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Les pratiques antiérosives

Il s'agit de techniques culturales mises en oeuvre exclusivement pour réduire le ruissellement et les dégâts d'érosion (tableau 31 et 33).

LA CULTURE EN COURBE DE NIVEAU (CONTOURING)

Il s'agit simplement d'orienter les techniques culturales selon les courbes de niveau. En ce faisant, on oriente la rugosité du sol due aux mottes et aux petits creux, on les oriente perpendiculairement à la pente de telle sorte que l'on ralentit au maximum la nappe d'eau qui pourrait ruisseler. L'efficacité de cette méthode est limitée aux pentes faibles: le facteur P atteint 0,5 entre 1 et 8 % de pente, P = 0,6 entre 8 et 12 % de pente, 0,8 entre 17-20 % et tend vers 1 au cas où les pentes sont supérieures à 25 % (Wischmeier et Smith, 1978). En effet, plus la pente est raide, moins la rugosité peut stocker d'eau. Une variante consiste à alterner des cultures en bandes isohypses, de façon à cumuler l'effet précédent avec des rotations de cultures plus ou moins sensibles à l'érosion.

LE BILLONNAGE EN COURBE DE NIVEAU (CONTOUR RIDGING)

Nous avons vu que le labour suivi d'un billonnage pouvait augmenter les risques d'érosion par le simple fait qu'il augmente la pente du terrain. Mais si on oriente les billons perpendiculairement à la plus grande pente, ceux-ci peuvent stocker dans le sillon une quantité non négligeable d'eau et de matériaux sableux ou limoneux en suspension. Le billonnage en courbe de niveau est deux fois plus efficace que le simple labour en courbe de niveau, il réduit l'érosion à environ 30 % du témoin travaillé à plat pour des pentes de 1 à 8 %. Mais l'efficacité du billonnage diminue lorsque la pente augmente: en particulier sur de très fortes pentes, lors des averses exceptionnelles, on risque la rupture des billons provoquant de graves ravinements ou encore des glissements de terrain. C'est le cas en particulier si l'horizon de surface est sableux et très perméable alors que les horizons de profondeur le sont beaucoup moins. Une première solution consiste à incliner légèrement le billonnage de telle sorte que les excédents d'eau peuvent rejoindre un exutoire aménagé en circulant à faible vitesse et en transportant très peu de matériaux terreux (expérimentations de Hudson au Zimbabwe). Une autre solution consiste à cloisonner les billons (contour tied ridging). Pour éviter que l'ensemble des eaux stockées derrière les billons se précipite dans une brèche de l'un d'eux et provoque la formation d'une ravine, on peut créer après le billonnage une série de cuvettes et de cloisons perpendiculaires aux billons. Derrière celles-ci seront piégés 30 à 60 millimètres d'eau et les éléments terreux les plus lourds tandis que les excès d'eau pourront circuler derrière les billons pour atteindre les exutoires aménagés. Cette méthode s'est avérée extrêmement efficace et réduit l'érosion au dixième de sa valeur normale. Ces méthodes ne sont valables que sur des sols très perméables jusqu'en profondeur. Pour être efficaces, les cloisons doivent être situées à une distance comprise entre 1 et 5 m.

Les Bamileke, sur les sols volcaniques du Cameroun, ont développé un système astucieux de gros billons en chicane, orientés dans le sens de la pente et couverts toute l'année par des cultures associées. La force érosive des eaux de ruissellement s'en trouve réduite (Fotsing, 1992). 573).

Il est donc délicat de conseiller l'orientation des billons au cas où l'on souhaite réduire l'érosion et ceci en fonction des interactions qui existent entre la pente, les systèmes culturaux et les types de sol. Seule l'expérimentation locale permet de décider l'orientation la plus avantageuse et la moins risquée dans chaque système de culture.

