DÉVELOPPEMENT FORESTIER
ET GRANDS DILEMMES
Le rapport de 1987 de la Commission Brundtland, lequel prône un développement durable, aura sans aucun doute été accueilli avec satisfaction par les forestiers du monde entier, car il constitue une reconnaissance longuement attendue de leurs principes fondamentaux. C'est dans le contexte de la foresterie, en fin de compte, que sont nés, il y a de cela des siècles, les éléments essentiels d'un aménagement durable des ressources. Dès le IVe siècle avant J.-C., les Chinois se préoccupaient déjà d'assurer la durabilité de l'approvisionnement à long terme en bois d'uvre. En Inde et à Sri Lanka, les dirigeants ont commencé, il y a plus de 2 000 ans, à constituer des réserves forestières, à contrôler les coupes et à réglementer la chasse.
Plus tard, les civilisations occidentales conçurent des mesures de protection analogues. C'est ainsi qu'en 1343 le canton de Schwyz, en Suisse, a adopté une loi exigeant l'entretien des forêts en vue d'un approvisionnement continu en bois de feu et bois d'uvre, et de la protection contre les avalanches1. Au XVIe siècle, les Etats allemands s'efforcèrent de prévenir le déboisement en édictant des ordonnances propres à assurer la régularité des approvisionnements en bois; ces lois exigeaient des ménages qu'ils plantent des haies et creusent des fossés en remplacement des clôtures en bois, contraignaient les constructeurs à utiliser des briques au lieu de bois pour les bardeaux des toits et réglementaient la fabrication de charbon de bois. En Saxe, toutes les nouvelles maisons devaient être construites entièrement en pierre et seuls des forestiers officiellement nommés étaient habilités à décider des arbres à abattre, même dans les forêts privées2.
Avec le temps, les politiques forestières et les méthodes d'aménagement évoluèrent, s'adaptant aux nouveaux besoins économiques, sociaux et politiques. Pendant des siècles, les gouvernements européens circonscrirent des réserves forestières pour s'assurer le bois nécessaire à la construction de navires de guerre. Par la suite, l'aménagement forestier considérera les arbres comme la source principale de combustible pour la révolution industrielle. Dès le milieu du XIXe siècle, les forestiers européens avaient mis au point des méthodes de rendement durable propres à concilier l'utilisation du bois et la croissance des forêts. Puis, les forestiers nord-américains étendirent le concept de rendement durable à la conservation des valeurs non ligneuses et aux services écologiques.
Bien que le terme «rendement durable» n'ait peut-être pas le même sens pour tous les forestiers, cette tradition, à savoir l'aménagement des forêts dans la perspective d'un avenir non fini, demeure le principe directeur de la philosophie forestière. Les spécialistes ont conçu des modèles biologiques propres à optimiser la production de bois à long terme, innové des techniques économiques pour évaluer les rotations de récoltes optimales et introduit l'approche à l'aménagement forestier durable dans l'optique de l'écosystème3. Cette expérience devrait servir de modèle pour équilibrer les impératifs économiques et sociaux avec la productivité de la nature. Or, l'aptitude des forestiers à gérer et contrôler les pratiques forestières est sans cesse plus contestée et critiquée par le grand public.
Selon une opinion très répandue, nous sommes en train de «toucher les dividendes» de nos forêts; une première lecture de nombreux indices capitaux ne nous apporte malheureusement pas la preuve du contraire. Une étude fréquemment citée par l'Organisation internationale des bois tropicaux (OIBT) affirme que sur les 828 millions d'hectares de forêts tropicales situées dans les Etats membres de l'OIBT, seul 1 million d'hectares était, dans le milieu des années 80, sous aménagement en vue d'un rendement durable4. La FAO estime que 15,4 millions d'hectares de forêts tropicales ont été perdus chaque année pendant les années 80 et que la zone de grave dégradation est peut-être même plus étendue que celle où la forêt a disparu5.
De l'opinion générale, c'est principalement l'exploitation commerciale qui accélère la disparition des forêts tropicales et la dégradation des forêts tempérées. Selon les critiques, on fait fi des valeurs forestières autres que le bois, notamment de la flore et de la faune sauvages, des produits non ligneux, des services environnementaux, des liens écologiques et de la biodiversité6. Lorsque les activités d'exploitation sont en conflit avec ces valeurs, le public pense que les politiques forestières favorisent l'industrie du bois. Ce mécontentement à propos de la façon dont les forêts sont gérées et les inquiétudes ressenties pour le milieu naturel font que les pressions s'accroissent sur les gouvernements pour qu'ils élaborent des politiques propres à concilier les besoins multiples et concurrentiels que l'on a des ressources forestières.
Les forêts sont des écosystèmes com-plexes capables de fournir une vaste gamme d'avantages économiques, sociaux et écologiques. Qu'elles soient denses ou claires, elles sont indispensables à la vie humaine, mais leurs avantages et leurs services sont différemment appréciés selon les gens et les groupes. Les intérêts locaux, nationaux et internationaux dans les ressources forestières divergent aussi beaucoup selon les paysages. De plus, les nombreux rôles que sont censées jouer les forêts dans le développement local, national et mondial évoluent radicalement au fil du temps.
Cette multiplicité d'avantages et l'évolution des rôles des forêts dans le processus de développement remettent en question les concepts et institutions nés à une époque où l'on ne voyait dans les forêts que des réserves lointaines à gérer en tant que sources de recettes publiques et de devises, des réservoirs de nouvelles terres agricoles ou des réserves naturelles protégées. On ne les considère plus désormais comme étant distinctes dans l'espace, relevant d'intérêts politiques étroits ni ayant une fonction économique compartimentée. Elles touchent directement aux intérêts locaux, nationaux et internationaux et vice versa.
Les rôles de la foresterie (c'est-à-dire le savoir, les concepts, les institutions et les méthodes par lesquels on cherche à satisfaire les besoins divers et concurrentiels que l'on a des ressources forestières) évoluent eux aussi. Ils ont commencé à changer dans les années 70; c'est à cette époque en effet que, toujours plus conscients de la mesure dans laquelle les communautés locales contrôlaient les forêts et en dépendaient, on a été amené à renforcer les intérêts locaux dans les activités, l'aménagement et les programmes forestiers. De nouveaux types d'activités coopératives entre communautés locales et gouvernements nationaux sont alors apparus, parmi lesquels la foresterie communautaire, l'agroforesterie, l'aménagement mixte des forêts et les petites entreprises forestières. Ces activités mettaient en lumière le rôle des forêts dans le contexte général du développement rural et, en même temps, battaient en brèche le contrôle exclusivement étatique. Les forêts devinrent alors des symboles dans un vaste débat sur le pouvoir centralisé et décentralisé.
