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6. Conduite de l'analyse (Comparaison des coûts et bénéfices)

6.1 Introduction

Une fois que les apports (facteurs de production) et les résultats (produits) auront été identifiés et leurs quantités portées dans le tableau de flux physiques, et que leur valeur unitaire aura été estimée (au moins pour ceux dont on peut estimer une valeur), on pourra commencer à conduire l'analyse en comparant coûts et bénéfices de diverses manières pour répondre aux questions posées par l'organe de décision. On peut distinguer différentes étapes:

6.2 Etablissement de tableaux de flux de valeurs

La première étape de l'analyse consiste à combiner les informations des tableaux de flux physiques et des valeurs unitaires en tableaux de flux de valeurs tels que décrits au chapitre 3 (voir tableaux 3.6 et 3.12).

S'il s'agit d'une analyse financière, ce tableau de flux de valeur sera désigné sous le terme de tableau de cash-flow ou flux de trésorerie (voir tableau 3.6), étant donné que dans l'analyse seuls les valeurs financières et les prix de marché sont considérés. Si au contraire il s'agit d'une analyse économique, on parlera de tableaux de flux de valeurs (voir tableau 3.12), dans lequel on considère les valeurs économiques des coûts et bénéfices.

6.2.1 Relation entre les tableaux de cash-flow et les tableaux de flux de valeurs économiques

Il est instructif d'examiner les principales différences entre le tableau de flux de valeurs totales pour l'analyse économique et le tableau de cash-flow utilisé dans l'analyse financière (tel que décrit au chapitre 2). Pour établir un tableau de flux de valeurs économiques à partir d'un tableau de cash-flow, il faut procéder à trois types d'ajustements:

1. Ajouter certains coûts et bénéfices qui ne figurent pas dans le tableau de cash-flow;

2. Réévaluer certains coûts et bénéfices du tableau de cash-flow, en utilisant des prix virtuels au lieu des prix de marché;

3. Supprimer les paiements de transfert du tableau de cash-flow, et opérer un ajustement pour tenir compte des différences dans l'échelonnement des coûts économiques et financiers et des bénéfices économiques et financiers.

Les deux premiers de ces ajustements ont déjà été discutés (le premier au chapitre 4 et le second au chapitre 5). Le troisième ajustement - la prise en compte du temps et le traitement des paiements de transfert qui apparaissent dans le tableau de cash-flow - est discuté ci-dessous.

6.2.2 Traitement des paiements de transfert et de l'échelonnement dans le temps des apports

Les questions qui suivent n'entrent en jeu que lorsque le tableau de flux de valeurs totales est dérivé directement du tableau de cash-flow. Si ce tableau des flux de valeurs totales est établi à partir des tableaux d'apports et résultats physiques et des tableaux de valeurs unitaires, les transactions financières qui comportent des transferts d'argent, telles que les taxes et les subventions qui sont importantes dans les tableaux de cash-flow, n'apparaîtront pas.

Les principaux types de paiements de transfert sont les taxes, les subventions, les encaissements de prêts, et les remboursements de prêts et intérêts. Les tableaux de flux de valeurs totales doivent être ajustés de telle sorte que les taxes et frais d'emprunts ne soient pas traités comme des coûts et déduits des bénéfices, et que les subventions et les encaissements de prêts ne soient pas ajoutés aux bénéfices ou déduits des frais.

Dans le cas des prêts, Squire et van der Tak (1975) expliquent comme suit les ajustements nécessaires:

“.... le paiement par le projet d'intérêts sur un prêt intérieur ne fait que transférer le pouvoir d'achat du projet au prêteur. Le pouvoir d'achat des intérêts payés traduit certes la maîtrise de ressources, mais son transfert ne constitue pas une utilisation de ressources réelles, et en conséquence il ne constitue pas un coût économique. De même, le prêt lui-même et son remboursement sont des transferts financiers. En revanche, les investissements et autres dépenses financées par le prêt mettent en jeu des coûts économiques réels. Le coût financier du prêt intervient lorsque le prêt est remboursé, mais le coût économique intervient lorsque le prêt est dépensé. L'analyse économique n'a pas, en règle générale, à se préoccuper du financement de l'investissement, à savoir de la source des fonds et de la manière dont ils sont remboursés.”

