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STRATEGIES POUR L'ETABLISSEMENT D'UN RÉSEAU D'AIRES DE CONSERVATION IN SITU

Quatrième session de la FAO Commission des Ressources Phytogenetiques1
Note du Secrétariat CPGR/91/6 (Fev. 1991)

GENERALITES

  1. La conservation ex situ fait partie des grandes stratégies appliquées pour sauvegarder les ressources génétiques, notamment dans le cas des plantes cultivées dont la valeur actuelle est démontrée. Elle présente cependant certains inconvénients et devrait, chaque fois que possible, être complétée pour plus de sécurité par des stratégies de conservation in situ (sur place), afin d'assurer l'évolution constante des espèces.

  2. Depuis sa première session, la Commission ne cesse de souligner la nécessité de renforcer le réseau mondial des zones protégées, à l'appui des activités de conservation in situ. Le Centre mondial de conservation de Cambridge (Royaume-Uni) dresse périodiquement la liste des parcs nationaux et des zones protégées, sous l'égide des Nations Unies.

  3. A sa troisième session (1989), la Commission a réaffirmé la nécessité de poursuivre le soutien accordé au réseau de zones protégées, tout en demandant que l'on envisage aussi la possibilité de créer un réseau d'aires de conservation in situ, portant sur les ressources génétiques végétales et animales. Ce réseau aurait pour but de compléter les actuelles collections de base ex situ de ressources génétiques prioritaires.

  4. On entend par conservation in situ le maintien d'organismes reproducteurs dans l'aire où ils ont développé leurs caractères distinctifs ou, s'il s'agit d'organismes acclimatés, où ils ont été traditionnellement maintenus. Elle englobe la conservation, dans l'exploitation, de plantes semi-acclimatées et de cultivars primitifs, qui se développent en plein champ et sont utilisés par les communautés locales. La demande adressée par la Commission est étroitement liée à l'adoption, à sa troisième session, d'une résolution qui reconnaît les droits des agriculteurs et souligne leur rôle fondamental dans la conservation et le développement des ressources phytogénétiques.

ROLE DES AIRES PROTEGEES DANS LA CONSERVATION IN SITU DES RESSOURCES GENETIQUES

  1. Il existe un lien manifeste entre les aires protégées et les aires de conservation in situ. Toutefois, les premières ont généralement pour vocation de conserver la vie sauvage et les écosystèmes ou encore de sauvegarder des valeurs culturelles et des paysages naturels. Malgré leur importance en nombre et en superficie et bien qu'elles correspondent parfaitement à l'objectif pour lequel elles ont été créées, leur emplacement est rarement stratégique selon les critères de la génétique et de la biodiversité. Elles se trouvent le plus souvent dans des zones impropres au développement agricole et on les considère traditionnellement comme des territoires qui doivent être laissés à l'état sauvage ou primitif sans intervention, ou presque, de l'homme. Depuis quelques années, l'apparition de plusieurs problèmes fondamentaux a porté à réexaminer le rôle de l'aménagement des aires protégées, eu égard à leur maintien, leur représentativité et leur aptitude à protéger la diversité biologique, notamment les ressources génétiques importantes.

  2. Le principal intérêt des ressources phyto- et zoogénétiques (espèces spontanées et herbacées, souches primitives et races de terrain) est leur taux élevé de variabilité génétique inter- et intrapopulations, y compris les complexes de gènes coadaptés, représentant des traits valables ou potentiellement valables. La conservation in situ a pour principal objectif de préserver les espèces cibles dans leur habitat d'origine, afin de réduire au minimum la perte de variabilité génétique à tous les niveaux.

  3. Le fait de conserver un site dans son état naturel ou de garantir la survie d'une espèce donnée ne suffit pas, en soi, à préserver la variabilité génétique aux différents niveaux. Il est possible de conserver un écosystème tout en perdant certaines des espèces qui le composent, ou de conserver une espèce tout en perdant des populations génétiquement distinctes ou des gènes qui pourraient servir à l'amélioration future et à la survie de l'espèce.

