La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture consacre traditionnellement, dans sa section réservée aux pays de l'OCDE, un tour d'horizon à l'évolution des politiques agricoles des pays de la Communauté européenne (CE) et des Etats-Unis, étant donné que ces politiques ont sur les autres pays membres une incidence marquée, qui tient principalement au système mondial des échanges commerciaux. Pour ce qui est de la CE, des changements importants se sont produits cette année encore, que nous décrivons plus loin. S'agissant des Etats-Unis, il faut signaler que la législation agricole en vigueur viendra à expiration fin 1995. La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture 1993 donnait une description des problèmes qui figureraient probablement au cur des débats concernant la loi sur l'agriculture de 1995. Depuis, on n'a guère observé de changement dans les modalités d'application de la loi sur l'agriculture de 1990, ni dans les thèmes susceptibles d'être débattus entre l'automne de 1994 et l'adoption du projet de loi - envisageable pour la fin de 1995 - par le Congrès des Etats-Unis. C'est pourquoi cette année, il n'y a pas de section consacrée aux Etats-Unis.
En revanche, l'accent a été mis sur les changements qui ont récemment marqué la situation et les politiques dans le domaine agricole au Canada. Ce pays a lancé, ces dernières années, un certain nombre d'initiatives novatrices, notamment en matière de filet de sécurité sociale des agriculteurs, tout en éprouvant des difficultés à réformer d'autres aspects de sa politique agricole.
ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE AGRICOLE AU CANADA
Une économie à croissance lente et à déficit élevé
Trois problèmes dominent actuellement la politique agricole canadienne: la gestion de l'offre, le transport des céréales et les filets de sécurité sociale des agriculteurs. Il est probable que la solution de ces problèmes dépendra étroitement de facteurs extérieurs au secteur agricole du pays, notamment de la faiblesse enregistrée ces derniers temps au plan macroéconomique, de la chute des prix réels sur les marchés mondiaux des produits de base et du changement des règles du commerce international.
Le Canada est sorti de la récession prolongée des années 1990 et 1991 pour entrer dans une période de croissance lente, caractérisant en particulier le marché intérieur. On prévoit, pour les deux prochaines années, une progression modeste du PIB, le budget fédéral de février 1994 se basant sur une hypothèse de croissance de 3 pour cent en 1994 et 3,8 pour cent en 1995. Au début de 1994, le taux préférentiel des banques a atteint son point le plus bas en 30 ans (pour remonter par la suite). Avec une économie tournant au ralenti, un taux de chômage très élevé (plus de 11 pour cent) et des prix peu rémunérateurs pour l'énergie, on prévoit que l'inflation devrait rester largement inférieure à 2 pour cent au cours des deux prochaines années. On soulignera qu'elle est restée à un niveau très bas en dépit d'une dépréciation de 16 pour cent du dollar canadien par rapport à la devise américaine - de 0,89 dollar EU en 1989 à moins de 0,72 dollar EU au printemps de 1994. Quant à la demande intérieure, elle est demeurée très faible mais, parallèlement, la pression sur les coûts s'est amortie.
Le gouvernement fédéral, comme ses homologues provinciaux, a maintenu des déficits annuels très importants au cours des deux dernières décennies. Le déficit, aggravé par la récession, a atteint près de 7 pour cent du PIB en 1993. Les pressions s'accentuent sur les deux paliers de gouvernement pour qu'ils prennent des mesures plus énergiques afin de réduire le déficit, et qu'ils le fassent par une diminution des dépenses plutôt qu'en poursuivant la pratique récente consistant à augmenter les impôts. Le déficit continue de peser sur les programmes gouvernementaux; à titre d'exemple, il a entraîné une réduction des subventions à la production de lait de transformation et au transport des céréales.
L'économie canadienne est étroitement tributaire du commerce extérieur. Conséquence des accords récemment passés dans ce domaine, l'Accord de libre-échange canado-américain (ALE) et l'ALENA, auxquels vient de s'ajouter l'Uruguay Round des négociations du GATT, l'économie s'ouvre encore davantage aux échanges commerciaux. L'intensification de la concurrence qui a suivi la mise en uvre de ces accords a contraint en particulier le secteur de la transformation des aliments à se restructurer afin de rester concurrentiel sur les marchés nord-américain et mondial. L'ensemble de l'économie canadienne dépend étroitement des échanges commerciaux avec les Etats-Unis, et ce phénomène s'accentue dans le secteur agroalimentaire.
Les ajustements structurels dans le secteur primaire
La restructuration du secteur agricole canadien se poursuit sous la pression du déclin conjugué des prix réels et du soutien gouvernemental. Au cours des 20 dernières années, la dimension moyenne de l'exploitation agricole a continué de croître, atteignant 242 ha, soit une progression de 29 pour cent, alors que le nombre des fermes déclinait de plus de 24 pour cent. L'adaptation structurelle du secteur laitier a été encore plus rapide que pour le secteur primaire pris dans son ensemble; ainsi, le nombre des exploitations laitières a chuté de 42 pour cent au cours de la dernière décennie. Cependant, en dépit de cette réduction accentuée du nombre d'exploitations, celui des emplois dans le secteur n'a décliné que lentement, passant de 500 000 en 1970 à 450 000 en 1991.
Autre aspect important de l'ajustement structurel, celui de la diversification de la main-d'uvre agricole, qui se tourne vers des emplois hors-secteur. Les revenus de ces emplois représentent aujourd'hui près de 60 pour cent du revenu global d'une famille d'agriculteurs, surtout pour les plus petites exploitations. C'est cette tendance qui a permis au revenu familial moyen du monde agricole canadien de rester très proche de celui des ménages de l'ensemble du pays.
L'endettement total des exploitations agricoles a progressé rapidement durant la première moitié des années 80, alors que les prix payés aux agriculteurs étaient favorisés par les cours mondiaux relativement élevés des céréales et par la faiblesse du dollar canadien. Lorsque ces deux facteurs se sont inversés, au milieu des années 80, le nombre des faillites a plus que quadruplé par rapport à 1979, atteignant son maximum en 1985. Depuis 1986, l'endettement total des entreprises agricoles est demeuré relativement stable et le nombre d'exploitations en retard sur leurs remboursements est tombé d'environ 12,5 pour cent à 6,5 pour cent d'entre elles en 1993, tandis que le nombre des faillites se stabilisait à un taux annuel de 0,2 pour cent. L'assainissement de l'endettement agricole devrait se poursuivre, étant donné que le taux préférentiel des banques est tombé de 14 pour cent en 1990 à 5,5 pour cent au début de 1994. Les augmentations survenues depuis pourraient ralentir la reprise.
