes liées verticalement est la notion de dépendance unilatérale. Cette notion est illustrée par un exemple dans l'encadré 4.2.

En résumé, les apports et les résultats doivent être classés par composantes verticales dissociables, de façon à pouvoir faire une analyse pour déterminer s'il est opportun économiquement d'ajouter des composantes successives à un projet d'ensemble (comme dans l'exemple de l'apport d'engrais dans un projet de reboisement).

D'après ces commentaires sur les composantes horizontales et verticales, on peut voir que pour la plupart des projets il faudra un certain nombre de tableaux de flux physiques intermédiaires pour les composantes dissociables, et non un seul pour l'ensemble du projet. Ainsi, si un projet comprend deux composantes horizontales dissociables et pour chacune d'elles deux composantes verticales dissociables, il pourra y avoir six tableaux de flux distincts. Un tableau d'ensemble de flux sera également établi, une fois analysées les composantes dissociables.

Encadré 4.2. Composantes verticales des projets et dépendance unilatérale

Supposons par exemple un projet de reboisement pour lequel on envisage un apport d'engrais. Si l'on applique le principe avec et sans, on peut voir la dépendance à sens unique entre la plantation et la fertilisation. Sans le projet de plantation forestière, l'engrais ne serait évidemment pas appliqué. C'est pourquoi, si l'on recourt à la fertilisation dans le projet, les coûts et bénéfices totaux en jeu doivent être pris en considération dans l'analyse. Le projet de reboisement peut être entrepris sans la fertilisation (il est indépendant de la fertilisation), tandis que la fertilisation ne peut être entreprise sans la plantation (elle est dépendante de la plantation). Par conséquent, on peut logiquement séparer ces deux éléments pour l'analyse de la rentabilité de la plantation avec et sans fertilisation, mais il serait dénué de sens, dans ce cas particulier, d'analyser la fertilisation sans considérer également la plantation.

En même temps, il faut souligner qu'il est légitime d'analyser les coûts et bénéfices supplémentaires associés à l'addition d'une composante. Par conséquent, pour les composantes verticales, l'analyste doit s'efforcer de dissocier les apports et les résultats, de façon à pouvoir faire une analyse pour apprécier si l'addition d'une composante verticale immédiatement au-dessus entraîne un surcroît de la valeur actualisée des bénéfices nets totaux du projet. Pour prendre à nouveau l'exemple d'un projet envisageant un apport éventuel d'engrais sur une plantation forestière, supposons que le profit total du projet, en incluant la composante fertilisation, soit de 1 500 $, et le coût total de 1 200 $, tous deux ajustés pour tenir compte du facteur temps (actualisés). Si l'on considère le projet dans son ensemble, le bénéfice net sera de 300 $, et le projet sera considéré comme économiquement rentable. En revanche, si l'on considère les coûts et bénéfices supplémentaires dus à la composante fertilisation, on s'aperçoit que le profit supplémentaire dû à l'engrais est de 100 $, tandis que le coût de l'engrais et de son application est de 150 $. L'apport d'engrais entraîne par conséquent un coût net de 150 - 100 = 50 $. Le profit net total serait de 50 $ plus élevé, soit 350 $, si la composante fertilisation était exclue. En vertu de la deuxième condition de l'efficacité économique, le projet ne sera pas considéré comme économiquement efficace à moins que l'on n'élimine la composante fertilisation. Ce n'est qu'en analysant les coûts et bénéfices supplémentaires entraînés que l'on peut voir si un élément dépendant doit être inclus dans le projet.

Deux points doivent être soulignés.

1. Dans notre exemple nous avons supposé que la plantation et la fertilisation étaient tous deux considérés comme des éléments d'une proposition de projet. Si la plantation était déjà établie, la composante fertilisation serait considéré comme un projet distinct, et seuls les coûts et bénéfices entraînés par la fertilisation seraient analysés (c'est-à-dire qu'on leur appliquerait le principe avec et sans). On arriverait à la même conclusion que ci-dessus, à savoir que les coûts de la fertilisation excéderaient ses bénéfices.

2. Nous avons aussi supposé que le bois produit par le reboisement sans fertilisation aurait un emploi économique. Cette hypothèse serait vraisemblablement exacte dans le cas considéré. Cependant dans certains cas cette hypothèse pourrait ne pas être valable; il faudrait alors traiter les composantes comme étant indissociables. Ainsi, si le bois produit dans un projet intégré n'a pas de valeur autre que dans les activités particulières de transformation envisagées comme composante du projet, le bois produit à part de l'activité de transformation ne peut être valablement évalué (les deux composantes ne sont pas dissociables).

4.2.3 Interdépendance avec d'autres projets

Les deux types de relations ci-dessus se rapportent à des interdépendances et à la dissociabilité des éléments à l'intérieur d'un projet défini. Deux autres types de relations doivent également être analysés pour identifier convenablement les apports et les résultats. Le premier se rapporte aux interdépendances dans le temps entre le projet et d'autres projets, autrement dit au cas où le projet ne représente qu'un élément d'une activité ou d'un programme en cours. Ce type de projet est appelé projet tranche. Le deuxième type de relation est l'interdépendance qui existe lorsque le produit d'un projet déterminé n'a qu'un emploi, et qu'il n'y a pas de moyen pratique d'estimer la valeur des bénéfices du projet autrement que comme apport pour cet emploi. Ces deux types d'interdépendance et leurs conséquences pour l'identification des apports et des résultats sont discutés ci-dessous, en même temps qu'un cas spécial d'interdépendance se rencontrant en économie forestière, à savoir l'effet de possibilité réalisable.

Projets tranches et interdépendances dans le temps. Il est très fréquent en matière de forêts de trouver des projets qui ne concernent qu'une partie donnée - une tranche - d'un programme en cours. L'identification des coûts et bénéfices dans ce type de projet peut être délicate, en effet il faut veiller à identifier les valeurs reportées d'activités (projets) antérieures, qui doivent être entrées comme coûts dans le nouveau projet, et les valeurs résiduelles associées au nouveau projet, qui doivent être entrées comme bénéfices à la fin du nouveau projet. Cette tâche comporte, entre autres choses, la distinction entre coûts irréversibles et coûts récupérables. Un coût irréversible est une dépense qui a déjà été faite et ne peut être récupérée, et par conséquent ne doit pas entrer en considération dans une analyse d'évaluation d'un projet entraînant des décisions sur les dépenses futures ou l'utilisation future des ressources. Avec ou sans projet, les ressources sont utilisées de la même façon dans le cas des coûts irréversibles. Il n'en résulte par conséquent aucun changement dans le projet. Ces types de valeurs sont traitées comme suit:

Coûts initiaux reportés ou hérités, et traitement des coûts irréversibles. Dans un projet tranche, c'est-à-dire un investissement constituant une continuation ou une expansion d'une opération en cours, les ressources utilisées dans la présente opération qui seront également utilisées dans la nouvelle tranche ou projet-suite doivent être traitées comme suit, en vertu de la règle générale importante qui veut que l'analyse soit fondée sur la différence avec et sans le projet:

Valeur résiduelle à la fin d'un projet.[10] La plupart des projets ont un actif en biens d'équipement (terrains, bâtiments, équipements, etc.) qui ont des durées de vie différentes. Si cette durée de vie est supérieure à la durée choisie pour le projet, c'est-à-dire si le bien considéré aura un autre emploi à la fin du projet, la valeur de cet autre emploi devra être entrée comme valeur résiduelle à la fin du projet. La raison d'être est exactement la même que dans le cas des coûts reportés ou hérités, si ce n'est que les valeurs résiduelles sont entrées comme bénéfices et non comme coûts, étant donné que lorsque le projet sera terminé il libérera des ressources (ou des biens et services) qui pourront être utilisées pour produire d'autres biens et services de consommation.

Les valeurs résiduelles sont courantes dans les analyses financières, du fait que le plus souvent on entre dans les comptes le prix d'achat d'un avoir au moment où il est payé, et ce prix d'achat tient compte de tous les bénéfices à en attendre pendant toute la durée de vie de ce bien, et non pas seulement pendant le temps où il sera utilisé dans le projet. Ainsi, si l'on entre dans l'analyse financière le prix d'achat d'un terrain, il tient théoriquement compte de la valeur de tous les autres bénéfices que ce terrain pourrait produire à perpétuité, et non pas simplement pendant la durée du projet. Par conséquent, si le terrain a une utilisation au delà de la durée de projet - ce qui est le cas normal -, il faudra entrer une valeur résiduelle à la fin du projet pour tenir compte du fait que le terrain sera vendu ou soumis à une autre utilisation lorsqu'il sera libéré à l'achèvement du projet.