L'importance des forêts pour les communautés locales amena gouvernements, organisations non gouvernementales et donateurs à envisager divers droits, obligations, incitations et soutiens susceptibles d'encourager les gens à investir dans la sylviculture et l'aménagement des forêts. Les pays du monde entier prêtèrent plus d'attention aux intérêts locaux dans les forêts et à l'aptitude des communautés à gérer ces dernières dans le sens des intérêts nationaux. Ils explorèrent de nouvelles organisations, structures, règles et régimes fonciers propres à rehausser la productivité des forêts, à en protéger les qualités écologiques et à permettre aux communautés rurales d'exploiter les ressources forestières à des fins économiques et sociales. Ces divers intérêts et objectifs n'étant pas toujours compatibles, les pays ont, ce faisant, élargi plutôt que résolu les questions forestières litigieuses.
Dans les années 80, les pays commencèrent à s'apercevoir que les forêts jouaient un rôle mondial dans la stabilité de la biosphère, dans la biodiversité et dans la protection de civilisations indigènes et traditionnelles menacées. D'où de nouvelles pressions sur les gouvernements nationaux. Alors que dans les années 70 ceux-ci avaient dû concevoir de meilleurs moyens pour uvrer avec les communautés locales, pendant les années 80 ils étaient censés faire office d'intermédiaires entre les intérêts internationaux dans les forêts et les décisions et exigences locales en matière de ressources forestières. Les responsables forestiers cherchèrent à concilier les aspirations croissantes de la communauté internationale, d'une part, et, d'autre part, les activités et besoins dispersés et variés des familles et communautés locales.
De nouveau, les forêts firent figure de symbole au cours d'un vaste débat, qui cette fois portait sur la souveraineté des Etats et leur droit et aptitude à gouverner le pays, et par conséquent les populations, dans l'intérêt national. Alors que, pendant des décennies, les forêts avaient joué un rôle international en tant que source de produits commercialisables, leur contribution à la fourniture de services mondiaux non commercialisables exigeait désormais un éventail beaucoup plus diversifié de relations internationales.
Dans la présente décennie, les forêts figurent au premier plan du débat politique sur le développement durable. Bien qu'il vise à l'harmonie, le concept de durabilité crée des tensions entre une croissance économique axée sur le marché, des pressions sociales en faveur d'une distribution plus équitable des disponibilités économiques et la nécessité de préserver la productivité de l'environnement, les services écologiques et la diversité biologique pour répondre aux futures aspirations économiques et sociales. Il est vraisemblable que les forces d'où émanent ces pressions n'atteindront pas leurs buts sans quelque compromis.
Les aspirations changeantes et parfois conflictuelles de la société posent de difficiles dilemmes politiques tant pour le secteur forestier que pour le développement national. Autrefois, les politiques centralisées et sectorielles étaient souvent inspirées par la nécessité d'engendrer des recettes et des devises aux fins de développement économique national. Les nouvelles stratégies dans ce domaine appellent des politiques qui intègrent les forêts aux efforts de développement rural et qui dosent judicieusement les besoins de l'économie et ceux de l'environnement entre intérêts nationaux, locaux et internationaux. Ces stratégies doivent en outre reconnaître que l'état des forêts est une conséquence du développement, et que celles-ci portent l'empreinte d'utilisations concurrentielles.
Les ressources forestières sont désormais au premier plan d'un débat national sur la question de savoir comment restructurer des systèmes économiques et politiques entiers et comment faire concorder ces changements structurels avec les intérêts nationaux dans les activités locales, la distribution sociale et sectorielle, les obligations internationales et la souveraineté. Ce que cherchent aujourd'hui les gouvernements ce sont des cadres politiques pragmatiques qui régissent de façon cohérente à la fois les contributions des forêts au développement et les structures institutionnelles et organisationnelles qui s'imposent pour mieux tirer parti de ces contributions.
Des institutions internationales, des organisations non gouvernementales ainsi que des centres de recherche se livrent à d'importantes études afin d'aider les dirigeants à régler ces questions complexes. C'est ainsi que, entre autres organismes, la FAO, la Banque mondiale, les banques régionales de développement, l'OIBT, le Fonds mondial pour la nature (WWF), l'Alliance mondiale pour la nature (UICN) et l'Institut mondial pour les ressources (WRI) rassemblent, analysent et font circuler des informations pour sensibiliser l'opinion publique et la rendre plus apte à réagir aux problèmes forestiers7.
Les préoccupations au sujet des rôles changeants de la foresterie ont été exprimées devant une large audience à la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement (CNUED), tenue en juin 1992. Cette dernière a mis en lumière les problèmes de développement forestier et d'environnement en établissant une série de «principes forestiers», en consacrant un chapitre de son document Action 21 à la lutte contre le déboisement (chapitre 11) et en insistant sur l'importance d'activités autres que la production de bois dans les conventions sur la biodiversité et le changement climatique8. Divers pays ont lancé des programmes internationaux spécifiques pour donner suite aux recommandations de la CNUED. Ce large consensus sur les principes d'aménagement forestier durable constitue le tout premier engagement de responsabilité au-delà des frontières nationales. Mais il est autrement difficile de traduire ces principes dans la pratique.
Elaborer des stratégies et politiques forestières efficaces suppose un éventail de choix difficiles. Si, par exemple, on sait pertinemment que le défrichement aux fins d'agriculture et de pâturage, les coupes excessives pour la récolte de bois de feu, l'exploitation commerciale anarchique et l'expansion des infrastructures contribuent au déboisement et à la dégradation des forêts, le problème fondamental auquel se heurtent les décideurs est de savoir comment s'attaquer aux causes profondes, c'est-à-dire notamment la pauvreté, la faim, l'accès à la terre, le manque d'emplois et de possibilités d'activités rémunératrices, ainsi que les besoins économiques croissants de biens et services forestiers.
Paradoxalement, il arrive souvent que certaines politiques gouvernementales aggravent encore ces causes sous-jacentes, en ayant des effets sérieux et durables sur les ressources forestières9. Une littérature toujours plus nourrie apporte désormais la preuve incontestable que la fiscalité, les modalités des concessions forestières, les prix imposés, le contrôle du transport des biens forestiers, l'insécurité du mode de faire-valoir des terres et des arbres, les barrières tarifaires et non tarifaires au commerce international, les incitations à l'investissement, les stratégies du secteur agricole et les politiques macroéconomiques sont autant de facteurs qui influent sur les motivations économiques aussi bien que sur l'aménagement et la conservation des forêts tempérées et tropicales. Dans bien des cas, ces politiques encouragent directement ou subventionnent sans le vouloir le déboisement et la dégradation.