Des arguments analogues valent pour les taxes et pour les subventions, toutefois un point supplémentaire demande à être éclairci pour éviter une confusion courante. Il a été dit au chapitre 5 que les droits de douane (taxes) et les primes à l'importation (subventions) devaient être considérés en calculant des mesures de la volonté de payer locale, c'est-à-dire que leur effet sur les prix locaux ne doit pas être éliminé si l'on prévoit qu'ils se maintiendront pendant la durée du projet. Pourquoi affirme-t-on maintenant que les taxes prélevées sur le projet et les subventions qui lui sont fournies doivent être ignorées dans l'analyse économique? La réponse est que l'on a affaire à deux considérations différentes. Dans le cas du calcul des valeurs à utiliser pour les apports au projet et pour les résultats du projet, on s'intéresse aux mesures qui reflètent la volonté de payer locale pour ces biens ou services sur les marchés existants. L'effet de la volonté de payer sur les paiements de transfert doit être pris en compte, étant donné la définition de la valeur économique utilisée ici.

En revanche, lorsqu'on calcule la mesure économique appropriée de la valeur du projet, on se préoccupe des flux de ressources matérielles et des flux réels de biens ou services de consommation provenant du projet, évalués en fonction des mesures de coût d'opportunité et de volonté de payer discutées plus haut. Une taxe prélevée sur la valeur d'un produit du projet signifie simplement qu'une partie de la maîtrise des bénéfices dus au projet est transférée du projet au secteur public (Etat). Les bénéfices réels (supplément de biens et services de consommation dû au projet) ne changent pas parce qu'une entité financière paie une taxe. Pour la société, la taxe n'est pas un coût associé au projet. Pour l'entité financière, c'est un coût. Des considérations analogues valent dans le cas de subventions accordées au projet (c'est-à-dire lorsque le gouvernement participe au coût en argent du projet). Les coûts réels (coûts d'opportunité) des ressources utilisées dans le projet restent les mêmes avec ou sans subvention, et ce sont ces coûts qui sont intéressants pour l'analyse économique.

En résumé, les taxes et subventions influent sur la volonté de payer pour les biens et services (et sur la taille du marché et le prix local qui s'établit), mais du point de vue de la société elles ne modifient pas les coûts réels d'un projet ni les bénéfices réels qu'il produit. Les deux considérations sont tout à fait distinctes.

L'amortissement ne doit pas être inclus dans l'analyse économique (et ne doit pas non plus figurer dans le tableau de cash-flow). L'amortissement est simplement un article comptable, et il représente un transfert interne d'une partie du profit en argent d'un compte à un autre en vue de constituer une provision pour remplacement d'avoirs. Dans l'analyse économique, c'est le coût réel d'un facteur de production qui importe, et ce coût est entré au moment où il est utilisé dans le projet.

Enfin, il faut souligner que, s'il établit le tableau de flux de valeurs pour l'analyse économique directement à partir du tableau de cash-flow, l'analyste doit faire attention d'ajuster les dates d'entrée dans le tableau des flux de valeurs pour tenir compte du fait que, dans l'analyse économique, les coûts interviennent au moment où les ressources sont effectivement utilisées dans le projet, ou soustraites à d'autres utilisations possibles, et que les bénéfices interviennent au moment où les produits sont consommés.

Dans l'analyse financière, les coûts interviennent au moment où sont faits les paiements, qui peut différer du moment où les ressources (facteurs de production) sont effectivement utilisées dans le projet. Par exemple, un facteur de production donné peut être utilisé dans le projet à l'année 5, et payé (par tranches) les années 6 à 8. Dans le tableau de cash-flow, les sorties de trésorerie interviendront dans les années 6 à 8, tandis que dans l'analyse économique la valeur du facteur de production devra être entrée à l'année 5.

Il en est de même dans le cas des résultats ou bénéfices. Dans le tableau de cash-flow établi pour l'analyse financière, les rentrées de trésorerie (recettes) sont entrées à la date où elles se produisent effectivement. Un produit donné peut être payé (à l'entité financière du projet) après ou avant le moment où il est effectivement utilisé (consommé). Ainsi, le revenu peut apparaître dans le tableau de cash-flow à une année différente de celle où le produit devient effectivement disponible. Dans l'analyse économique, le bénéfice doit toujours être entré à l'année où le produit est consommé ou utilisé.

6.3 Actualisation des coûts et bénéfices

Si tous les coûts et bénéfices d'un projet intervenaient au même point dans le temps, l'analyste pourrait se contenter d'additionner les coûts d'une part et les bénéfices de l'autre, et de les comparer sans autre ajustement. Mais en fait les coûts et bénéfices d'un projet s'échelonnent sur toute la durée du projet. En règle générale, les projets forestiers peuvent porter sur un nombre important d'années.

