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La régénération des forêts indiennes: expériences d'aménagement forestier en partenariat

M. Poffenberger et S. Singh

Mark Poffenberger est chargé de recherche à la faculté des ressources naturelles de l'Université de Californie à Berkeley.
Samar Singh est secrétaire adjoint de la Mission nationale pour la mise en valeur des terres incultes au Ministère de l'environnement et des forêts à New Delhi.

Des expériences menées récemment dans les Etats du Bengale occidental d'Haryana du Gujarat d'Orissa et du Jammu-Cachemire ont montré que lorsque l'administration forestière collabore intelligemment avec les collectivités rurales les problèmes de gestion peuvent être surmontés dans l'intérêt de tous. Au lieu de se dégrader peu à peu sous l'effet du surpâturage et des coupes abusives les terres boisées peuvent commencer à se régénérer de façon spectaculaire. A mesure que les arbres repoussent la productivité générale de la forêt augmente qu'il s'agisse des fourrages du bois de feu ou d'autres produits qui jouent un rôle crucial dans le contexte socio-économique d'une société agraire.

Le présent article décrit des expériences faites au Bengale occidental et au Gujarat par des forestiers et des administrateurs des forêts ainsi que par des organisations non gouvernementales et des chercheurs qui ont essayé de trouver les moyens d'amener l'administration forestière et les collectivités locales à collaborer à l'aménagement des terrains forestiers appartenant à l'Etat

Forêt de sal (Shorea robusta) dégradée par le surpâturage et les coupes, dans le sud-ouest du Bengale

Depuis le milieu du 19e siècle, une grande partie des terres boisées du sous-continent indien ont été déclarées propriété de l'Etat et placées sous la seule tutelle des administrations forestières publiques. Il en est résulté une érosion continue des systèmes d'aménagement traditionnels et des droits d'usufruit de millions de ruraux. En 1980, l'Etat administrait près de 23 pour cent du territoire indien, laissant quelque 300 millions d'utilisateurs des ressources rurales sans droits ni responsabilités, ou presque, en matière d'utilisation et de protection des forêts. Cette situation a donné lieu à des affrontements directs avec des intérêts commerciaux, d'une part, et les collectivités locales, de l'autre. Les désaccords sur les priorités en matière d'aménagement ont conduit à des modes d'exploitation forestière abusifs et accéléré la dégradation du vaste domaine forestier.

On estime qu'au début des années 70 l'Inde perdait plus de 1 million d'ha de terres boisées chaque année sous l'effet de l'exploitation commerciale et de pressions locales croissantes. Les planificateurs et administrateurs des forêts à l'échelon national se sont peu à peu rendu compte que les politiques forestières et les méthodes de gestion officielles ne répondaient pas aux besoins des ruraux. Pour tenter de remédier à cette situation, le Gouvernement indien a lancé un vaste programme forestier à l'échelon des exploitations agricoles et des collectivités locales. Toutefois, ces activités n'étaient pas à la hauteur des défis posés par l'aménagement des forêts naturelles. Fort heureusement, dans un certain nombre d'Etats indiens, certaines collectivités et certaines administrations forestières, inquiètes de la dégradation de l'environnement et de la pénurie croissante de ressources, ont lancé des expériences informelles de gestion participatoire des terres boisées de l'Etat Avec des budgets souvent insignifiants, les villageois et le personnel de terrain ont réussi à contrôler l'accès aux forêts et, ce faisant, à atténuer les pressions exercées sur les forêts naturelles et à permettre aux écosystèmes perturbés de commencer à se régénérer naturellement. Les activités de protection des forêts menées par les collectivités sont aujourd'hui de plus en plus nombreuses et diverses en Inde. Le présent article traite des expériences menées au Bengale occidental et au Gujarat, où les collectivités participant à ces expériences bénéficient du soutien actif de l'administration forestière.

Expériences menées au Bengale occidental

L'administration forestière du Bengale occidental travaille depuis une dizaine d'années avec des milliers de communautés tribales et autres à mettre en place des systèmes d'aménagement locaux visant à protéger et à régénérer les forêts naturelles dégradées dans toute la partie sud-ouest de l'Etat Plus de 2000 collectivités rurales gèrent 250000 ha de forêts naturelles, devenues luxuriantes depuis que les villageois ont commencé à lutter contre le pâturage, les coupes de bois de feu et les incendies de forêt (voir carte). Les forêts en cours de régénération procurent désormais aux communautés rurales participantes une vaste gamme de produits, plantes médicinales, fibres, fourrage, bois de feu et denrées alimentaires.