Dans une analyse économique, la manière théoriquement correcte d'entrer le coût d'opportunité de la terre est d'entrer chaque année la valeur annuelle à laquelle on renonce en l'utilisant cette même année dans le projet. Dans ce cas, étant donné que seul le coût d'opportunité de la terre durant le temps pendant lequel elle est utilisée dans le projet est entré dans les comptes, il n'y a pas de valeur résiduelle à prendre en compte dans l'analyse économique. Il en est de même pour les autres biens d'équipement, encore une fois, cependant, seulement dans un sens théorique. En réalité il est difficile pour la plupart des biens d'équipement de prendre en compte une valeur annuelle de renoncement ou un coût d'opportunité. C'est pourquoi on les entre habituellement à leur pleine valeur au moment où ils sont affectés au projet, et il y a donc lieu de tenir compte de leur valeur résiduelle. Du point de vue de l'identification des apports, cela signifie qu'un bien d'équipement est entré une fois comme coût dans l'analyse l'année où il est affecté au projet, et qu'on lui attribue une valeur résiduelle qui traduit son coût réel initial, plus la valeur de toutes les améliorations résultant du projet qui ont augmenté son coût d'opportunité réel.

La valeur résiduelle ne doit en aucun cas refléter un accroissement de valeur réelle qui se serait produit sans le projet. En même temps, si le coût d'opportunité réel d'un bien s'accroît pendant la durée du projet, cet accroissement doit apparaître comme coût pour le projet dans les tableaux de valeurs unitaires. Cela peut se produire, par exemple, lorsqu'une nouvelle route augmente la valeur d'utilisation des terres voisinantes.

Les projets tranches peuvent entraîner de sérieux problèmes en matière d'identification et d'évaluation chiffrée des apports et des résultats. Ces complications peuvent être évitées en combinant toutes les activités directement interdépendantes (tranches d'un programme) et en les évaluant comme un seul projet (la composante concernée de la tranche peut en même temps être analysée séparément du point de vue des coûts et bénéfices supplémentaires, comme on l'a discuté plus haut).

Souvent les projets tranches comportent des dépenses sur quelques années d'un programme en cours, les bénéfices intervenant plusieurs années après l'achèvement du projet au sens administratif du terme. La question se pose de savoir comment traiter ces projets. La réponse est claire. Tous les coûts requis pour obtenir le résultat escompté du projet, jusqu'au moment où celui-ci se produit, doivent être inclus dans l'analyse économique, et les résultats doivent également être inclus, même s'ils se produisent plusieurs années après l'achèvement de la durée administrative du projet. En d'autres termes, l'analyse économique traite le projet comme incluant tous les coûts et bénéfices interdépendants associés à la réalisation d'un objectif ou d'un résultat donné. Par exemple, si après l'achèvement d'un projet de vulgarisation de nouveaux agriculteurs adoptent les pratiques préconisées par le projet, les bénéfices nets qui en résultent pourront être attribués au projet.

Interdépendances verticales entre projets ou activités distincts. Dans certains cas, on ne peut valablement prendre de décisions au sujet d'un projet isolément des décisions concernant d'autres projets. Il faut donc les combiner comme si c'étaient des composantes d'un même projet. En particulier, le résultat d'un projet ne peut être évalué convenablement s'il n'a qu'une utilisation possible, comme apport dans un autre projet ou activité déterminé. Ce cas se rapporte étroitement à celui discuté à la section 4.2.2, si ce n'est qu'ici il est proposé un projet qui, en fait, n'est pas dissociable de certaines autres activités. En d'autres termes, dans la définition d'un projet on doit inclure toutes les composantes ou activités principales nécessaires pour que le projet soit réalisable (voir encadré 4.3).

Encadré 4.3. Interdépendances entre projets

Un pays envisage l'installation d'une usine de pâte et papier en vue du marché intérieur. Il n'y a actuellement aucune production de pâte et de papier dans le pays, et tous les papiers consommés sont importés. Pour commencer, les planificateurs nationaux proposent un projet de reboisement pour la production de bois à pâte. L'usine de pâte et papier viendra plus tard. Le projet de reboisement doit être analysé. Un problème se pose alors, du fait que les décisions au sujet du projet de reboisement ne peuvent être prises qu'en fonction des décisions concernant la taille et le type de l'usine de pâte et papier qui sera construite (et la date à laquelle elle sera construite et entrera en service pour absorber la production de bois à pâte). D'autre part, étant donné qu'il n'y a pas de débouché dans le pays pour du bois à pâte, il n'y a pas de moyen pratique d'estimer la valeur de la production de bois à pâte du projet.

Le meilleur moyen de tourner cette difficulté sera de revenir en arrière et de redéfinir le projet pour y inclure à la fois les activités de plantation et celles de fabrication de pâte et papier. La dimension de la composante reboisement pourra alors être mieux définie dans le contexte de l'utilisation projetée du bois qui sera produit, et ce bois sera traité comme un apport aux activités de transformation plutôt que comme un résultat du projet, difficile à évaluer en tant que tel. Le résultat du projet, dans ce cas, sera la production de papier.

Si l'analyste se heurte à ce type de situation, le mieux qu'il puisse faire est de suggérer que les projets distincts soient combinés en un seul ou, si cela est impossible, de considérer uniquement l'aspect de coût de la production de bois. Naturellement, s'il existe une autre utilisation possible du bois produit par le reboisement, une mesure de sa valeur pourra être calculée à partir de la volonté des utilisateurs de payer pour cet autre emploi. Dans de nombreux cas, cependant, en particulier dans les pays en développement où l'on introduit des activités totalement nouvelles, il n'existe pas d'autres utilisations possibles des produits.

Etant donné que ce problème se rapporte en réalité essentiellement au problème de l'évaluation des résultats des projets, il est discuté plus à fond au chapitre 5. Le sujet est évoqué ici comme étant un point à surveiller lorsqu'on définit le champ d'un projet.

D'autres relations mutuelles entre diverses activités doivent être considérées lorsqu'on cherche à définir le champ d'un projet en vue de répondre au mieux à un objectif donné. Par exemple, plusieurs activités initialement définies comme des projets indépendants peuvent être complémentaires d'une ou plusieurs manières. Il se peut que pour mettre pleinement à profit ces complémentarités il soit indiqué de combiner les diverses activités en un seul projet. Par exemple, si les résidus dans un projet de scierie peuvent être utilisés pour la fabrication de panneaux de particules, il faudra envisager la possibilité d'un projet incluant ces deux activités.

Le cas particulier de “l'effet de possibilité réalisable”. Les forestiers sont de plus en plus familiarisés avec la notion de possibilité réalisable, et avec les potentialités qu'elle offre pour accroître le taux de rentabilité des projets de reboisement. La notion fondamentale est que, dans un pays qui a une politique de rendement soutenu et possède beaucoup de forêts âgées qui ne produisent pas un accroissement net appréciable, en établissant des plantations forestières et en les considérant comme faisant partie du massif de forêt âgée on pourra immédiatement accroître la possibilité réalisable de cette forêt, en supposant que le bois produit par les plantations deviendra disponible dans l'avenir pour répondre à la contrainte du rendement soutenu. La valeur du volume supplémentaire de vieux bois exploité immédiatement est alors attribuée au projet de reboisement comme bénéfice. Etant donné que ce bénéfice intervient immédiatement, et non au moment futur où le bois de la plantation sera commercialisable, il tend à accroître la valeur actualisée des bénéfices nets du projet.

Que cela soit ou non une approche correcte pour l'attribution des bénéfices du projet, cela dépendra directement des hypothèses faites en ce qui concerne la politique forestière du pays. On suppose que, si la politique de rendement soutenu en vigueur se maintient, l'effet de possibilité réalisable s'avérera approprié. Cela découle de l'application du concept avec et sans. Sans le projet de reboisement, le supplément de bois ne serait pas exploité maintenant, en vertu de la contrainte imposée par la politique de rendement soutenu. Si la possibilité réalisable est une contrainte réelle (c'est-à-dire s'il y a une demande aux prix actuels pour plus de bois qu'il n'est autorisé d'en abattre chaque année), ces volumes supplémentaires seront effectivement exploités. Ainsi, en raison du projet (et de sa relation avec la politique forestière), le supplément de bois est disponible maintenant pour la société, et est identifié comme bénéfice dû au projet (voir encadré 4.4).

Un argument que l'on entend souvent est le suivant: étant donné que le bois pourrait être obtenu simplement en changeant de politique, comment peut-on attribuer les bénéfices au projet? La réponse remonte aux hypothèses de base concernant les mesures de valeurs utilisées dans le type d'analyse économique discuté ici. Les coûts d'opportunité tels que définis ici s'appliquent à des possibilités qui sont effectivement réalisables, compte tenu de l'environnement politique et social que l'on peut prévoir. Toute politique peut être modifiée. Mais la question pertinente est celle-ci: sera-t-elle modifiée? Si l'on prévoit que la politique de rendement soutenu en vigueur sera maintenue, l'effet de possibilité réalisable sera une approche légitime pour l'évaluation des bénéfices, et le résultat approprié à identifier et entrer dans le tableau de flux physiques sera le volume de vieux bois qui seront exploités immédiatement à la suite du projet. En un sens l'effet de possibilité réalisable devient un moyen de modifier ou de tourner les conséquences de la politique de rendement soutenu.

