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Les communautés africaines au secours de la faune: L'exemple de la Zambie

D.M. Lewis, A. Mwenya et G.B. Kaweche

Dale M. Lewis est conseiller technique du Service zambien des parcs nationaux et de la faune et coordonnateur du Programme zambien.

Ackim Mwenya est directeur adjoint du Service zambien des parcs nationaux et de la faune et coadministrateur du projet zambien d'aménagement de la faune sauvage pour les besoins de l'homme.

Gilson B. Kaweche est chef de la recherche sur la faune au Service zambien des parcs nationaux et de la faune, et coadministrateur du projet zambien d'aménagement de la faune pour les besoins de l'homme.

A notre époque, la coexistence des ruraux avec la faune est très précaire et nécessite beaucoup d'assistance. Rétablir l'équilibre à long terme est une tâche énorme pour laquelle il ne suffira pas de légiférer et de réprimer. La coopération des communautés rurales, comme dans les anciens temps, est essentielle.

LE BRACONNAGE CONTINUE malgré les mesures répressives adaptées

Les sociétés africaines traditionnelles vivaient en équilibre avec la faune. En effet, la culture africaine attache une grande importance à la conservation de l'environnement (Hadley, 1985; Marks, 1976). Mais l'avènement des administrations coloniales centralisées a sapé le droit coutumier ainsi que l'autorité des chefs traditionnels qui en étaient les dépositaires (Swift, 1982; Willis, 1985). Les administrations coloniales n'ont pas pu mettre en place d'autres structures efficaces pour la conservation de la faune, d'où une course effrénée vers la corne de rhinocéros l'ivoire et, d'une façon générale, le braconnage.

Après l'indépendance, la plupart des Etats africains ont maintenu la structure coloniale centralisée des services de la faune et des parcs nationaux. Dans la plupart des cas, l'aménagement de la faune se limitait à des mesures répressives, qui ont maintenu une barrière entre les habitants des zones protégées ou du voisinage et la faune.

Pendant plus de 10 ans, la Zambie s'est attachée à l'aménagement de la faune et plus précisément à la lutte contre le braconnage, qui avait atteint des proportions alarmantes (Lewis et Kaweche, 1985; Lewis, Kaweche et Mwenya, 1989; Leder-Williams, 1985). De grandes campagnes de répression ont été lancées dans certaines zones du pays avec des financements considérables. On avait beau mettre les braconniers en prison, la destruction de la faune se poursuivait; dans certains cas, elle s'aggravait même (Lewis, 1986). Les pertes ont été considérables: quasi-extinction du rhinocéros noir, réduction de plus de 50 pour cent de la population d'éléphants. Des tendances analogues ont été observées en République-Unie de Tanzanie, en Ouganda, en Namibie et au Kenya.

Alors même que la politique de répression continuait d'être appliquée, le Service zambien des parcs nationaux et de la faune a entrepris des études expérimentales (Lewis, Kaweche et Mwenya, 1989) et organisé un atelier technique (Dalal-Clayton et Lewis, 1984) pour identifier les causes profondes de la chasse illégale. Ces efforts ont débouché sur une nouvelle politique d'aménagement de la faune: l'ADMADE, qui vise à combattre ces causes (Mwenya, Kaweche et Lewis, 1988).

L'ADMADE, qui repose sur la participation populaire, s'est révélée extrêmement efficace. Par exemple, dans une zone où la participation populaire a été active, le braconnage des éléphants a été réduit de plus de 90 pour cent en trois ans (Lewis, Kaweche et Mwenya, 1989), et aucun rhinocéros noir n'a été tué alors qu'il en existait suffisamment pour attirer les braconniers (Lewis, données non publiées). Ces résultats ont été obtenus pour un coût au kilomètre carré bien inférieur à ce que beaucoup d'experts estiment nécessaire pour assurer une bonne protection de la faune en Afrique (Parker, 1984; Bell et Clarke, 1984).