L'émergence de systèmes d'aménagement mixte: 1972-1984

En 1970, l'atmosphère dans le sud-ouest du Bengale était tendue. Les populations tribales pauvres exploitaient avidement les forêts de sal, tandis que l'administration forestière demandait l'aide de la police pour protéger les peuplements forestiers qui subsistaient. En outre, des entrepreneurs louaient les services de populations tribales des communautés avoisinantes pour couper du bois de feu, ce qui accélérait encore le déboisement.

En 1972, un nouveau responsable de district pour les forêts a été affecté au district de Purulia, au Bengale occidental. Au début, il a organisé avec la police locale des descentes dans les villages et les points de vente du bois de feu pour arrêter les contrevenants. Tant que ces contrôles ont duré, les coupes illégales ont diminué, mais elles ont refait surface dès que les autorités ont été occupées ailleurs. Comprenant que le problème du déboisement ne peut être résolu par la force, le responsable de district a commencé à travailler avec ses agents de terrain pour engager le dialogue avec les communautés. A l'occasion de réunions de village, il a examiné les problèmes de déboisement et proposé aux collectivités d'assumer une partie des tâches de protection contre un dédommagement en bois de feu et autres produits forestiers. Sur une période de trois ans, 25 comités de protection de la forêt se sont ainsi constitués dans le district de Purulia: toutefois, le responsable du district n'avait pas autorité pour officialiser ce partenariat.

Dans une autre partie du sud-ouest du Bengale, à Arabari, où se trouve une petite unité de recherche forestière, des essais de plantation de sal autochtone (Shorea robusta), de teck, d'eucalyptus et d'autres essences ont été faits. Mais les villageois continuaient à couper du bois de feu et à faire paître leur bétail sur les parcelles expérimentales, faisant échouer régulièrement les essais. Frustré, le responsable de district a décidé de rencontrer les habitants des 10 villages voisins d'Arabari. Pour commencer, il a offert aux villageois des emplois dans les plantations en échange d'un engagement de leur part à cesser tout pâturage et toute coupe sur le site de la recherche. Faute d'un budget suffisant et de possibilités d'emploi, il a dû par la suite modifier l'accord, promettant aux villageois 25 pour cent du bois de sal et des droits sur tous les produits forestiers non ligneux. Cet accord a plu aux villageois qui ont cessé de faire paître leur bétail et d'abattre les arbres et ont commencé à protéger la forêt des incursions étrangères.

Les accords d'aménagement mixte conclus à Arabari et à Purulia au milieu des années 70, bien que fructueux, sont restés pendant 10 ans des cas isolés. Bien qu'ils aient été suivis d'un certain nombre d'efforts analogues, les accords conclus étaient purement officieux et devenaient en général caducs lorsque le responsable des forêts était muté, c'est-à-dire habituellement après trois ans.

Expansion spontanée: 1985-1989

En 1986, le responsable de district qui avait lancé l'expérience d'aménagement mixte à Purulia au début des années 70 a été nommé conservateur des forêts pour la région sud-ouest du Bengale occidental. Il a immédiatement demandé aux responsables des divisions d'encourager le personnel de terrain à collaborer avec les collectivités locales.

Pour accélérer la formation de groupes locaux de gestion communautaire ou de comités de protection de la forêt, le conservateur a mis au point un système de surveillance des responsables locaux de façon à récompenser ceux qui obtenaient les meilleurs résultats. Les dirigeants politiques et responsables de panchayats locaux, informés de la nouvelle stratégie du département, ont commencé à adresser des messages de soutien aux collectivités. Les comités de protection des forêts, qui étaient quelques dizaines dans la région en 1985, se sont multipliés pour atteindre en 1988 le nombre de 1300. Ils se trouvent dans les districts de Midnapore, Bankura et Purulia et veillent désormais sur 152000 ha de terrain forestier.

Etude de cas: comité de protection de la forêt de Chingra

Dix villages se trouvent en bordure de la forêt de Chingra Mouza dans le district de Midnapore, dans le sud-ouest du Bengale, près de la frontière Orissa-Bihar. Il y a un siècle, la communauté tribale Munda de Chinga vivait au cœur d'une forêt dense de sal (Shorea robusta) dont les arbres pouvaient avoir un diamètre supérieur à 1 m. La région était peu peuplée et la forêt n'était guère exploitée. Il arrivait qu'on abatte des arbres pour construire des charpentes de toit, fabriquer des charrues et des manches de hache et satisfaire d'autres besoins domestiques, mais ces coupes n'avaient qu'un effet négligeable sur la densité de la forêt. Les villageois tiraient de la forêt de nombreux produits, notamment des denrées alimentaires complémentaires. La forêt protégeait également la communauté des vents et des tempêtes, ainsi que de la chaleur estivale, et conservait ses ressources en eau.