La politique du rendement soutenu et la politique d'effet de possibilité réalisable qui s'y associe sont deux exemples classiques de politiques qui ne sont pas conçues dans un esprit d'efficacité économique maximale. Ce sont en conséquence des sujets de choix pour une analyse de politique, c'est-à-dire une analyse des répercussions d'une politique donnée.

Encadré 4.4 L'effet de possibilité réalisable

Il y a beaucoup de controverse sur la légitimité d'invoquer l'effet de possibilité réalisable dans l'analyse économique. Ce peut être un outil efficace de politique forestière, mais l'utiliser comme moyen de justifier des investissements forestiers est une autre affaire. Le problème est simple: est-il légitime de cataloguer comme bénéfice d'un projet les volumes de vieux bois que l'on récolte parce que l'on a investi dans de nouvelles plantations d'essences à croissance rapide? Y a-t-il une relation de cause à effet entre un investissement dans de jeunes peuplements et l'exploitation de vieux peuplements ailleurs dans la forêt?

Considérons deux propriétaires forestiers, A et B. A possède un hectare, et B 100 hectares. Le terrain de A est nu, et sur le terrain de B, de même productivité que celui de A, un seul hectare est nu. Le reste du terrain de B est boisé, et comprend 10 hectares de vieux peuplements. A et B décident en même temps de planter leur terrain nu (un hectare pour chacun d'eux) avec la même essence, et de conduire leurs nouveaux peuplements avec la même intensité. Selon ces hypothèses, le taux de rentabilité de l'investissement de A ne devrait pas être différent de celui de B. Cependant, avec une politique de rendement soutenu, B pourra, en vertu de la présence du nouveau peuplement à croissance rapide, commencer à exploiter ses vieux peuplements et en tirer un revenu immédiat. La rentabilité de l'investissement de B sera par conséquent bien supérieure à celle de l'investissement de A.

D'un point de vue économique, le premier scénario est correct, le second ne l'est pas. Il n'est pas économiquement légitime de lier les deux pour démontrer l'attrait économique du reboisement, parce que l'investissement de B sur son terrain nu n'a rien à voir avec le fait qu'il a aussi un “compte d'épargne” sous forme de vieux peuplements à exploiter. Le rendement de l'investissement devrait être le même pour A et pour B. Le revenu élevé de B est dû aux prélèvements sur son compte d'épargne de vieux peuplements, et non aux investissements faits sur son hectare de terrain nu.

4.3 Identification des apports et des résultats: considérations générales

Une fois que l'analyste a déterminé quelles sont les composantes du projet qu'il doit dissocier en vue de l'analyse, l'étape suivante consiste à identifier les apports et les résultats associés à ces composantes. Dans l'analyse économique, tout effet ayant pour résultat un surcroît de biens et services désirables disponibles pour la société est un effet positif, et tout effet ayant pour résultat une réduction en quantité ou qualité des biens et services disponibles pour d'autres usages (y compris les effets écologiques tels que baisse de la qualité de l'eau en aval) est un effet négatif. Les accroissements ou diminutions peuvent se rapporter soit à la quantité soit à la qualité des biens et services, ou aux deux. L'objectif théorique à ce stade est d'identifier tous les effets du projet sur la société. En pratique, il n'est possible d'identifier que certains d'entre eux, en raison de l'insuffisance de l'information disponible et du manque de temps et de fonds pour l'améliorer.

Pour les besoins de l'identification, on fait une distinction entre apports et résultats directs, et effets indirects. C'est plus une question de commodité qu'une raison conceptuelle ou théorique. Les termes sont définis en relation avec l'analyse financière et avec les tableaux de flux physiques qui en sont tirés en vue de l'estimation de la rentabilité commerciale. Dans ce contexte, les apports et résultats directs sont ceux qui entrent dans l'analyse financière (c'est-à-dire qui font directement l'objet de transactions commerciales), tandis que les effets indirects sont tous les autres effets (souvent de caractère non marchand) qui ne sont pas pris en considération dans l'analyse financière.

Un point à noter est qu'un effet donné est défini ici comme étant direct ou indirect, selon qu'il fait ou non directement l'objet de transactions commerciales dans une situation de projet et un environnement particuliers. Par exemple, dans un cas le bois de feu pourra être commercialisé, tandis que dans un autre cas il sera produit et distribué gratuitement, selon un mécanisme de répartition par quotes-parts ou autre. Dans le dernier cas, il ne sera pas entré dans les comptes financiers comme revenu (recette). Dans le premier cas il aurait été pris en compte dans l'analyse financière (voir encadré 4.5).

De même, en ce qui concerne les apports, un apport donné pourra être direct ou indirect dans le contexte des définitions, selon que l'entité pour laquelle est effectuée l'analyse financière paie ou non pour cet apport. Par exemple, si l'Etat fournit à ses frais certaines routes nécessaires pour un projet de reboisement privé, leur coût n'entrera pas dans l'analyse financière relative à l'entité privée en cause, mais du point de vue économique il restera un apport au projet, et devra être identifié comme tel. Si le projet privé construisait la route, et même si le coût en était entièrement subventionné par l'Etat, ce coût apparaîtrait dans l'analyse financière (Voir au chapitre 6 la discussion sur le traitement des subventions dans l'analyse économique).

Encadré 4.5 Le classement en résultat direct ou indirect dépend de la situation

Les forêts naturelles et leurs produits ou utilisations fournissent un exemple de la nécessité de tenir compte du site et de la situation particulière lorsqu'on définit les résultats directs et indirects (c'est-à-dire ceux qui entrent dans l'analyse financière et les autres, qui entrent dans l'analyse économique). Comme on peut le voir dans la liste ci-dessous, la plupart des produits peuvent ou non faire l'objet d'échanges commerciaux selon la situation particulière dans laquelle on se trouve.

Produits pouvant ou non faire l'objet d'échanges commerciaux dans une situation donnée de projet

Produits de consommation:

  • Bois d'oeuvre (marchands/non marchands)

  • Bois de feu et autres combustibles fournis par la biomasse

  • Fruits, noix, feuilles, etc.

  • Animaux de laboratoire, matériels génétiques, peaux, etc.

Produits qui ne sont pas consommés, mais font souvent l'objet d'un paiement en argent:

  • Usage touristique ou récréatif (excursions en forêt, randonnée, safaris photographiques, etc.)

  • Protection des sols et des bassins versants (paiement par les usagers de la terre et de l'eau en aval aux populations en amont pour les services de protection des sols)

  • Valeur d'existence (valeur que l'on attribue à une forêt pour sa seule présence)

Résultats qui jusqu'à présent ne font pas l'objet de transactions commerciales

  • Services socio-culturels: milieu de vie pour les populations autochtones

  • Préservation de la biodiversité (pouvant en définitive aboutir à des biens et services commercialisés)

  • Echanges gazeux et stockage du carbone.

Peu importe qu'un effet soit catalogué comme direct ou indirect. La distinction est faite pour des raisons de commodité, et rappelle à l'analyste de regarder au delà de l'analyse financière pour juger des effets associés à un projet.

Compte tenu de cette remarque, la procédure d'identification proposée ici, et discutée dans le reste du chapitre, sera la suivante:

1. En utilisant les diverses études techniques disponibles, identifier les apports et résultats directs. Dans la mesure où l'on a identifié des composantes du projet dissociables, répartir les apports et résultats directs entre ces composantes. On pourra les entrer dans des tableaux de flux physiques distincts par composante, et les additionner plus tard dans une phase de récapitulation de l'analyse (voir section 4.4).

2. Identifier les effets indirects dus au projet. Les grouper, si c'est possible, par composantes dissociables, comme effets indirects positifs s'ils ajoutent en quantité ou qualité à l'ensemble des biens et services disponibles pour la consommation, ou comme effets indirects négatifs s'ils entraînent une diminution de la quantité ou de la qualité des biens et services disponibles (voir section 4.5).