LA CULTURE EN BANDES EN COURBE DE NIVEAU, ISOLEES PAR DES BANDES D'ARRET ENHERBEES (BUFFER STRIPCROPPING)

Pour des pentes inférieures à 8 % l'érosion est ainsi réduite à 30 % de celle du témoin (P = 0,3). Mais l'efficacité des bandes d'arrêt varie en fonction de la largeur des bandes, du mélange d'herbes qui constituent la bande d'arrêt et de l'importance du ruissellement qui traverse la bande sous forme concentrée. Si l'efficacité des bandes d'arrêt est remarquable pour les averses faibles à moyennes, elles peuvent être rapidement saturées pour des averses exceptionnelles. Elles fonctionnent comme des filtres qui ralentissent la vitesse des écoulements, provoquent une baisse de la compétence du ruissellement donc le dépôt des sables grossiers et des matières organiques et permettent une infiltration croissante du ruissellement. Ce filtre est très efficace lorsque l'on a un mélange de légumineuses et de graminées et qu'il y a un grand nombre de tiges ou de racines à la surface du sol par mètre carré (Roose, Bertrand en Côte d'Ivoire, et Delwaulle au Niger). En principe, les herbes à rhizomes rampants à la surface du sol et à tiges nombreuses dispersées au hasard, sont plus efficaces que les herbes en grosses touffes. Au cas où les herbes seraient en grosses touffes, pour éviter que les eaux circulent entre les touffes et y créent des rigoles, il faut laisser à la surface du sol un léger paillage provenant de la taille de ces touffes. Les haies vives plantées en quinconce sur une épaisseur de 50 à 100 cm ont une action similaire aux bandes enherbées. Mais en général, leur efficacité est moins grande, tout au moins durant les premières années. Dans les zones semi-arides du Burkina Faso et même au sud du Niger, le semis de bandes d'Andropogon gayanus en bordure des parcelles ou tout au moins à une vingtaine de mètres les unes des autres, ont permis de capter une bonne partie des sables transportés par érosion éolienne (Renard, Van der Belt, 1991) ou par érosion hydrique (Roose, Rodriguez, 1990). La méthode des bandes antiérosives a été testée en parcelles d'érosion, à Adiopodoumé et Bouaké en Côte d'Ivoire ainsi qu'à Alokoto au Niger (Roose, Bertrand, 1971; Delwaulle, 1973). On constate qu'une fois installées, les bandes densément enherbées de 0,5 à 4 m de large, sont capables de réduire les pertes en terre au dixième, et le ruissellement au tiers environ des valeurs correspondant au témoin. Pour garder une efficacité suffisante, les bandes d'arrêt doivent être d'autant plus larges que le climat est agressif, que la pente est forte, les cultures peu couvrantes et le sol plus érodible. De toutes façons, il est sage de prévoir dans un premier temps des bandes d'au moins 5 m de large, quitte à les réduire plus tard.

Toute végétation herbacée convient pour couvrir la bande antiérosive et en particulier, les herbes de la jachère naturelle, mais la présence de légumineuses à enracinement pivotant et de grandes graminées pérennes à enracinement profond, améliore l'infiltration. En milieu tropical, on peut utiliser Andropogon gayanus, Pennisetum purpureum, Paspalum notatum, Tripsacum laxum et divers Stilosanthes en mélange, cannes à sucre et diverses plantes fourragères. Le Setaria sphacelata donne de bons résultats les deux premières années, mais s'épuise rapidement sur les sols pauvres acides.

Il faut éviter par contre les plantes qui se dispersent trop facilement dans les champs par voie de graines (à moins de faucher les bandes antiérosives avant la floraison) et surtout par voie de rejets ou de stolons (Cynodon dactylon). Des plantes qui présentent un feutrage de racines et de tiges nombreuses freineront mieux le ruissellement que des arbres isolés.

Différents VETIVER ont été chaudement recommandés par certains praticiens car ils résistent bien en région semi-aride où le surpâturage est fréquent. Il produit un paillage siliceux qui persiste longtemps, mais présente de mauvaises qualités fourragères. Le malheur, c'est que pour tirer l'essence qu'on extrait de ses racines, il faut détruire l'aménagement. Chaque fois que c'est possible, il vaut donc mieux lui préférer des herbes fourragères bien adaptées aux conditions locales.

La bande d'arrêt se comporte comme une éponge qui absorbe partiellement les eaux de ruissellement et comme un peigne qui ralentit le ruissellement et provoque le dépôt des terres provenant du champ cultivé en amont. Les eaux de ruissellement s'infiltrent en profondeur ou sont freinées; la baisse de leur capacité de transport provoque alors le dépôt des éléments érodés les plus grossiers. D'où le maintien d'une bonne porosité et la formation d'une petite terrasse (5 à 20 cm par an) qui, à la longue transforme les paysages en une succession de champs en pentes douces et de talus protégés par la végétation herbacée.

