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VALORISATION DES RESSOURCES GENETIQUES DES LIGNEUX A USAGES MULTIPLES EN AFRIQUE SOUDANO - SAHELIENNE1

par

H. de Framond

CTP du projet GCP/RAF/234/FRA
Département des Forêts
FAO, Rome (Italie)

RESUME

Dans la plupart des pays africains soudano-sahéliens, l'insuffisance en services spécialisés dans le domaine des semences forestières et en ressources humaines compétentes est une contrainte majeure pour les politiques de reboisement. Dans ces pays, une priorité doit être donnée à la mise en place de capacités nationales d'approvisionnement en semences, propres à valoriser, en tout premier lieu, les ressources génétiques locales. Celles-ci revêtent en effect un caractère tout particulier d'adaptation au milieu et répondent bien aux multiples besoins des populations.

Par ailleurs, des programmes d'amélioration génétique seraient à même de sélectionner les meilleurs génotypes parmi des populations forestières restées jusque là à l'état sauvage. Cependant, les zones tropicales sèches, où la réussite des plantations reste relativement aléatoire, ne peuvent donner lieu à des programmes de reboisement à grande échelle tels qu'il en existe en zone humide. Ces programmes y resteront toujours des actions complémentaires des programmes d'aménagement et de gestion des formations naturelles. Par conséquent, la mise en oeuvre de programmes d'amélioration génétique ne peut se justifier que pour un petit nombre d'espèces judicieusement choisies en fonction de leur intérêt économico-écologique à l'échelle d'une région et non pas d'un seul pays.

Ceci implique qu'une coordination régionales anime les programmes nationaux existant en ce domaine. Celle-ci aura avantage à s'appuyer au départ sur des dynamiques régionales déjà existantes sous l'égide d'organisations politiques inter-Etats telles que le CILSS2 et l'IGADD3.

Cependant il est clair que les aires de répartition naturelle des espèces concernées, et/ou les aires de reboisement, dépassent bien souvent les frontières politiques de ces organisations. Dans l'avenir, il faudra donc préparer, parallèlement, des formes de coordination plus souples et susceptibles de s'adapter aux aires géographiques de chaque thème de travail pris en compte.

INTRODUCTION

Le programme sous-régional FAO de “mise en valeur des ressources génétiques de ligneux à usages multiples” (projet GCP/RAF/234/FRA financé par le gouvernement français) a démarré en janvier 1988, suite aux deux ateliers régionaux de Nairobi (janvier 1986, février 1987), organisés par IUFRO4 en collaboration avec la FAO, et réunissant 14 pays de la zone soudano-sahélienne.

Ce programme vient en appui à 17 pays soudano-sahéliens de l'Afrique de l'ouest et de l'est dans le domaine de l'approvisionnement en semences forestières et de l'amélioration génétique du matériel végétal. Au cours des 31 premiers mois d'exécution, le projet a préparé ou contribué à formuler des documents de projets nationaux sur 5 ans et a assisté le pays dans la soumission des dossiers aux bailleurs de fonds. En Afrique de l'ouest, où ce travail a été complété par la formulation d'un document de volet régional d'appui et de coordination pour les 9 pays du CILSS (CILSS/FAO/IUFRO 1989).

L'estimation des besoins en financement du programme régional pour les pays du C.I.L.S.S. est de 20,4 millions de dollars E.U. sur 5 ans dont 4 millions, afférents au volet de coordination régionale et 16,4 aux projets nationaux. Les besoins concernant les projets nationaux des autres pays membres du projet s'élèvent à 21,5 millions (Cameroun, Tanzanie et 4 pays de l'IGADD).

En outre le projet a contribué à préparer un certain nombre de manuels et guides techniques tenant compte des données du contexte soudano-sahélien et destinés à appuyer les équipes nationales en place ou à venir en proposant un certain nombre de normes et des méthodologies de référence.

Le présent article a pour objet de souligner quelques aspects techniques et de politique générale qui nous apparaissent aujourd'hui essentiels pour la mise en oeuvre d'une stratégie de valorisation des ressources génétiques ligneuses en zone soudano-sahélienne.