Les coûts et bénéfices qui se situent à des points différents dans le temps (des années différentes) ne peuvent être directement comparés. La raison en est que la valeur est intimement liée au temps. La valeur de coûts et bénéfices dépend du moment où ils se produisent. Ainsi, un bénéfice de 1 $ qui se produira dans dix ans n'a pas la même valeur aujourd'hui qu'un bénéfice de 1 $ qui se produit immédiatement. Si l'on dépense 10 $ aujourd'hui et que l'on reçoive en retour 15 $ demain, ce sera sans doute acceptable. Mais si l'on dépense 10 $ aujourd'hui et que l'on ne recouvre les 15 $ que dans 40 ans, ce ne sera plus acceptable. Les montants sont les mêmes; la différence réside dans le temps et dans la disposition des gens à accepter un délai dans la consommation.

Pour la plupart des analyses de projets forestiers, les coûts et bénéfices se produisant dans la même année sont traditionnellement considérés comme ayant la même valeur relative rapportée au temps présent. Autrement dit, tous les coûts et bénéfices se produisant au cours d'une année donnée, même si c'est à différentes périodes de cette année, sont considérés comme étant intervenus au même moment. Il n'y a par conséquent aucune difficulté pour additionner les coûts et bénéfices d'une année donnée en vue de déterminer les bénéfices nets. Le problème est de savoir comment comparer des bénéfices nets (ou des coûts) se produisant à différentes années. Etant donné que le temps a une influence sur la valeur, l'analyste cherchera à dégager une information qui permette à l'organe de décision de comparer les coûts et bénéfices qui se produisent à différents moments, et de comparer des projets qui ont une succession différente de coûts et bénéfices dans le temps.

Plus précisément, la question qui se pose est la suivante: comment une valeur intervenant dans une année future (année n) peut-elle être égalisée avec une valeur intervenant au moment présent (année 0)? Autrement dit, comment les bénéfices et coûts nets apparaissant à la dernière ligne du tableau de flux de valeurs peuvent-ils être comparés?

La méthode courante employée consiste à appliquer aux valeurs de coûts et bénéfices nets futurs un facteur d'ajustement qui reflète leur valeur actuelle. Ce facteur d'ajustement est dérivé de la valeur acceptée de l'argent en fonction du temps. On l'appelle taux d'actualisation, et le procédé de calcul utilisé est appelé actualisation.

6.3.1 Détermination du taux d'actualisation

Dans l'analyse financière, on utilisera le taux d'intérêt en vigueur. Celui-ci variera d'une situation à une autre. Par exemple, le taux aura tendance à être plus élevé pour un petit propriétaire reboiseur que pour une compagnie bien établie à faible risque empruntant à une banque réglementée. Dans de nombreux cas, par exemple lorsqu'on étudie l'attrait financier d'investissements agricoles, le taux choisi sera seulement une approximation sommaire de la moyenne des différents taux applicables à différents individus. Dans le cas d'entités mieux établies travaillant entièrement dans le secteur monétaire, il pourra être approprié d'adopter un taux moyen estimé de prêt bancaire. L'analyste devra faire appel à son jugement pour choisir un taux approprié. Il n'y a pas de formule ni de moyen automatique pour le calculer.

Dans l'analyse économique on utilise comme étalon commun pour l'évaluation des coûts et bénéfices la volonté de payer des consommateurs pour les biens et services considérés. Par conséquent, le taux d'actualisation à utiliser pour actualiser les coûts et bénéfices est le taux d'actualisation de la consommation. Ce taux doit mesurer l'escompte qui correspond au fait d'avoir un supplément de consommation l'année prochaine plutôt que cette année. La grandeur appropriée de ce taux d'escompte (taux d'actualisation) est déterminée par un certain nombre de facteurs, notamment la préférence de la société pour une consommation actuelle au détriment d'une croissance plus rapide (épargne et investissements plus élevés maintenant, et consommation plus élevée dans l'avenir).[22]

Dans la pratique, tout comme dans le cas du taux de change virtuel, l'analyste qui évalue un projet forestier n'a pas à se préoccuper de calculer un taux d'actualisation de la consommation (ou un taux d'actualisation virtuel) approprié pour l'utiliser dans l'analyse d'ensemble de rentabilité économique. Le taux utilisé doit être celui en usage général dans le pays du projet. Par conséquent, l'analyste devra s'enquérir du taux d'actualisation approprié auprès d'un organisme central de planification ou de sa propre administration.[23]

A l'extrême, s'il n'y a pas de taux d'actualisation disponible auprès d'un organisme central de planification au moment où il entreprend son analyse, l'analyse peut choisir un taux de 8 ou 10 pour cent, par exemple, et l'utiliser pour l'analyse principale, et ensuite tester la sensibilité de la valeur du projet à différents taux d'actualisation possibles (Comme on l'exposera plus loin, une mesure largement utilisée de la rentabilité économique, le taux de rentabilité interne, n'exige pas la détermination directe d'un taux d'actualisation approprié pour calculer cette mesure).