Cette méthode peu coûteuse a été testée avec succès en vraie grandeur en station de recherche, en culture industrielle (hévéa et ananas) et en culture villageoise modernisée; elle présente de sérieux avantages:

- implantation facile et peu onéreuse par les paysans intéressés,

- traitement rapide de grandes surfaces sans intervention d'équipes topographiques trop lourdes et trop chères: après une journée de formation à l'usage du niveau à tuyau d'eau, la plupart des paysans sont capables de tracer les courbes de niveaux sur leurs parcelles,

- production fourragère des bandes pouvant servir à nourrir le bétail ou à procurer du paillage pour les champs,

- usage de ce réseau vivant en courbe de niveau pour orienter les façons culturales,

- la terre n'est pas immobilisée pour délimiter les bandes d'arrêt puisque celles-ci servent à la production. En particulier pour éviter que les paysans qui n'ont pas de vache mettent le feu àces bandes pour détruire les insectes et autres ravageurs, il est possible d'installer au centre de ces bandes ou bien du côté aval, des arbres, soit des arbres fruitiers, soit des arbres pouvant procurer du petit bois de feu et des perches. La principale difficulté de cette méthode réside dans le démarquage clair et définitif des bandes d'arrêt enherbées par rapport aux champs et aux jachères environnantes. En particulier dans les zones arides, où l'herbe a du mal à démarrer à cause du surpâturage, et là où on dispose de débris de rochers, l'efficacité de l'aménagement antiérosif sera augmenté en disposant les blocs de pierres en cordons continus dans les bandes d'arrêt (Delwaulle, 1973 ; Roose et Bertrand, 1971 ; Roose, Rodriguez, 1990). Dans cette méthode, on combine la culture en courbe de niveau et en bandes isolées par des bandes d'arrêt: on limite donc la longueur de pente et progressivement l'inclinaison de la pente par la formation naturelle de talus enherbés. Ces méthodes sont déjà appliquées à grande échelle dans les pays de montagne et sont actuellement testées en zone semi-aride au Mali, au Burkina et au Cameroun. Elles existent depuis des siècles en Europe, en Amérique ainsi qu'en Asie où l'on observe des talus protégés par l'herbe et par des buissons qui peuvent atteindre de 2 à 4 m de haut. Ces bandes d'arrêt évoluent spontanément en talus comme des limites parcellaires.

Dans la zone soudano-sahélienne du Sud Mali, le DRSPR a proposé d'intercaler, sur les champs cultivés, des bandes enherbées de trois mètres de large tous les 50 mètres (couvrant 6 % du terrain). Six espèces pérennes ont été comparées en 1987-88 (Hykoop, Poel et Kaya, 1991). Brachiaria ruzizensis recouvre rapidement le terrain dès la première année. Mais la seconde année, c'est Stylosanthes hamata qui repousse le mieux. Andropogon gaianus est très appréciée, mais son installation n'est pas au point. Macroptilium lathyroides et atropurpureum, Clitoria ternatea et Pennisetum pedicellatum n'ont pas été retenus. Actuellement, le DRSPR préconise un mélange de Brachiaria et de Stylosanthes. Certains paysans fanent le Brachiaria et le mélangent à la mélasse pour nourrir le bétail.

Au Yatenga (pluies de 400 à 700 mm), situé au nord-est de cette même zone mais au Burkina Faso, Rodriguez a mis au point une méthode de récolte des graines d'Andropogon sp. et de Pennisetum pedicellatum au mois de décembre par les paysans. En juin, au début de la saison des pluies, les graines sont scarifiées par pilonnage avec du sable humide, puis humectées durant 12 heures. Elles sont semées sur une bande de 50 cm travaillée superficiellement à l'amont des cordons pierreux ou entre deux traits de charrue tous les 20-25 mètres. Ces haies d'Andropogon sont très appréciées des paysans, non seulement parce qu'elles aident à maîtriser les nappes de ruisssellement, mais aussi parce qu'elles produisent les longues pailles nécessaires pour les toits et l'artisanat, et un excellent fourrage dont les repousses vertes sont appréciées du bétail en saison sèche. Même si les touffes d'Andropogon poussent dans le champ cultivé, elles seront préservées du sarclage (Roose, Rodriguez, 1990).