  4. La conservation in situ exige un aménagement planifié et systématique d'espèces cibles bien identifiées, à l'intérieur d'un réseau d'aires de conservation visant à maintenir leur variabilité génétique intraspécifique. La fonction première de la conservation in situ des ressources génétiques n'est donc pas de sélectionner, délimiter et surveiller des aires protégées qui contiennent des ressources génétiques, mais de maintenir la variabilité génétique d'espèces cibles en choisissant parmi diverses formules d'utilisation des terres, qui soient acceptables sur le plan économique et social, à savoir: zones strictement protégées, réserves à usages multiples, forêts aménagées et agro-écosystèmes. Si, d'une façon générale, la conservation in situ des ressources génétiques en dehors des aires protégées - par exemple, dans des zones d'exploitation forestière - exige un aménagement et une contrôle plus intensif des espèces visées, ces zones ne sont pas moins compatibles que les aires strictement protégées avec la conservation génétique des espèces laissant l'objet d'une exploitation durable, ou des espèces qui leur sont apparentées.

  5. Il devrait donc être possible d'harmoniser la conservation in situ des ressources génétiques avec l'utilisation durable de la plus grande partie des terres d'un pays, en incorporant aux stratégies d'aménagement du territoire des mesures de conservation génétique in situ des espèces animales et végétales visées.

CONSERVATION IN SITU - BILAN

  1. Depuis la première session de la Commission en 1985, certains progrès ont été accomplis dans l'inventaire des espèces des zones protégées, l'établissement de cartes sur la distribution des espèces et leur habitat, et l'élaboration de stratégies nationales de conservation génétique. Cependant, les efforts déployés en matière de conservation in situ sont restés limités. Malgré certaines activités pilotes, on trouve difficilement des projets qui ont pour objectif déclaré la conservation in situ des ressources génétiques et dont les efforts d'aménagement génétique sont correctement planifiés d'un point de vue technique.

  2. Cette lenteur des résultats provient de carences aux niveaux international, national et local, notamment:

    1. les responsables n'ont pas toujours conscience des avantages économiques et écologiques, aussi bien dans l'immédiat qu'à long terme, que présente la conservation des ressources génétiques in situ;

    2. on manque de personnel qualifié et d'infrastructures appropriées à l'échelle locale et nationale;

    3. les espèces et les pools de gènes prioritaires ne sont pas identifiés aux niveaux local/national et international;

    4. on manque de connaissances sur la variabilité génétique intraspécifique et la biologie des espèces visées;

    5. il n'y a aucune coopération et coordination intersectorielles à l'échelle locale/nationale et internationale.

    Si l'on parvient à combler ces lacunes et à résoudre ces problèmes, il sera possible de mettre en place des réseaux efficaces de conservation in situ.

CONDITIONS NECESSAIRES A LA MISE EN PLACE DE RESEAUX DE CONSERVATION IN SITU

A. Renforcement des institutions

  1. Toute stratégie d'ensemble visant à créer des réseaux coordonnés d'aires de conservation in situ doit s'efforcer d'appuyer les communautés locales et de renforcer les institutions, les infrastructures et les compétences techniques des pays participants. Elle devra notamment évaluer et valoriser le rôle des associations communautaires et des agriculteurs dans ce domaine. Il est inutile d'entreprendre une action à l'échelle mondiale ou d'établir une liste des ressources génétiques prioritaires possédant une valeur socio-économique potentielle ou effective et de dresser l'inventaire des aires protégées, si les pays qui possèdent ces ressources ne prennent pas l'engagement ferme de les aménager de façon rationnelle. En outre, les pays doivent disposer des ressources humaines et financières nécessaires pour définir les priorités et coordonner les mesures à prendre, ainsi que pour surveiller et suivre les activités.

  2. Par conséquent, l'un des objectifs essentiels de la communauté internationale doit être d'encourager et d'aider les pays à renforcer ou à créer des centres de coordination des activités liées aux ressources génétiques. Ces centres devraient s'occuper de la conservation non seulement ex situ mais in situ, ainsi que de la gestion durable des écosystèmes naturels et aménagés, afin qu'ils continuent de servir d'habitat aux ressources génétiques prioritaires. Les centres de données, nationaux ou locaux, devraient coordonner leur action et échanger des informations avec les centres régionaux et mondiaux de données sur les ressources génétiques. Un tel dispositif d'intégration, qui n'existe pas encore, serait très utile pour promouvoir les échanges verticaux de renseignements.