Zone aménagée par les comités de protection des forêts dans le sud-ouest du Bengale

Forêt de sal (Shorea robusta) en voie de repeuplement naturel après deux années de protection par un groupe d'aménagement communautaire, dans le sud-ouest du Bengale

Au cours de la première moitié du 20e siècle, les forêts du sud-ouest du Bengale ont été exploitées les unes après les autres pour fournir des traverses de chemin de fer au réseau ferroviaire en expansion de l'Inde. Une fois coupées, toutefois, les souches de sal donnent des taillis sains puis de nouveaux arbres. Pendant les an nées 60 et 70, l'administration forestière a accordé des permis d'exploitation à des entrepreneurs qui ont utilisé la main-d'œuvre villageoise pour exploiter la région. La population rurale en expansion de la région a également trouvé dans la coupe de bois de feu un moyen pratique d'accroître les revenus du ménage. Après les sécheresses de 1981-1982, les récoltes de riz de mousson ont été anéanties. Désespérés, les habitants des villages de la région se sont attaqués en masse à ce qui restait des forêts de sal pour se procurer du bois de feu à vendre et créer des pâturages. Bovins et caprins ont consommé ou piétiné les jeunes pousses de sal à mesure qu'elles apparaissaient, et les systèmes racinaires ont commencé à mourir. La couverture morte exposée a progressivement perdu sa couche superficielle par érosion aquatique et éolienne.

Les jeunes gens de Chingra ont pris conscience de la dégradation de leur environnement et de la dépréciation des forêts. Ils avaient souvent entendu les vieux parler des magnifiques forêts qui entouraient autrefois le village et de leurs multiples bienfaits. En 1984, un jeune homme nommé Mahadev Munda Singh a rendu visite au forestier local et lui a demandé s'il pouvait reconstituer la petite plantation d'eucalyptus sur le terrain forestier. Le forestier a dégagé une petite somme sur les fonds du Département des forêts pour aider Mahadev à créer une pépinière. Celui-ci a planté les semis avec des amis. Il a encouragé 10 membres du club de jeunes de son village à protéger avec lui les jeunes arbres. A mesure que les arbres poussaient, les jeunes ont constaté que les sals et d'autres plantes de la forêt commençaient à leur tour à pousser rapidement.

Le club de jeunes a demandé au forestier de placer 50 ha supplémentaires de forêt naturelle de sal sous leur protection. Ils lui ont demandé la moitié des produits tirés de la forêt pour financer leurs activités et le forestier a accepté. Le sal a commencé à son tour à se régénérer. Le groupe a progressivement étendu ses activités de protection aux 450 ha de la réserve en bordure du village. Lorsque les gens des communautés avoisinantes venaient couper du bois de feu, les jeunes gens essayaient de leur expliquer qu'il fallait protéger la forêt et que celle-ci répondrait mieux à leurs besoins s'ils lui laissaient le temps de se régénérer. Ils ont convaincu leurs propres familles de ne pas laisser le bétail paître dans la forêt protégée et ont chassé les animaux venus des autres villages. Au bout de trois mois, les jeunes pousses de sal régénérées atteignaient 1,2 m ou plus de hauteur et étaient hors de la portée du petit bétail.

Constatant les succès remportés par le groupe de Chingra, les autres villages ont commencé à envisager de protéger les forêts proches de leurs propres communautés. Pour les encourager, le responsable local des forêts a organisé des réunions avec les villageois, en invitant à chaque fois Mahadev et ses amis à parler de leurs activités et de leurs espoirs concernant la régénération de la forêt. En 1988, neuf des dix communautés vivant en bordure des forêts de Chingra protégeaient leur forêt de sal dont les arbres atteignaient des hauteurs de 4 à 6 m. Un sous-bois dense de plantes grimpantes, d'arbrisseaux, d'herbes et de petits palmiers est apparu.

Beaucoup de réunions intervillages ont été organisées depuis trois ans pour mettre au point des accords, régler les différends, repousser les utilisateurs extérieurs, déterminer les responsabilités en matière de protection du territoire et répartir les droits d'usufruit entre les communautés participantes.