Cet article présente tout d'abord certaines variables quantifiables identifiées à la suite des études ci-dessus et de l'application de l'ADMADE comme les principaux facteurs à prendre en compte pour prédire l'intensité du braconnage et les problèmes d'aménagement de la faune dans une zone donnée. Diverses méthodes ou formules d'aménagement capables de modifier la valeur de ces variables, et donc de réduire la fréquence et l'intensité du braconnage, sont présentées ensuite. L'article se termine par un ensemble de principes directeurs qui pourraient aider les planificateurs et les responsables de la faune africains à choisir les options d'aménagement de la faune.

AUCUN RHINOCÉROS n'a été chassé là où le programme ADMADE a été appliqué

Variables et relations causales

Les ressources locales en protéines

Là où il y a peu de sources «légales» de protéines, les ruraux tendent à enfreindre la loi pour se procurer au moins une ration minimale. En l'absence de répression, ils ne se limitent pas à ce dont ils ont besoin pour l'autoconsommation. Ainsi, les villageois vivant à proximité des zones protégées n'hésitent pas à y braconner malgré le risque d'être pris.

Une comparaison entre deux villages voisins, tous deux situés dans une zone infestée par la mouche tsé-tsé, et où il n'y a donc pas d'animaux domestiques, montre bien à quel point l'existence d'autres sources de protéines influe sur l'intensité du braconnage parmi les villageois vivant à proximité des zones protégées (Lewis, 1988; Lewis, données non publiées). L'un de ces villages est situé en bordure d'une rivière très poissonneuse. Dans l'autre, l'unique source de protéines d'une certaine importance est constituée par la faune très appauvrie de la zone. Le premier village compte beaucoup moins de chasseurs traditionnels que le second, et le braconnage y est beaucoup moins important.

Les possibilités d'influer sur cette variable peuvent être limitées et dépendent des caractéristiques de la zone. Une option possible consiste à développer d'autres sources de protéines (pisciculture, cultures riches en protéines, etc.). Une autre serait d'allouer aux chasseurs de chaque village des quotas raisonnables pour approvisionner en viande la communauté. Cela réduirait la pression que subissent les espèces les plus menacées tout en permettant de mieux contrôler le taux d'exploitation. On peut même, si cela est souhaitable du point de vue de l'aménagement, fixer le quota de façon à obtenir une augmentation des populations visées.

Emploi

A mesure que les ressources naturelles s'amenuisent et deviennent moins accessibles, les sociétés rurales africaines ont de plus en plus besoin d'activités rémunératrices. Comme il existe un marché extérieur très porteur des produits tels que viande, trophées (peaux, cornes, dents), etc., l'exploitation de la faune, légale ou illégale est bien tentante pour des populations qui manquent terriblement d'argent. Peu instruites, elles ignorent souvent la valeur marchande réelle des produits de la faune recherchés par la clientèle étrangère et les troquent ou les vendent à vil prix.

Les possibilités d'emploi et les ressources en protéines varient d'une zone à l'autre, mais il est relativement facile de les mesurer. Ces informations permettent de prédire l'intensité du braconnage (voir figure 1).

Les autorités responsables de l'aménagement de la faune peuvent aider de plusieurs façons à accroître l'emploi. Elles peuvent notamment:

Employer pour l'aménagement de la faune une majorité d'habitants de la zone, après leur avoir donné une formation appropriée. Un programme de ce genre a été lancé à titre expérimental en 1985 par le Service zambien des parcs nationaux et de la faune (Lewis, Kaweche et Mwenya, 1989). Les habitants ont alors mieux compris et apprécié l'importance de la faune, sa valeur économique et la nécessité d'empêcher les non-résidents de venir chasser illégalement dans leur zone. Les gardes recrutés localement pour protéger la faune de leur chefferie connaissent beaucoup mieux la terre et sont moins enclins à l'absentéisme que les fonctionnaires, qui généralement proviennent d'une autre région. Ces gardes villageois ont réussi à arrêter beaucoup plus de braconniers que les gardes fonctionnaires, pour un coût bien moindre car ils sont rémunérés selon un barème local.