LE PAILLAGE NATUREL OU ARTIFICIEL

Etant donnée l'agressivité des pluies, et d'autre part la perméabilité et la résistance naturelle des sols ferrallitiques à l'érosion hydrique, le problème principal de ces zones tropicales humides consiste à trouver le moyen de couvrir la terre durant la période critique des fortes pluies pour éviter la destruction de la structure de l'horizon superficiel du sol, la formation de croûtes de battance et le démarrage du ruissellement. Or, les conditions naturelles sont telles que la plupart des cultures vivrières (en particulier manioc, igname, maïs, arachide) et certaines cultures industrielles (banane, ananas, etc...) n'arrivent pas à couvrir suffisamment le sol avant la période critique des fortes averses. C'est sous cet angle de complément temporaire à la couverture végétale qu'est envisagée l'efficacité d'un paillage léger, soit constitué des résidus de cultures soit d'apports extérieurs ou d'un conditionneur de sol (par exemple, le Curasol) susceptible de créer une croûte souple protégeant la surface de la terre. Une couverture morte (un paillage de résidus ou une couche de cailloux) peut remplacer avantageusement une couverture vivante en ce qui concerne l'économie de l'eau et la protection du sol. C'est ainsi qu'une parcelle couverte de quelques centimètres de paille (4 à 6 t/ha) protège le sol aussi bien qu'une forêt dense secondarisée haute de 30 mètres, même en année très pluvieuse (tableau 13). Le paillage, méthode bien connue des horticulteurs est donc très efficace pour infiltrer les eaux de pluie, réduire le ruissellement et l'évaporation, et protéger le sol contre l'érosion. Il mérite d'être vulgarisé en milieu traditionnel où les champs sont toujours entourés de quantités de broussailles disponibles.

Il n'en va pas toujours de même en milieu semi-aride en particulier dans les zones soudano-sahéliennes qui sont surpâturées durant la saison sèche où tous les résidus de culture sont utilisés par le bétail ou pour l'artisanat et où les sols sont pratiquement nus au début de la saison des pluies. Dans ces régions, le problème est de trouver du paillage. Bien que la méthode du paillage soit parfaitement connue, elle est généralement limitée à la fertilisation des champs des paysans les plus pauvres qui ne disposent pas de bétail ni de fumier.

Dans ce cas, ils circulent en brousse pour ramasser des branches d'arbustes (Bauhinia et Piliostigma), légumineuses peu appétées par le bétail, les disposent à la surface de leurs petits champs, en vue d'une part de réduire le ruissellement et d'autre part, d'attiser l'activité des termites qui vont permettre d'ouvrir des voies d'infiltration dans le sol et de redistribuer la fertilité contenue dans ce paillage. Collinet et Valentin (1981) ont montré par ailleurs, à l'aide de pluies simulées, que le paillage pouvait ralentir la diminution de l'infiltration du sol après culture. Cependant, lorsque les sols sont peu perméables, sableux ou pauvres en matières organiques, ces sols peuvent être rapidement dégradés sous paillage, simplement par humectation et dessication à la surface du sol. Leur efficacité est donc fonction de leur texture et de la possibilité du sol de résister à la dégradation par simple humectation ou par dispersion des argiles lorsque la capacité d'échange est riche en ion sodium. Dans les montagnes tropicales, en particulier au Rwanda et au Burundi, on peut observer dans le paysage des champs de caféiers paillés depuis 40 ans qui n'ont souffert d'aucune érosion. Ceci démontre à quel point le paillage peut être efficace à la fois pour maintenir la fertilité du sol et sa capacité d'infiltration, et le protéger de l'érosion. Le problème est de rassembler tout au long de l'année suffisamment de biomasse pour garder à la surface du sol une couche de quelques centimètres de paille. A l'origine, le paillage sous les caféiers avait deux fonctions: d'une part il fallait accumuler 10-15 cm de paille à la fin de la saison des pluies pour maintenir l'humidité et la fraîcheur du sol sous les caféiers. La deuxième fonction est de protéger la surface du sol contre l'érosion en saison des pluies par une mince couche de paille de 2 à 5 cm. L'expérience a montré que sur les petites unités de production de l'ordre de 1 ha sur forte pente dans ces régions de montagne, il est difficile de produire suffisamment de biomasse pour couvrir l'ensemble de la surface d'autant plus que cette biomasse est consommée en priorité par le bétail en vue de produire du lait, de la viande et du fumier. Il semble qu'en transformant les talus existant actuellement en talus inclinés productifs couverts d'une part d'herbacées, d'autre part ayant une double haie de légumineuses arbustives (Leucaena leucocephala ou Calliandra calothyrsus, etc...) et si on implante à l'aval du talus des arbres tous les 5 m on arrive à produire suffisamment de biomasse pour recouvrir la surface du sol, tout au moins après la préparation du lit de semence et après le semis en taillant les haies et en épandant à la surface du sol les produits d'émondage. Quelques mois plus tard, il sera possible de récupérer les brindilles comme combustibles pour chauffer la nourriture. Cette méthode est actuellement à l'étude au Rwanda (Ndayizigiye, 1992) et au Burundi. Une autre source de paillage peut être l'utilisation des résidus de culture (ISAR).