Le cas de Chingra illustre le caractère décentralisé des comités de protection de la forêt. Il illustre également la manière dont des animateurs de village comme Mahadev ont réussi à travailler avec les agents de terrain et les communautés avoisinantes pour identifier les zones forestières à protéger et conclure des accords, tout en repoussant les utilisateurs extérieurs. Si les agents forestiers de terrain ont contribué à faciliter ce processus en encourageant les réunions et en autorisant les activités de protection communautaires, ce sont souvent les comités eux-mêmes qui ont pris l'initiative d'organiser et d'installer des contrôles opérationnels sur l'accès aux forêts.

Chaque fois qu'une communauté entreprenait des activités de protection, elle suscitait des émules parmi les villages voisins. Les villages négociaient et examinaient ensemble les problèmes et les besoins en matière d'aménagement forestier, sans nécessairement attendre que l'administration forestière prenne des décisions. C'est cet effet catalytique ou «réaction en chaîne» au niveau des communautés qui explique apparemment la multiplication des contrôles localisés de l'accès aux terrains forestiers publics dans le sud-ouest du Bengale. Il est probable que si les administrations forestières d'autres Etats indiens lançaient des programmes d'aménagement mixte analogues, ceux-ci bénéficieraient de l'appui concret de communautés préoccupées elles aussi par la dégradation de leur environnement.

Forestier et chef de tribu dans une forêt de sal régénérée en vertu d'un accord d'aménagement en partenariat

Expériences faites dans l'état du Gujarat

Le sud-est du Gujarat, peuplé de diverses communautés tribales, était, il y a quelques décennies encore, couvert de bonnes forêts de teck. Au début des années 80, outre les coupes officielles pratiquées par le Département des forêts, les opérations illégales pour lesquelles on recrutait de la main-d'œuvre tribale se sont multipliées. Constatant le développement rapide de l'exploitation de la forêt par les étrangers, les villages tribaux de Bhil, Chowdhury, Gamit et Vasava, qui, depuis des générations, utilisaient les forêts environnantes de manière raisonnable, sont entrés dans la course au profit tiré de la forêt. Outre les concessions légales et illégales, quelque 10000 villageois ont entrepris de couper du bois de feu à des fins commerciales, accélérant encore la dégradation de la forêt. Le Département des forêts a bien tenté de lutter contre ces activités illégales, mais il s'est vite trouvé dépassé, faute de personnel suffisant. En outre, comme au début des années 80 il mettait lui aussi l'accent sur l'exploitation, ses paroles semblaient en contradiction avec ses actes.

En 1986, le gouvernement a interdit pour cinq ans l'exploitation de toutes les réserves et de tous les terrains forestiers protégés. Après avoir cessé toute activité d'exploitation, l'administration des forêts du Southern Circle a pris des mesures sévères contre les entrepreneurs illégaux, arrêtant 11000 personnes en 1986 et 1987 et saisissant 130 véhicules. Toutefois, les efforts faits pour modifier les modes d'exploitation de la forêt se sont heurtés à la résistance des coopératives locales de main-d'œuvre forestière, qui tiraient leur subsistance des opérations d'exploitation, et les tensions avec les communautés tribales se sont beaucoup aggravées.

Le conservateur du Southern Circle a décidé d'organiser une campagne de grande ampleur pour encourager les communautés tribales à protéger et à aménager les ressources forestières. Le conservateur et d'autres fonctionnaires de rang élevé ont travaillé avec les chefs de tribu pour parvenir à un consensus sur l'importance de la protection forestière et mettre au point des stratégies économiques visant à compenser le manque à gagner. Des stages d'éducation et des réunions ont été organisés, auxquels ont participé jusqu'à 5000 personnes. Quatre cents chefs de tribu ont été identifiés et invités à transmettre le message à leur communauté. En même temps, le conservateur a compris que, pour être efficace, la participation de la communauté devrait reposer sur un accord et des rapports de travail clairement définis.

Selon la procédure actuellement en vigueur, au cours des premières réunions, le personnel des administrations forestières discute avec les villageois des problèmes de déboisement et des effets de l'érosion du sol et de la perte d'humidité sur la disponibilité de bois de feu et de fourrage. Le programme de régénération prévoit que si le village constitue un comité Vana Samraksan Samiti (VSS) et protège la forêt dégradée, il peut partager les produits du nouveau peuplement. Les villages participant au programme se voient en général confier de 25 à 100 ha à gérer. Lorsque la superficie totale est très importante, les villages commencent avec une parcelle, puis prennent en charge d'autres parties de forêt dégradée au fil des années. Le comité VSS, composé d'un membre de chaque famille du village, est chargé d'organiser des rondes de surveillance parmi ses membres, par roulement, avec la participation de toutes les familles du village. Ces activités de surveillance visent à développer chez les familles participantes le sens des responsabilités en matière de protection et le sens de la propriété sur les produits.