Une agriculture étroitement tributaire du commerce mondial
Les exportations de produits agricoles et alimentaires sont une source de revenu très importante, qui rapporte environ 21 000 dollars canadiens par agriculteur exerçant à temps plein. Il existe cependant des différences notables entre les régions; ainsi, les exportations jouent un rôle beaucoup plus important dans l'Ouest du Canada. Au mois de juillet 1993, les ministres de l'agriculture du gouvernement fédéral et des provinces, conscients de l'importance des échanges commerciaux pour la croissance du secteur, se sont fixé comme objectif de porter les exportations agricoles à 20 milliards de dollars canadiens, soit une augmentation de 65 pour cent, entre 1992 et l'an 2000.
Au cours des dernières années, ce sont les exportations de produits agricoles vers les Etats-Unis qui ont progressé le plus rapidement au Canada, en particulier les produits de transformation: en 1992, les Etats-Unis ont absorbé près de 45 pour cent des exportations agricoles du Canada.
En revanche, la valeur de ces exportations vers le Japon ou les autres pays d'Asie et vers la CE a chuté durant la période 1988-1992. De plus, en 1992, l'ex-Union soviétique a réduit de façon draconienne ses importations de produits agricoles canadiens, et elle les a réduites à nouveau en 1993. En conséquence, les exportations agricoles et alimentaires du Canada ont aujourd'hui des destinations davantage calquées sur celles des produits non agricoles, c'est-à-dire qu'elles sont étroitement liées aux échanges avec les Etats-Unis.
Un secteur fortement subventionné par l'Etat
On a estimé que, pour la période 1992-1993, le gouvernement fédéral et les provinces avaient consacré, à raison d'environ 40 pour cent et 60 pour cent respectivement, 7,04 milliards de dollars canadiens au soutien du secteur agricole. Ces subventions représentent près de 31,5 pour cent du PIB du secteur agroalimentaire, et environ 2,9 pour cent et 1,9 pour cent du total des dépenses respectives fédérales et provinciales.
Au milieu des années 80, les dépenses gouvernementales ont connu une brusque augmentation destinée à compenser la chute des prix mondiaux des céréales et des oléagineux, concentrée principalement sur les provinces des Prairies. En Saskatchewan par exemple, pour deux des huit dernières années, les dépenses fédérales et provinciales de soutien au secteur agricole ont dépassé la valeur totale du PIB agroalimentaire. Au Manitoba et en Alberta, ces dépenses ont représenté plus de la moitié du PIB pour quatre des huit dernières années.
Etant donné la faiblesse du prix des céréales, la majeure partie des subventions gouvernementales visent à soutenir les revenus - qu'il s'agisse de programmes portant sur les denrées, de subventions au transport et à l'entreposage, de dégrèvements fiscaux ou de subventions de l'Etat au fonctionnement des programmes. La majorité des subsides gouvernementaux - près des deux tiers - vont à des exploitations agricoles dont le chiffre d'affaires atteint au moins 100 000 dollars canadiens. On n'a dirigé qu'une aide relativement modeste vers les secteurs récemment déclarés prioritaires par le gouvernement, comme l'expansion du commerce international, la promotion des marchés ou la protection du milieu naturel. Il en va de même pour les fonds consacrés aux activités relevant traditionnellement du secteur public, comme la recherche ou la sécurité des aliments.
Il y a une autre série de moyens importants pour venir en aide au secteur agricole: la réglementation, qui peut prendre la forme de restrictions aux importations, d'encadrement de la production ou de soutien des prix. Ces instruments intéressent surtout les denrées soumises à la gestion de l'offre - principalement les produits laitiers, la volaille et les ufs. Le secteur agricole bénéficie alors de transferts de recettes provenant de la consommation intérieure. On peut estimer l'ampleur de ce soutien en se basant sur la valeur des ESP. Selon l'OCDE, en 1993, l'ESP net pour le secteur des produits laitiers, volailles et ufs totalisait 3,1 milliards de dollars canadiens, soit 76 pour cent de la valeur de la production du secteur laitier et 37 pour cent de celui des volailles.
Les subsides gouvernementaux, quoique continuant de représenter un pourcentage élevé du PIB agricole, sont passés de 8,93 milliards de dollars canadiens en 1991-1992 à 7,04 milliards de dollars canadiens en 1992-1993. On prévoit qu'ils tomberont à 5,98 milliards de dollars canadiens en 1993-1994, et le déclin devrait se poursuivre. Dans le cadre de son programme général de réduction du déficit, le gouvernement fédéral a diminué de 10 pour cent la subvention accordée en 1993-1994 et en 1994-1995 à la production de lait de transformation et au transport des céréales de l'ouest. Les prévisions, qui laissent escompter un renforcement général des prix mondiaux, ainsi que la dévaluation du dollar canadien et des prix de soutien basés sur une moyenne mobile, contribueront elles aussi à la réduction des prestations de protection sociale.
L'agriculture constituant un domaine de responsabilité partagée entre le gouvernement fédéral et les provinces, les programmes la concernant doivent souvent être élaborés conjointement. Aux termes de la constitution canadienne, les échanges interprovinciaux et internationaux sont du ressort fédéral, tandis que la commercialisation et l'éducation relèvent des autorités provinciales. Cette répartition rend plus nécessaire encore la consultation lorsqu'il s'agit de mettre au point des programmes d'envergure nationale pour la commercialisation des denrées agricoles, mais elle peut aussi entraîner des chevauchements entre les deux paliers de gouvernement.