Aujourd'hui, les pays sont à la recherche de politiques économiques, de mécanismes réglementaires, d'incitations financières, de structures organisationnelles et de régimes fonciers plus appropriés pour promouvoir des pratiques forestières durables. Dans beaucoup de pays, cette quête s'accompagne d'un examen général du rôle de l'Etat en tant que régulateur du marché, propriétaire foncier et gestionnaire de la forêt. Cet examen est motivé en partie par la nécessité devant laquelle se trouvent les gouvernements d'optimiser le rendement des ressources et, en partie, par l'opinion publique mécontente de l'action de l'Etat et, en particulier, des services forestiers et de leurs politiques.
Les gouvernements subissent actuellement d'énormes pressions de la part du public, qui exige d'eux des innovations et des modifications institutionnelles rapides. La contribution des forêts au développement national dépendra du degré de succès avec lequel on relèvera ce défi.
Ce chapitre spécial a pour objet de mieux nous faire comprendre comment les politiques économiques et sociales influent sur les ressources forestières. Il ne cherche pas à établir un programme d'action ou à énoncer une série de bonnes options politiques, mais à sensibiliser davantage et à informer tous les milieux professionnels et publics de manière à leur faire mieux appréhender et peser les problèmes forestiers.
Le choix de politiques propres à influencer et aménager les écosystèmes forestiers est l'une des tâches les plus controversées que doit affronter la communauté mondiale. La politisation des problèmes forestiers a contraint les experts en la matière à revoir leurs connaissances, leur rôle, leurs attitudes, leurs limites, leurs responsabilités et leurs méthodes. Il en est résulté des débats constructifs qui ont débouché sur des réponses innovatrices aux préoccupations du public. On s'efforce en l'occurrence d'encourager l'ouverture de nouveaux débats, de pousser à réfléchir sur la façon dont nous gérons et utilisons les ressources forestières, de promouvoir le changement et d'aider les groupes d'intérêts à admettre que certains objectifs sont incompatibles, qu'il est impossible à tous d'atteindre leurs buts et que, faute de coopération et de compromis, ils risquent tous d'échouer.
Les perspectives et exigences croissantes des divers groupes politiques pèsent lourdement sur les institutions et politiques actuelles. La présente analyse montre que les politiques macroéconomiques et sectorielles sont des instruments peu affinés qui tentent d'encourager l'adoption de tel ou tel comportement sur de vastes étendues de territoires présentant des cadres sociaux et écologiques différents. Les impacts économiques, sociaux et environnementaux ne dépendent pas tant de l'effet des politiques sur une forêt que des effets nets desdites politiques sur ces divers cadres. On souligne ici la nécessité de considérer les forêts dans cette macroperspective et de déterminer le potentiel écologique, les motivations sociales et les capacités organisationnelles qui permettent d'apprécier les impacts nets des politiques nationales.
Ce chapitre s'articule en cinq sections. La première passe en revue l'état actuel des ressources forestières et l'importance de ces dernières pour les économies, les sociétés et l'environnement.
La deuxième section évoque le rôle changeant de la foresterie dans les stratégies de développement et les économies nationales, et montre comment les forêts, autrefois circonscrites à d'étroits intérêts sectoriels, sont désormais l'objet de grands intérêts politiques mettant en jeu des groupes extrêmement divers.
La section III traite des problèmes fondamentaux auxquels se heurtent les décideurs et étudie la façon dont les politiques économiques influent sur les ressources forestières. Elle fait le tour de la littérature consacrée à l'étude des incidences qu'ont les politiques aux plans macroéconomique, intersectoriel et forestier. Elle introduit aussi le concept de modèles de formation des paysages pour illustrer comment reconnaître, expliquer et orienter les interactions politiques qui poussent les populations à utiliser les forêts de telle ou telle manière.
La section IV explore les rapports entre les politiques commerciales forestières, les méthodes d'aménagement des forêts et leurs répercussions sur l'environnement. Elle examine et compare les coûts et incidences administratives des programmes de certification pour les produits forestiers.
La dernière section évoque enfin les orientations futures à donner aux politiques forestières pour qu'elles contribuent au développement durable. Elle émet l'opinion qu'une des tâches majeures des gouvernements est d'élaborer des cadres nationaux propres à parer explicitement aux conséquences de leur option politique générale en matière de forêt, et d'établir des priorités entre intérêts forestiers et autres intérêts nationaux.
ÉTAT DES RESSOURCES FORESTIÈRES
Les forêts sont classées, estimées, décrites, cartographiées, évaluées et étudiées de diverses manière. Bien que l'on s'y efforce depuis des décennies, il n'existe encore aucun système unique de classification des forêts mondialement agréé. Il est même difficile d'arrêter des définitions communes, en partie parce qu'il est malaisé de compartimenter la nature, et en partie parce que les différentes civilisations, langues, disciplines professionnelles et groupes d'intérêts voient les forêts dans leur propre perspective.
Les évaluations forestières estiment la superficie et l'état des diverses zones forestières. Quant à la végétation forestière, elle est classée puis répartie entre ces zones en fonction de caractéristiques géographico-climatiques ou physionomico-structurelles. Les classifications selon ce dernier critère allient l'aspect de la forêt (par exemple: forêt claire ou dense) à la structure végétative (exemple: sempervirente ou décidue humide). Chaque catégorie comporte un certain nombre de variations qui reflètent des données économiques, géographiques et biologiques différentes. Chaque méthode a ses avantages, selon qui rassemble, utilise et évalue les informations.
Aujourd'hui, il est indispensable que les forestiers, les décideurs et les scientifiques aient une connaissance étendue des régions et des écosystèmes forestiers. Ainsi, par exemple, les généticiens ont démontré que l'origine géographique des semences arboricoles utilisées pour régénérer les forêts est d'importance capitale pour leur survie. Toutefois, étoffer cette base de données n'est pas une mince affaire. Il est demandé aux forestiers de fournir des données sur des écosystèmes forestiers entiers et leurs processus internes, ce qui peut mettre en jeu des milliers d'essences agissant les unes sur les autres dans un milieu en perpétuel changement. Les écologistes forestiers doivent caractériser et classer les régions, les géographes étant chargés de les délimiter en zones écologiques significatives. Une récente tentative au Canada a permis d'identifier 5 428 écodistricts forestiers10.
La première évaluation, par la FAO, des ressources forestières, à savoir l'Inventaire forestier mondial de 1947, était axée sur la capacité de production de bois. Au cours du temps, de nouveaux intérêts se sont faits jour et il est donc apparu qu'il fallait évaluer les forêts sous l'angle de leurs multiples autres valeurs. Les évaluations forestières mondiales effectuées ultérieurement par la FAO ont continué de couvrir la capacité de production de bois, mais se sont aussi efforcées de réunir des données sur les ressources en bois de feu (années 70), le déboisement des forêts tropicales (années 80) et le morcellement des terres forestières, l'intensité d'exploitation, l'état de la biomasse et les plantations (années 90). L'évaluation des ressources forestières en zone tempérée, faite en 1990, comportait une analyse des fonctions de la forêt par zone.