Il y a parfois une tendance à préconiser l'adoption de taux d'actualisation plus bas dans les analyses de projets forestiers ayant un caractère social ou environnemental. L'argument avancé est qu'il y a certains bénéfices non chiffrables de ces projets qui justifient l'emploi d'un taux d'actualisation plus bas que celui utilisé pour évaluer d'autres projets dans l'économie générale du pays.[24] Ce n'est pas à recommander.

Les analystes devront plutôt utiliser le taux d'actualisation établi ou acceptable en usage pour l'évaluation d'autres projets, et ensuite discuter d'un point de vue qualitatif des conditions uniques associées à leur projet qui le rendent différent des autres projets. Cela forcera les analystes et les auteurs de projets à exposer explicitement leurs hypothèses, évitant ainsi de camoufler éventuellement le défaut de rentabilité d'un projet derrière un taux d'actualisation inférieur à la normale.

6.3.2 Application de formules d'actualisation

L'opération qui consiste à ajuster une valeur future au moment présent est appelée actualisation. La valeur ajustée résultante est la valeur actualisée ou valeur actuelle.

La formule générale d'actualisation est la suivante:

dans laquelle:

VA = valeur actuelle
VF = valeur future à l'année n
i = taux d'actualisation (exprimé sous forme décimale)
n = nombre d'années jusqu'à la valeur future

est couramment appelé facteur d'actualisation

On dispose de tables, largement répandues, qui donnent la valeur du facteur d'actualisation 1/(1+ i)n pour une large gamme de taux d'actualisation et de durées. On peut aussi le calculer avec une calculette de poche ayant une touche constante ou yx, ou une fonction logarithmique. L'analyste n'aura donc aucune difficulté à calculer la valeur du facteur d'actualisation pour un nombre quelconque d'années. Ainsi, dans l'exemple de l'encadré 6.1, 1/(1,08)2 est égal à 0,8573, et cette valeur multipliée par 100 $ donne le résultat 85,73 $ auquel on était arrivé plus haut.

Encadré 6.1 Calcul de la valeur actuelle

Etant donné un taux d'actualisation de 8 pour cent, la valeur actuelle d'un paiement de 100 $ effectué dans deux ans peut être calculée comme suit:

Si le taux d'actualisation de 8 pour cent représente le taux d'actualisation de la consommation, le résultat, PV = 85,73 $, indique qu'une consommation de 100 $ dans deux ans est équivalente en valeur actuelle à 85,73 $ de consommation aujourd'hui. En d'autres termes, on peut dire qu'il est indifférent à la société (a) de consommer aujourd'hui des biens et services d'une valeur de 85,73 $ ou (b) d'attendre deux ans pour pouvoir consommer pour une valeur de 100 $ de biens et services. Autrement dit, il faudrait un supplément de 10,43 $ de biens et services dans deux ans (soit 100 $ au total) pour renoncer à 85,73 $ de consommation maintenant.

Dans cet exemple la valeur de 1/1,082 a été calculée directement.

La formule générale d'actualisation et des tables d'intérêts composés sont tout ce qu'il faut pour calculer la mesure de la valeur d'un projet. Dans certains cas, cependant, d'autres formules - dérivées de la formule générale ci-dessus - peuvent fournir un raccourci utile pour les calculs. Il peut arriver, par exemple, que des paiements identiques, annuels ou périodiques, soient associés à un projet pour un certain nombre d'années durant la vie du projet. Dans ce cas, il y a des formules et des tables qui fournissent la valeur actuelle de ces paiements sans avoir à actualiser séparément chaque montant annuel ou périodique. De même, dans certains cas l'analyste peut désirer avoir l'équivalent annuel d'une valeur donnée intervenant à un certain moment, ou encore la valeur actuelle d'une série de paiements effectués chaque année. L'annexe 6.1 présente les plus courantes de ces formules.