Dans les zones forestières dégradées, les emplois qui consistent à débroussailler et à couper les taillis difformes sont réservés en priorité aux membres du comité VSS. Ces activités produisent environ une demi-tonne de bois de feu par hectare, attribuée dans sa totalité aux membres du VSS. Ceux-ci reçoivent également tout le petit bois résultant des éclaircies annuelles des rejets de teck. Dans les parties dénudées de la forêt en voie de repeuplement, qui représentent quelque 10 pour cent de la superficie totale, on plante des essences importantes pour les villageois, comme le mahua, le bambou, le ber, etc. Lorsque des fonds sont disponibles, le Département des forêts fournit également des semis pour des activités de foresterie à l'échelle de l'exploitation et des appareils permettant d'économiser l'énergie, comme des fourneaux améliorés et des générateurs de gaz (produisant du méthane à partir du fumier).

Le gouvernement du Gujarat vient d'approuver officiellement le programme; il est prêt à financer l'expansion du projet et à accorder aux comités VSS participants 25 pour cent du bois de teck parvenu à maturité, en plus du bois de feu et du bois de construction destinés à des activités de subsistance. Les communautés participantes ont également droit à tous les produits forestiers non ligneux comme les fourrages, combustibles secs, fruits, gommes, semences et feuilles. L'une des premières communautés à participer au programme a été celle de Gamtalao Khurd.

Etude de cas: village de Gamtalao

Le village de Gamtalao est situé dans la partie est du district de Surat. Il comprend 88 foyers, qui sont tous membres de la tribu Chowdhury. Le terrain est vallonné, avec des forêts sur les collines et des cultures dans les plaines. La superficie moyenne des exploitations agricoles est de 1,7 ha par ménage. Sur un total de 280 ha, 50 pour cent sont des terrains boisés appartenant au gouvernement. Il y a 20 ans, ces terres étaient couvertes de peuplements denses de teck, khair (Acacia catechu), mahua (madhuca spp.), bambou et autres essences locales. Entre 1978 et 1981, toutefois, le Département des forêts a exploité cette zone, abattant tous les gros arbres ayant une valeur commerciale. Ensuite, les villageois se sont mis à ramasser les rémanents et les broussailles pour se procurer du bois de feu et à faire paître leurs animaux sur les collines. Le résultat final a été la dénudation progressive des collines et la disparition accélérée du sol, notamment pendant la mousson. Au début des années 80, le Département des forêts a tenté de replanter la zone exploitée avec des eucalyptus, mais presque tous les efforts de reboisement échouaient au bout de trois ans, du fait que la population laissait paître les animaux et coupait les gaules pour en faire du bois de feu.

En 1987, le Département a fait une autre tentative de reboisement avec des Acacia auriculiformis. Toutefois, après être allé sur les lieux, le conservateur de district s'est rendu compte que les villages s'intéressaient très peu à l'acacia. En outre, il a remarqué que l'ensouchement de teck était encore en bonne condition, avec plus de 2000 souches par hectare, et pouvait produire des rejets. Le conservateur et son personnel ont organisé une série de réunions avec les villageois au début de 1988 et proposé un partenariat de gestion. Le conservateur a expliqué aux villageois que le teck pousserait rapidement s'ils cessaient de faire paître leurs animaux et de couper leur bois dans les zones boisées. Il a précisé qu'ils pourraient encore couper la plus grande partie du taillis, à condition de laisser la pousse la plus saine sur chaque souche devenir un arbre adulte. De cette façon, les villageois pourraient encore régénérer la forêt, sans perdre beaucoup de bois de feu.

Evolution des modes d'utilisation du sol dans le village de Gamtalao

Les villageois ont jugé l'offre du conservateur intéressante. Depuis qu'ils participaient à un projet de coopérative laitière, ils s'étaient mis à nourrir les karbaux en étable pour accroître leur production de lait. Ils avaient pris une concession pour la coupe de fourrage sur un terrain situé assez loin du village, ce qu'ils trouvaient peu commode. Le conservateur leur a expliqué que, grâce aux activités de protection, les terrains boisés voisins leur fourniraient davantage d'herbages et de fourrages. Les villageois y ont vu une incitation supplémentaire. Sur la base de ces discussions, ils ont donc décidé, en 1988, de constituer un comité de protection de la forêt (Samiti) chargé au départ d'un terrain de 25 ha. En 1989, ce terrain s'est agrandi de 60 ha, puis de 20 ha supplémentaires. Le village voisin de Phulbari, constatant le succès de l'opération de régénération menée à Gamtalao, a demandé lui aussi à protéger un terrain boisé voisin.