Dans sa dernière évaluation, la FAO estime à 3,4 milliards d'hectares la superficie forestière mondiale, soit 26 pour cent de la surface des terres. La FAO définit les forêts comme des écosystèmes où la densité minimale du couvert d'arbres est de 10 pour cent. Outre les zones classées comme forêts, 1,6 milliard d'hectares renferment de la végétation ligneuse et autres terres boisées à couvert de scrubs et de broussailles. Les terres boisées présentent souvent des caractéristiques forestières, mais ne répondent pas à la définition du couvert d'arbres minimal des forêts claires ou denses.
La distribution régionale du couvert forestier mondial est donnée à la figure 9. Quatre pays comptent plus de 50 pour cent des forêts mondiales: la Fédération de Russie (22 pour cent), le Brésil (16 pour cent), le Canada (7 pour cent), et les Etats-Unis (6 pour cent). Le tableau 7 énumère les pays du monde les plus riches en forêts, en fonction de la surface totale des terres, du pourcentage de la surface des terres et de forêts par habitant.
Certains des pays le moins boisés ont des climats extrêmement arides, par exemple l'Algérie, l'Arabie saoudite et l'Egypte. Parmi les autres pays, il en est qui autrefois étaient très boisés mais qui ont défriché la plupart de leurs forêts originelles aux fins d'agriculture, de colonisation humaine et d'infrastructure. Parmi ces pays figurent le Bangladesh, Haïti et le Royaume-Uni.
Forêts tempérées et boréales: ressources et problèmes
Ces forêts occupent 1,64 milliard d'hectares, à peine un peu moins de la moitié du couvert forestier mondial. Plus de 70 pour cent se situent dans la Fédération de Russie (45 pour cent), le Canada (15 pour cent) et les Etats-Unis (13 pour cent). D'une manière générale, la superficie des forêts tempérées dans les pays industrialisés demeure stable, voire s'accroît légèrement grâce aux efforts de reboisement. En Europe, la superficie des terres forestières et boisées a augmenté de 2 millions d'hectares entre 1980 et 1990.
La zone tempérée renferme deux formations écologiques fondamentales: la forêt tempérée mixte et la forêt boréale. La première comprend des résineux, des feuillus, des essences décidues, des essences sempervirentes et d'autres espèces forestières que l'on trouve dans la zone non tropicale et dans les massifs montagneux des pays subtropicaux et tropicaux. Les forêts boréales s'étendent entre la tundra arctique et les zones tempérées, dans une ceinture circumpolaire composée essentiellement de résineux. Ces vastes forêts couvrent 920 millions d'hectares, représentent 27 pour cent de la superficie forestière mondiale et renferment plus de 70 pour cent de ses forêts de résineux.
TABLEAU 7 | |||
Pays du monde les plus riches en forêts | |||
7a |
|||
Superficie forestière totale | |||
Pays |
Couvert forestier total |
Pourcentage de la surface des terres |
Hectares par habitant |
(milliers d'hectares) | |||
Ex-URSS |
754 958 |
35 |
2,6 |
Brésil |
561 107 |
66 |
3,7 |
Canada |
247 164 |
27 |
9,3 |
Etats-Unis |
209 573 |
23 |
0,8 |
Chine |
127 780 |
14 |
0,1 |
Zaïre |
113 275 |
50 |
3,1 |
Indonésie |
109 549 |
61 |
0,6 |
Pérou |
67 906 |
53 |
3,0 |
Colombie |
54 064 |
52 |
1,7 |
Inde |
51 729 |
17 |
0,1 |
7b |
|||
Surface totale des terres | |||
Pays |
Pourcentage de la surface des terres |
Couvert forestier total |
Hectares par habitant |
(milliers d'hectares) | |||
Suriname |
95 |
14 768 |
36,6 |
Guyana |
94 |
18 416 |
17,7 |
Guyane française |
91 |
7 997 |
86,9 |
Belize |
88 |
1 996 |
11,0 |
Brunéi Darussalam |
87 |
458 |
1,7 |
Papouasie- Nouvelle-Guinée |
80 |
36 000 |
9,0 |
Guinée-Bissau |
72 |
2 021 |
2,1 |
Gabon |
71 |
18 235 |
15,6 |
Cambodge |
69 |
12 163 |
1,5 |
Brésil |
66 |
561 107 |
3,7 |
Finlande |
66 |
20 112 |
4,0 |
7C |
|||
Superficie forestière par habitant | |||
Pays |
Pourcentage de la surface des terres |
Couvert forestier total |
Hectares par habitant |
(milliers d'hectares) | |||
Guyane française |
86,9 |
7 997 |
91 |
Suriname |
36,6 |
14 768 |
95 |
Guyana |
17,7 |
18 416 |
94 |
Gabon |
15,6 |
18 235 |
71 |
Botswana |
11,1 |
14 261 |
25 |
Belize |
11,0 |
1 996 |
88 |
Rép. centrafricaine |
10,5 |
30 562 |
49 |
Congo |
10,0 |
19 865 |
58 |
Namibie |
9,4 |
12 569 |
15 |
Canada |
9,3 |
274 164 |
27 |
Il est largement reconnu que les forêts des zones tempérées sont une énorme source mondiale de bois industriel et de produits non ligneux, ainsi que de services récréatifs et écologiques. Toutefois, on en apprécie souvent moins la flore et la faune que celles des forêts ombrophiles tropicales, bien qu'elles contiennent certains des arbres les plus hauts et les plus vieux du monde. Les séquoias et les sapins de Douglas de l'Amérique du Nord et les eucalyptus d'Australie peuvent atteindre près de 100 m, tandis que certains pins «queue-de-renard» dans le sud-ouest des Etats-Unis auraient plus de 4 800 ans. Dans la zone tempérée, la biodiversité a également une grande valeur pharmaceutique. C'est ainsi, par exemple, que l'if occidental contient une substance chimique, le taxol, qui est un médicament efficace contre plusieurs formes de cancer. Il ressort d'une étude récente que 28 pour cent des essences canadiennes ont des propriétés médicales11.
L'encadré 11 passe en revue les valeurs des forêts tempérées et des forêts boréales au plan du stockage du carbone et de la biodiversité.
Qualité des forêts et problèmes d'aménagement en zone tempérée. Le public se préoccupe beaucoup et toujours plus de la façon dont les ressources des forêts tempérées sont gérées et utilisées12. Cette préoccupation concerne surtout la qualité, la santé et la vitalité des forêts; des groupes d'intérêts doutent que les politiques forestières, les méthodes d'aménagement et les régimes fonciers actuels permettent de concilier la qualité des forêts avec les besoins concurrentiels en bois d'uvre, emplois, conservation de la faune sauvage, ressources aquatiques, paysagisme et avantages récréatifs.