Promouvoir des programmes encourageant les populations locales à se lancer dans de petits artisanats basés sur l'exploitation viable ou sur l'observation de la faune. L'expérience prouve que les villageois s'intéressent d'autant plus à la conservation de la faune qu'ils en tirent un rendement soutenu. Dans ces conditions, ils comprennent mieux l'activité de prévention et de répression des gardes recrutés localement. Par exemple, ils peuvent spontanément les informer quand des braconniers pénètrent dans la zone, comme cela est arrivé en Zambie (Lewis, 1989).

Encourager les villageois à se réunir pour faire connaître leur avis et éventuellement leurs critiques concernant l'aménagement de la faune locale. Ces réunions aident à combattre les préjugés et à promouvoir l'autodiscipline pour l'aménagement et la protection de la faune (Lewis, 1988 et données non publiées). Cette approche est essentielle pour établir entre les services techniques du gouvernement et les populations locales une coopération permettant à ces dernières de tirer légalement de la faune des avantages durables (Mwenya, Kaweche et Lewis, 1988).

FIGURE 1: Intensité et caractère du braconnage en fonction des disponibilités de protéines et des possibilités d'emploi

Reconnaissance du rôle des chefs coutumiers

Les chefs coutumiers sont la pierre angulaire des sociétés rurales africaines et des traditions qui donnent aux villages leur unité et leur ordre. Autrefois, ces chefs prenaient les décisions concernant la tenure des terres et l'accès aux ressources naturelles dans l'intérêt commun. Le régime colonial et les gouvernements qui lui ont succédé ont altéré ou supprimé ces pouvoirs traditionnels sans que les administrations centrales soient en mesure de prendre la relève et de faire appliquer la loi pour protéger la faune. D'où un cercle vicieux: comme les ressources continuent à être utilisées de façon abusive, la répression est maintenue, et cela tend à réduire encore l'influence des chefs coutumiers.

Il faudrait permettre aux chefs coutumiers de jouer un rôle dans les programmes de conservation de la faune des gouvernements modernes en constituant une véritable association entre ces deux autorités. C'est ce qu'a réussi à faire l'ADMADE (Mwenya, Kaweche et Lewis, 1988) en créant des comités de la faune dans chaque zone d'aménagement. Présidés par le gouverneur de district, ces comités sont composés de chefs coutumiers locaux et de fonctionnaires spécialistes de la faune. Ils se réunissent périodiquement pour procéder à des échanges de vues et adopter des politiques d'aménagement pour la zone concernée. Les apports techniques directs et les investissements peuvent ainsi être acheminés par les filières gouvernementales, tandis que les chefs coutumiers exercent leur influence pour mobiliser l'appui et la coopération des populations locales.

Dans la zone de Chikwa-Luelo, dans la vallée du Luangwa, les deux chefs ont accepté l'ADMADE qui leur conférait ex officio la présidence du Sous-Comité de la gestion de la faune dans leur chefferie. Les sous-comités transmettent les propositions et les demandes de financement au Comité de la gestion de la faune. Les chefs ont renforcé leur autorité en condamnant le braconnage, tout en assurant à leurs communautés qu'elles recevraient leur juste part des bénéfices provenant de la faune dans le cadre de l'ADMADE. Il a suffi d'un an pour que le braconnage diminue beaucoup.

Le prestige des chefs a augmenté du fait qu'ils avaient utilisé leurs pouvoirs traditionnels au profit de leurs communautés: les recettes ont été partagées comme l'avait promis le Service des parcs nationaux et de la faune, et des habitants de la zone nommés gardes villageois ont pu gagner de l'argent en gérant et protégeant la faune de la chefferie. Comme le braconnage avait déjà beaucoup diminué avant l'entrée en fonction des gardes villageois, ce résultat a été attribué à l'influence des chefs coutumiers (communication personnelle de Peter Mwanza, chef de l'Unité de la zone de Chikwa-Luelo).