Lorsqu'on identifie les effets directs et indirects, il importe de les distinguer en fonction de l'usage qui sera fait de l'information résultante dans les stades suivants de l'analyse. Ainsi, ils devront être classés en catégories qui soient logiques du point de vue de l'évaluation, et en fonction des types de tests de sensibilité qui seront inclus dans l'analyse. En règle générale, les activités du projet ne doivent pas être classées comme apports, étant donné que des valeurs chiffrées seront normalement attribuées aux apports (ressources) nécessaires pour mener ces activités et non aux activités elles-mêmes.[11] Par exemple, il ne suffit pas d'identifier le défrichement comme un apport dans l'analyse d'un projet de reboisement. Le défrichement pourra au contraire être une rubrique dans le tableau de flux physiques, mais dans cette rubrique il faudra faire entrer les besoins divers de main-d'oeuvre, supervision, engins, outils, etc. De même, si du moins c'est possible, les constructions qui seront faites dans le projet devront être décomposées en apports élémentaires nécessaires pour les réaliser, et les routes doivent être décomposées en main-d'oeuvre, machines, matériaux nécessaires pour les construire au lieu de les mentionner simplement comme routes. Si cela n'est pas fait, il sera difficile aux stades ultérieurs d'établir des valeurs correctes, étant donné que ce sont les apports nécessaires pour construire les routes qui feront l'objet d'une estimation de prix réels ou virtuels.

4.4 Identification des apports et résultats directs

Les apports et résultats directs sont généralement les plus importants en ce qui concerne les coûts et bénéfices totaux des projets, et constituent les éléments essentiels de leur analyse aussi bien économique que financière. Leur identification se fait habituellement en même temps pour les deux types d'analyse. Dans la plupart des analyses de projets forestiers, ce sont les seuls éléments qui sont explicitement pris en considération en ce qui concerne les valeurs monétaires.

4.4.1 Apports directs

La principale source d'information sur les apports directs sera les études techniques diverses disponibles au moment de l'analyse. Les différentes catégories d'apports pour le projet et pour ses composantes dissociables sont définies, et les quantités correspondantes sont alors entrées dans les tableaux de flux physiques par catégorie et par année à laquelle ils sont nécessaires. La liste des apports est présentée sous une forme propre à faciliter l'évaluation à un stade ultérieur. Le tableau 4.1 montre les principales catégories d'apports qui s'appliquent à la plupart des projets. Ce tableau ne fournit qu'une liste de contrôle commode, qui devra être étendue et détaillée pour chaque cas particulier.

Les catégories d'apports indiquées dans le tableau 4.1 peuvent être rangées de différentes manières par sous-catégories se rapportant (1) aux phases du projet, (2) aux activités ou composantes à l'intérieur de ces phases, et (3) aux sources extérieures et nationales pour chaque phase et activité. Il pourra y avoir trois phases principales:

Les activités dans chaque phase différeront en fonction du projet analysé. Les activités (ou composantes) de production incluront souvent la production de matière première, des activités de transformation, d'emmagasinage, de vente et de distribution. Dans de nombreux types de projets forestiers il n'est guère indiqué de dissocier pour l'analyse économique la phase d'investissement de la phase de production. Il est souvent préférable de les traiter ensemble et de distinguer des activités telles que préparation du terrain, plantation, entretien et conduite des peuplements durant la période de croissance, et d'exploitation et transport ensuite. La seule règle générale pour établir des catégories appropriées est pour l'analyste de classer les apports d'une manière logique du point de vue de l'objectif de l'analyse, c'est-à-dire l'élaboration du tableau de flux de valeurs totales et les mesures de la valeur du projet. Quelques exemples de projets particuliers seront donnés plus loin.

Tableau 4.1 Catégories d'apports directsa

Catégorie d'apports

Commentaires

1. Personnel

Une distinction doit être faite entre main-d'oeuvre masculine, féminine et enfantine, main-d'oeuvre qualifiée et non qualifiée, cadres, consultants, et caractère saisonnier de la disponibilité.

2. Terre

On peut distinguer différentes catégories de terres en fonction de leur utilisation et de leur valeur.

3. Equipement

Des tableaux de travail seront nécessaires avec des listes détaillées et un calendrier des équipements requis. Dans les tableaux définitifs, on pourra utiliser des grandes sous-catégories établies à partir des tableaux détaillés. Les besoins de remplacement devront être inclus.

4. Matières premières

Des articles tels qu'énergie, carburants, matière première ligneuse si elle est achetée, produits chimiques et autres intrants achetés, et eau, peuvent être classés en listes distinctes.b

5. Bâtiments et génie civil

Si les bâtiments et ouvrages de génie civil (logements, routes, autres installations telles que services portuaires) sont entièrement achetés ou loués, ils apparaîtront comme des apports distincts. Si au contraire le projet lui-même comporte des constructions, elles ne devront pas être inscrites comme apports en tant que tels. Il faut plutôt inscrire les besoins de main-d'oeuvre, terrains, équipements et matière premières nécessaires pour les construire.

Nota: Voir dans le texte la discussion plus détaillée sur la manière dont ces apports doivent être classées en sous - catégories se rapportant (a) aux phases du projet, (b) aux activités ou composantes dissociables et (c) aux sources extérieures et nationales.

a/ Comme mentionné dans le texte, suivant les cas, certains des apports peuvent être indirects et non directs, par exemple dans le cas d'infrastructure telle que routes, services communautaires, etc., selon que l'entité du projet pour laquelle est effectuée l'analyse financière les paie directement ou non.

b/ Si des matières premières, telles que bois, sont produites par le projet lui-même, on inscrira les apports nécessaires pour les produire plutôt que les matières premières telles que bois ronds (voir texte).

Si les effets sur la balance des paiements sont une préoccupation majeure des organes de décision, tous les apports pourront être inscrits séparément selon qu'ils proviennent de sources nationales ou étrangères.

Le degré de détail requis pour les tableaux dépend du stade dans le processus de planification. Lors des phases initiales, lorsque l'identification, la définition et la préparation du projet sont l'objet principal, l'analyste peut partir avec des estimations très générales et approximatives qui pourront être utilisées pour les comparaisons initiales entre différentes technologies, échelles et localisations possibles. Lorsqu'on s'arrête à un modèle parmi d'autres, le besoin de détail s'accroît. Une fois que le projet a été conçu et mis en forme, l'analyste pourra souhaiter récapituler simplement les apports par catégories et par activités ou composantes avec des titres comme ceux du tableau 4.1. Le document d'évaluation définitif ne doit pas contenir de détail excessif, mais plutôt faire référence aux études sur lesquelles il s'appuie, de sorte que l'agent de décision puisse trouver les détails s'il le désire. L'analyste ne doit pas être obligé de s'empêtrer dans les détails pour placer la logique du projet et son appréciation dans une perspective claire.

4.4.2 Résultats directs

Les résultats directs peuvent aussi être déduits des études techniques de base et des études de marché qui sont un élément fondamental pour les projets comportant des résultats directs.

Il y a deux types de résultats directs potentiels des projets qui sont parfois difficiles à identifier convenablement. On peut les désigner sous le nom d'économies de coûts et de pertes évitées. Quelques exemples les illustreront. Supposons un projet destiné à réduire les coûts de transport des bois par l'amélioration d'une route forestière. C'est un projet de type “économie de coûts”, et le bénéfice du projet est la différence entre les frais de transport avec et sans projet, c'est-à-dire l'économie de coûts. Le résultat peut être exprimé initialement en termes de ressources économisées, c'est-à-dire les besoins moindres de camions, de personnel d'entretien, de pièces de rechange, etc. Ces mesures physiques sont ensuite converties au stade de l'évaluation chiffrée en mesures monétaires de coûts économisés. De même, on peut envisager un projet de protection de bassins versants pour réduire le coût de dragage d'un barrage qui assure une protection contre les crues et régularise les débits pour utiliser l'eau en saison sèche. Les réductions de besoins en équipements de dragage, main-d'oeuvre, etc. sont identifiées comme étant les mesures physiques du résultat, ou des ressources épargnées (On les chiffre au stade suivant en fonction de ce que ces ressources libérées peuvent produire ailleurs, c'est-à-dire la volonté de payer pour les biens et services supplémentaires qu'elles peuvent maintenant produire en étant employées autrement). Dans les deux cas, la comparaison finale doit se faire entre les coûts des différents emplois possibles, autrement dit, les projets d'économies de coûts sont considérés vis-à-vis de la troisième condition d'efficacité économique, ou en appliquant la méthode du moindre coût.

Il convient de noter que les projets d'économies de coûts peuvent aussi être orientés vers la prévention de futurs accroissements de coûts. Par exemple, il se peut que le prix relatif de la main-d'oeuvre ait tendance à augmenter, et l'on pourra alors proposer un projet ayant pour objet de réduire progressivement les besoins de main-d'oeuvre pour une activité donnée de façon à pouvoir maintenir les coûts unitaires totaux aux niveaux actuels, ou du moins éviter qu'ils ne s'accroissent au rythme qui se produirait si le projet n'était pas entrepris. Ce type de projet se rapproche beaucoup des projets destinés à prévenir des pertes.