Les tentatives faites pour mesurer et définir la qualité des forêts montrent à quel point les opinions divergent en la matière13. Pour les industries forestières, il se peut que la forêt du nord-ouest Pacifique aux Etats-Unis soit trop mature. Aux yeux des spécialistes de la conservation, cette forêt est à l'âge idéal pour constituer une réserve de biodiversité. Pour la plupart des vacanciers, ces forêts sont, du point de vue esthétique, plus agréables que les rangées taillées de plantations d'essences de même âge.
Ce sont les groupes intéressés aux fonctions de la forêt autres que celles de pourvoyeuse de bois qui exercent les pressions les plus fortes pour que soient modifiées les méthodes d'aménagement en vue de la production ligneuse. En Europe, ces groupes appellent l'attention sur l'expansion de plantations mono-essences gérées intensivement, sur le boisement d'écosystèmes rares et sur l'acidification de l'eau consécutive à ces boisements. En Amérique du Nord, ils s'inquiètent notamment des méthodes d'exploitation, des taxes sur le bois sur pied ainsi que du rythme, du niveau et de l'intensité de l'extraction du bois d'uvre dans les forêts matures14. Au Canada, les conflits en matière de planification de l'utilisation des terres suscités par la politique touchant les coupes rases et les concessions forestières ont amené à adopter une nouvelle méthode d'aménagement consultative et le Programme de forêts-modèles. Dans 10 forêts modèles, couvrant une superficie de 7 millions d'hectares, on est tenu d'appliquer les pratiques forestières les plus rationnelles sur le plan écologique. Chacune de ces forêts est aménagée en vue d'un approvisionnement durable en bois, mais la plupart remplissent aussi diverses autres fonctions importantes, notamment: qualité de l'eau, biodiversité, habitat de la faune, stabilité de la communauté, activités récréatives et valeurs culturelles et spirituelles15.
ENCADRÉ 11 Outre leur importance économique, les forêts tempérées et boréales jouent un rôle majeur dans la biodiversité et le bilan mondial de carbone, c'est-à-dire l'équilibre entre l'émission et l'accumulation de carbone. Le gaz carbonique (CO2) est l'un des principaux gaz associés à l'effet de serre. Comme les forêts emmagasinent provisoirement une énorme quantité de carbone, elles influent sur la concentration de ce dernier dans l'atmosphère, à la fois en le dégageant via le brûlage, la décomposition, l'exploitation et la transformation, et en l'absorbant et en le stockant à mesure qu'elles poussent. L'évaluation 1990 des ressources forestières par la FAO fait état de l'expansion constante des forêts tempérées et boréales, expansion qui se solde par une absorption et un stockage accrus de carbone. Les effets potentiels du réchauffement de la Terre sur les forêts tempérées et boréales se traduiraient notamment par des changements dans les taux de croissance des arbres, la composition des espèces, l'étendue des dégâts dus au feu, aux ravageurs et aux maladies ainsi que dans les frontières forestières. Certains de ces changements, comme l'effet fertilisant des émissions de C02 sur la croissance des arbres, peuvent être bénéfiques. D'autres, comme le recul de la zone de forêt boréale à sa frontière méridionale, risquent de nuire aux économies tributaires des forêts1. Certains pays situés dans la zone de forêt boréale s'efforcent de combattre le réchauffement de la planète. C'est ainsi qu'au Canada, par exemple, les gestionnaires forestiers sont invités à prêter plus d'attention aux types de forêts exploitées, au volume de bois récolté et aux effets de la récolte sur les sols forestiers, tous facteurs qui influencent le volume de carbone stocké. Les forêts canadiennes sont une trappe à carbone, car elles en accumulent 45 pour cent de plus qu'elles n'en émettent. Pour améliorer encore le bilan de carbone, les décideurs canadiens étudient les moyens de promouvoir les processus de transformation et de consommation qui optimisent l'extension temporelle du carbone emmagasiné dans les forêts. Comme les forêts boréales renferment en général moins d'essences à l'hectare que les forêts tropicales, elles passent pour avoir un niveau de biodiversité assez faible. Toutefois, de nouvelles informations, notamment sur la flore et la faune du sol et les invertébrés, incitent à réévaluer la diversité de la zone boréale. De récentes études révèlent, par exemple, que les deux tiers de tous les micro-organismes, espèces végétales et animales du Canada se trouvent dans les forêts. Dans la zone boréale canadienne, les forêts qui se régénèrent après la récolte contiennent beaucoup de peupliers et de bouleaux et peu d'épicéas et de pins. En Suède, la conversion de forêts matures en plantations uniformes d'épicéas et de pins menace d'extinction 200 espèces végétales et animales forestières et de dépérissement 800 autres. Il s'agit notamment des lichens, des champignons et des invertébrés qui vivent de bois mort, lequel est rare dans les plantations. Quelque 880 espèces de coléoptères s'alimentent d'arbres morts et aident à recycler les éléments nutritifs dans les forêts. En Finlande, plus de 50 pour cent des 1 692 espèces florales et fauniques menacées se trouvent dans les zones restantes de forêts matures2. Les valeurs des forêts boréales étant désormais mieux perçues, les efforts de recherche et de protection s'intensifient. A citer notamment: L'étude atmosphérique de l'écosystème boréal (BOREAS), entreprise internationale de recherche et de surveillance mise sur pied pour améliorer nos connaissances sur les interactions entre les forêts boréales et l'atmosphère. Le Groupe international de travail sur les forêts boréales et le Taiga Rescue Network, deux organisations non gouvernementales instances scientifiques internationales, pour favoriser l'échange d'informations, sensibiliser l'opinion publique et mener des activités scientifiques et écologiques conjointes. L'expansion de zones protégées dans les forêts matures des principaux pays sous couvert forestier boréal; c'est ainsi qu'au Canada ces zones protégées ont triplé ces 30 dernières années et que les ministères des forêts et de l'environnement canadiens se sont engagés à protéger 12 pour cent des habitats les plus importants. Ce qu'il faut avant tout, c'est étoffer nos connaissances sur les systèmes écologiques propres aux forêts boréales inaccessibles, attribuer des valeurs aux avantages des forêts autres que le bois ainsi qu'aux qualités forestières, et arrêter des bonnes pratiques sylvicoles fondées sur une vision objective d'une foresterie durable. 1 B. Street, B.J. Stocks, D.C. MacIver et R.B. Stewart. 1993. Impacts of climate change on Canadian forests. Document présenté à la quatorzième Conférence forestière du Common-wealth, Kuala Lumpur, Malaisie. 2 Taiga Rescue Network. 1992. Forests and forestry in Scandinavia: a status report. Taiga News (juillet). |
L'exploitation forestière dans la zone du Pacifique Nord-Ouest aux Etats-Unis et le reboisement dans les basses terres de l'Ecosse au Royaume-Uni ont été critiqués parce que incompatibles avec la conservation des oiseaux. Dans ces deux régions, l'argument majeur de la contestation est que la valeur des oiseaux constitue un indicateur de la santé des écosystèmes forestiers. Dans un cas comme dans l'autre, on a perçu le problème comme étant un conflit entre emplois et oiseaux, entre communautés locales tributaires des forêts pour l'emploi et «outsiders» intéressés par les services écologiques des forêts. Ces litiges illustrent par ailleurs la haute importance que l'on accorde aux questions forestières dans les pays industrialisés; le Président des Etats-Unis est intervenu pour régler la situation dans le Pacifique Nord-Ouest, et le Ministre de l'agriculture, des pêches et de l'alimentation pour résoudre le problème au Royaume-Uni.