Les chefs coutumiers obtiennent des résultats analogues dans plusieurs autres zones d'aménagement de la faune où l'ADMADE rapporte des recettes considérables. Ainsi, dans la plupart des zones visées par l'ADMADE, les comités de la faune ont ouvert des comptes de développement communautaire où est versée la part des recettes qui revient à la communauté. En 1988, cette part a été de 230000 dollars U.S. pour un total de 10 unités de l'ADMADE. Afin de garantir que les fonds soient réellement utilisés comme le souhaitent les communautés, les projets ne peuvent être recommandés au Comité que par les sous-comités, composés essentiellement des chefs de village, lesquels ont la signature pour les comptes de développement villageois.

L'ADMADE a fait ressortir clairement le rôle important des chefs coutumiers dans l'aménagement de la faune; cette formule est beaucoup plus rentable que la gestion directe par une administration nationale (voir figure 2). Par exemple, dans les zones d'aménagement de la faune de Luano et de Sichifula-Mulobezi, les chefs bannissent les villageois convaincus de braconnage parce qu'ils donnent le mauvais exemple et sont incapables de vivre en bonne harmonie avec la faune. La figure 3 illustre les relations entre les chefs coutumiers et les chasseurs et l'influence qu'elles peuvent avoir sur le braconnage.

LE COÛT D'EXPLOITATION des ressources de la faune s'est révélé moins cher en employant des gardes villageois rémunérés selon un barème local

La faune comme source de recettes

Les recettes que peut rapporter la faune sont un autre paramètre important pour la lutte contre le braconnage. Premièrement, l'aménagement local de la faune doit être une source de recettes suffisante. Deuxièmement, il faut qu'une bonne partie de ces recettes soient réinvesties sur place. Sans un budget annuel, tous les résultats, qu'il s'agisse de la création d'emplois, des nouvelles sources de protéines ou de la participation des autorités locales resteront précaires. Comment mobiliser les populations locales pour un programme dont la continuité n'est pas assurée?

Il suffit de jeter un coup d'œil sur les plans de développement des pays africains pour constater que la faune ne bénéficie pas d'une priorité très élevée dans les budgets publics. Les résultats du projet de développement du Lupande (Lewis, Kaweche et Mwenya, 1989), ainsi que l'actuel programme ADMADE (ADMADE, 1988), indiquent que deux conditions sont essentielles pour que les populations locales se mobilisent durablement en faveur de l'aménagement de la faune. Premièrement, cet aménagement doit rapporter des recettes à l'échelle locale; deuxièmement, les populations doivent participer non seulement à la mise en œuvre mais aussi à l'élaboration du programme.

La validité de ces principes à l'échelle nationale est illustrée par l'ADMADE. Pendant les exercices 1987 et 1988, 260000 dollars, représentant 40 pour cent des recettes totales provenant de la faune dans 10 unités de L'ADMADE, (en plus de l'allocation de base de 230000 dollars dont il est question plus haut) ont été réservés pour financer les budgets de fonctionnement et d'équipement approuvés par les comités de la faune de ces 10 unités: exploitation et entretien de sept véhicules de l'ADMADE, traitements et indemnités des gardes villageois et des ouvriers, force publique, jetons de présence des membres des comités, construction de 10 nouveaux campements et de 150 cases pour les gardes villageois, rénovation de trois maisons pour des cadres, construction d'un bureau d'unité et mise en chantier de trois autres.