En culture industrielle, il n'est pas toujours aisé de se procurer la masse de matière verte nécessaire pour pailler de façon économique. Toutefois on peut laisser à la surface du sol le maximum de résidus de culture pour le protéger entre deux cultures et même durant la culture suivante. Cette technique, dont il existe de multiples variantes, est très en vogue aux Etats-Unis (stubble mulching) mais demande des instruments particuliers pour aérer le sol sans le retourner et sans déranger le mulch.

Lal (1975) propose tout simplement de repousser les résidus de culture entre les lignes de plantation et de ne préparer le lit de semence pulvérisé que sur la ligne de semis. Sur des parcelles préparées de la sorte au Centre IITA de Ibadan (Nigeria), il a observé que la vitesse d'infiltration reste maximale sous les résidus de culture disposés à la surface du sol grâce à l'activité des vers de terre, et que le ruissellement et l'érosion restent faibles quelle que soit la pente, alors que les pertes en terre croissent exponentiellement avec la pente sur les parcelles labourées voisines. L'essai mis en place à Adiopodoumé par l'ORSTOM et l'IRFA, montre bien le rôle des résidus de culture dans le cas de plantations d'ananas et le rôle du travail du sol dans l'économie de l'eau en fonction de la pente. Durant le premier cycle de plantation, il a plu environ 2000 mm et l'érosion moyenne sur trois pentes (4-7 et 20 %) fut de 197 t/ha sur sol nu. Sous plantation d'ananas à plat, en lignes perpendiculaires à la pente, les résidus de la culture précédente étant brûlés et enfouis, l'érosion n'a pas dépassé 25 t/ha. Pour un traitement analogue mais pour lequel les résidus furent enfouis, l'érosion est encore de moitié inférieure (12 t/ha). Enfin si on laisse les résidus en surface, le couvert végétal est total et l'érosion est négligeable (0,4 t/ha soit 1/100ème du sol nu et moins de 1/60ème de la culture d'ananas lorsque les résidus sont brûlés et enfouis). De même, le ruissellement a atteint en moyenne 36 % sur sol nu, 6 % sous le couvert d'ananas, 2 % lorsque les résidus sont enfouis et 0,6 % lorsque les résidus sont laissés à la surface du sol. De plus, on n'observe pas d'augmentation significative du ruissellement sous paillage lorsque la pente passe de 4 à 22 %. La conclusion la plus importante c'est que grâce à la disposition des résidus de culture à la surface du sol, il ne faut plus craindre l'érosion lorsque la pente augmente: on peut donc envisager d'abandonner la culture strictement en courbe de niveau, ce qui faciliterait grandement la mécanisation de l'agriculture (Valentin et Roose, 1982).

Il est bon enfin de rappeler ici que l'enfouissement de matières organiques dans le sol peut améliorer la stabilité de la structure, la résistance à la battance des pluies. D'après le nomographe de Wischmeier, le gain de 1 % de matières organiques dans l'horizon superficiel du sol permet de diminuer de 5 % les pertes en terre par résistance de la structure pour les sols limoneux, et de 3 % pour les sols argileux ou sableux. Mais ceci exige une quantité considérable de matières organiques à enfouir dans le sol car dans les régions tropicales humides, la majorité des matières organiques disparaît rapidement dans le sol (il reste moins de 5 % sous forme d'humus stabilisé). Par contre, si cette même quantité de résidus est épandue à la surface du sol, elle va réagir comme un paillage et entraîner une réduction de l'ordre de 60 à 99 % des pertes en terre. Il semble donc que la gestion de la biomasse à la surface du sol, à la fois, réduise de façon considérable les pertes par ruissellement et érosion, et recycle les éléments nutritifs en les mettant progressivement à la disposition des plantes tout au long de la saison des pluies. En effet, selon les observations sur le terrain, tant en milieu tropical humide (Adiopodoumé) qu'en zone semi-aride (Saria au Burkina Faso), les résidus culturaux peuvent couvrir la surface du sol pendant 3 à 5 mois, le temps nécessaire pour que la plante cultivée arrive à couvrir le sol à plus de 80 %, niveau suffisant généralement pour réduire l'érosion à un niveau tolérable.