L'examen de la Politique agricole (voir La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture 1991, p. 73-74) amorçait en décembre 1989 une réévaluation générale et approfondie de la politique agroalimentaire canadienne, basée sur un ensemble de consultations entre le gouvernement fédéral, les autorités provinciales et les secteurs concernés. Deux nouveaux régimes de protection sociale furent introduits à cette occasion: le Régime d'assurance du revenu brut (RARB) et le Compte de stabilisation du revenu net (CSRN). D'autres missions d'étude, chargées d'examiner la gestion de l'offre pour la production laitière et avicole ainsi que pour le transport des céréales, formulèrent un certain nombre de recommandations, qui n'engendrèrent cependant pas le consensus nécessaire à leur application. De plus, les incertitudes entourant l'accord du GATT eurent pour effet de freiner les réformes en matière de gestion de l'offre comme de transport des céréales.
La gestion de l'offre des produits laitiers et avicoles. Au Canada, la commercialisation des produits laitiers et avicoles est strictement réglementée par des offices de commercialisation. Ce système de gestion de l'offre repose sur trois éléments fondamentaux: l'encadrement de la production intérieure, le contrôle aux frontières et un système régissant la fixation des prix. Les grands objectifs assignés à la gestion de l'offre sont: la préservation d'un minimum d'autosuffisance69, la répartition régionale de la production et de la transformation, et l'établissement des prix en fonction des coûts de production.
C'est en grande partie durant les années 70 que fut introduit au Canada le régime actuel de gestion de l'offre, dont la mise en uvre se fait par le truchement d'un ensemble complexe de réglementations. A titre d'exemple, la Liste des marchandises d'importation contrôlée limite le volume des importations de lait industriel et de produits dérivés du lait - ayant une teneur laitière minimale de 50 pour cent; des droits de douane sont imposés aux produits dont l'importation est contingentée; les importations de fromage, par exemple, sont limitées à 20 400 tonnes par an. L'activité des producteurs de lait industriel est assujettie au respect de contingents de production, pour lesquels des subventions leur sont versées directement. Les prix perçus par les producteurs sont fixés selon une formule basée sur le coût de production, et ils sont soutenus grâce à un programme gouvernemental d'offre d'achat du beurre et de lait écrémé en poudre. La production de lait industriel, pour laquelle un contingent national est établi, est répartie entre les provinces sur la base des précédents, chaque province allouant à son tour les contingents individuels de production. Des pénalités sont également perçues pour la prise en charge des excédents, généralement dirigés vers l'exportation. Les transformateurs de lait paient, pour celui-ci, un prix qui varie en fonction du produit final, et ils peuvent également se voir assigner des contingents par unité de production.
Lors de l'Uruguay Round des négociations du GATT, le Canada s'est efforcé de conserver le système actuel de gestion de l'offre, par le biais du renforcement de l'Article XI, paragraphe 2(c). Cependant, le niveau des équivalents tarifaires substitués aux restrictions quantitatives sur les importations ne semble pas de nature à nécessiter une réorganisation fondamentale du régime de gestion de l'offre. L'accord de libre-échange canado-américain (ALE) ne prévoit pas de mesures spécifiques se rapportant à la libéralisation des échanges de produits soumis à la gestion de l'offre; cependant, des pourparlers ont eu lieu avec les Etats-Unis concernant l'introduction de nouvelles barrières tarifaires autorisées par le GATT, ainsi que la mise en uvre de la décision du groupe spécial du GATT (octobre 1989) statuant que les restrictions imposées par le Canada à l'importation de crème glacée et de yoghourt étaient incompatibles avec les dispositions du GATT.
Le Groupe de travail sur la commercialisation ordonnée, dirigé par le secrétaire parlementaire du ministre fédéral de l'Agriculture, se penche actuellement sur les différentes solutions compatibles avec le GATT et évalue le dynamisme et la capacité concurrentielle du secteur. Les ministres ont récemment réaffirmé leur volonté de maintenir un régime de commercialisation ordonnée des produits laitiers et des volailles. Ils ont créé, pour les denrées concernées, des comités spéciaux chargés d'examiner le fonctionnement des quotas tarifaires découlant de l'Accord de l'Uruguay Round ainsi que les accords fédéraux-provinciaux en préparation, la structure institutionnelle et les autres problèmes opérationnels ou liés à l'application des programmes. Le groupe de travail prévoit de soumettre ses recommandations aux ministres à l'automne de 1994.
Le transport des céréales. Au Canada, la majeure partie des céréales et des graines oléagineuses sont produites dans les Prairies, et exportées comme denrées de base. Le transport réglementé des céréales et des oléagineux de l'ouest canadien est entré dans les murs et fait aujourd'hui partie intégrante de la politique agricole canadienne70. En 1983, la Loi sur le transport du grain de l'Ouest (LTGO) a institutionnalisé plusieurs programmes spéciaux d'indemnités pour la subvention du Nid-de-Corbeau, sous forme de versements directs aux chemins de fer. La LTGO stipulait également que la part des coûts de transport incombant aux producteurs, soit 42,8 pour cent du total en 1993-1994, augmenterait graduellement.
L'engagement du gouvernement fédéral en vertu de la LTGO sera réduit de 10 pour cent au cours des campagnes 1993/94 et 1994/95. Le budget de février 1994 a encore réduit cet engagement de 5 pour cent, ce qui le porte à 615 millions de dollars canadiens.
Plusieurs études ont démontré que les subventions versées au titre de la LTGO ont entraîné une augmentation des prix à la ferme pour les céréales de l'ouest du Canada, avec comme conséquence une diminution de la production de bétail dans cette région. Afin de compenser les répercussions négatives, pour les éleveurs de bétail, des subventions accordées aux céréaliers, les gouvernements provinciaux ont introduit des subsides à l'élevage71. Le dernier de ces programmes devait toutefois prendre fin en 1994, du fait des pressions subies par les budgets provinciaux et de la modification escomptée de la méthode de paiement des subventions au titre de la LTGO.
Au mois de juin 1993, le gouvernement fédéral a présenté un projet de loi - qui n'a pas été adopté - visant à modifier la méthode en vigueur de paiement des subventions: ces dernières ne seraient plus versées aux compagnies ferroviaires, à titre de compensation de la réduction des prix à la production, mais elles seraient versées directement aux céréaliers, par le biais du programme de protection sociale des agriculteurs. Le corollaire aurait été une augmentation, jusqu'au plein niveau compensatoire, des tarifs de transport acquittés par les producteurs. Le Comité d'examen des paiements aux producteurs, chargé de formuler des recommandations sur la manière dont les prestations prévues par la LTGO devraient être versées aux producteurs, fut créé à cette occasion. Le Comité proposa que, dans un premier temps, les versements soient calculés sur la base de la surface cultivée; au bout de sept ans, les paiements seraient intégrés à un programme national de protection sociale applicable à tous les producteurs du Canada72. La conclusion de l'Uruguay Round des négociations du GATT a donné une impulsion supplémentaire à la modification de la LTGO. La raison en est que les subsides accordés au transport des céréales qui transitent par les ports de la côte ouest ou par Churchill sont classés par le GATT comme des subventions à l'exportation.