METTRE EN PLACE DES CAPACITES NATIONALES DESTINEES A VALORISER LES RESSOURCES GENETIQUES LOCALES

La plupart des pays concernés n'ont actuellement pas de service fonctionnel spécialisé dans le domaine des semences forestières. L'approvisionnement et matériel végétal apparaît bien souvent comme une contrainte majeure pour les programmes de reboisement (Ouedraogo 1988). Le choix des espèces est souvent déterminé dans les pépinières plus par la disponibilité en semences que par les besoins prioritaires des populations locales. Ceci conduit trop souvent au choix d'espèces répondant mal aux besoins multiples de ces populations ou à l'introduction de semences d'origine étrangère, mal adaptées à l'environnement local et risquant en outre de polluer les ressources génétiques locales (Palmberg 1980).

Ces introductions ont conduit par le passé à de nombreux échecs. Dans l'attente de résultats de tests scientifiques de sélection, il faut recommander l'utilisation en priorité de matériel génétique existant localement et donc a priori bien adapté. Pour cela il est nécessaire d'explorer la ressource disponible, sélectionner les meilleures provenances et, à l'intérieur les meilleurs phénotypes, repérer les périodes de fructification propres à chaque espèce, récolter les graines, les préparer et les conserver jusqu'au moment de leur utilisation.

Ceci implique la mise en place urgente de services nationaux spécialisés dans ce domaine, fonctionnant avec des équipes nationales et un minimum d'équipement. C'est pourquoi les activités du projet FAO se sont focalisées en grande partie jusqu'à présent sur cet aspect.

SELECTIONNER ET AMELIORER LE MATERIEL VEGETAL POUR QUELQUES ESPECES D'INTERET PRIORITAIRE A UNE ECHELLE REGIONALE

En zone soudano-sahélienne, de nombreux peuplements sont actuellement menacés de disparition sous l'influence conjointe des cycles de sécheresse et de la pression de la population croissante. Des actions de conservation sont donc nécessaires et urgentes.

Par ailleurs, il est particulièrement “souhaitable” dans ce context, de sélectionner le matériel génétique le plus performant possible afin d'améliorer la réussite des plantations, et de mieux convaincre leurs acteurs. Cependant la justification de tels programmes risque de butter immanquablement sur des considérations d'ordre économique, tout spécialement dans cet environnement soudano-sahélien: importance relativement faible des programmes de reboisement en zone sèche compte-tenu de leur réussite aléatoire, productivité “socio economique” faible pour la plupart des espèces concernées, intérêt écologique évident mais difficile à chiffrer, etc.

Dans ce contexte, un programme d'amélioration génétique ne peut se justifier que pour un petit nombre d'espèces, bien identifiées en fonction de leur intérêt socio économico-écologique à l'échelle d'une région et non pas d'un seul pays, d'autant plus que les aires de répartition naturelle dépassent largement les frontières nationales. Le tableau No. 1 présente, sous ce regard, un certain nombre d'espèces ligneuses couramment utilisées, tandis que les cartes No. 1 et 2 font état, à titre d'exemple, de l'aire de répartition naturelle de Faidherbia albida et Acacia senegal.

Si cette justification ne semble pas devoir poser de problème majeur pour quelques espèces telles que Acacia senegal (productrice de gomme arabique) ou Faidherbia albida (d'un intérêt écologique certain), il n'en est pas de même pour de nombreuses autres.

Etant entendu que la mise en oeuvre des programmes d'amélioration génétique doit être exécutée dans le cadre d'un réseau régional animant les activités nationales, il reste à définir les aires géographiques de ces réseaux pour chacune des espèces concernées. Celles-ci doivent être établies en fonction des données suivantes:

Il est intéressant d'illustrer cette démarche dans le cas de Faidherbia albida. La carte No. 1 ci-jointe présente l'aire de répartition naturelle de l'espèce et des “races” qui la composent. Le tableau No. 1 donne une idée de son aire de reboisement dans la zone soudano-sahélienne de l'Afrique. La carte No. 3, tirée de la carte Unesco de répartition mondiale des zones arides, fait apparaître deux principaux types bioclimatiques dans l'aire de répartition de l'espèce:

  1. Un secteur à hiver chaud (20° à 30°, été très chaud (plus de 30°C) et régime pluviométrique unimodal, en Afrique de l'ouest (incluant une partie importante du Soudan);

  2. Un secteur à hiver chaud (20 à 30°C), été chaud (20 à 30°C) et régime pluviométrique bimodal en Afrique de l'est (Ethiopie, Kenya, Somalie, et une petite partie du Soudan).