LE PAILLAGE ARTIFICIEL: "CURASOL" EN PULVERISATION

Les méthodes de paillage et leurs variantes entraînent généralement des contraintes techniques (risques phytosanitaires, risques de maladies par insectes et risques d'envahissement par les mauvaises herbes) ou économiques (collecte du paillage: 250 à 300 jours de travail) mal acceptées en grande culture industrielle. D'où l'idée de tester un paillage artificiel susceptible d'être facilement épandu avec du matériel de pulvérisation existant dans bon nombre d'exploitations mécanisées. Nous avons testé un acétate de polyvinyl* (ce produit est vendu sous le nom de Curasol par la firme Hoechst). A Adiopodoumé, ce produit a été pulvérisé juste après labour, planage et plantation, à une dose unique de 60 g de Curasol diluée dans 1 litre d'eau/m2 de sol. Après quelques heures d'ensoleillement, ce produit laiteux et collant forme une croûte souple de 1 mm d'épaisseur qui protège le sol contre l'énergie cinétique des gouttes de pluie (Roose, 1975 et 1977).

On a testé ce traitement durant quatre années sur trois couples de parcelles:

- une pente de 7 % plantée en Panicum maximum à 40 x 40 cm;
- une pente de 7 % en sol nu;
- une pente de 20 % en sol nu.

Au tableau 32, on peut constater que le Curasol a réduit considérablement les pertes en terre (réduction de 40 à 75 %) et dans une moindre mesure, le ruissellement (réduction de 20 à 55 %). Son action protectrice diminue après trois mois de pluie violente (1.200 mm) mais elle reste encore sensible au bout d'un an. Son épandage n'a pas eu d'effet significatif sur les rendements en fourrage (Panicum) mais il a été particulièrement efficace contre l'érosion sous ce couvert végétal.

TABLEAU 32 : Effet d'un mulch plastique sur sol nu et Panicum, sur l'érosion (t/ha) et sur le ruissellement (KR %, d'après Roose, 1975; 1977)

ADIOPODOUME 1970-1974

EROSION (t/ha et % du témoin)

RUISSELLEMENT (mm, % et % du témoin)


Précipitations

Panicum, p :7 %

Sol nu, p :7 %

Sol nu, p :20 %

Panicum, p :7 %

Sol nu, p :7 %

Sol nu, p :20 %


h (mm)

RUSA

Témoin t/ha

Curasol % témoin

Témoin t/ha

Curasol % témoin

Témoin t/ha

Curasol % témoin

Témoin mm et % de pluie

Curasol % témoin

Témoin mm et % de pluie

Curasol % témoin

Témoin mm et % de pluie

Curasol % témoin

5.70 à 3.71

1389

1057

89,2

25

150

50

532

27

368 mm

37

575 mm

56

423 mm

40










26,5 %


41,4 %


30,4 %


4.71 à 3.72

1816

1023

4,1

30

139

55

618

59

190 mm

77

562 mm

105

286 mm

49










10,5 %


31 %


15,8 %


4.72 à 3.73

1562

819

1,2

10

114

50

273

57

106 mm

16

593 mm

66

363 mm

55










6,8%


36,3 %


23,2 %


4.73 à 4.74

1887

1165

15,0

34

191

71

626

40

146 mm

34

942 mm

70

425 mm

91










7,7%


49,9 %


22,5 %


Moyenne

1664

1016

27,4

26

149,4

58

512.3

45

203 mm

43

668 mm

73

374 mm

79

Le ruissellement observé sur les parcelles témoins est présenté sous deux formes:

- la lame ruisselée en mm
- le coefficient de ruissellement en % de la hauteur de pluie

Il n'était pas évident à priori que l'épandage de cette colle plastique puisse diminuer le ruissellement. Elle aurait pu obstruer les porosités de la surface du sol. L'observation sur le terrain montre que la pulvérisation sur un sol bien aéré (labour récent) forme une croûte souple qui augmente légèrement le ruissellement par rapport au témoin pendant quelques averses. Ensuite, la porosité du sol non traité diminue plus vite que celle de la parcelle protégée par le Curasol: le bilan devient alors favorable à l'usage de ce dernier. Celui-ci ne constitue pas un film continu imperméable, mais enrobe les agrégats de la surface du sol et les rend plus résistants à l'agressivité des pluies.