Dans le cas des projets visant à prévenir des pertes, la comparaison doit se faire entre la valeur des pertes évitées et les coûts consentis pour éviter ces pertes grâce aux mesures prises par le projet. Par conséquent, au stade d'identification, les résultats sont identifiés en termes de pertes physiques évitées. Cette approche est illustrée dans un document de la FAO concernant un projet de protection de bassins versants qui comporte des améliorations dans l'utilisation des terres en vue de réduire la sédimentation dans un barrage.

La réduction de la sédimentation a pour effet de réduire la perte de capacité d'emmagasinage du barrage, qui à son tour se traduit par des pertes en aval causées par la disponibilité décroissante d'eau du barrage. Les pertes évitées, ou les bénéfices dans ce cas, sont identifiés en fonction de ces utilisations en aval (étant donné que c'est ce à quoi la société attribue une valeur, et non la capacité du barrage elle-même).

De même, les projets forestiers de protection visent à réduire les risques de pertes dues au feu, aux insectes, aux maladies, etc. Dans ces cas il faudra estimer la probabilité de pertes sans le projet et la probabilité réduite de pertes avec le projet. La différence est le résultat ou bénéfice dû au projet. Cette tâche pourra être confiée aux experts techniques. Une fois qu'il dispose de l'information voulue, la tâche de l'économiste consiste à prendre les estimations de pertes physiques évitées et tenter de leur donner une valeur chiffrée en tenant compte du facteur temps. Les estimations de pertes physiques évitées étant des probabilités, il en sera de même de la valeur de ces pertes. Au stade d'identification des apports et résultats, il n'y a pas de problèmes de nature particulière, toutefois les analyses mettant en jeu des probabilités sont toujours plus compliquées à effectuer (et demandent davantage de données) que celles fondées sur une hypothèse de certitude.

Enfin, on a le cas mentionné plus haut d'un projet qui comporte à la fois la prévention de perles et des accroissements de production par rapport aux niveaux actuels. Par exemple, supposons le cas de terrains se dégradant par suite de l'érosion qui emporte le sol superficiel fertile. On a estimé que la production de ces terrains décroîtra sur une période de 20 ans du niveau A jusqu'à zéro (point B de la figure 4.2). Or un projet est proposé pour augmenter la production en dix ans jusqu'au niveau C, et ensuite la maintenir à ce niveau pendant toute la durée du projet (année 25). La mesure à prendre pour le résultat est la surface ACDE, plus la perte évitée, soit la surface AEB. Si seul l'accroissement de production par rapport au niveau actuel était pris en compte, on sous-estimerait les résultats ou bénéfices du projet.

Si l'on prévoit que la production se maintiendra au niveau C au delà des 25 ans de durée du projet, il faudra également inclure dans les calculs du projet les bénéfices de production des terrains au delà de cette période, déduction faite de tous les coûts supplémentaires requis pour maintenir la production à ce niveau. En d'autres termes, à l'achèvement du projet il reste une valeur résiduelle (ainsi qu'expliqué au chapitre 3) qui peut être attribuée au projet. On peut voir que l'application du concept avec et sans est essentielle pour identifier correctement les bénéfices dans ces cas.

Figure 4.2. Bénéfices de la protection des sols

Le tableau 4.2 fournit un exemple de tableau de flux physiques pour un projet forestier, montrant comment les apports et résultats directs sont organisés et comment les apports sont inscrits à l'année (ou aux années) à laquelle ils interviennent, et les résultats à l'année où ils se produisent.

4.5 Identification des effets indirects

Un effet indirect, tel qu'on l'a défini plus haut, est un changement en quantité ou qualité des biens et services à la disposition de la société dû au projet, mais qui n'entre pas dans les comptes pour l'analyse financière parce qu'il n'est pas directement acheté ou vendu sur un marché par l'entité financière pour laquelle l'analyse financière est effectuée.

Un premier point à noter au sujet des effets indirects est que nombre d'entre eux ne peuvent être valablement évalués en termes monétaires. Ils doivent cependant être identifiés en quantités physiques si possible, sinon au moins être indiqués de manière descriptive. Qu'ils aient ou non une valeur monétaire reconnaissable, ils peuvent être importants dans le contexte plus large de la prise de décision, où beaucoup de considérations autres que les valeurs monétaires entrent en jeu.

Un second point est que, chaque fois qu'il identifie un effet indirect positif, l'analyste doit veiller à rechercher l'effet indirect négatif correspondant (coût) nécessaire pour produire l'effet positif. C'est seulement l'effet indirect net qui peut être attribué au projet.

La discussion qui suit illustrera ce point.

Tableau 4.2 Calendrier et quantités de facteurs de production physiques et de produits pour une exploitation supposée “moyenne” de 10 haa

Poste

Unités (par 10 ha)

Année

0

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

11

12

13

14

15

Facteurs de production
Préparation du terrain,
piquetage, trouaison,
plantation

h-jb

74

74

74

74














main-d'oeuvre

h-j

38

38

38

38













plants

Nb

1200

1200

1200

1200













Regarnis



















main-d'oeuvre

h-j

16

16

16

16













plantsc

Nb

300

300

300

300













Fertilisation



















main-d'oeuvre

h-j

25

25

25

25













engrais

kg

4

4

4

4













Désherbages

h-j

68

68

68

68




34

34

34

34

34

34

34

34

34

Eclaircies

h-j









25

25

25

25

25

25

25

25

Produits
Volume sur pied de bois
à pâte (m3)









184,1

205,8

205,8

227,0

227,0

247,8

247,8

268,2

205,8

a D'après l'étude de cas n°1, FAO 1979.
b Hommes-jours.
c On suppose que 25% des plants en moyenne doivent être remplacés.

4.5.1 Effets indirects positifs

Les principaux effets indirects positifs à considérer dans les projets forestiers sont les suivants:

Nous décrirons ci-dessous chacun de ces types d'effets.

Protection des sols et des bassins versants, et conservation des forêts naturelles. De nombreux projets comportant la création ou l'aménagement de forêts produisent également certains effets indirects sous la forme de services fournis par la forêt: amélioration des sols, protection de bassins versants, et éventuellement amélioration des habitats de faune sauvage et des possibilités de loisirs. Dans de rares cas, ces services sont payés directement au projet, et ils entrent alors dans l'analyse financière comme résultats directs, mais le plus souvent ils n'ont pas de prix de marché.

L'évaluation chiffrée de ces effets indirects est conditionnée par la disponibilité d'information sur les apports et résultats qui montre les changements dans les résultats qui se produisent avec une activité forestière donnée. En l'absence d'une telle information, l'analyste ne peut faire grand'chose pour les chiffrer.

On a quelques études menées dans des régions déterminées qui relient les diverses activités forestières aux changements en matière de protection des bassins versants, et relient ces changements aux changements dans la consommation en aval.[12] On pourrait peut-être transposer ces résultats spécifiques à une large gamme de situations de projets. Le mieux que l'on puisse faire est de se reposer sur les jugements et les chiffres fournis par les experts techniques. Si de tels effets ont été identifiés en termes quantitatifs, ils entrent dans l'analyse exactement de la même façon que tout autre apport ou résultat chiffré.

Effets de formation et de démonstration. Un projet pourra comporter une Formation de la main-d'oeuvre pour améliorer sa productivité. Les dépenses de formation seront sans doute comptées comme apports directs au projet, mais les effets indirects imputables à la formation ne seront pas comptés dans l'analyse financière, étant donné que l'entité financière du projet ne recueille pas les revenus accrus rendus possibles par l'emploi de cette main-d'oeuvre mieux formée dans d'autres projets lorsque le projet est terminé, ou que la main-d'oeuvre quitte le projet pour s'employer ailleurs. Il est très difficile de chiffrer ce bénéfice, et en particulier de lui attribuer une valeur monétaire. C'est pourquoi il est généralement inclus dans l'analyse de manière descriptive, par exemple: “100 ouvriers seront formés à l'utilisation des scies à chaîne, ce qui accroîtra leur productivité future”. Les dépenses de formation se traduisent aussi par des bénéfices sous la forme de production accrue par unité de facteur de production dans le projet lui-même. Il faudra en tenir compte dans les mesures de résultats directs du projet.

De même, dans de nombreux cas de projets forestiers, l'efficacité de la vulgarisation et les effets de démonstration sont des questions importantes (voir encadré 4.6). Par exemple, un projet public pourra comporter un appui pour l'établissement de plantations de bois de feu dans des communautés choisies. Une fois que les communautés avoisinantes verront les avantages à tirer de telles plantations, elles pourront entreprendre d'elles-mêmes d'en établir pour répondre à leurs besoins croissants de combustible ou pour réduire le coût croissant de ce combustible. Les bénéfices nets résultant de ce type d'effet de démonstration peuvent légitimement être attribués au projet analysé (même si les plantations supplémentaires dues à l'effet de démonstration se situent totalement en dehors de la zone de projet). Le concept avec et sans peut être appliqué pour voir quels bénéfices nets ne se seraient vraisemblablement pas produits sans le projet. Il faut souligner toutefois que ce sont seulement les bénéfices nets qui peuvent être attribués au projet. Si l'on veut attribuer les résultats supplémentaires au projet, il faudra veiller à affecter comme apports les ressources et les biens et services nécessaires pour produire le résultat supplémentaire.