Ces différences de milieu sont probablement sources d'une importante variabilité intra-spécifique, comme semblent le montrer les récents tests de provenances menés sur Faidherbia albida au Burkina Faso (IRBET/CTFT, 1988). Après quatre années d'évaluation, les provenances d'Afrique de l'est (secteur 2), plus vigoureuses au départ, se révèlent être par la suite inadaptées au milieu d'introduction (secteur 1).

Ces diverses considérations viennent ainsi renforcer l'idée que les aires géographiques de réseaux régionaux à établir doivent tenir compte des facteurs précités.

DEPASSER LES FRONTIERES NATIONALES EN S'APPUYANT SUR LES DYNAMIQUES REGIONALES EXISTANT AU SEIN DES ORGANISATIONS SOUS-REGIONALES INTER-ETATS

Les principaux pays de la zone soudano-sahélienne africaine sont regroupés autour de 2 institutions politiques spécialisées dans le domaine de la lutte contre la désertification: le CILSS en Afrique de l'ouest et l'IGADD en Afrique de l'est (Voir carte No. 4).

De par leur mandat, ces deux institutions ont vocation à jouer un rôle important dans la mise en oeuvre d'une coordination sous-régionale dans les zones qui les concernent sur le plan politique.

En Afrique de l'ouest, la FAO s'est associée au CILSS et à l'IUFRO pour la formulation et la mise en place d'un programme régional de semences forestières (PRSF) (CILSS/FAO/IUFRO 1989). Celui-ci se compose de 9 projets nationaux (PNSF) relevant directement des Etats-membres et d'un volet régional d'appui et de coordination (VR) relevant du CILSS. Ce dernier volet comprend principalement la formation des cadres et techniciens nationaux dans un cadre régional, l'harmonisation des techniques et méthodologies, l'appui technique aux institutions nationales et la coordination proprement dite des programmes techniques.

Les donateurs ont été conviés par le CILSS, la FAO et l'IUFRO à une table ronde qui s'est tenue à Ouagadougou les 25 et 26 octobre 1990 et ont, à cette occasion, marqué un intérêt certain pour le programme. Les documents leur sont actuellement soumis par les pays membres (PNSF) et par le CILSS (VR).

DANS L'AVENIR, DEPASSER LES FRONTIERES POLITIQUES SOUS-REGIONALES

Dans le cadre de la mise en place de coordinations sous-régionales animées sous l'égide des organisations politiques inter-états telles que le CILLS et l'IGADD, il est clair qu'il faudra favoriser les échanges entre les 2 zones politiques afin d'assurer une bonne harmonisation des techniques et méthodologies et favoriser la circulation de l'information et du matériel végétal.

La FAO de par ses compétences techniques et ses réseaux de relations internationales, serait susceptible de faciliter de tels échanges.

Une deuxième remarque s'impose, provenant du constat suivant: d'une part les frontières des organisations politiques inter-états et celles des zones bioclimatiques se recoupent plus ou moins bien (le Soudan, par exemple, appartient politiquement à l'Afrique de l'est, mais écologiquement à l'Afrique de l'ouest essentiellement); d'autre part, à moyen terme, on peut espérer raisonnablement que les capacités nationales seront mises en place et la formation de base assurée, ce qui limitera la coordination principalement à des tâches d'animation de groupes de travail dont l'aire géographique concernée sera variable en fonction du thème abordé. Par exemple, Acacia senegal et Faidherbia albida n'ont pas la même aire de répartition naturelle, ne soulèvent pas le même intérêt dans chaque pays, et par conséquent, ne peuvent faire l'objet de réseaux rigoureusement identiques.

Il faudra donc, à ce stade, rechercher, parallèlement, des formules de coordination plus souples, réunissant peut-être directement les chercheurs en utilisant éventuellement une approche similaire aux Groupes de Travail de l'IUFRO par espèce ou par sujet, ou en profitant des mécanismes de l'IUFRO existant. Il est cependant clair que, dans l'immédiat, la priorité est à donner à la mise en place coordonnée de capacités nationales.

REFERENCES

Brenan, J.P.M. 1983 Manual on taxonomy of Acacia species. FAO, Rome.

CILSS/FAO/IUFRO. 1989 Programme Régional de Semences Forestières (9 project documents for national forest seed projects, 1 project document for regional support and coordination component, and 1 synthesis document). Non publié.

Cossalter, C., D.E. Iyamabo, S.L. Krugman and O. Fugalli. 1987 Amélioration des ligneux et Aménagement Sylvopastoral dans les régions Saheliennes et Nord-Soudaniennes d'Afrique. IUFRO. Vienne, Autriche.