Le Curasol laisse toujours place à une certaine érosion. La protection n'étant pas uniforme et continue, les eaux découvrent les points faibles de la croûte: l'énergie des gouttes de pluie qui creusent des trous dans lesquels les eaux ruisselantes s'engouffrent, sapent la base des microfalaises ainsi formées et élargissent les plages attaquées par érosion régressive. Si donc un couvert végétal protège la croûte souple de plastique contre l'énergie des pluies, le film de Curasol résiste plus longtemps. Signalons enfin que le film plastique ne supporte ni l'abrasion des grains de sable transportés dans une rigole active, ni le passage d'engins mécaniques lourds (tracteurs, etc...) ni le passage des manoeuvres: l'érosion s'installe très vite aux points de rupture.

Bien que très efficace sur ces sols sableux, le traitement au Curasol n'a pas suffit pour réduire l'érosion sur sol nu au-dessous de 10 tonnes de pertes en terre, valeur tolérable sur ce genre de sol. Son prix de revient (4 000 FF/ha en 1973 pour une dose moyenne de 60 g/l/m2) et la grande quantité d'eau nécessaire pour l'épandre (10 m3/ha) sont des inconvénients majeurs à son utilisation courante en agriculture, même intensive. Cependant, le Curasol peut jouer un rôle très efficace pour la fixation des talus de route, les canaux d'irrigation et les surfaces décapées des zones urbaines ou industrielles, si on le projette en mélange avec certaines graines herbacées et avec les engrais nécessaires à leur développement.

A titre de comparaison, on peut signaler qu'en Côte d'Ivoire il faut 250 journées de travail pour récolter en brousse et répartir sur le champ 40 à 80 t/ha de broussailles, soit 4000 FF en 1990. Si on dispose d'un champ de Guatemalagrass (Tripsacum laxum), le travail est réduit à 150 journées pour obtenir un paillage épais. Or des essais ont montré qu'il suffisait de 4 à 6 tonnes de paille sèche pour obtenir une protection satisfaisante contre l'érosion (Mannering et Meyer, 1963; Lal, 1975), on pourrait donc encore réduire le prix de revient de cette technique. On pourrait conclure que la valeur conservatrice des différentes formes de paillage a été maintes fois démontrée et jamais démentie. Si son extension reste limitée, c'est qu'il reste à démontrer son applicabilité en milieu tropical sur différents sols dans divers milieux humains (problèmes d'herbicide et de produits phytosanitaires), à mettre au point des outils sachant aérer le sol sans déranger le paillage, ou encore des systèmes de culture sans travail du sol dont la rentabilité aurait été éprouvée sur de longues périodes.

