CONSERVATION DES RESSOURCES GENETIQUES FORESTIERES ET DES ECOSYSTEMS FORESTIERES EN MALAISIE

Saw Leng Guan
Forest Research Institute Malaysia (FRIM) ¹
Kepong, Kuala Lumpur 52109
Malaisie

INTRODUCTION

La Malaisie possède des écosystèmes de forêt ombrophile tropicale parmi les plus complexes au monde. Son climat est dans l'ensemble de type tropical maritime. C'est d'autre part un pays relativement peu étendu - environ 330 000 km², soit à peu près la superficie des îles Britanniques. Cependant, la combinaison d'un climat chaud équatorial en de caractéristiques géographiques, édaphiques et climatiques variées a doté la Malaisie d'une très grande richesse d'espèces végétales et animales. Le pays reste en majorité couvert de forêts, avec un taux de boisement de 59%, en dépit du fait que dans la période récente une partie de ces forêts du fait du developpement de l'agriculture et d'exploitations non planifiées de bois d'oeuvre.

Nous nous intéresserons dans cet article aux ressources génétiques forestières indigènes de la Malaisie, à leur diversité, à leur état actuel et à leur conservation.

LA GRANDE DIVERSITE DE LA FLORE MALAISE

La fore de la Malaisie est extrêmement riche, et on peut estimer prudemment à quelque 12 500 le nombre de ses espèces de plantes supérieures (angiospermes et gymnospermes). La péninsule malaise (Malaisie Péninsulaire et Singapour) possède environ 7 900 espèces et 1 500 genres de plantes supérieures (Whitmore, 1973), tandis que le nombre d'espèces présentes dans l'île de Bornéo (Malaisie insulaire - Sabah et Sarawak -, Brunei et Kalimantan) est estimé à quelque 9 000. (Merrill, 1921).

Ces deux régions possèdent d'autre part un grand nombre d'espèces endémiques. En Malaisie Péninsulaire, par exemple, où la flore est mieux connue, Ng et al. (1990) ont conclu que sur 2 830 espèces arborescentes 746, soit 26,4%, sont endémiques, tandis que, en ce qui concerne les plantes herbacées, Kiew (1990a) estime que le degré d'endémisme est considérablement plus élevé. Bien qu'on ne puisse donner de chiffres pour toutes les espèces herbacées leur taxonomie étant encore incomplète, Kiew (1990a) présente des estimations pour certains genres importants: plus de 40 espèces endémiques dans les genres Sonerila (Mélastomatacées), Argostemma (Rubiacées), Didymocarpus (Gesnériacées), Begonia (Bégoniacées), ce qui représente entre 87% et 96% d'endémiques chez ces espèces.

On a estimé qu'environ 50 pour cent des plantes de Bornéo sont endémiques. Van Steenis (1950), comparant les genres endémiques de la région du Sud-Est asiatique, place Bornéo comme ayant le plus grand nombre de genres endémiques (Tableau 1). Lamb (1990) estime qu'au moins 40% des orchidées de Bornéo sont endémiques, estimant en outre leur nombre à environ 3 000, soit 10% des orchidées du monde. Ce degré élevé d'endémisme est confirmé par certains autres genres importants qui ont déjà été révisés dans le cadre du projet Flora Malesiana. Dans la famille des Diptérocarpacées, par exemple (Ashton, 1982), 36% des 41 espèces de Dipterocarpus connues à Bornéo sont endémiques, ainsi que 52% des 42 espèces de Hopea, 65% des 35 espèces de Vatica, et 64% des 127 espèces de Shorea. Le degré d'endémisme est encore plus élevé dans les genres principaux de la famille des Ericacées (Sleumer, 1966): 82% des 34 espèces de Rhododendron, 92% des 41 espèces de Diplycosia, et 92% des 39 espèces de Vaccinium.

Tableau 1 Genres endémiques dans la région entourant la Malaisie (van Steenis, 1950)

La richesse de la flore est attestée par certaines études récentes. Par exemple, dans la forêt de plaine à diptérocarpacées de la Réserve forestière de Pasoh, on a compté sur une parcelle de 50 ha 820 espèces appartenant à 294 genres et 78 familles d'arbres de 1 cm ou plus de diamètre à hauteur d'homme (Kochummen et al., 1990). On y a dénombré 76 espèces d'arbres connus pour produire des fruits comestibles (Saw et al., 1991) avec une diversité particulièrement élevée d'espèces sauvages de manguier (Mangifera, Anacardiacées, 12 spp), de mangoustan (Garcinia, Guttiféracées, 13 spp), d'arbre à pain (Artocarpus, Moracées, 12 spp) et de ramboutan (Nephelium, Sapindacées, 5 spp).