Encadré 4.6 Efficacité de la vulgarisation

L'efficacité de la vulgarisation dépend a) de l'aptitude des agents de vulgarisation à diffuser le message au niveau local et b) de l'effet de démonstration “de l'autre côté de la haie”. Sur le premier point, l'aptitude du vulgarisateur varie selon le milieu et selon sa personnalité. Sur tous les agriculteurs contactés au cours d'une année par les vulgarisateurs, la vulgarisation ne sera efficace que pour quelques-uns, parce que les ménages ruraux sont hétérogènes, avec des motivations et des possibilités d'investissement extrêmement variés. Tous les bénéficiaires ciblés ne sont pas réceptifs. Sur le second point, les participants locaux formés avec succès par les vulgarisateurs diffuseront leur connaissance nouvellement acquise à d'autres agriculteurs “par-dessus la haie”. Les analystes doivent prendre en compte ces considérations, et s'en tenir à des espérances raisonnables en ce qui concerne l'efficacité de la formation et de la vulgarisation à mener.

Supposons qu'un projet agroforestier soit proposé sur un terroir de 60 000 hectares cultivables sur lequel vivent 10 000 familles, que 25 agents de vulgarisation aient été formés, et que l'horizon du projet soit de 20 ans. Supposons en outre que la nature des interventions forestières à vulgariser soit telle qu'un vulgarisateur soit restreint à travailler avec un maximum de 25 foyers par an, visités trois fois par an à raison de trois jours par visite, autrement dit chaque foyer bénéficie de neuf jours de vulgarisation par an.

Ensuite, l'analyste doit, si possible, prendre comme facteurs toutes les réalités de terrain qu'ils sont capables de découvrir. Supposons que seulement 70 pour cent puissent, pour un certain nombre de raisons, être présumés éducables, soit au total 7 000 ménages d'agriculteurs. Ce sont eux qui formeront la population cible, et non les 10 000. Supposons encore qu'il y ait des raisons de supposer (à partir d'autres expériences) que le formation ne sera efficace que pour 50 pour cent de la population cible dès la première fois qu'ils seront en présence du programme de vulgarisation. Les 50 autres pour cent devront être cajolés avec persévérance pour obtenir leur participation. Ensuite l'analyste devra prendre en compte l'effet de démonstration de voisinage - mettons 20 pour cent par an -, qui ne nécessite pas le contact direct d'un agent de vulgarisation. Cette hypothèse devra être étayée si possible par des preuves empiriques.

Les résultats sont présentés sous la forme de trois scénarios (voir ci-dessous). Le scénario 1 traduit ce que la plupart des planificateurs admettent, à savoir que les 25 agents pourront contacter 625 foyers par an, et que tous les contacts seront fructueux. Cela signifie que l'objectif (diffusion effective des interventions proposées parmi les 10 000 familles d'agriculteurs) sera atteint à l'année 16 (10 000: 625 = 16). C'est largement dans les limites de l'horizon de 20 ans du projet. Le deuxième scénario tient compte des deux facteurs d'éducabilité (70 pour cent des participants cibles) et d'efficacité de la formation (50 pour cent). Dans ce scénario le plus pessimiste, il ne sera pas possible de couvrir toute la région avec seulement 25 agents de vulgarisation. Dans ce cas, il faudra soit davantage d'agents soit une durée plus longue (22 ans). Si l'on prend en compte l'effet de démonstration de 20 pour cent, en revanche, les 7 000 familles cibles auront été contactées avec succès avec 25 agents de vulgarisation à l'année 19, selon le scénario 3.

Le scénario 1 est irréaliste, parce que l'on ne peut pas supposer que tous les ménages sont également éducables et qu'ils accepteront d'emblée les interventions proposées avec un même enthousiasme. Le scénario 2 est également irréaliste, parce qu'il ne prend pas en compte l'effet de démonstration. Le scénario 3 tient compte de tous les facteurs, et est le plus réaliste.

La discussion ci-dessus démontre la nécessité de bien ajuster les investissements forestiers aux réalités locales de terrain lorsqu'une participation locale est recherchée. Il faut bien apprécier l'hétérogénéité de la région et de la population cible, l'éducabilité des bénéficiaires cibles et l'efficacité de la formation proposée. L'analyse doit refléter ces réalités de terrain locales et le temps qu'il faudra vraisemblablement pour atteindre les objectifs.

Temps nécessaire pour atteindre les objectifs selon différents scénarios


1. Pas de restrictions d'éducabilité et d'efficacité, effet de démonstration

16 ans

2. Prise en compte de l'éducabilité et de l'efficacité de la formation

22 ans

3. Prise en compte de l'éducabilité, de l'efficacité et de l'effet de démonstration

19 ans

Source: K. Christophersen.


Economies de coûts et meilleure utilisation de la capacité excédentaire dans d'autres secteurs. Si un projet forestier a pour résultat une production de bois moins coûteuse qu'avant (autrement dit une meilleure productivité), il peut y avoir un accroissement des volumes de bois utilisés par une capacité de transformation inemployée en dehors des limites du projet (cet accroissement sera dû au fait que le prix du produit final peut être abaissé parce que les coûts sont diminués; la demande de ces produits augmentera en raison de leur prix plus bas, et par conséquent la fabrication pourra s'accroître pour répondre à cette demande). Le bénéfice indirect dans ce cas sera la production accrue induite en dehors du projet moins les coûts (apports) nécessaires pour amener cette nouvelle production.

De même, un projet routier destiné à réduire le coût du bois rendu sur les lieux d'utilisation (meilleure productivité du transport) pourra avoir des effets indirects au delà des limites du projet. Les routes améliorées pourront être utilisées par les agriculteurs qui diminueront leurs frais de transport et par suite le prix de leurs produits agricoles, ce qui pourra avoir pour effet une demande accrue et une expansion de la production (c'est-à-dire des biens de consommation disponibles pour la société). Ces accroissements pourront être attribué au projet en question (projet routier), déduction faite des coûts (ressources utilisées) nécessaires pour amener ces accroissements de production. La légitimité de l'attribution de ces bénéfices nets pourra là aussi être vérifiée par l'application du concept avec et sans.

Ce type d'effet indirect positif doit être distingué de ce que l'on nomme généralement effet multiplicateur, c'est-à-dire un accroissement de courte durée des revenus engendrés en dehors du projet lorsque l'excédent de capacité de l'économie est activé par le volume supplémentaire de dépenses résultant des investissements faits dans le projet. Les projets forestiers de caractère récréatif sont souvent justifiés en fonction des dépenses supplémentaires qui se produiront dans les communautés avoisinantes. D'un point de vue national, on doit s'interroger sur ces bénéfices. Dans la plupart des cas ce sont simplement des paiements de transfert, en ce sens que les dépenses se produiraient ailleurs en l'absence du projet. Là aussi, l'application du concept avec et sans est d'importance cruciale pour identifier les effets indirects positifs réels associés à de telles dépenses supplémentaires. Ils ne peuvent généralement être justifiés que dans le cas où les fonds disponibles pour le projet ne pouvaient être utilisés que pour le projet analysé et pour aucun autre projet dans le pays. Ce serait le cas pour des dons et prêts conditionnels ne pouvant être utilisés pour autre chose que le projet en question. Dans ce cas encore, ce n'est que l'effet net qui doit être inclus, c'est-à-dire qu'il peut y avoir des dépenses supplémentaires non liées - en dehors des limites du projet - qui sont requises pour réaliser les bénéfices ou effets indirects positifs en question.

4.5.2 Effets indirects négatifs

Il peut aussi y avoir certains effets indirects négatifs associés aux projets forestiers. On peut les grouper dans les principales catégories suivantes:

Effets de pollution et de dommages à l'environnement. L'exemple couramment donné est celui d'une usine de pâte qui renvoie des eaux polluées dans les cours d'eau, nuisant ainsi à la qualité de l'eau et aux bénéfices qu'en retirent les usagers en aval. De même, un tel projet peut nuire à la qualité de l'air. On peut souvent calculer une mesure des quantités de polluants que l'usine déverse dans une rivière ou un lac. Dans certains cas le niveau de pollution accru peut être relié à des pertes pour les consommateurs (exemple: diminution des prises de poissons, problèmes sanitaires aggravés, etc.). Très souvent, toutefois, ce type d'effet indirect négatif est simplement décrit dans le document de projet sans que l'on cherche à l'évaluer, étant donné que l'on ne dispose pas de données sur les relations de cause à effet. La pollution est de plus en plus prise en compte dans les projets, par une taxation des effluents ou l'obligation d'équipements anti-pollution ou d'installations de purification de l'eau. Dans ce cas, ces effets entrent dans l'analyse du projet comme effets ou résultats directs, du fait qu'ils entraînent des coûts financiers et entrent dans l'analyse financière.