Ces deux cas montrent le genre de difficultés auxquelles se heurtent les responsables des forêts tempérées pour concilier les valeurs et intérêts concurrentiels, y compris les valeurs qui peuvent se chiffrer en termes financiers et celles qui, bien que sources de grands avantages sociaux, n'ont pas encore de débouché commercial.
Celle-ci couvre 1,76 milliard d'hectares, divisés en six zones écofloristiques: les forêts ombrophiles tropicales, les forêts humides d'essences caducifoliées, les forêts sèches et très sèches, les forêts de zone désertique, et les forêts de colline et montagne. Le tableau 8 montre la distribution régionale de ces six catégories. Quatre-vingt-seize pour cent des forêts tropicales se rangent dans les quatre types de formation suivants.
Les forêts tropicales ombrophiles se situent dans des zones où les précipitations dépassent 2 500 mm par an. Elles sont sempervirentes, luxuriantes et riches en essences forestières ainsi qu'en autres plantes et en animaux. Sur les 718,3 millions d'hectares couverts au total par les forêts ombrophiles, plus de la moitié se situent dans deux pays: Brésil (41 pour cent) et Indonésie (13 pour cent). La composition et la structure de ces forêts varient selon leur éloignement des mers et des cours d'eau, selon l'altitude et la situation géographique.
Les forêts humides décidues se trouvent dans les zones où les précipitations vont de 1 000 à 2 000 mm par an. Leur structure varie selon l'abondance et la répartition des pluies, le type de sol et la durée de la saison sèche. Il arrive que certaines essences dominantes perdent leurs feuilles vers la fin de la saison sèche. Ces forêts ont en général moins de diversité biologique que les forêts ombrophiles.
Les forêts des zones sèches se trouvent dans les régions tropicales où les précipitations annuelles vont de 500 à 1 000 mm. Elles sont relativement claires et faites d'épineux, de buissons et fourrés, de savane et autres végétations ligneuses courtes et rares. Elles sont en général fragiles et facilement dégradées. Plus de la moitié se trouvent en Afrique. Elles se composent de chênes, prosopis, genévriers, maquis et acacias.
TABLEAU 8 | |||||||
Superficie sous forêt tropicale, 1990 | |||||||
Région |
Superficie forestière totale |
Forêts ombrophiles |
Forêts humides décidues |
Forêts sèches décidues |
Forêts de colline et de montagne |
Forêts très sèches |
Zone désertique |
(............................................................. milliers d'hectares .............................................................) | |||||||
Afrique |
527 586 |
86 616 |
251 143 |
92 527 |
35 256 |
58 660 |
3 385 |
Asie |
310 597 |
177 371 |
41 832 |
41 108 |
47 163 |
37 |
|
Amérique latine et Caraïbes |
918 116 |
454 309 |
294 306 |
44 944 |
121 895 |
1 045 |
1 616 |
TOTAL |
1 756 299 |
718 297 |
587 281 |
178 579 |
204 314 |
59 742 |
8 086 |
Source: FAO. |
Les forêts tropicales de montagne sont situées au-dessus de 800 m, et comprennent des forêts de brouillard (forêts humides de montagne) au couvert plus court, plus simple sur le plan floristique et plus riche en mousses et lichens que celui des forêts ombrophiles des basses terres. Leurs essences sont analogues à celles des forêts tempérées. Ces forêts couvrent l'Himalaya, certaines parties du Myanmar, de la Thaïlande et du Viet Nam, les hauts plateaux du Mexique, les Andes et les hauts plateaux éthiopiens ainsi que les zones montagneuses autour du lac Victoria.
Dans les tropiques, les forêts abritent plus de 200 millions de personnes. Les populations autochtones ou tribales y vivent à demeure depuis des générations; les colons et les squatters s'y sont installés récemment, tandis que d'autres gens vivent une partie du temps dans la forêt où ils travaillent comme bûcherons ou ramasseurs de produits forestiers16. Ces forêts contribuent à la sécurité alimentaire en fournissant aliments, revenus, emplois, bois de feu, médicaments et matériaux de construction. La chasse permet aussi de satisfaire une bonne partie des besoins en protéines des habitants et des ruraux pauvres dans beaucoup de pays.
Les forêts fournissent aussi indirectement d'importants services. C'est ainsi, par exemple, que celles qui ceinturent les villes, les villages et les communautés assurent une protection vitale contre l'érosion des sols sur les versants des collines et près des cours d'eau. Le déboisement des bassins versants à proximité risque d'entraîner l'inondation des basses terres, le déplacement de populations et la réduction de la production alimentaire, comme cela est arrivé récemment en Thaïlande et à Madagascar17.
Déboisement dans les tropiques. Les taux, causes et effets du déboisement diffèrent beaucoup d'un pays ou d'une région à l'autre. Ces différences tiennent à la densité de population et au taux de croissance, à l'étendue et à la qualité des ressources forestières, aux niveaux et cadences de développement, au régime de propriété et aux systèmes culturels. Selon des estimations récentes, près des deux tiers du déboisement en région tropicale seraient dus au défrichement de la terre à des fins agricoles18. Le tableau 9 fournit des données sur les taux de déboisement par région pour les quatre grandes zones forestières. Comme le signale la FAO dans son récent ouvrage sur l'aménagement durable des forêts (note 5, p. 252), les forêts tropicales ne sont pas détruites pour des raisons futiles. On les défriche afin de donner à une population croissante des terres lui permettant de produire des cultures vivrières et commerciales. Beaucoup d'économies en expansion dépendent des produits ligneux en tant que source d'emplois, de revenus, de recettes fiscales et de recettes à l'exportation. Ainsi en va-t-il des concessions d'exploitation forestière et de la production de bois rond industriel, dont on tire du bois de sciage, des panneaux ainsi que de la pâte et du papier.