Les écosystèmes forestiers de Malaisie sont décrits dans la notice d'une carte de la végétation de la région malaise récemment publiée (Whtimore, 1984). On pense que l'évolution de ces écosystèmes est la résultante de trois facteurs liés entre eux: le climat, le sol et la communauté végétale. Le climat de la Malaisie est influencé principalement par l'altitude (et donc les températures) et la pluviométrie, l'altitude étant le facteur principal. La géologie détermine également des types de forêt différents. Le Tableau 2 énumère les principaux écosystèmes forestiers de Malaisie. Les variations les plus importantes en ce qui concerne la flore et la faune se rencontrent dans la forêt ombrophile tropicale de basse altitude.

Tableau 2 Principaux écosystèmes forestiers de Malaisie

Forêt de climax climatique
Forêt ombrophile tropicale sempervirente de basse altitude

• Forêt à diptérocarpacées de plaine
• Forêt à diptérocarpacées de basses collines
• Forêt à diptérocarpacées de hautes collines

Forêt ombrophile tropicale de basse montagne
Forêt ombrophile tropicale de haute montagne
Végétation subalpine inférieure
Forêt saisonnière semi-sempervirente

Types de forêt liés aux facteurs édaphiques
Forêt de bruyères (ou Keranga/Kerapa)
Forêt sur substrat calcaire
Forêt sur affleurements ultrabasiques
Végétation de rivage
Forêt de mangrove
Forêt de marécage saumâtre
Forêt de tourbière
Forêt de marécage d'eau douce
Forêt de marécage saisonnier

ETAT ACTUEL DES RESSOURCES FORESTIERES DE MALAISIE

La Malaisie es encore en majorité couverte de forêts, et on comptait 19,4 millions d'hectares de forêts naturelles en 1990 (Anon., 1991), soit un taux de boisement de 59%. Le Tableau 3 indique les principaux types d'utilisation des sols en Malaisie. Il fait ressortir l'importance du couvert forestier naturel, qui se situe principalement en Malaisie orientale, l'Etat de Sarawak ayant à l'heure actuelle la plus grande surface de forêts naturelles avec un taux de boisement de 70%. La Malaisie Péninsulaire, qui est plus peuplée et a un niveau de développement plus élevé, le taux de boisement était estimé en 190 à 47% (Tableau 4).

Tableau 3 Principaux modes d'utilisation des terres en Malaisie (Anon., 1991)

Sur ce total de surfaces boisées, 12,5 millions d'hectares ont été classés comme Domaine forestier permanent, en accord avec la politique forestière nationale. Le Domaine forestier permanent comprend essentiellement des forêts affectées exclusivement aux activités forestières. La Loi forestière nationale de 1984 définit les modes d'utilisation de ces forêts. Environ 9,09 millions d'hectares sont classés comme forêts de production, aménagées principalement en vue de la production ligneuse selon le principe du rendement soutenu. Le reste, soit 3,65 millions d'hectares, est classé comme forêts de protection, dont le relief est trop accidenté pour permettre l'extraction de bois, ou dont le couvert forestier est essentiel pour la préservation de l'environnement (par exemple bassins versants, réserves de jungle vierge, aires de conservation de la faune, zones d'agrément). Les zones boisées en dehors du Domaine forestier permanent comprennent les parcs nationaux, la sanctuaires de vie sauvage et les forêts d'Etat.

Tableau 4 Surfaces boisées par région en Malaisie (x 1000 ha)

Source:  ¹ Anon (1988). Annual Report of the Sabah Forest Department.
² Anon (1991). Forestry in Sarawak, Malaysia. For. Dept. Kuching, Sarawak.
³ Anon (1990). Forestry in Malaysia, Ministry of Primary Industry, Malaysia.

SITUATION ACTUELLE DE LA CONSERVATION DES ECOSYSTEMES EN MALAISIE

Selon la législation et la réglementation en vigueur, les plantes et les animaux se trouvant dans les parcs nationaux et parcs d'Etat et dans les sanctuaires de vie sauvage sont entièrement protégés contre toute intervention humaine. La Malaisie a au total 1,1 millions d'hectares de parcs et sanctuaires. Le plus grand parc, Taman Negara, est situé en plein centre de la péninsule malaise, et comprend 437 340 ha de forêt primaire. La plupart des grands types de forêt sont couverts par le réseau actuel de parcs.

Une deuxième catégorie d'aires protégées fait partie du Domaine forestier permanent: ce sont les réserves de jungle vierge et les aires de protection de la faune sauvage. Ces dernières n'existent qu'au Sabah (Tableau 4). Cette catégorie comprend au total 249 000 ha de forêt primaire protégée.

En outre, 907 000 ha de forêt primaire sont proposés pour la conservation au Sarawak et en Malaisie Péninsulaire, au titre de parcs d'Etat ou de sanctuaires de vie sauvage (Tableau 5).