Depuis que la communauté a commencé à protéger ses terres boisées en 1988, la croissance du taillis de teck a été rapide, les arbres atteignant aujourd'hui 4 à 5 m de hauteur (voir figure). En outre. avec l'aide du Département des forêts, les villageois ont aussi planté des essences comme le bambou, le mahua, le hardu, le kalam, le bera, l'imli et d'autres essences locales polyvalentes dans les espaces libres entre les tecks. Presque toutes les plantations ont été faites par ensemencement direct, ce qui a permis un bon taux de survie et de croissance. Dans les zones particulièrement dénudées, qui représentent environ 10 pour cent de la superficie, des villageois recrutés par le Département ont creusé des poquets et planté des semis élevés en pépinière pour un coût de 600 roupies à l'hectare.

Le village a tiré de cette opération des bénéfices substantiels. En 1988/89, l'essartage des terrains forestiers a procuré 12 tonnes de bois de feu, plus 50 tonnes de fourrage. En 1989/90, la production de fourrage atteignait déjà 180 tonnes. Les chefs de village signalent que 40 pour cent du fourrage qu'ils utilisent proviennent désormais de la forêt, cette proportion étant encore plus élevée pour les familles pauvres en terres. Ils estiment également que le fourrage forestier est plus nutritif à cause du mélange d'herbes et de feuilles d'arbres, et que c'est grâce à la productivité accrue des terrains boisés en fourrage que les villageois ont pu ajouter 35 buffles et 12 vaches à leurs troupeaux en 1989.

Les chefs de village ont noté que, même sans l'accord de partage du bois, la régénération de la forêt a déjà procuré aux villageois suffisamment de fourrage et de bois de feu pour qu'ils se sentent dédommagés de leurs efforts pour protéger la forêt.

Conclusions

Les systèmes d'aménagement forestier actuellement en vigueur en Inde ont beaucoup de mal à entretenir les écosystèmes forestiers naturels. Des images obtenues par satellite indiquent que ce qui reste des forêts naturelles de l'Inde est en voie de dégradation rapide. L'épuisement des ressources forestières entraîne l'appauvrissement des communautés qui en dépendent. Lorsque des forêts disparaissent, des centaines de millions de ruraux perdent leurs sources de combustible, de fourrage, de denrées alimentaires, de matières premières pour l'industrie et de médicaments. Avec le couvert végétal, c'est le sol et l'eau qui disparaissent, laissant la terre plus sèche et moins fertile. Les forêts naturelles de l'Inde jouent un rôle immense dans la satisfaction des besoins de 50 millions de personnes. Si le gouvernement devait subvenir lui-même à ces besoins, cela lui coûterait des centaines de millions de dollars. Le déboisement et la pauvreté, les déplacements de populations et les bouleversements qu'ils causent peuvent aussi entraîner des problèmes économiques et autres.

Il n'est pas déraisonnable de dire que la valeur commerciale du bois et de la pâte extraits des forêts naturelles est bien moins importante pour la nation que le rôle joué par ces forêts dans l'alimentation et l'entretien de la population rurale et la conservation du sol et de l'eau. Il est évident également que les départements forestiers ne disposent pas des moyens suffisants pour protéger de vastes superficies. Ces deux conclusions montrent qu'il conviendrait de réorienter les systèmes d'aménagement forestier pour tenir compte du point de vue des communautés rurales et permettre à celles-ci de participer aux activités de protection et d'aménagement des forêts. Cela implique un changement de politique, de méthodes et d'attitudes.

Les directives nationales publiées le 1er juin 1990 sont favorables à une telle évolution. Par chance, des efforts sont faits, comme le montre le présent article, dans plusieurs régions de l'Inde pour appliquer concrètement cette nouvelle politique. Les systèmes d'aménagement participatifs ouvrent des perspectives nouvelles et prometteuses pour l'aménagement des forêts, non seulement en Inde mais dans le reste du monde. Cette approche permet d'espérer que les forêts naturelles survivront et procureront des bénéfices à long terme aux générations actuelles et futures.


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