TABLEAU 9A | ||||||
Couvert forestier et déboisement en zone tropicale | ||||||
Région |
Superficie totale des terres |
Superficie forestière 1981 |
Superficie forestière 1990 |
Variation annuelle 1981-1990 |
Variation annuelle | |
(....................................... millions d'hectares .......................................) |
(%) | |||||
Afrique |
2 236 |
568 |
527 |
-4,1 |
-0,7 | |
Asie |
892 |
350 |
311 |
-3,9 |
-1,2 | |
Amérique latine |
1 650 |
992 |
918 |
-7,4 |
-0,8 | |
TOTAL MONDIAL |
4 778 |
1 910 |
1 756 |
-15,4 |
-0,8 |
TABLEAU 9B | |||||
Déboisement des forêts tropicales denses | |||||
Région |
Superficie totale des terres |
Superficie forestière totale 1990 |
Déboisement annuel 1981-1990 | ||
(millions d'hectares) |
(millions d'hectares) |
(% de la zone) |
(millions d'hectares) |
(% de la zone) | |
Afrique |
118,5 |
86,6 |
73 |
0,5 |
0,5 |
Asie |
306,0 |
177,4 |
58 |
2,2 |
1,1 |
Amérique latine |
522,6 |
454,3 |
87 |
1,9 |
0,4 |
TOTAL MONDIAL |
947,1 |
718,3 |
76 |
4,6 |
0,6 |
TABLEAU 9C | |||||
Déboisement des forêts humides décidues | |||||
Région |
Superficie totale des terres |
Superficie forestière totale 1990 |
Déboisement annuel 1981-1990 | ||
(millions d'hectares) |
(millions d'hectares) |
(% de la zone) |
(millions d'hectares) |
(% de la zone) | |
Afrique |
653,6 |
251,1 |
38 |
2,2 |
0,9 |
Asie |
144,6 |
41,8 |
29 |
0,7 |
1,5 |
Amérique latine |
491,0 |
294,3 |
60 |
3,2 |
1,0 |
TOTAL MONDIAL |
1 289,2 |
587,2 |
46 |
6,1 |
1,0 |
TABLEAU 9D | |||||
Déboisement des zones sèches et très sèches | |||||
Région |
Superficie totale des terres |
Superficie forestière totale 1990 |
Déboisement annuel 1981-1990 | ||
(millions d'hectares) |
(millions d'hectares) |
(% de la zone) |
(millions d'hectares) |
(% de la zone) | |
Afrique |
823,1 |
151,2 |
18 |
1,1 |
0,7 |
Asie |
280,6 |
41,1 |
15 |
0,5 |
1,1 |
Amérique latine |
145,4 |
46,0 |
32 |
0,6 |
1,3 |
TOTAL MONDIAL |
1 249,1 |
238,3 |
19 |
2,2 |
0,9 |
TABLEAU 9E | |||||
Déboisement dans les formations tropicales de montagne | |||||
Région |
Superficie totale des terres |
Superficie forestière totale 1990 |
Déboisement annuel 1981-1990 | ||
(millions d'hectares) |
(millions d'hectares) |
(% de la zone) |
(millions d'hectares) |
(% de la zone) | |
Afrique |
169,2 |
35,3 |
21 |
0,3 |
0,8 |
Asie |
102,6 |
47,2 |
46 |
0,6 |
1,2 |
Amérique latine |
429,1 |
121,9 |
28 |
1,6 |
1,2 |
TOTAL MONDIAL |
700,9 |
204,4 |
29 |
2,5 |
1,1 |
Note: Le tableau 9 fournit des chiffres sur le couvert forestier de l'ensemble de la zone tropicale, y compris les forêts qui poussent dans des zones qui ne sont pas considérées comme des zones de forêt naturelle, tels les déserts ou les régions alpines. Les données des tableaux 9B à 9E ne concernent que les zones de forêt naturelle et ne coïncident pas nécessairement avec celles du tableau 9A. |
Les pertes les plus graves de superficie forestière se situent dans les forêts humides décidues, car c'est la zone qui se prête le mieux à l'installation humaine. Entre 1981 et 1990, on estime que 61 millions d'hectares ont été déboisés, soit plus de 10 pour cent du reste de la superficie de forêt humide décidue. Quarante-six pour cent des terres sont encore boisés, mais seulement 29 pour cent en Asie. En revanche, 76 pour cent de la superficie mondiale sous forêts ombrophiles sont encore boisés. Pendant la dernière décennie, la superficie totale des forêts ombrophiles déboisées s'est élevée à 46 millions d'hectares.
D'après les données disponibles, les 100 millions d'hectares de plantations forestières fourniraient de 7 à 10 pour cent du bois commercial consommé actuellement dans le monde19. Les plantations mondiales d'hévéas, de cocotiers, de palmiers à huile (14 millions d'hectares) ne sont pas comprises dans le calcul de la superficie des plantations forestières. On les trouve principalement en Asie et le bois qu'on en tire revêt une importance croissante.
Les statistiques sur les plantations sont sujettes à caution, car parfois les chiffres portent sur l'ensemble de la zone plantée, sans en déduire la zone exploitée. Ailleurs, les statistiques se fondent simplement sur le nombre de semis distribués aux agriculteurs ou aux communautés sans préciser combien ont été plantés ou combien ont survécu. Il se peut aussi qu'elles ignorent les arbres plantés par les agriculteurs à partir de leurs propres semis.
Les plantations ne peuvent certes pas apporter toute la gamme des biens et services qu'offre la forêt naturelle mais elles fournissent des cultures arboricoles comparables aux cultures agricoles, et cela avec une écologie simplifiée d'une seule essence ou d'un petit nombre d'essences choisies pour leur rendement et leur facilité d'entretien. L'objectif principal de la grande majorité des plantations est de produire du bois ou d'autres produits rapidement et à bon marché. En cela, elles ont un rôle complémentaire à jouer dans les stratégies nationale ou mondiale d'aménagement forestier.
Les plantations peuvent être hautement productives. Le volume de bois d'une plantation tropicale peut être de 30 m3 à l'hectare, contre les 2 à 8 m3 obtenus d'une forêt naturelle aménagée. Des rendements annuels allant jusqu'à 70 m3 à l'hectare ont été obtenus au Brésil à partir de clones d'hybrides d'eucalyptus. Ces chiffres, toutefois, sont à prendre avec prudence (voir encadré 12). L'expérience montre que les rendements présumés au moment de la planification de nombreuses plantations sont surestimés, et souvent multipliés par deux ou plus20. Les plantations que la planification laisse souvent à désirer, négligeant en particulier des aspects d'une importance capitale tels que la compatibilité des essences avec le lieu de plantation. Elle constate aussi que les projets de plantations sont souvent conçus à la hâte, des questions importantes étant négligées faute de temps et de moyens financiers22.