6.4 Calcul de la rentabilité financière et économique

On utilise couramment divers indices ou indicateurs de la valeur des projets prenant en compte le temps (c'est-à-dire comportant une actualisation). Il n'y a pas de mesure unique universellement acceptée de la valeur des projets, étant donné que toutes ont pour caractéristique commune de fournir seulement une information partielle de leurs résultats. Il faut pour répondre à différentes questions utiliser différents indicateurs. Il y a cependant des mesures qui sont largement utilisées dans les analyses financières et économiques. Ce sont la valeur nette actualisée et le taux de rentabilité interne. Ces mesures sont liées entre elles du fait qu'elles sont calculées à partir des mêmes données de base, à savoir les coûts et bénéfices du projet tels qu'ils apparaissent dans les tableaux de flux de valeurs. L'information analytique qu'elles fournissent, toutefois, diffère quelque peu en raison des manières différentes dont elles combinent les données de coûts et bénéfices. Ces mesures sont neutres par rapport à la valeur, et peuvent être calculées tant pour l'analyse financière que pour l'analyse économique.

6.4.1 Valeur nette actualisée

Nous utiliserons comme exemple de valeur nette actualisée un projet de reboisements fermiers aux Philippines et son flux de valeurs (tableau 6.1). En utilisant le calcul général d'actualisation décrit plus haut, on peut, après avoir choisi un taux d'actualisation approprié, établir une mesure de la valeur actuelle de tous les bénéfices (coûts) nets se produisant à chaque année du projet. Si l'on utilise un taux d'actualisation de 5 pour cent, la valeur actuelle de chaque bénéfice (ou coût) net futur s'établit comme indiqué dans la 2ème rangée du tableau 6.1. En additionnant toutes ces valeurs (positives ou négatives), on trouve pour la valeur nette actualisée du projet 29 310 P (pesos philippins).

Qu'indique cette valeur de 29 310 P? Elle signifie que, étant donné les hypothèses concernant les coûts d'opportunité des ressources utilisées dans le projet et la volonté de payer pour les produits du projet, ce projet fournira un surplus net de 29 310 P de bénéfices de consommation en valeur actuelle, compte tenu du taux d'actualisation de la consommation admis de 5 pour cent, ou encore du poids relatif que la société attribue à une consommation actuelle vis-à-vis d'un investissement en vue d'une consommation future. En utilisant le taux d'actualisation on s'assure que la valeur nette actualisée calculée sera comparable à celle calculée pour d'autres projets comportant une répartition différente des coûts et bénéfices dans le temps, autrement dit on aura éliminé l'effet des différences de valeurs de biens ou services de consommation qui seront obtenus ou auxquels on renoncera à des moments futurs différents.

En règle générale, étant donné ce qui précède, on peut dire que du point de vue de la rentabilité économique tout projet qui fournit une valeur nette actualisée positive représente une utilisation efficace des ressources mises en jeu, en supposant que chacune de ses composantes dissociables a aussi une VNA ³ 0, et que le projet est le moyen le moins coûteux de réaliser les bénéfices considérés (voir au chapitre 3 les trois conditions de l'efficacité économique).

Si un projet qui répond à ces conditions est économiquement efficace, il se peut qu'on ne le retienne pas pour exécution. Cela dépendra du budget total disponible et des valeurs nettes actualisées associées à d'autres projets pouvant être financés sur ce budget.

Un projet dont la VNA estimée est négative n'est pas économiquement acceptable. Cette VNA négative indique qu'il y a de meilleures utilisations possibles pour les ressources mise en jeu dans le projet, autrement dit que, étant donné leurs coûts d'opportunité, leur répartition dans le temps et le taux d'actualisation, elles pourraient être utilisées ailleurs pour produire davantage de biens et services de consommation en valeur actualisée.

6.4.2 Le taux de rentabilité interne

Dans le présent exemple de calcul de valeur nette actualisée, celle-ci était de 29 210 P lorsqu'on a utilisé un taux d'actualisation de 5 pour cent. On pourrait poser la question suivante: quel taux d'actualisation faudrait-il utiliser pour obtenir une VNA égale à zéro, autrement dit, quel serait le taux d'actualisation qui rendrait la valeur actualisée des bénéfices du projet égale à celle des coûts du projet? Ce taux est appelé taux de rentabilité intente (TRI). C'est essentiellement un taux d'équilibre, en ce sens que la valeur actualisée des bénéfices équilibre celle des coûts.

Le concept de taux de rentabilité interne est utilisé tant dans l'analyse financière que dans l'analyse économique, pour fournir soit un taux de rentabilité interne financier (TRF), soit un taux de rentabilité interne économique (TRE). Le TRF est une mesure couramment utilisée dans l'analyse financière. Il est comparable par son mode de calcul au TRE, mais il a une signification légèrement différente. Le TRF montre à l'investisseur quel est la productivité financière moyenne associée à un investissement donné de ses fonds. Plus précisément, c'est le taux de rendement moyen des fonds investis en cours par période pendant la durée de leur investissement dans le projet, ou encore le taux d'intérêt (en utilisant les prix de marché) qui rend la VNA égale à zéro.