Une situation analogue se présente avec la plupart des autres types d'effets indirects négatifs entraînant une dégradation de l'environnement, par exemple une dégradation des sols et des pertes dans un bassin versant par suite d'un projet intervenant sur la végétation en amont. Une masse considérable de travaux de recherche et d'études ont été consacrés aux problèmes de bassins versants et aux possibilités d'améliorer ceux-ci par des actions forestières. On dispose de quelques estimations de relations quantitatives pouvant être utilement transposées d'une situation à une autre. La légitimité de cette transposition doit être appréciée par un personnel technique familiarisé avec l'aménagement des bassins versants et avec le projet.

Accroissements des coûts de production en dehors du projet. Dans certains cas, un projet forestier peut avoir pour effet d'accroître les prix de certains facteurs de production. Ces accroissements se répercuteront sur d'autres producteurs, qui devront réduire leur production. Cela libérera des ressources, dont certaines ne pourront peut-être pas être utilisées pour produire d'autres biens et services. S'il y a une perte nette de biens et services disponibles pour la société en raison de cet effet d'un projet sur les prix, il sera légitime de l'attribuer au projet en tant qu'effet indirect négatif. Une telle perte nette se produit lorsque certaines des ressources libérées n'ont pas d'autre usage possible et restent donc inemployées lorsque les hausses de coûts dues au projet les mettent hors circuit. Par exemple, si la demande de machines importées du projet entraîne une hausse du prix de ces machines au point que certaines autres activités ne peuvent plus les payer et doivent s'arrêter, elles libèrent de la main-d'oeuvre et d'autres ressources qui peuvent ne pas être en mesure de trouver d'autres emplois. La réduction de la valeur de la production des activités arrêtées, moins la valeur de la nouvelle production engendrée par les ressources libérées qui ont trouvé d'autres emplois, fournira une mesure du coût indirect du projet analysé.

Coûts d'infrastructures. Comme on l'a mentionné plus haut, il est fréquent que certaines des infrastructures - routes, services communaux, électricité, communications - qui doivent être mises en place pour le projet ne soient pas payées directement par l'entité financière pour laquelle est effectuée l'analyse financière. Dans ce cas, les coûts associés à ces infrastructures doivent être inclus dans l'analyse économique comme effets indirects négatifs du projet, dans la mesure où leur mise en place entraîne l'utilisation de ressources qui en l'absence du projet auraient pu être utilisées pour produire d'autres biens et services utiles à la société. Les frais de premier établissement comme les frais de fonctionnement associés à ces infrastructures doivent être pris en considération. En même temps, si certaines infrastructures sont utilisées en dehors du projet, il faudra prendre en compte cette utilisation comme étant un effet indirect positif. Là encore, on appliquera le test avec et sans.

Si des infrastructures sont créées et gérées directement par l'entité ou les entités en charge du projet pour lesquelles l'analyse financière est effectuée, elles doivent être incluses dans l'analyse financière, même si elles sont entièrement subventionnées par le gouvernement ou une autre entité non prise en considération dans l'analyse financière. La seule exception sera le cas où l'analyse financière considère la dépense nette du projet par rapport à la subvention. Dans ce cas il n'apparaîtra pas de coût pour l'entité financière du projet dans les comptes financiers, mais le coût devra être inclus dans l'analyse économique. Le coût des infrastructures est réel. Il est impossible de généraliser quant à la manière dont ces subventions et dépenses d'infrastructure sont traitées dans l'analyse financière. Dans chaque cas l'analyste qui prépare l'analyse économique doit examiner les comptes financiers du projet et s'assurer que les coûts pour la société soient inclus et que les subventions soient dûment traitées comme des paiements de transfert, comme il est indiqué au chapitre 6.

Les catégories courantes d'infrastructures dont l'analyste doit ainsi faire l'examen critique sont indiquées dans le tableau 4.3 ci-dessous.

Tableau 4.3 Liste de contrôle des catégories d'infrastructures pour l'analyse économique

Chemins de fer (voies ferrées et matériel roulant)

Transports routiers (routes et véhicules)

Ports

Transports maritimes

Equipements d'exploitation forestière (véhicules, équipements, routes)

Energie électrique (production, distribution)

Téléphone

Réseau de distribution d'eau

Drainage des eaux de pluie

Eaux usées (égouts, traitement)

Logement

Education (écoles)

Santé (hôpitaux)

Services publics (bureaux de poste, services fiscaux, justice, etc.)

Lieux de culte

Installations de loisirs (sportifs et culturels)

Infrastructure commerciale (magasins, banques, hôtels, etc.)


Source: R.G. Steele (1979).

4.5.3 Remarques complémentaires: effets indirects

Comment doit-on s'y prendre pour identifier les effets indirects? Il n'y a pas de recette unique à cet égard, du fait que pour la plupart de ces effets on ne dispose guère de sources d'information directe. Pour parvenir à identifier correctement les effets indirects, il faudra faire appel à l'expérience et à la connaissance des relations en jeu que fournira l'étude d'autres projets et de la littérature technique. Un échange entre différents experts techniques est essentiel, étant donné que l'identification de la plupart des effets indirects dépendra d'une information se rapportant à des relations d'ordre technique.

Ayant des idées générales sur les effets indirects potentiels de types donnés d'activités, l'analyste peut alors estimer si un type donné d'effet s'applique au projet particulier qu'il analyse. S'il décide qu'il en est ainsi, il pourra discuter avec les experts techniques l'importance physique probable des effets (tant positifs que négatifs), et les inscrire dans un tableau (ou des tableaux) séparé(s). Lorsqu'il apparaît impossible d'estimer leur importance quantitative, l'analyste doit néanmoins décrire la nature de l'effet attendu d'une manière aussi précise que possible.

Certains effets indirects seront pris en compte dans l'analyse économique au moyen de prix virtuels d'apports et résultats directs, et n'apparaîtront par conséquent pas comme postes de coûts ou bénéfices distincts (voir chapitre 5). Par exemple, si l'on attribue à l'eau utilisée dans une scierie un prix virtuel pour refléter son coût d'opportunité réel, ce prix virtuel devra incorporer la valeur des possibilités d'utilisation d'eau pure en aval auxquelles on renonce en raison de la pollution des eaux provoquée par le projet. Etant donné qu'identification et évaluation chiffrée sont étroitement liées, en pratique les deux étapes sont menées de front, c'est-à-dire qu'un effet donné est identifié et évalué en même temps. La distinction entre identification et évaluation est faite ici pour la clarté de l'exposé, et pour souligner le fait que même si un effet donné ne peut être évalué en termes monétaires, il doit néanmoins être identifié et précisé de la manière la plus claire possible.

4.6 Apports et résultats (ou effets) liés à la localité

Comme on l'a dit plus haut, les apports et les résultats ou effets associés à un projet doivent être identifiés de telle sorte que le processus d'évaluation soit facilité. Etant donné que de nombreux apports (facteurs de production) et résultats (produits) seront évalués directement sur la base de prix de marché établis dans des localités autres que celles auxquelles les projets produisent ces résultats ou utilisent ces apports, il faut apporter une attention toute particulière aux fonctions de manutention, commercialisation et transport et bien identifier les apports utilisés dans ces fonctions du fait du projet ou économisés en produisant un résultat dans le projet plutôt que de l'importer ou de le produire ailleurs dans l'économie nationale. Cette catégorie d'effets est en relation étroite avec les apports d'infrastructure discutés précédemment.

Comme dans le cas des infrastructures (et autres apports et résultats), les effets liés à la localité peuvent être identifiés comme apports et résultats directs ou comme effets indirects, selon la nature du projet et de l'analyse financière effectuée. Le point important est qu'ils soient inclus dans l'analyse, et non qu'ils soient classés correctement comme étant directs ou indirects.

Les effets liés à la localité à considérer peuvent être divisés en effets généraux, c'est-à-dire s'appliquant à tous les types de projets, et effets spécifiques, c'est-à-dire particuliers à certains types de projets comportant des substitutions (comme expliqué ci-dessous). Dans les deux cas, ils ne se manifestent que lorsque:

Par conséquent, ce type d'effet ne peut être identifié convenablement que dans le contexte du système d'évaluation qui sera utilisé. Cela confirme la remarque faite plus haut qu'en pratique identification et évaluation doivent souvent être menées de front pour certains types d'effets des projets.