B. Identification des espèces cibles

  1. La protection ou l'utilisation durable des écosystèmes peuvent contribuer à la conservation de la variabilité génétique des espèces qui les composent. Toutefois, l'emplacement des réserves diffère selon les espèces de manière à tenir compte de leurs variations intraspécifiques et des modalités d'aménagement. Ainsi, la planification et la programmation initiales devraient se faire au niveau de l'espèce et de sa variabilité intraspécifique et, par la suite, les différents réseaux pourraient être combinés dans la mesure du possible. La conservation in situ exige l'aménagement non seulement des espèces mais de l'habitat, afin de préserver la diversité génétique et de conserver des systèmes biologiques actuellement peu connus ayant évolué ensemble.

  2. L'identification et la reconnaissance officielle des ressources génétiques prioritaires et des pools de gènes à conserver sont indispensables à la mise en place de réseaux efficaces d'aires de conservation in situ. Il faudrait de toute urgence créer un centre d'information permettant de se faire une idée d'ensemble des ressources génétiquement importantes à l'échelle mondiale et des mesures à prendre pour les différents groupes d'espèces ou biomes. Pour ce faire, il faut déterminer l'utilité effective ou potentielle d'une espèce non pas en fonction de sa rareté, mais sur la base de critères courants définis avec précision.

  3. Pour devenir un instrument efficace de surveillance et d'analyse, un système mondial d'information sur a conservation génétique in situ doit puise ses renseignements auprès de programmes nationaux ou locaux ayant des activités suivies et intenses. Il faudrait, chaque fois que possible, établir des cartes sur la distribution de la variabilité intraspécifique, les rapports avec l'habitat et l'abondance relative. Rares sont les pays qui disposent de renseignements aussi détaillés, même pour des espèces végétales et animales bien connues, et il faudrait élargir les recherches en ce qui concerne la distribution, la variabilité, les schémas de variation, la biologie et la génétique des espèces prioritaires, ainsi que leurs interactions dans les écosystèmes naturels.

C. Elaboration de stratégies d'aménagement des ressources génétiques prioritaires

  1. Les ressources génétiques importantes devraient être aménagées selon un processus de planification tenant compte des besoins des populations viables, sur la base de la biologie des espèces visées ainsi que du niveau et de la distribution de leur variabilité génétique. Si une espèce donnée est présente dans différentes aires d'utilisation des terres (par exemple parcs nationaux et réserves forestières aménagées ou systèmes locaux d'exploitation), il faudrait mettre au point des critères permettant d'assurer la complémentarité des programmes d'aménagement.

  2. L'aménagement de la diversité biologique varie considérablement pour une même espèce et d'une espèce à l'autre, ainsi que selon les biotes, en fonction des techniques dont on dispose et surtout de la biologie de ces espèces. Par conséquent, même lorsqu'il existe un chevauchement géographique entre les espèces végétales et animales prioritaires devant être conservées in situ, les méthodes à appliquer pour leur aménagement peuvent être totalement différentes et exigent le savoir et les compétences de divers spécialistes. Une coordination sera donc nécessaire entre les organismes locaux et nationaux s'occupant de l'aménagement du territoire et des ressources naturelles et elle devra s'accompagner de liaisons intersectorielles et d'une collaboration avec des groupes de scientifiques et de techniciens, ainsi qu'avec les ONG.

  3. La planification de même que l'aménagement proprement dit sont des processus dynamiques, dont la première étape consiste à identifier les espèces visées et à définir les interventions spécifiques nécessaires pour maintenir la variation génétique à un niveau donné. Il faut accumuler sans cesse des renseignements sur l'espèce et son environnement, ainsi que des connaissances techniques et scientifiques sur la conservation in situ en général, ce qui exige une révision et une mise à jour régulières des plans et des réseaux. Tel est le case, en particulier, lorsqu'on veut évaluer la contribution des systèmes autochtones d'exploitation à la conservation, car les connaissances dans ce domaine sont très limitées.

D. Coordination internationale

  1. Etant donné que la conservation des ressources génétiques in situ est largement complémentaire des activités de développement, un grand nombre d'institutions et d'organisations nationales et internationales peuvent y apporter leur contribution et sont souvent chargées de le faire. Il faudrait intensifier les échanges d'informations et coordonner les efforts collectifs en les axant sur des activités spécifiques de manière à obtenir des progrès tangibles sur le terrain. L'actuel dispositif constitué par le Groupe de la conservation des écosystèmes et son Groupe de travail sur la conservation de la biodiversité doit être activé et considérablement renforcé2. Les ONG travaillant au niveau communautaire dans le domaine de la conservation et du développement durables de l'agriculture ou de la foresterie devraient également renforcer leurs efforts et leurs échanges mutuels de renseignements.