LES PLANTES DE COUVERTURE

Comme la difficulté principale rencontrée pour le paillage est de produire et de transporter la biomasse sur le champ, une fois le sol préparé et planté, il était naturel de tenter de produire cette biomasse sur place. C'est ainsi que furent testées, d'abord au Brésil depuis une vingtaine d'années (Séguy et al., 1989), puis au Nigeria (Juo, Jonhson, Lal, station IITA à Ibadan), l'introduction d'une culture de légumineuses à enracinement profond semée en dérobée sous un maïs ou une autre céréale. Tant que la culture principale se développe et exploite les couches superficielles du sol, elle ralentit la croissance de la légumineuse qui, en attendant une meilleure luminosité, envoie des racines pivotantes en profondeur sous la zone exploitée. Petit à petit, la légumineuse forme un tapis de feuilles et de tiges plus ou moins décomposées. Dès que la récolte principale a été effectuée, l'espace et la lumière permettent un fort développement de la légumineuse pendant les quelques semaines où il reste encore assez d'eau dans le sol sous la zone exploitée par la culture principale. Durant la saison sèche, le sol est donc couvert par un tapis qui favorise l'activité de la mésofaune, vers de terre en région tropicale humide, et termites en zone semi-aride ou sur les sols trop sablonneux. Au début de la saison culturale suivante, ou bien la sécheresse a tué l'ensemble de la couverture de légumineuses et l'on a à faire à une couverture morte, ou bien elle a laissé suffisamment d'eau pour rester vivante ou pour faire renaître une couverture vivante grâce aux graines émises par la légumineuse; dans ce cas, ou bien on tue la légumineuse à l'aide d'herbicide (3 l/ha de Gramoxone) et l'on en profite pour tuer également les autres herbes qui auraient pu se développer, ou bien on la laisse se développer mais on la rabat avant d'entamer la culture suivante. Au lieu d'enfouir cette litière pour préparer le terrain pour la culture suivante, on la fend à l'aide d'un disque crénelé, on éclate le sol à l'aide d'une dent derrière laquelle sont injectés les engrais de fond et les graines. Une razette ramène la terre sur la ligne de semis et une roulette la tasse pour assurer un bon contact entre l'humidité du sol et la graine. Dans ce système, moins de 10 % de la surface du sol est nue, ameublie et susceptible d'être attaquée par l'érosion. L'expérience montre que la surface du sol n'est pas dégradée, les sables restent liés aux matières organiques et qu'il y a très peu de risque d'érosion et de ruissellement avec cette méthode. Elle présente aussi un certain nombre d'avantages, en particulier elle permet, comme en milieu forestier, d'équilibrer le bilan de matières organiques et de ramener à la surface un certain nombre d'éléments nutritifs qui seront redistribués dans le sol au cours de toute la saison des pluies. Voilà une technique élégante qui permet à la fois de réduire les intrants, les fertilisants et les techniques culturales, tout en protégeant le sol contre l'agressivité des pluies et l'érosion. Il est possible que l'élimination du ruissellement permette une alimentation hydrique des deux cultures et donc réduise leur concurrence. Ce système peut être comparé à l'ancienne méthode des engrais verts qui consistait à introduire une culture au moment de la jachère et d'enfouir cette culture avant la fin de la saison des pluies. Il serait donc possible, d'exploiter une partie de cette culture et de laisser la plante de couverture à la surface du sol sous forme de litière. L'usage de plantes de couverture diverses et en particulier de légumineuses est bien connu et très répandu sous les cultures arborées industrielles telles que les palmiers, les cocotiers, les hévéas, les caféiers et les cacaoyers. Il semble que l'on puisse mettre au point une adaptation de ce système sous les cultures temporaires sarclées et trouver enfin un système plus stable que les systèmes intensifs où les intrants (à la fois engrais minéraux et travail du sol), sont utilisés en grande quantité.

TABLEAU 33 : Le facteur "pratiques antiérosives P" dans le modèle de prévision de l'érosion en nappe de Wischmeier et Smith

Etats Unis (d'après Wischmeier et Smith, 1978)

longueur max

P

- Labour isohypse

1 à 8 %

122 à 61 mètres

0,5


9 à 12 %

36 m

0,6


13 à 16 %

24 m

0,7

(contouring)

17 à 20 %

18 m

0,8


21 à 25 %

15 m

0,9

- Billonnage isohypse = labour isohypse x 0,5

idem x 0,5

- Labour isohypse entre bandes enherbées



1 à 8 %

40 à 30 m

0,25 ® 0,50


9 à 16 %

24 m

0,30 ® 0,60


17 à 25 %

15 m

0,40 ® 0,90

Afrique de l'ouest (d'après Roose, 1977)



- billonnage isohypse cloisonné

0,2 à 0,1


- bandes antiérosives de 2 à 4 m de large

0,3 à 0,1


- mulch de paille de plus de 6 t/ha

0,01


- mulch Curasol à 60 g/l/m2 (selon pente et culture)

0,5 à 0,2


- prairie temporaire ou plante de couverture (selon le couvert)

0,5 à 0,01


- bourrelets de terre armés de pierres ou lignes d'herbes



pérennes ou murettes en pierres sèches tous les 80 cm de dénivelé plus labour isohypse plus binage plus fertilisation

0,1 à 0,05

Sierra Leone (d'après Millington, 1984)

sur riz

sur haricot


temps nécessaire pour 100 m

E t/ha/an

P

E t/ha/an

P

- gradin horizontal

808 heures

7,5

0,14

-

-

- bourrelet de pierre

31

29,5

0,5

4,4

0,1

- ligne de piquets

30

27,3

0,5

27,3

0,5

- bourrelet isohypse

19

17,9

0,3

16,8

0,3

- aucune méthode

-

41 à 55

1

11 à 55

-


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