Par conséquent, un TRF de 10 pour cent indique à l'investisseur qu'il recevra 0,10 $ par an pour chaque dollar investi pendant la période où l'investissement est laissé dans le projet. C'est une mesure utile pour l'investisseur, du fait qu'elle lui fournit un moyen clair de comparer différentes utilisations possibles de ses fonds. Supposons que le meilleur usage qu'un investisseur puisse faire de ses fonds, autre que de les placer dans le projet, soit de les placer sur un compte bancaire à 6 pour cent d'intérêt par an. L'investisseur compare le taux de rentabilité du projet (10%) avec le taux d'intérêt de la banque (6%), qui est appelé taux de rentabilité de substitution, ou coût d'opportunité du capital,[25] et il sait alors que l'emploi de ses fonds dans le projet lui fournira un meilleur rendement que le meilleur autre emploi possible.[26]

Le taux de rentabilité économique (TRE) est interprété de la même façon, si ce n'est qu'il montre à l'agent de décision ce que la société peut s'attendre à recevoir en bénéfices de consommation en retour d'un investissement donné de ses ressources limitées. En d'autres termes, si le TRE est de 10 pour cent, cela indique à l'agent de décision que le rendement annuel moyen de bénéfices de consommation sur les ressources en cours par période pendant le temps où elles seront investies dans le projet sera de 10 $ par 100 $ de ressources investies et laissées dans le projet. Le TRE sera comparé avec le taux d'actualisation de la consommation afin de voir si le projet est suffisamment rentable pour qu'il vaille la peine d'investir des ressources (renoncer à une consommation maintenant en faveur d'une consommation future). Supposons que le taux d'actualisation de la consommation applicable soit de 5 pour cent. Cela signifie que la société veut obtenir un taux de rentabilité de l'investissement de ses ressources d'au moins 5 pour cent pour qu'il vaille la peine de renoncer à une consommation actuelle en faveur d'un investissement en vue d'une consommation future. Si le TRE s'avère être de 10 pour cent pour un projet donné, cela signifie que, en moyenne, la société recevra plus que le minimum acceptable de 5 pour cent. Par conséquent, le projet est économiquement efficace du point de vue de l'emploi de ressources limitées, en supposant que les deux autres conditions de l'efficacité économique soient remplies.

Tableau 6.1 Valeur nette actualisée - Projet Philippines (taux d'actualisation 5%, valeur en pesos constants)


Année

0

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

11

12

13

14

15

1. Bénéfices (coûts) nets

(1163)

(1163)

(1163)

(1163)

(100)

(100)

(100)

5286

5887

5887

6523

6523

7147

7147

7759

5887

2. Valeur actualisée des bénéfices (coûts) netsa

(1163)

(1107)

(1055)

(1005)

(82)

(78)

(75)

3757

3784

3795

4004

3814

3980

3790

3919

2832

3. VNA à 5%

29 310b
















a Chiffre de la rangée 1 divisé par 1,05n pour les années 1 à 15.
b Somme des chiffres de la rangée 2.

Tableau 6.2 Taux de rentabilité économique - Projet Philippines


Année

0

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

11

12

13

14

15

1. Bénéfices (coûts) nets

(1163)

(1163)

(1163)

(1163)

(100)

(100)

(100)

5286

5887

5887

6523

6523

7147

7147

7759

5887

2. Valeur actuelle des bénéfices (coûts) actualisés à 32%

(1163)

(881)

(667)

(506)

(33)

(23)

(19)

757

639

484

406

309

255

193

159

92

3. VNA à 32%a

0
















a Somme des valeurs actuelles des bénéfices (coûts) nets actualisés avec un taux de 32%.

Nous reprendrons l'exemple du projet Philippines pour montrer comment le TRE est calculé. Le bénéfice (coût) net non actualisé est indiqué dans la rangée 1 du tableau 6.2. En actualisant avec un taux de 32 pour cent, on obtient les chiffres de valeurs actuelles indiqués dans la rangée 2. En additionnant ces valeurs, on obtient une VNA égale à zéro, ce qui par définition se produit lorsqu'on utilise pour actualiser tous les bénéfices (coûts) nets un taux égal au taux de rentabilité économique (TRE). Celui-ci est donc de 32 pour cent.

Le calcul du TRE, ou taux d'actualisation qui rend la VNA égale à zéro, doit se faire par tâtonnement.[27] L'annexe 6.2 montre en détail le mode de calcul du TRE.