Les filets de sécurité sociale. La Loi sur la protection du revenu agricole (1991) a jeté les bases des programmes de sécurité sociale actuellement en vigueur au Canada, et dont les caractéristiques sont: i) l'adhésion volontaire des producteurs; ii) le partage des coûts par le biais des cotisations des producteurs et du financement conjoint par les deux paliers de gouvernement; iii) l'accent mis sur le marché, au moyen de seuils de déclenchement basés sur des moyennes mobiles des variables du marché; iv) la prise en compte de critères de résultats pour les prestations, tels que les prix, les coûts, le chiffre brut ou le revenu net; v) la solidité au plan actuariel, les cotisations devant permettre de préserver l'intégrité du fonds alimentant les programmes.
Il existe trois types principaux de programmes de soutien à la production de céréales, d'oléagineux, de viandes rouges et de produits horticoles. La première catégorie de programme, le Programme national tripartite de stabilisation (PNTS), prévoyait des versements compensatoires aux producteurs de bovins, de porcins et d'ovins ainsi que pour certaines cultures horticoles et spéciales, lorsque les prix du marché ajustés en fonction des coûts tombaient en deçà de 80 pour cent d'une moyenne quinquennale mobile.
Le deuxième type de programme est le Régime d'assurance du revenu brut (RARB), qui offre une protection du rendement, sous forme d'assurance-récolte, et une protection des prix et des revenus. Le RARB effectue des versements compensatoires aux producteurs de céréales, de graines oléagineuses et de cultures spéciales73 lorsque le revenu brut provenant des ventes tombe en deçà d'un certain pourcentage (qui varie par région de 70 à 90 pour cent) du revenu indicatif. Ce dernier est calculé sur la base du prix moyen mobile à la ferme au cours des 15 années précédentes (avec un délai de trois ans), ajusté en fonction de l'inflation, et sur la base de la moyenne des rendements moyens individuels à long terme. Les taux de contribution sont établis par un actuaire indépendant et varient d'une année sur l'autre en fonction des versements antérieurs et des tendances prospectives des prix. Les débours nets effectués au titre du programme (c'est-à-dire le total des versements moins les cotisations) ont été de 1,586 milliard de dollars canadiens en 1991-1992, de 972 millions de dollars canadiens en 1992-1993 et ont été estimés à 350 millions de dollars canadiens pour 1993-1994. Cependant, les paiements devraient augmenter légèrement en 1994-1995.
Le troisième type de programme, le Compte de stabilisation du revenu net (CSRN) permet aux producteurs de denrées désignées - actuellement les céréales, les oléagineux, les produits horticoles et certaines cultures spéciales - d'opérer des prélèvements sur leurs comptes individuels lorsque leur revenu net provenant de la vente de ces denrées est inférieur à la moyenne des cinq années précédentes ou lorsque leur revenu imposable tombe en dessous de 10 000 dollars canadiens. Les producteurs versent dans leur compte individuel 2 pour cent des recettes provenant des produits désignés, et les autorités fédérales et provinciales y ajoutent une contribution d'un montant égal. En outre, les producteurs sont autorisés à cotiser à hauteur de 20 pour cent de ces mêmes recettes jusqu'à un plafond de 250 000 dollars canadiens, mais sans contribution équivalente de l'Etat.
Les restrictions budgétaires, conjuguées à la perte de compétitivité internationale, aux inégalités marquées entre les régimes adoptés selon les produits ou selon les régions, ainsi que les mesures prises par les Etats-Unis dans le domaine commercial, ont incité les gouvernements et les producteurs à rechercher des solutions plus satisfaisantes en matière de protection sociale. Par ailleurs, l'Accord de l'Uruguay Round soulignait la nécessité de renoncer aux programmes de soutien des prix spécifiques à une denrée, en faveur d'un soutien découplé et s'appuyant sur une large base. En réponse à ces préoccupations, les ministres de l'agriculture du fédéral et des provinces ont proposé que tous les programmes de filets de sécurité sociale soient réorientés selon une approche du type CSRN englobant l'ensemble de l'exploitation agricole. Plusieurs programmes ont déjà été abrogés - il a été ainsi mis fin en 1994 au PNTS pour les producteurs de viande de buf, d'agneau et de porc. On prévoit d'ajouter les viandes rouges aux produits ouvrant droit au CSRN. Enfin, la province de Saskatchewan a annoncé qu'elle se retirera du RARB en 1995.
En février 1993, à l'occasion d'une importante conférence sur les orientations à donner aux filets de sécurité sociale du secteur primaire, il a été décidé que ce dernier passerait du régime actuel du RARB et du PNTS à un régime englobant toutes les denrées - à l'exception de celles soumises à la gestion de l'offre - dans le cadre d'un programme de protection globale du revenu des exploitations agricoles. Certains programmes auxiliaires, comme l'aide aux sinistrés ou le soutien des prix, seraient également incorporés au filet de sécurité. Un Comité consultatif national sur les filets de sécurité fut établi et doté d'un secrétariat, d'un comité directeur et de groupes de travail techniques. Au mois de juillet 1994, le Ministre de l'agriculture a accepté, à titre intérimaire pour l'année 1994 et pour les provinces désireuses d'adopter cette mesure, l'extension du CSRN à toutes les denrées, à l'exception de celles soumises à la gestion de l'offre. Un éventail plus détaillé d'options sera proposé aux ministres au mois de novembre 1994.