FIGURE 2: Réduction de l'intensité de braconnage en fonction de l'accroissement des dépenses d'aménagement comparaison entre deux types d'aménagement: a) emploi de fonctionnaires chargés d'appliquer des mesures de répression sans participation locale; b) participation des populations locales sous l'autorité conjointe des chefs coutumiers et de l'administration

FIGURE 3: Intensité de braconnage en fonction du rôle reconnu par les gouvernements aux chefs traditionnels

Principes directeurs

On peut dégager du programme de l'ADMADE en Zambie certains principes directeurs qui pourraient aider les planificateurs et les responsables à choisir les meilleures options pour l'aménagement de la faune en Afrique.

LES RECETTES OBTENUES en utilisant la faune à usage récréatif devraient être réinvesties sur place

Employer des méthodes de gestion prévisionnelle pour réduire le braconnage

Comme les divers paramètres qui conditionnent le braconnage sont quantifiables, on peut déterminer la formule d'aménagement appropriée en identifiant les paramètres pertinents et les modifications à y apporter. C'est là un système de gestion prévisionnelle. La figure 4 peut servir de base pour évaluer les variables examinées dans le présent article afin de déterminer un modèle de gestion approprié.

Persévérance et souplesse

Il ne faut pas s'attendre que les programmes d'aménagement de la faune reposant sur la participation locale soient immédiatement acceptés par tous. Au début, les moniteurs locaux risquent d'être mis sur le même pied que les administrations précédemment chargées d'appliquer les lois sur la faune et d'être rendus responsables de leurs erreurs (Lewis, 1989). Ainsi, même s'il est potentiellement très avantageux pour la communauté, le programme risque d'être mal accueilli, Pour le faire accepter, le moniteur doit faire preuve de patience et de persévérance. Il doit être sensible aux besoins et aux aspirations des populations locales et doit bien connaître les antécédents et les coutumes tribales. Comment les populations se mobiliseraient-elles pour un programme qui leur est imposé de but en blanc et dont elles ne comprennent pas les avantages?

L'utilisation légale de la faune doit être rentable

La rentabilité du braconnage est un des facteurs les plus importants qui déterminent, pour chaque espèce, l'intensité de la chasse illégale. Tous les animaux n'ont pas la même valeur commerciale; les céphalophes et les grysboks, par exemple, rapportent beaucoup moins que les éléphants ou les rhinocéros. Un programme efficace de lutte contre le braconnage avec la participation des populations locales peut réduire la chasse illégale, mais il est important qu'il soit complété par des mesures propres à maximiser les profits qui peuvent être retirés légalement des animaux les plus recherchés, et à assurer qu'une partie suffisante de ces profits revienne aux communautés locales pour inciter celles-ci à appuyer la loi et pour financer le coût de l'aménagement. Ce genre de formule a toutes chances d'être bien acceptée puisque l'utilisation légale de la faune rapportera plus que la complicité avec les braconniers (voir tableau).

Le succès de l'ADMADE en Zambie illustre bien les nombreux avantages de cette méthode (Lewis, Kaweche et Mwenya, 1989; Mwenya, Kaweche et Lewis, 1988; ADMADE, 1988). Par exemple, dans la zone d'aménagement de la faune du Bas Lupande, les chefs de village ont identifié plusieurs moyens d'améliorer l'aménagement de la faune pour accroître les recettes et ont spontanément offert d'informer les gardes villageois si des braconniers pénétraient dans la zone. Une autre fois, ils ont fait observer que les safaris de chasse, qui sont la plus importante source de recettes légales, tuaient trop de lions mâles et ont suggéré qu'on réduise le nombre de lions chassés, les remplaçant au besoin par des lionnes. Du point de vue de l'aménagement, c'était une excellente suggestion; cela montre à quel point l'aménagement est facilité quand la population locale l'accepte et se rend compte qu'il peut être pour elle une source durable de recettes.

Un autre exemple montre que la perspective de gains durables aide à résoudre très rapidement les problèmes d'aménagement. Les feux de brousse allumés en fin de saison, quand le fourrage est sec, réduisent la capacité de charge en faune. Il a suffi d'avertir les chefs que les quotas de chasse, et donc les recettes locales et la production de viande, risquaient d'être réduits, pour qu'ils conseillent aux villageois de ne pas allumer de feux trop tard dans la saison.