Qu'indique le TRE de 32 pour cent dans l'exemple des Philippines? Il représente le rendement des ressources utilisées dans le projet pendant la durée de celui-ci. Cela signifie que 1 $ investi dans le projet produira 0,32 $ par an pendant toutes les années où il restera engagé dans le projet, et cela indique également que ce rendement est supérieur au taux d'actualisation de la consommation admis de 5 pour cent, qui mesure les avantages comparés d'un consommation à une année donnée t0, et une consommation reportée à l'année suivante t1.[28] La société devrait être intéressée à placer ses ressources dans un projet tel que celui-ci plutôt que de les consommer maintenant, parce qu'elle recevra en retour davantage dans l'avenir qu'il n'est nécessaire pour établir une compensation entre consommation actuelle et future.

Le simple fait qu'un projet ait un taux de rentabilité économique qui excède le taux d'actualisation de la consommation ne signifie pas automatiquement que le projet sera accepté et réalisé. Il signifie que le projet représente une utilisation efficace des ressources, en admettant que le taux d'actualisation de la consommation admis est correct,[29] mais il y a toujours la possibilité que d'autres emplois d'un budget limité fournissent des taux de rentabilité plus élevés que le projet considéré.

Les deux mesures ci-dessus peuvent être utilisées pour répondre à la question de la rentabilité économique en ce qui concerne tant les composantes d'un projet que son ensemble. Lorsqu'on utilise la VNA, la méthode habituelle - telle que discutée aux chapitres 2 et 3 - consiste à analyser d'abord les composantes, en s'assurant que toutes les composantes dissociables devant constituer les éléments d'un projet d'ensemble ont des VNA au moins égales à zéro. Une fois qu'un ensemble de composantes économiquement rentables ont été assemblées en un projet unique, on peut utiliser exactement la même méthode pour calculer la VNA ou le TRE du projet global. Comme on l'a mentionné, la condition de l'efficacité économique relative au coût le plus bas ne comporte pas de calcul d'une VNA ou d'un TRE: on compare directement les diverses possibilités pour trouver la moins coûteuse.

Certains analystes préfèrent traiter les coûts évités en entreprenant le projet plutôt que la moins coûteuse des autres possibilités comme étant les bénéfices de la modalité analysée pour le projet. Ces bénéfices servent ensuite à calculer une VNA pour la modalité analysée. Si cette VNA est positive, cela montre que c'est la modalité la moins coûteuse de toutes. Si elle est nulle, cela signifie que la moins coûteuse des autres modalités possibles a des coûts exactement identiques à ceux du projet analysé. Si elle est négative, alors l'autre modalité possible a des coûts inférieurs. S'il n'y a rien à redire d'un point de vue conceptuel à cette approche, elle peut entraîner de la confusion, c'est pourquoi il est recommandé de comparer directement les coûts des différentes possibilités (La confusion peut se produire dans des cas où l'on doit comparer un projet avec d'autres projets totalement différents qui sont en concurrence pour un même budget. En fait, les coûts évités en entreprenant un projet plutôt qu'un autre pour obtenir le même résultat ne représentent pas forcément une mesure exacte des bénéfices).

6.4.3 Relations entre VNA et TRE

La valeur nette actualisée et le taux de rentabilité économique représentent deux moyens possibles de présenter la relation entre coûts et bénéfices. En termes mathématiques la relation entre les deux est la suivante:

Le taux de rentabilité économique est le taux d'actualisation TRE tel que:

Bt = bénéfices à chaque année t
Ct = coûts à chaque année t
n = nombre d'armées jusqu'à la fin du projet
i = taux d'actualisation ou taux d'actualisation de la consommation (TAC)
TRE = taux de rentabilité interne économique

A partir de ces définitions, la relation s'établit comme suit: lorsque VNA = 0, on a: TRE = i (taux d'actualisation de la consommation, ou taux d'actualisation utilisé pour calculer la VNA). Etant donné les définitions et la relation ci-dessus entre les deux mesures, que peut-on dire de l'information fournie par chacune d'elles vis-à-vis des trois conditions de l'efficacité économique mentionnées au chapitre 2?[30]

Aucune des deux mesures de la valeur du projet ne dit rien au sujet de la troisième condition (moindre coût). Elle doit être étudiée dans une analyse distincte, effectuée aux stades de conception et de préparation du projet.

Les deux mesures, en revanche, indiquent si la valeur actualisée des bénéfices est inférieure, égale ou supérieure à la valeur actualisée des coûts pour une composante du projet ou pour l'ensemble du projet. En fait, elles fournissent exactement la même réponse à la question de l'efficacité économique d'un projet ou d'un élément de projet vis-à-vis de ces deux premières conditions. Si un projet est accepté comme étant efficace selon l'une de ces mesures (VNA ³ 0), il sera également acceptable selon l'autre mesure (TRE ³ TAC), et vice-versa.