Les PNTS concernant les viandes rouges sont aujourd'hui abandonnés, à la demande des producteurs. Les mesures que les Etats-Unis ont prises - ou menacé de prendre - dans le domaine des échanges commerciaux ont joué un rôle décisif en la matière. En effet, une part importante de la production canadienne de bétail sur pied, de porcins et de viande rouge est exportée vers les Etats-Unis. Depuis l'application par les autorités des Etats-Unis, en 1988, d'un droit compensatoire sur les importations de porcins en provenance du Canada, les producteurs canadiens ne perçoivent qu'une part minime de la subvention gouvernementale. De plus, les programmes d'aide aux producteurs canadiens de viande de buf ont fait l'objet d'une enquête, aux termes de l'article 22, de la part de la United States International Trade Commission, mais aucune suite n'a été donnée aux investigations.
Les producteurs canadiens de viande de buf ont proposé de remplacer le PNTS par un programme englobant l'ensemble de l'exploitation agricole, à l'image du CSRN. L'Organisme de gestion du risque représente une initiative auxiliaire, opérant dans le domaine des marchés à terme sur les produits de base; un projet pilote devrait être lancé à l'automne de 1994. Les producteurs de viande de porc étudient eux aussi une telle solution ainsi que d'autres approches basées sur le coût de production ou de type PNTS amélioré.
Les effets des politiques adoptées
L'économie canadienne traverse une phase d'adaptation à la libéralisation des échanges commerciaux résultant de l'ALE, de l'ALENA, de l'Uruguay Round et de cycles précédents de négociations du GATT. La mondialisation des marchés au chapitre des investissements, des services et de l'information, de même que la tendance à la déréglementation, se conjuguent de surcroît pour aiguillonner l'économie dans le sens de l'adaptation et de la compétitivité. Pour que soit atteint l'objectif de 20 milliards de dollars canadiens d'exportations agricoles d'ici l'an 2000, le secteur de la transformation agroalimentaire doit lui aussi accroître sa capacité concurrentielle. Il faudra impérativement, pour ce faire, améliorer l'intégration du secteur primaire à l'ensemble de la branche de l'agroalimentaire et pouvoir proposer une offre suffisante de produits à des prix adéquats. Or, les programmes de soutien des revenus n'ont pas toujours favorisé la poursuite d'un tel objectif.
La gestion de l'offre. La gestion de l'offre des produits laitiers et avicoles a été instituée, au Canada, dans le but d'améliorer les prix versés aux producteurs, de stabiliser la production, de renforcer le pouvoir de négociation des exploitants et d'instaurer plus d'équité entre les régions. Les mesures adoptées ont largement contribué à atteindre ces objectifs; cependant, on peut penser qu'elles ont suscité une augmentation des coûts de production et une réduction de l'efficacité, tout en pesant sur la croissance de la demande et de la consommation.
Sous le régime de la gestion de l'offre, la valeur très élevée des contingents liés au droit de production a nécessité des investissements considérables. La valeur des quotas subit une surenchère du fait que les exploitations les plus rentables rachètent les contingents des entreprises moins rentables. On estime qu'un producteur de lait industriel doit investir environ 13 000 dollars canadiens par vache, ce qui représente 600 000 dollars canadiens pour une exploitation de taille moyenne. Compte tenu de l'augmentation des risques et des restrictions de crédit aux entreprises, on peut sans doute voir dans ce facteur l'une des principales explications de la dimension plus réduite des troupeaux laitiers du Canada (34 têtes en moyenne) par rapport à bon nombre de pays concurrents tels que Nouvelle-Zélande (164 têtes), Australie (104 têtes), Royaume-Uni (63 têtes), Etats-Unis (50 têtes) ou Pays-Bas (41 têtes). Or, les données concernant les coûts de production démontrent qu'il existe d'importantes possibilités d'économies d'échelle, ce qui tend à établir que les quotas affectent la compétitivité, du fait de la taille plus réduite des troupeaux.
Les estimations de productivité basées sur le rendement par vache donnent, pour le Canada, des chiffres nettement inférieurs à ceux des Etats-Unis. Les comparaisons de coûts de production entre régions contiguës du Canada et des Etats-Unis indiquent que le coût global de production est, en moyenne, plus élevé d'environ 25 pour cent au Canada. Cependant, ce coût varie beaucoup d'un producteur à l'autre. Ainsi, les 20 pour cent d'exploitants dont les coûts sont les plus faibles au Canada se situent en deçà de la moyenne des Etats-Unis des coûts de production.
Les réductions attendues des équivalents tarifaires fixés par le GATT pourraient entraîner une baisse des prix intérieurs de production pour les denrées soumises à la gestion de l'offre. La baisse de valeur des contingents de production pourrait représenter un premier ajustement, ce qui faciliterait les adaptations nécessaires aux économies d'échelle, en réduisant les investissements rendus nécessaires par le régime des quotas de production.
Les provinces ne sont pas autorisées à échanger leurs quotas de produits soumis à la gestion de l'offre, ce qui empêche le transfert de la production vers les producteurs ou les régions les plus efficaces. Les opérateurs du secteur laitier n'ont pas accepté les propositions d'un comité national74 visant une mise en commun de la production nationale de lait, à l'intention des producteurs comme des transformateurs. De leur côté, les offices nationaux de supervision de la gestion de l'offre n'ont pas réussi à élaborer des principes acceptables pour une réallocation des contingents entre les régions. Certains ajustements mineurs ont été opérés à l'échelon régional, pour accompagner la croissance des marchés ayant connu l'expansion démographique la plus rapide, comme celui de la Colombie britannique, ou lorsque les réductions de quotas auraient porté atteinte à la viabilité du secteur de la transformation - comme dans les Provinces maritimes. En 1994, la Commission ontarienne de commercialisation des poulets a augmenté de façon substantielle (24 pour cent) son quota de production. La Colombie britannique s'est déjà retirée du programme national de quotas et a augmenté sa part de marché. Ces mesures extrêmes semblent nécessaires pour une réallocation de la production entre les régions.
Les offices de commercialisation des volailles se sont montrés très prudents dans l'attribution des quotas de production, en dépit de la rapide croissance de la demande de viande de volaille. Au cours des dernières années, la consommation canadienne de viande de volaille par habitant a plafonné à environ 75 pour cent de la consommation des Etats-Unis. La fixation minimaliste des quotas, en ne permettant pas une garantie des approvisionnements, a limité les campagnes de promotion des supermarchés et la mise au point de nouveaux produits par le secteur de la transformation. Ce sont les produits à transformation poussée qui ont connu la croissance la plus forte, mais les programmes de gestion de l'offre ont restreint les initiatives dans ce domaine.