  2. A l'échelle internationale, il faudrait faire prendre conscience à l'opinion publique de l'importance de la conservation in situ et de l'aménagement des ressources génétiques; coordonner les échanges de données, de connaissances et d'expériences des services nationaux s'occupant des ressources génétiques; confronter l'expérience acquise par ces services (qui devrait refléter les activités des organisations gouvernementales et non gouvernementales du pays); faciliter le dialogue entre les pays en développement et la communauté internationale des donateurs; enfin, diffuser des renseignements sur les ressources génétiques prioritaires à l'échelle régionale et mondiale.

  3. Etant donné que son mandat lui confère des responsabilités et des compétences intersectorielles de portée mondiale, et qu'il établit un lien étroit entre la conservation des ressources et le développement durable, la FAO est l'organisation la mieux désignée pour prendre la tête des activités menées dans le domaine de la conservation in situ.

MESURES PROPOSEES

  1. La FAO devrait prendre immédiatement des mesures pour:

    1. identifier des espèces cibles sur la base des renseignements disponibles, valider les données sur la distribution des espèces recueillies auprès des banques de données nationales et internationales, ainsi que des centres de recherche (par exemple, sous forme d'herbiers) et collaborer étroitement avec les programmes nationaux afin de définir des zones prioritaires pour la conservation in situ de ces espèces, à l'intérieur et à l'extérieur des aires protégées;

    2. élaborer des directives en matière d'aménagement sur la base des renseignements disponibles et des recherches effectuées par les instituts nationaux et les collectivités locales, à l'appui des mesures de conservation et d'aménagement préconisées;

    3. contribuer à mettre en place un petit nombre de réseaux pilotes in situ pour chaque grande catégorie, par exemple: races de terrain et cultures apparentées; arbres forestiers et polyvalents; animaux domestiques et sauvages.

  2. Dans les réseaux pilotes in situ, il faudrait étudier tout particulièrement le rôle des systèmes locaux d'exploitation et leur contribution aux efforts de conservation. Ces efforts devraient être secondés et, dans la mesure du possible, élargis grâce au renforcement des organisations gouvernementales et communautaires intéressées. Toutes les activités de conservation in situ devraient être fondées sur une approche collective conférant à la population et aux associations locales un rôle décisif dans la formulation, la planification et l'exécution des projets.

  3. Parallèlement aux activités susmentionnées, il faudrait chercher à créer, dans les différents pays, des centres nationaux s'occupant des ressources génétiques ou à renforcer ceux qui existent déjà. Le Plan d'action forestier tropical, lancé par la FAO en 1985, donne des exemples qui illustrent les activités de tels centres, leur coordination à l'échelle mondiale, ainsi que les coûts et les investissements y afférents (voir Programme sur la conservation des écosystèmes forestiers tropicaux du PAFT).

  4. Des perspectives d'avenir s'ouvriront à la conservation in situ si l'on met en place un Système mondial d'information et d'alerte rapide et si l'on soumet à la Commission des rapports sur l'état des ressources génétiques mondiales; il est vivement recommandé d'élaborer et de créer rapidement un tel système.

  5. Comme nous l'avons souligné plus haut, la clé du succès se trouve dans la prise de conscience des problèmes et de leur solution. La FAO devrait continuer à publier et à diffuser largement des informations pratiques sur la conservation in situ à tous les niveaux - décideurs, techniciens, associations locales et grand public.

La Commission a en principe appuyé l'action proposée et convenu que la conservation in situ complète la conservation ex situ dans les stratégies de conservation phytogénétique. Elle a “réaffirmé la nécessité de mener systématiquement des enquêtes et inventaires des plantes afin d'aider à definir les expèces prioritaires comme une première étape dans des programmes rationnels de conservation in situ. Les espèces prioritaires devront être choisies sur la base de critères bien définis et acceptés; il faudre tenir compte non seulement de la rareté mais aussi de la valeur socio-économique et du risque d'appauvrissement et de diminution des ressources génétiques. Il faudra synthétiser les priorités locales et nationales pour pouvoir défiir les priorités au niveau global”.

Le Département des forêts de la FAO donne suite en conséquence.

1 Rome, Italie, 15–19 avril, 1991

2 Les organisations ci-après font actuellement partie du Groupe de la conservation des écosystèmes: FAO, Unesco, PNUE, UICN, PNUD et WWF (Fonds mondial pour la nature).


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