FIGURE 4: Mesures d'aménagement appropriées en fonction de trois paramètres influant sur l'intensité du braconnage (voir figures 1 et 3)

Les avantages que rapporte l'aménagement doivent atteindre un certain seuil

La relation entre l'emploi créé localement par l'aménagement de la faune et la réduction du braconnage n'est pas linéaire dans les zones où il y a peu d'emplois pour les ruraux (voir figure 5). L'exemple de la Zambie montre que, quand l'aménagement de la faune profite à un trop petit nombre d'habitants de la zone, les autres sont hostiles au programme et en entravent l'application (Lewis, 1989, données non publiées). Mais quand les bénéficiaires sont assez nombreux, ils font pression en faveur d'une utilisation légale de la faune et l'intensité du braconnage diminue rapidement.

L'emploi local créé par le projet pilote du Lupande dans le cadre de l'ADMADE s'est limité d'abord aux seuls gardes villageois. Peu à peu, le braconnage diminuant, on s'est efforcé de créer d'autres emplois locaux en développant l'utilisation viable et légale de la faune. Au bout de trois ans, il y avait trois fois plus de personnes gagnant ainsi leur vie que de gardes villageois (Lewis, Kaweche et Mwenya, 1989; Lewis, données non publiées), et le braconnage était devenu négligeable. Les enquêtes ont révélé que les villageois étaient désireux de dissuader les braconniers d'entrer dans leur zone et prêts appuyer les gardes villageois (Lewis, 1988).

Chasse légale et braconnage: avantages comparatifs pour les communautés locales

Avantages

Chasse légale

Braconnage

Bénéfices monétaires (rentrées d'argent pour les populations locales, par kilogramme)

1. Viande

potentiellement élevés

modérés

2. Peaux

élevés

de faibles à nuis

3. Autres trophées

élevés

faibles

Emplois (emplois par animal exploité)

1. Transformation

nombreux

peu nombreux

2. Commercialisation

nombreux

peu nombreux

Autres avantages

1. Durabilité

élevés

faibles

2. Sensibilisation des chefs locaux

élevés

de faibles à modérés

ÉLÉPHANTS EN ZAMBIE La participation de la population locale peut réduire considérablement la chasse illégale

Utiliser les exemples de succès

Un programme qui réussit à réduire les effets des variables influant sur le braconnage peut aussi servir de catalyseur pour amorcer des améliorations dans les zones voisines. Ce qui s'est passé en Zambie montre que l'Information circule vite entre communautés voisines et que le succès est contagieux. Cela permet d'élargir le programme sans dépenses supplémentaires. Ainsi, en 1989, deux ans seulement après le lancement de l'ADMADE, deux chefs qui n'étaient pas compris dans le programme ont demandé officiellement que leur chefferie soit classée comme zone d'aménagement de la faune relevant de L'ADMADE. En effet, le Service des parcs nationaux et de la faune ne peut utiliser des fonds - publics que dans les zones d'aménagement.

Pour maximiser cet effet de contagion, il faut choisir, au début, des zones où le potentiel de la faune est relativement élevé et persévérer jusqu'à ce que les avantages soient pleinement reconnus par la communauté, afin que l'exemple soit convaincant pour les communautés voisines.

La zone aménagée peut avoir un effet tampon

La mobilisation des populations locales pour l'aménagement de la faune à proximité des zones protégées et des parcs nationaux peut réduire considérablement le coût de la surveillance de ces derniers. A mesure que le souci de conserver la faune se généralise, il devient de plus en plus difficile aux braconniers de trouver des complicités sur place (Lewis, Kaweche et Mwenya, 1989; ADMADE, 1988).