A ce point de la discussion, on peut voir que l'une ou l'autre des deux mesures peut être employée indifféremment pour déterminer si un projet est économiquement efficace (en supposant qu'il n'y ait pas de moyen moins coûteux connu de réaliser les objectifs du projet). Par conséquent, le choix de l'une ou l'autre est sans importance vis-à-vis de cette question fondamentale, toutefois il est évident que l'analyste devra calculer la mesure couramment utilisée par l'institution pour le compte de laquelle il conduit l'analyse.

Chacune des deux mesures fournit une information supplémentaire que l'autre ne donne pas. La mesure de la VNA, à la différence du TRE, renseigne sur la valeur absolue des bénéfices nets actualisés d'un projet, en revanche il ne dit rien sur l'importance du coût nécessaire pour réaliser cette VNA. Il pourrait donc y avoir un projet ayant une VNA de 1 000 $ qui coûte 2 millions de $, et un autre ayant la même VNA qui ne coûte que 5 000 $. En revanche le TRE est une mesure relative de la valeur du projet, qui donne une information sur les rendements par unité de coût, et fournit par conséquent une information plus appropriée pour comparer les bénéfices à attendre de divers emplois possibles d'un budget limité. Il est par conséquent plus utile pour classer diverses possibilités indépendantes de projets par ordre d'intérêt lorsqu'il n'est pas possible, pour des raisons budgétaires ou autres, d'entreprendre tous les projets répondant aux conditions fondamentales d'efficacité économique.

Le tableau 6.3 résume les différences entre les mesures de VNA et de TRE.

Tableau 6.3 Résumé des mesures de l'intérêt d'un investissement*

Mesure

Taux d'actualisation

Critère de
décision

Choix possibles
s'excluant
mutuellement**

Projets
indépendants**

Commentaires

VNA

TAS***

Accepter les projets pour lesquels VNA ³ 0

Opter pour le projet ayant la VNA la plus élevée

Accepter les projets pour lesquels VNA ³ 0

Ne permet pas de comparer directement des projets de durées différentes

TRE

Déterminé de manière interne

Accepter les projets pour lesquels TRE ³ TAS

Généralement non approprié

Accepter les projets pour lesquels TRE ³ TAS

Peut donner un classement incorrect entre projets indépendants; plus difficile à calculer que les autres mesures

* Les opinions divergent quant aux mérites relatifs et aux applications des critères. Les recommandations présentées ici représentent le point de vue des auteurs.

** Toute mesure de l'intérêt d'un investissement ne fournit qu'un élément du processus de décision finale. Il faut également évaluer d'autres facteurs tels qu'analyse de sensibilité, préférences personnelles, répartition des coûts et bénéfices pendant toute la durée de l'investissement.

*** Taux d'actualisation de substitution.


[22] Voir Squire et van der Tak (1975), p.27.
[23] Cette recommandation fournit une excuse commode pour ne pas entrer dans les problèmes qui se posent pour la détermination d'un taux d'actualisation approprié. Etant donné qu'il n'y a pas d'accord général entre économistes ou organes de décision en ce qui concerne le mode de calcul du taux d'actualisation à appliquer aux projets publics, il serait en tout état de cause vain de chercher à résoudre ce problème dans un guide de cette nature. On trouvera dans Mikesell (1977) une excellente étude des arguments en présence.
[24] Le même argument est souvent avancé par les planificateurs dans le domaine des ressources en eau.
[25] Cette notion de coût d'opportunité est analogue à celle utilisée dans tout le cours de ce guide.
[26] Le TRF et le TRS doivent être calculés nets d'inflation, c'est-à-dire en prix réels.
[27] Certaines calculatrices de poche peu coûteuses permettent de calculer directement le TRE.
[28] Si VNA > 0, on a TRE > i; si VNA = 0, on a TRE = i; si VNA < 0, on a TRE < i, i étant le taux d'actualisation utilisé.
[29] En supposant que les deux autres conditions de l'efficacité économique soient remplies.
[30] Ces conditions sont les suivantes: (1) La valeur actualisée totale des bénéfices du projet doit être égale ou supérieure à celle de ses coûts; (2) La valeur actualisée des bénéfices doit être au moins égale à celle des coûts pour chaque composante dissociable du projet; (3) Il n'y a pas de moyen moins coûteux de réaliser les objectifs du projet.

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