Dans les pays tempérés, on trouve aussi de nombreux exemples de plantations qui ont échoué et de sites dégradés par suite de l'établissement de grands blocs de plantations monospécifiques, de l'introduction d'essences inappropriées et de l'établissement de plantations équiennes. Des études de cas montrent que des plantations tempérées mal gérées dégradent des habitats naturels d'importance capitale, intensifient l'érosion du sol, altèrent les cycles hydrologiques locaux, accroissent les attaques par les ravageurs et les maladies et font monter les niveaux de pollution agrochimique23.
Dans le monde en développement, l'extension des plantations forestières se heurte au manque de terres. Du fait que des populations croissantes d'agriculteurs exploitent toutes les terres non boisées disponibles, les zones à destiner aux plantations se font de plus en plus rares. L'expérience de ces deux dernières décennies montre qu'il ne reste plus, pour les populations pauvres, que les terrains vagues dégradés. Toutefois, il existe de vastes zones où la forêt naturelle est fortement dégradée, ou dont les sols, victimes de la surexploitation, sont épuisés, qui se prêteraient bien à l'établissement de plantations.
ENCADRÉ 12 La Malaisie a une longue expérience des plantations. Pour satisfaire les besoins projetés de bois, elle a établi, à la fin des années 50, des plantations de teck dans le nord de sa péninsule. Dix ans plus tard, des pins tropicaux à croissance rapide étaient plantés en vue d'alimenter en pâte longue fibre une industrie de pâte et papier en expansion. Les forêts originelles naturelles de basses terres furent défrichées afin d'y planter Pinus caribaea, P. merkusii et Araucaria spp. Dans les années 80, divers facteurs poussèrent les dirigeants à amplifier les plantations. Premièrement, il apparut, d'après les projections révisées, que les seules forêts naturelles ne suffiraient pas pour répondre aux besoins croissants de grumes. Les estimations initiales des taux de croissance et de production du système national d'aménagement sélectif se révélèrent trop optimistes. Deuxièmement, 30 ans de développement agricole avaient réduit une grande part des forêts productives naturelles de la Malaisie à des aires montagneuses moins productives et plus difficiles à gérer. Troisièmement, une récolte excessive dans bien des zones s'était soldée par un arriéré sensible de forêts secondaires en mal de traitement sylvicole et de remise en état. Le gouvernement réagit à cette situation en lançant le Programme de plantation forestière compensatoire. Com-me son nom l'indique, ce vaste programme visait à compenser le déclin de la production de bois en provenance des forêts naturelles malaisiennes, moyennant l'établissement de plantations d'arbres à croissance rapide, de qualité utilitaire, sur 188 000 hectares. Comme les programmes de dé-veloppement avaient converti les forêts naturelles à l'agriculture et autres utilisations, le bois serait utilisé par une industrie de transformation du bois en expansion. Un objectif important de ce programme de compensation était de maintenir la production ligneuse à des niveaux permettant de soutenir la capacité nationale de transformation du bois. Au début des années 80, des donateurs internationaux commencèrent à promouvoir des essences à croissance rapide comme Acacia mangium, Gmelina arborea et Paraserianthes flacataria pour alléger les pressions sur les forêts naturelles. Le Gouvernement malaisien accepta de financer la plantation de ces essences, bien que la principale de celle-ci, à savoir Acacia mangium, fût loin d'avoir fait ses preuves en Malaisie, et n'eût pas encore une place bien établie sur les marchés intérieurs ou internationaux. Avec le temps, les problèmes posés par A. mangium devinrent évidents. Bien que cet arbre pousse rapidement, il est de forme médiocre, vulnérable à la pourriture du cur et ne constitue pas une source sûre de bois de qualité utilitaire. Aujourd'hui, son bois convient apparemment mieux à la fabrication de copeaux, utilisation finale de valeur très inférieure. Aussi le gouvernement a-t-il mis un terme au Programme de plantation forestière compensatoire. |
1 A.H. Gron. 1947. Les fondements économiques de la politique forestière. Unasylva, 1(3).
2 J.G. Laarman et R.A. Sedjo. 1992. Global forests: issues for six billion people. McGraw-Hill, New York.
3 P.H. Pearse. 1993. Forest tenure, management incentives and the search for sustainable development policies. In W.L. Adamowicz, W. White et W.E. Phillips, eds, Forestry and the environment. CABI, Wallingford, Royaume-Uni.
4 D. Poore. 1988. Natural forest management for sustainable timber development. IIED, Londres.
5 FAO. 1994. Le défi de l'aménagement durable des forêts. Quel avenir pour les forêts mondiales? Rome.
6 A.V. Korotkov et T.J. Peck. 1993. Les ressources forestières des pays industrialisés: l'analyse CEE/FAO. Unasylva, 44(174).
7 Parmi les nombreuses études récentes figurent: FAO, op. cit., note 5, p. 252; N.P. Sharma, ed. 1992. Managing the world's forests: looking for balance between conservation and development. Kendall/Hunt, Dubuque, Iowa, Etats-Unis; et Laarman et Sedjo, op. cit., note 2, p. 252.
8 J.-P. Lanly. 1992. Les questions de foresterie à la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement. Unasylva, 43(171).
9 A. Contreras-Hermosilla. 1993. Forestry policies in India. Document préparé pour le Séminaire de la région d'Asie du Sud sur l'aménagement forestier et le développement durable, Kandy, Sri Lanka, 4-9 octobre 1993.
10 Forestry Canada. 1993. The state of Canada's forests. Ottawa.
11 D.E. McAllister. 1991. Estimating the pharma-ceutical values of forests, Canadian and tropical. Canadian Biodiversity, 1(3).
12 Korotkov et Peck, op. cit., note 6, p. 252.
13 N. Dudley, J.-P. Jeanrenaud et S. Stolton. 1993. Towards a definition of forest quality. WWF, Royaume-Uni.
14 WWF. 1993. What is happening to the global forestry policy? Document de base pour la Conférence mondiale sur les forêts. Copenhague.
15 Forestry Canada, op. cit., note 10, p. 258.
16 FAO, op. cit., note 5, p. 252.
17 N.P. Sharma, R. Rowe, K. Openshaw et M. Jacobson. 1993. World forests in perspective. In Sharma, ed., op. cit., note 7, p. 255.
18 R. Rowe, N.P. Sharma et J. Browder. 1993. Deforestation: problems, causes, and concerns. In Sharma, ed., op. cit., note 7, p. 255.
19 J.J. Gauthier. 1991. Plantation wood in international trade. Document présenté au séminaire «Issues Dialogue on Tree Plantations - Benefits and Drawbacks», CASIN, Genève.
20 FAO, op. cit., note 5, p. 252.
21 D. Pandey. 1992. Assessment of tropical forest plantation resources. Université suédoise d'agronomie, Umeå, Uppsala.
22 Ibid.
23 N. Dudley. 1992. Forests in trouble: a review of the status of temperate forests worldwide. WWF, Gland, Suisse.