Les prix de soutien élevés du lait ont fortement contribué à réduire la consommation de produits laitiers et, partant, les contingents de production de lait - les quotas de lait industriel ont été réduits de 17 pour cent avant la campagne laitière 1993/94. Les prix au détail des produits laitiers étaient de 15 pour cent à 40 pour cent plus élevés au Canada qu'aux Etats-Unis - selon des estimations de 1991 - d'où une tendance marquée, de la part des consommateurs canadiens, à traverser la frontière pour faire leurs emplettes. Par ailleurs, les détaillants de certaines provinces ont été empêchés d'appliquer au lait des prix de promotion.
Le système d'établissement des prix des produits laitiers a limité la portée de la réorientation du secteur vers le marché. A titre d'exemple, il a tendu à encourager la production de matières grasses, en dépit de la préférence évidente des consommateurs pour les produits allégés; dans tous les autres pays de l'OCDE, le prix du beurre relativement à celui du lait écrémé en poudre a baissé beaucoup plus rapidement, reflétant l'évolution des préférences. Cette situation entraîne un brouillage des signaux provenant des consommateurs pour l'ensemble du secteur, qu'il s'agisse des intrants, de la production ou de la transformation. Les producteurs se sont opposés au passage à un système de prix à composantes multiples, qui permettrait d'établir un prix du lait beaucoup plus conforme au marché.
Le cadre réglementaire imposé au secteur primaire a également influé sur les industries situées en aval, qui ont également été protégées contre les importations de produits laitiers transformés, tout en étant lourdement réglementées, tant pour ce qui est des prix que des sources d'approvisionnement et de la liberté d'exporter. La libéralisation du secteur secondaire nord-américain permettra d'ouvrir davantage les frontières aux produits alimentaires contenant des ingrédients provenant du lait ou de la volaille; de ce fait, les entreprises canadiennes de transformation se trouveront désavantagées lors de l'achat des intrants nécessaires. C'est au stade des étapes ultérieures de la transformation des produits du lait et de la volaille que la compétitivité du secteur sera le plus affectée, car c'est là que les possibilités d'expansion ont été le plus limitées ou le moins bien exploitées.
Les subventions au transport des céréales. La LTGO a été introduite pour maintenir à un bas niveau les coûts de transport des céréales et des oléagineux et pour améliorer le pouvoir de négociation des producteurs. Elle a constitué un puissant instrument de transfert de revenus aux producteurs de céréales et d'oléagineux, mais elle a sans aucun doute alimenté l'augmentation du prix des terres agricoles. Parallèlement, elle a engendré un certain nombre de distorsions au niveau de la production et alourdi les coûts. Elle se trouve ainsi au cur de toute une série de changements qui s'imposent afin d'abaisser les coûts et d'améliorer l'efficacité, la viabilité et la compétitivité de l'ensemble du système de transport et de manutention des céréales au Canada.
La LTGO augmente les prix intérieurs des céréales et des graines oléagineuses, ce qui dévie la production de l'ouest canadien vers les exportations de denrées non transformées vendues en vrac - c'est-à-dire la composante à croissance lente du commerce international - et amoindrit les possibilités de transformation, source de valeur ajoutée et d'emploi dans les Prairies. Elle a également restreint l'adaptation aux denrées qui ne sont pas admissibles à la subvention de transport mais qui bénéficieraient davantage à l'économie. Il en est résulté un retard dans l'adaptation structurelle des Prairies, une insuffisance de la diversification, une réduction des rendements économiques et une accélération de l'exode rural.
Si l'indemnisation établie par la LTGO se faisait sous forme de versement direct et découplé au producteur plutôt qu'au transporteur ferroviaire, il en résulterait un abaissement du prix à la ferme des céréales et des graines oléagineuses. Cette baisse des prix, associée à la réduction prévue de l'assistance gouvernementale au titre de la protection sociale, pourrait entraîner une réduction substantielle des surfaces actuellement consacrées à la culture des céréales et des oléagineux. On a estimé que, dans de telles conditions, jusqu'à 2 millions d'hectares actuellement livrés à la production de céréales et de graines oléagineuses ne seraient plus en mesure de couvrir le coût effectif de production75. Ces terres passeront probablement à la production de fourrage destiné aux élevages de vaches et de veaux, à moins que l'on y poursuive la culture des céréales et des graines oléagineuses mais sous des gestions nouvelles et plus rentables, ce qui représenterait un avantage économique général. Cette modification des modalités d'indemnisation par la LTGO améliorerait également la compétitivité des producteurs de céréales de l'est des Prairies par rapport aux régions adjacentes des Etats-Unis, augmentant ainsi le potentiel d'exportation du Canada vers ces régions.
Les filets de sécurité sociale. En raison des disparités entre les niveaux de soutien des différents produits agricoles, mais aussi du fait que le PNTS et le RARB sont des programmes ayant pour base les denrées, les programmes de sécurité sociale canadiens ont causé certaines distorsions de la production et de la commercialisation. En effet, les producteurs se sont orientés vers des cultures bénéficiant de niveaux de soutien relativement plus élevés, sans tenir compte des prix du marché, présents ou escomptés.
Ainsi, la mise en uvre du RARB a entraîné une augmentation des surfaces cultivées en blé, au détriment des céréales fourragères, en raison du niveau de soutien relativement plus élevé - basé sur une moyenne mobile des prix établie sur 15 ans - par rapport aux prix de marché escomptés. Pour certaines cultures spéciales aux débouchés très étroits, le risque de surproduction a contraint à modifier les niveaux de soutien afin d'éviter de graves perturbations sur les marchés. C'est pour contourner de tels problèmes que de province de la Saskatchewan a adopté une méthode basée sur un «panier de denrées».
Le programme de protection sociale actuellement en vigueur a affecté la compétitivité de l'agriculture canadienne. Le niveau élevé du soutien accordé à certaines denrées leur a permis de subsister au détriment de la recherche de cultures plus rentables, mais aussi des ajustements structurels du secteur.