Institut de Recherche en Biologie et Ecologie Tropicales/Centre Technique Forestier Tropical. 1988 Rapport annuel d'activités du Centre Technique Forestier Tropical, Burkina Faso.

Ouedraogo, A.S. 1988 Séminaire régional sur les semences forestières. Ouagadougou, Burkina Faso, 11–15 b janvier 1988. Synthèse des rapports nationaux. CILSS, Burkina Faso. Non publié.

Palmberg, C. 1980 Principes et stratégies pour une meilleure utilisation des ressources génétiques forestières. Etudes FAO/Forêts no 20.

Figure 1.Figure 2.
Figure 1Figure 2
Faidherbia albida: Carte montrant la distribution approximative des espèces et races.Acacia senegal: Carte montrant la distribution approximative des espèces et variétés.
Figure 3
SECTEUR 1:Hiver chaud (20– 30 °C)A1:aride
Eté très chaud ( > 30 °C)S1:semi-aride
Régime pluviométrique unimodal (U)H1:sub-humide
    
SECTEUR 2:Hiver chaud (20– 30 °C)A2:aride
Eté chaud (20– 30 °C)S2:semi-aride
Régime pluviométrique à dominance bimodale (B)H2:sub-humide

Figure 3. Extrait de la carte UNESCO de repartition mondiale des zones arides.

Figure 4

Figure 4. Aire geographique relative au CILSS et a l'IGADD.

TABLEAU 1. REPRESENTATION INDICATIVE DE QUELQUES ESPECES LIGNEUSES AU REGARD CRITERES POUVANT JUSTIFIER LA MISE EN OEUVRE D'UN PROGRAMME D'AMELIORATION GENETIQUE

ESPECE Critère de choix
REPRESENTATION DES ESPECES DANS LES PROGRAMMES NATIONAUX DE REBOISEMENT (%)IMPORTANCE ECONOMICO/ECOLOGIQUEVARI-AB. GENETIQUE
AFRIQUE DE L'OUESTAFRIQUE DE L'EST
Burkina FasoCap VertGambie GabonMaliMauritanieNigerSénégalTchadNigériaCamerounSoudanEthiopieDjiboutiSomalieKenyaTanzanie(1)(2)(3)(4)
               [%][%]    
Faidherbia albida2,32,1-*1,2-2,42,72,8---7,6-**0,1**********
Acacia nilotica6,72,1-*0,7-6,23,05,2--7,46,39,2-0,4*******?
Acacia tortilis0,1---0,1-1,5-----6,16,9**2,1******?
Acacia senegal1,20,8-*0,6*2,56,23,8---5,4--2,3**********?
Azadirachta indica15,1  0,82,4*21,6  -7,32,717,2  ---3,30,5**1,2*******?
Balanites aegyptiaca0,0--*0,3-0,51,110,4  ----0,1**0,6******?
Boswellia spp.--------------**--********?
Eucalyptus camaldulensis26,1  4,82,3*22,7  -10,9  15,5  4,8--3,119,4  -**38,1  ***********
Khaya senegalensis0,71,410,1  **4,7-0,3----------*****?
Parkia biglobosa3,5-2,8***2,3-0,0----------******?
Prosopis juliflora2,733,0  0,1*2,6***37,8  15,3  24,7  --1,12,44,4**0,9********?
Pterocarpus erinaceus0,0--***0,0------------*****?
Ziziphus mauritiana1,32,30,0*0,6-3,20,92,1----0,7**-******?

Légende:
[%]: pourcentage par rapport aux espèces de zone sèche uniquement.
(1): importance économique au sens strict (monetaire).
(2): importance économique au sens large.
(3): importance écologique.
*: peut important
**: important
***: très important

Source: PROGRAMME REGIONAL DE SEMENCES FORESTIERES/CILSS, 1989 (CILSS/FAO/IUFRO), PROJETS NATIONAUX DE SEMENCES FORESTIERES DU SOUDAN, ETHIOPIE, DJIBOUTI, TANZANIE (FAO) ET KENYA, NIGERIA, CAMEROUN (FAO/IUFRO).

1 Manuscrit reçu en juin 1990

2 Comité Permanent Inter-états de Lutte contre la Sécheresse dans le Sahel

3 Haute Autorité Intergouvernementale contre la Sécheresse et pour le Développement.

4 Union Internationale des Organisations de Recherches


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