Organiser la protection des zones inhabitées

Un habitat qui convient à la faune n'est pas nécessairement propice au peuplement humain. Il existe donc beaucoup de zones riches en faune mais inhabitées. Pour assurer leur protection, il est intéressant de mobiliser les communautés les plus proches en leur donnant le sentiment que c'est leur propre richesse qu'elles protègeront. Il sera ainsi facile de trouver le personnel nécessaire pour aménager la zone et aussi d'en tirer de façon durable un maximum de recettes pour financer les coûts d'aménagement et rapporter des avantages à la communauté.

Eviter les surenchères

Beaucoup d'amis de la nature s'offrent à aider bénévolement à aménager la faune en Afrique. Leur aide est souvent précieuse, mais les modalités de la collaboration de ces volontaires avec les autorités nationales sont rarement définies de façon précise. Quand des organisations non gouvernementales riches prennent des initiatives non coordonnées, il risque d'y avoir des conflits avec l'administration locale. D'où le danger de rivalité et d'utilisation inefficace des fonds disponibles pour la conservation de la faune. Ces conflits peuvent entraîner une mauvaise allocation des ressources de la part des donateurs extérieurs.

Bien plus, ils risquent de démoraliser les écologistes professionnels des services officiels d'aménagement de la faune. Tout cela peut en définitive rendre inefficace la lutte contre le braconnage à cause notamment de la lenteur des interventions, de la mauvaise coordination avec les autres organisations officielles et de la difficulté de contrôler le personnel subalterne. La confusion règne et le braconnage redouble. Comme quoi l'enfer est pavé de bonnes intentions: c'est justement l'effort de conservation qui provoque tous ces problèmes.

Il est essentiel que les organismes donateurs et les organisations non gouvernementales appuient sans réticence les autorités nationales, afin que celles-ci puissent avoir toute l'autorité voulue pour faire respecter la loi et exécuter les programmes d'aménagement de la faune.

FIGURE 5: Modifications de l'intensité du braconnage en fonction du pourcentage des habitants de la zone qui tirent des bénéfices d'un programme d'aménagement encourageant l'utilisation légale de la faune

Conclusion

Les paramètres qui influent sur l'intensité du braconnage et sur les autres problèmes d'aménagement de la faune en Afrique sont identifiables et modifiables. Leur modification coûte moins cher si les interventions sont guidées par les valeurs et traditions africaines et par un service des parcs nationaux sensible aux besoins des populations locales. Cette approche de la conservation, dont l'efficacité a été prouvée en Zambie par un projet pilote, et qui a été ensuite appliquée dans tout le pays, pourrait être étendue à d'autres parties de l'Afrique. Le succès dépend avant tout de la mobilisation des chefs coutumiers à l'appui des utilisations légales de la faune qui rapportent des bénéfices commerciaux, ainsi que de la participation des populations locales aux activités d'aménagement.

Cette approche reposant sur la participation populaire et sur le recyclage des recettes tirées de la faune pour financer le développement local et l'aménagement même de cette faune est pragmatique et rentable. Pourtant, dans la majeure partie de l'Afrique, la conservation de la faune est encore essentiellement tributaire des financements extérieurs. Ces financements bien intentionnés, si indispensables soient-ils, ont créé une dépendance qui a empêché d'adopter des formules d'aménagement capables de s'autofinancer et reposant sur une utilisation viable de la faune. Souvent, les propositions de projet comportent des budgets considérables afin d'intéresser les donateurs. A côté de ces apports massifs de fonds, on a tendance à ne pas tenir compte de l'importance des ressources d'origine locale pour le financement des programmes communautaires d'aménagement de la faune. De plus, les projets financés par des dons extérieurs importants ne permettent pas en général de résoudre définitivement les problèmes, car les apports ne sont pas maintenus indéfiniment. Il est essentiel que les apports extérieurs fournis pour l'aménagement de la faune soient étroitement coordonnés avec les efforts visant à mobiliser durablement la participation locale.

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