En faisant des filets de sécurité sociale, non plus des régimes de soutien basés sur les denrées, comme le RARB et le PNTS, mais des programmes ayant pour base le revenu, on améliorerait considérablement l'équité entre les produits et les régions tout en éliminant bon nombre des distorsions qui affectent tant la production que la commercialisation. Le CSRN, qui représente la première tentative d'élaboration d'un programme de revenus au Canada, permet de retenir un critère de résultat plus performant que celui des prix. De plus, le CSRN pouvant être appliqué à l'échelle d'un secteur et ne produisant pas de distorsion, il aura de bonnes chances d'être considéré comme un programme «vert» lors des futures initiatives en matière d'échanges commerciaux.
En résumé, la politique agricole canadienne a surtout visé, ces dernières années, à assurer équité et stabilité aux producteurs. Tout en atteignant ces objectifs, les programmes ont entravé les ajustements structurels du secteur et affaibli sa capacité concurrentielle sur le marché intérieur comme sur les marchés internationaux. Cette insuffisante compétitivité a été particulièrement observable sur le marché, en expansion rapide, des produits alimentaires de transformation. En outre, il est difficile de maintenir de coûteux programmes de soutien des revenus en période de déficits budgétaires importants, et l'on s'accorde à reconnaître la nécessité de proposer des programmes qui amélioreront la compétitivité ainsi que la pérennité de l'environnement.
Au cours de l'année qui vient de s'écouler, l'événement le plus marquant au plan institutionnel pour l'Union européenne (UE), et d'une grande portée pour la Communauté européenne (CE) et son secteur agricole, a été le progrès accompli sur la voie d'un élargissement supplémentaire. Au début de 1994, l'UE est parvenue à un accord sur les conditions d'adhésion de quatre pays candidats: l'Autriche, la Finlande, la Norvège et la Suède. Le
1er janvier 1995 - et sous réserve d'une approbation par référendum - ces quatre pays seront admis au sein de l'UE. L'Autriche, qui a tenu le 12 juin 1994 le premier de ces référendums, s'est déjà prononcée en faveur de l'adhésion.
L'incidence démographique de l'élargissement de l'UE sera relativement modeste, puisque les quatre nouveaux pays membres n'ajouteront que 26 millions d'habitants à la population actuelle de l'UE, qui avoisine les 350 millions. Il en va de même pour les répercussions, que l'on prévoit relativement modestes, sur la politique agricole commune de la CE (PAC) et sur l'équilibre des marchés. La part de l'agriculture - pêches et forêts comprises - dans le PIB de ces pays va de 2,1 pour cent pour la Suède à 3,8 pour cent pour la Finlande (1991). L'adjonction des quatre pays candidats accroîtrait d'environ 9 pour cent la surface cultivable permanente de la CE, dont la main-d'uvre agricole, actuellement de 8,6 millions, augmenterait d'environ 700 000 personnes.
Les quatre nouveaux pays membres sont de gros importateurs nets de produits agricoles. Cependant, considérés globalement, ils sont exportateurs nets de céréales, de produits laitiers et de viande. Leur production annuelle moyenne de céréales, au cours de la période 1989-1993, a été d'environ 15 millions de tonnes. Leurs exportations nettes de céréales, pour la période 1989-1992, allaient d'un minimum de 1 million de tonnes jusqu'à 3,2 millions de tonnes. S'agissant de la viande, la production totale des quatre nouveaux pays membres représente environ 6 pour cent de la production de la CE-12, et leurs exportations nettes de viande, au cours des dernières années, ont représenté nettement moins de 1 pour cent de sa production totale. Pour ce qui est du lait, la production des quatre nouveaux membres mérite largement d'être prise en compte, puisqu'elle atteint entre 9 pour cent et 10 pour cent de la production de la CE-12. A noter que la valeur de leurs exportations nettes de produits laitiers a chuté entre 1990 et 1992, tombant de plus de 10 pour cent des exportations de la CE-12 à moins de 4 pour cent.
TABLEAU 5 | |||||
Production globale des principales denrées agricoles dans les quatre nouveaux pays membres, exprimée en pourcentage de la production de la CE-12 | |||||
Denrée |
1989 |
1990 |
1991 |
1992 |
1993 |
(....................................... % .......................................) | |||||
Céréales |
8,8 |
10,2 |
8,2 |
6,9 |
8,5 |
Lait |
9,6 |
9,6 |
9,4 |
9,5 |
9,6 |
Sucre |
5,7 |
5,7 |
5,1 |
5,2 |
5,7 |
Viande |
6,2 |
6,1 |
6,0 |
6,1 |
6,2 |
Source: FAO. |
TABLEAU 6 | ||||
Exportations nettes des principales denrées agricoles pour les quatre nouveaux pays membres de la CE | ||||
Denrée |
1989 |
1990 |
1991 |
1992 |
CéréalEs |
||||
Millions de tonnes |
1,04 |
2,29 |
3,16 |
2,34 |
Millions de dollars |
121 |
202 |
244 |
210 |
VIANDE |
||||
Milliers de tonnes |
69 |
75 |
45 |
39 |
Millions de dollars |
102 |
118 |
31 |
24 |
PRODUITS LAITIERS |
||||
Millions de dollars |
286 |
346 |
222 |
149 |
Source: FAO. |
Les principales difficultés liées à l'adhésion, en ce qui concerne le secteur agricole, découlent des niveaux de soutien plus élevés, mais aussi des conditions souvent particulières au niveau régional - rudesse du climat, relief montagneux - qui caractérisent l'agriculture des nouveaux pays membres. Selon les estimations de l'OCDE, les niveaux de soutien accordés à l'agriculture chez les nouveaux adhérents par rapport à la valeur de la production agricole, exprimés en pourcentage d'ESP, sont substantiellement plus élevés que dans le CE - à l'exception de la Suède, où les subventions à l'agriculture ont considérablement baissé depuis 1991, notamment en raison de la dépréciation marquée de la devise suédoise, qui a réduit l'écart entre les prix intérieurs et les cours internationaux. Lorsqu'on les mesure sous forme d'agrégats des transferts au bénéfice du secteur agricole, exprimés en équivalents d'exploitant agricole travaillant à plein temps, les soutiens à l'agriculture, toujours selon l'OCDE, dépassent ceux de la CE dans les quatre pays candidats.