4.6.1 Effets généraux

1. Pour tous les produits directs du projet l'analyste doit identifier les apports nécessaires pour les manipuler et les transporter jusqu'à leur point de consommation (ou de départ de l'exportation) prévu, où leur valeur est déterminée. Par exemple, dans le cas d'un produit exporté, sa valeur sera estimée en fonction de son prix d'exportation, généralement déterminé au port de sortie (Ce point sera développé dans les chapitres suivants). Dans ce cas, les moyens - manutention et transport - nécessaires pour amener le produit du point de production dans le projet au port où son prix d'exportation est déterminé doivent être inscrits comme apports dans les comptes du projet (tableau de flux physiques, et plus tard tableau des flux de valeurs).

2. Dans le cas de tous les apports directs utilisés dans le projet, les apports supplémentaires nécessaires pour traiter et amener ces apports (ressources, biens ou services) de leur point d'origine (ou du point où leur valeur est déterminée) au point d'utilisation dans le projet doivent être inclus dans les comptes du projet. Par exemple, dans le cas de facteurs de production importés, qui seront évalués en fonction d'un prix d'importation établi au port d'entrée, les moyens de manutention et de transport utilisés pour les amener du port d'entrée au point d'utilisation dans le projet doivent être inclus.

4.6.2 Effets spécifiques

Outre ces deux considérations générales (qui doivent entrer en jeu pour tous les apports et résultats), il y a deux cas particuliers dans lesquels un projet peut avoir des effets positifs (économie de coûts ou de ressources), et qui doivent être examinés et identifiés s'il y a lieu.

Substitution d'importation

Dans le cas d'un produit d'un projet qui se substitue à une importation ou à un autre bien produit dans le pays, le projet aura souvent pour résultat une économie de frais de manutention et de transport qui auraient dû être dépensés en l'absence du projet. La raison en est que ce bien ou service remplacé par un produit du projet n'aura pas à être manipulé et transporté de son point d'origine (par exemple port d'importation) jusqu'au marché ou point de consommation auquel son prix local de marché (ou la volonté de payer pour ce bien ou service) est déterminé. Par exemple, dans le cas de substituts d'importation qui seront consommés dans un marché A, il ne sera plus nécessaire de manipuler et transporter le bien ou service importé du port d'entrée au marché A. Les ressources économisées en raison de la substitution sont un effet positif du projet, si elles ont des emplois productifs ailleurs dans l'économie du pays. Cela sera déterminé aux stades d'évaluation. Au stade d'identification ces ressources économisées par suite du projet doivent toujours être incluses (Naturellement, les effets décrits à la section 4.6.1, § 1, seront également inclus [voir à titre d'exemple encadré 4.7]).

Encadré 4.7 Identification d'effets liés à la localité: substituts d'importations

Supposons que le prix d'importation d'un bien au point d'entrée dans le pays (converti en équivalent en monnaie locale) soit utilisé pour évaluer un produit d'un projet qui lui sera substitué. L'équivalent en unités de monnaie locale au port d'entrée (point X) est 100 U. En y ajoutant les frais de commercialisation (transport et manutention, etc.) jusqu'au point de consommation (point Y), on arrive à un prix local 140 U (que l'on suppose ici être égal à la volonté de payer pour le produit au point de consommation). On peut voir qu'en outre de l'économie de l'équivalent en monnaie locale du prix d'importation, on économise les frais supplémentaires de manutention et de transport de 40 U du port d'entrée (point X) au marché ou point de consommation (point Y). On peut légitimement attribuer cette économie au projet comme effet positif distinct (économie de ressources) en outre de l'économie directe de coûts d'importation qui sera utilisée pour évaluer le résultat direct du projet. Naturellement, le fait de produire à l'emplacement du projet Z entraîne des frais de manutention et de transport de 30 U entre le point Z et le marché (point Y). Ces besoins supplémentaires de services de transport et de manutention sont traités à la section 4.6.1, § 1 comme un coût supplémentaire (ou un apport nécessaire) dû au projet.

Apports au projet qui auraient été exportés

Dans le cas d'un projet qui utilise comme apport une ressource locale ou un bien ou service produit localement qui auraient été exportés en l'absence du projet, cette utilisation par le projet aura pour résultat une économie dans les ressources supplémentaires qui auraient été nécessaires pour manipuler et transporter le produit du projet en question de son point d'origine au port d'exportation ou au point d'utilisation où son prix est déterminé. Ces économies d'apports supplémentaires sont légitimement identifiés au stade discuté ici comme effets indirects positifs dus au projet (voir exemple dans l'encadré 4.8).

Dans les deux cas ci-dessus, la nécessité d'inclure les effets mentionnés découle de la nature des mesures de valeur qui sont couramment utilisées et du fait que ces mesures sont déterminées dans des localités qui sont différentes soit de la localité du projet soit du ou des points de consommation (ou d'exportation dans le cas du deuxième type d'effet). Dans tous les cas, l'attribution aux apports supplémentaires ou effets indirects positifs identifiés d'une valeur positive ou nulle dépend du fait que les apports supplémentaires utilisés ou économisés ont d'autres emplois productifs possibles (c'est-à-dire un coût d'opportunité) ou non. Cela est déterminé au stade d'évaluation.

Dans le chapitre suivant, qui traite de l'évaluation des apports et des résultats, on supposera que les effets du projet liés à la localité ont été explicitement reconnus et identifiés à ce stade antérieur de l'analyse, et seront donc évalués indépendamment des valeurs attribuées aux apports et résultats directs du projet. Cette approche a l'avantage de désigner clairement les apports de manutention et transport, et de ne pas créer de confusion pour l'organe de décision en déduisant les coûts de transport et manutention des prix établis utilisés pour évaluer les résultats ou apports directs du projet.

Encadré 4.8 Identification d'effets liés à la localité: apports au projet qui auraient été exportés

Un exemple illustrera ce point. Supposons que l'on ait les conditions suivantes. L'équivalent en monnaie locale du prix d'exportation qui aurait été obtenu par l'apport s'il n'avait pas été utilisé dans le projet est 200 U au port de sortie (point M)*. Cette valeur est prise comme base pour évaluer le coût d'opportunité de l'apport utilisé dans le projet. Cependant, en utilisant cet apport dans le projet plutôt que de l'exporter, on économise 50 U, coût des moyens de transport et de manutention qui auraient été nécessaires pour amener cette ressource ou ce bien ou service de son point d'origine (point N) au port de sortie (point auquel le prix 200 U est déterminé). On peut légitimement attribuer cette économie au projet comme effet indirect positif. Naturellement, il faudra d'autre part inclure comme apport direct supplémentaire dû au projet le coût supplémentaire 30 U nécessaire pour amener l'apport au projet de son point d'origine (point N) au point d'utilisation dans le projet (Cela découle de l'application du concept avec et sans, et est pris en compte selon la section 4.6.1, § 2).

Il convient de noter que les ressources 50 U économisées en n'ayant pas à amener l'apport (ressource, bien ou service) de son point d'origine au port de sortie d'où il aurait été exporté pourrait aussi avoir été déduit de 200 U pour arriver au coût d'opportunité net associé à l'emploi de l'apport dans le projet plutôt que de l'exporter. Les deux approches, celle qui consiste à traiter les coûts de transport et manutention (évalués à 50 U) comme des effets distincts du projet, et celle qui consiste à les déduire de 200 U, donneront exactement le même résultat. Par conséquent, la question qui se pose en réalité est de savoir laquelle des deux approches fournit la meilleure information pour l'organe de décision, ou cause le moins de confusion. Il semble que la première soit celle qui cause le moins de confusion et entraîne le moins de risque d'erreur pour parvenir au tableau final des coûts et bénéfices directs et indirects associés au projet. L'approche recommandée conduit à un processus plus systématique d'identification et d'évaluation de tous les effets du projet.


* Le calcul de l'équivalent en monnaie locale sera discuté au chapitre 5.



[7] L'analyste devra également inclure les apports ou résultats qui sont commercialisés mais ne sont pas considérés dans l'analyse financière parce que ce sont des effets externes (par exemple, perte de récolte de blé en raison de la pollution causée en aval par le projet).
[8] Il existe des exemples de graves erreurs commises dans des cas où une plantation forestière a été analysée séparément du projet industriel auquel les arbres plantés étaient destinés.
[9] Comme exemples, voir les études de cas esquissées dans la IIIème partie.
[10] La valeur résiduelle est souvent appelée valeur de récupération. Cependant, dans le cas de la terre, il semble mal à propos de désigner la valeur de la terre à la fin d'un projet sous le terme de valeur de récupération. C'est pourquoi nous utiliserons le terme plus général de valeur résiduelle.
[11] Les tableaux récapitulatifs pourront présenter les coûts par activités, mais on ne pourra les établir qu'en estimant les apports réellement nécessaires pour exécuter ces activités.
[12] Voir dans Gregersen et al. (1987) des détails sur les apports et les résultats en matière d'aménagement de bassins versants.

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