Ces quatre pays soutiennent leur secteur agricole à des degrés divers, tant par le biais du soutien des prix que par des versements directs aux producteurs. Le soutien des prix est élevé dans les quatre pays, puisque la moyenne des prix intérieurs versés aux producteurs est nettement supérieure aux niveaux obtenus sur le marché mondial. A l'exception de la Suède, tous les nouveaux pays membres ont également des taux de soutien du prix du marché nettement plus élevés que dans la CE, mais ces taux devraient baisser à moyen terme par suite de la mise en uvre de la réforme de la PAC de 1992.
Le soutien des prix du marché des produits agricoles a comme pendant la taxation implicite des consommateurs, les prix inté-rieurs à la consommation étant maintenus au-dessus des prix du marché mondial; dans certains cas cependant, les subventions à la consommation peuvent atténuer, voire absorber totalement ce différentiel. Selon les estimations de l'OCDE, l'écart entre les prix intérieurs et les prix mondiaux à la consommation est substantiel dans la CE-12, mais il est encore plus marqué dans les quatre pays candidats - à l'exception de la Suède, qui se rapproche des niveaux de la CE-12. C'est pourquoi l'adhésion à l'UE devrait être suivie, chez les nouveaux membres, d'un abaissement des prix à la consommation.
En ce qui a trait aux modalités de l'adhésion, le quatrième élargissement de l'UE se déroule dans un cadre sensiblement différent des trois élargissements précédents. La création d'un marché unique exclut à présent les contrôles frontaliers des mouvements de biens et services entre les pays membres. Il s'ensuit que, contrairement aux autres élargissements, les nouveaux membres adopteront les mécanismes fondamentaux de la PAC - y compris ses prix institutionnels - dès le jour de leur adhésion. Afin de faciliter l'adaptation des producteurs agricoles autrichiens, finlandais et norvégiens aux niveaux de soutien inférieurs en vigueur dans le CE, et de manière à leur éviter des manques à gagner excessifs, une aide dégressive prélevée sur les budgets nationaux sera autorisée pendant une période transitoire maximale de cinq ans. Une aide à l'adaptation de l'industrie alimentaire sera également autorisée.
Au moment de leur adhésion, les nouveaux pays membres pourront bénéficier d'un large éventail de programmes en vigueur dans la CE, notamment pour les zones défavorisées, les ajustements structurels et le développement régional. Ils seront admissibles à des prestations de soutien structurel pour les régions montagneuses et défavorisées, ainsi qu'à des subventions aux mesures agroenvironnementales. Ils seront également habilités à percevoir les versements directs institués dans le cadre de la réforme de la PAC en 1992 afin de compenser les agriculteurs pour la réduction des prix de soutien. Par ailleurs, l'accord sur l'adhésion autorise une aide nationale à long terme dans certaines zones des pays nordiques - en principe, au nord du 62e parallèle -, afin de garantir la poursuite des activités agricoles, sans toutefois entraîner une augmentation ou une intensification de la production. Cette assistance est assujettie à des conditions précises: les zones admissibles doivent être à faible densité de population - moins de 10 habitants au km2 -, la surface cultivée doit représenter moins de 10 pour cent de la surface totale, et les terres arables mises en culture doivent représenter moins de 20 pour cent des terres agricoles. L'aide nationale ne doit pas créer de distorsions ni être liée à la production agricole en cours, mais plutôt aux facteurs physiques de production (par exemple, le nombre d'hectares cultivables) ou aux niveaux de production des années précédentes. Dans le même esprit, l'Autriche se verra accorder une période de transition décennale durant laquelle elle pourra maintenir l'aide nationale aux petites exploitations agricoles, dans le cas où l'application des règles de la CE ne permettrait pas d'offrir une compensation équivalente des désavantages naturels.
Pour la période 1995-1998, les quatre nouveaux pays membres recevront du budget de la CE une indemnisation totalisant
3 milliards d'ECU afin de compenser les difficultés découlant de l'adaptation à la PAC. Une partie de cette indemnisation, qui doit être versée en 1995, prend notamment en compte l'impossibilité de faire profiter, dès 1995, les nouveaux adhérents de certaines mesures d'aide inscrites dans la PAC; elle vise aussi à compenser les retards inévitables dans l'application des politiques structurelles adoptées lors de la réforme de la PAC en 1992. L'autre volet de l'indemnisation aidera les nouveaux adhérents à absorber les coûts de l'aide versée aux agriculteurs pour qu'ils s'adaptent aux niveaux de soutien plus faibles pratiqués dans la CE.
69 Les objectifs d'autosuffisance varient selon les produits: pour le lait industriel, l'objectif d'autonomie a été fixé à 100 pour cent de la consommation intérieure de matières grasses; pour le lait de consommation, l'objectif est de 100 pour cent de la consommation intérieure; pour les poulets à griller, il est de 92 pour cent de la consommation intérieure; et pour les ufs, de 97 pour cent de la consommation intérieure.
70 En 1897, la Convention du Nid-de-Corbeau fixait «à perpétuité» les taux applicables au transport des céréales des Prairies jusqu'aux Grands Lacs, en échange de l'engagement, pris par les compagnies ferroviaires, de construire une voie ferrée traversant les Montagnes Rocheuses.
71 En 1985, la province de l'Alberta a lancé un programme concernant les céréales fourragères. Les subsides étaient initialement de 21 dollars canadiens par tonne, mais ils furent progressivement réduits jusqu'à atteindre 10 dollars canadiens par tonne en 1989. Des programmes d'intervention plus limités ont été appliqués en Saskatchewan et au Manitoba en 1989.
72 Le versement aux producteurs des indemnités découlant de la Loi sur le transport du grain de l'Ouest. Rapport final du Comité d'examen des paiements aux producteurs, juin 1994. Le rapport recommande également que, durant les sept premières années, 70 millions de dollars canadiens soient alloués aux régimes de protection sociale des agriculteurs au Canada.
73 Il s'agit principalement des cultures suivantes : sarrasin, graine à canaris, féverole à gros grains, lentilles, moutarde, pois, haricots, carthame, tournesol, triticale, haricot rond blanc, haricot coloré, haricot commun et haricot canneberge.
74Rapport du Comité consultatif sur l'avenir de l'industrie laitière.
75 Rapport technique du Comité d'examen des paiements au producteur, mars 1994, p. 48, tableau 5.1.