Tableau 5 Aires de protection totale proposées en Malaisie (x 1000 ha)

¹ Nyui (1991).

² Ce chiffre représente une partie des surfaces de sanctuaires de vie sauvage de Malaisie Péninsulaire en cours de classement comme parcs d'Etat.

Si on inclut les aires protégées proposées, la surface totale de forêt primaire soumise à divers degrés de protection s'élève à 2 268 000 ha, soit 6,8% du territoire national.

ECOSYSTEMES INSUFFISAMMENT PROTEGES A L'HEURE ACTUELLE

Bien que la surface totale protégée apparaissant importante, cela n'implique pas que tous les écosystèmes de Malaisie soient entièrement protégés à l'heure actuelle.

Par exemple, il n'y a aucune protection légale des forêts poussant sur collines calcaires. On trouve de telles collines de place en place dans le réseau de parcs, et on en trouve également dans les réserves forestières (Kiew, 1991), mais la majorité se trouve en terrain domanial non protégé, et sont soumis à des influences extérieures. La principale menace pour cet habitat est représentée par l'extraction de pierre à chaux et de matériaux pour la construction et les routes.

Il existe aussi des lacunes dans la conservation des forêts de bruyère du Sarawak. D'autres exemples de zones nécessitant une attention urgente sont le plateau de Merurong, la végétation de tourbière dans le bassin du Binio, et les monts Bungoh (Bruenig, 1991).

L'ensemble d'aires protégées actuelles ne comprend pas non plus de zones strictement protégées pour les mangroves. Ong & Gong (1991) ont proposé qu'une surface d'environ 30 000 ha, soit 5% de la surface totale de ce type de végétation, soit classée comme parc national, en y incluant tout l'ensemble des écosystèmes de mangrove depuis la zone de transition d'eau douce à l'intérieur jusqu'aux mangroves d'eau salée au voisinage de la mer. De même, les forêts de tourbière du sud de la péninsule malaise, qui sont encore assez étendues, ne sont pas actuellement protégées. Celles de l'Etat de Selangor ont presque totalement disparu, en raison principalement de leur conversion à l'agriculture et de l'exploitation forestière incontrôlée. Il est donc nécessaire de prendre des mesures de protection également pour cet habitat.

En outre, il faudrait créer un autre parc dans le nord de la Malaisie Péninsulaire pour conserver la flore et la faune caractéristiques de cette région. La Réserve forestière de Belum, dans le nord de l'Etat de Perak, n'a pas été bien prospectée botaniquement, mais on pense qu'elle recèle une riche flore.

AMENAGEMENT FORESTIER

Le réseau actuel d'aires strictement protégées est par lui-même insuffisant pour protéger la variation génétique au niveau des écosystèmes et des espèces, et au niveau intraspécifique. Le Domaine forestier permanent comprend de vastes surfaces supplémentaires de forêts naturelles, qui constituent un important réservoir de ressources génétiques forestières. Une partie de ces forêts sera exploitée principalement pour la production ligneuse, mais une telle utilisation est dans la plupart des cas compatible avec la conservation des ressources génétiques des essences exploitées, grâce à des prescriptions d'aménagement appropriées et un contrôle adéquat de l'exploitation forestière.

Afin d'incorporer dans l'aménagement forestier les préoccupations de conservation génétique, il est nécessaire d'inventorier les ressources existantes. On ne dispose pas à l'heure actuelle de réperetoires statisfaisants de la flore des aires protégées et des forêts classées, à quelques exceptions près telles que cedlui du Parc national du Mont Kinabalu établi par Beaman & Beaman (1990). De nouvelles recherches sur des sujets tels que la taxonomie sont également nécessaires.

CONCLUSION

Les ressources forestières de Malaisie sont à ce jour encore relativement intactes. Toutefois, depuis quelques années, elles sont menacées par l'exploitation forestière excessive et les changements dans l'utilisation des terres. Dans un pys en développement comme la Malaisie, une protection totale de ces ressources n'est ni possible, ni désirable d'un point de vue social, économique ou génétique. Il est par conséquent urgent d'élaborer des plans d'aménagement qui garantissent que des écosystèmes, des espèces et des ressources génétiques uniques ne soient pas érodées, menacées ou détruites par une exploitation inconsidérée, et qui fournissent un cadre dans lequel la conservation des ressources génétiques pourra être rendue compatible avec une exploitation forestière ordonnée. Un aménagement forestier rationnel est la clef de la conservation.

REMERCIEMENTS

J'exprime ici mes remerciements à M.K.M. Kochummen pour ses commentaires et suggestions sur mon manuscrit original.

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Anon. 1988 Annual Report of the Sabah Forest Department. For. Dept. Sandakan. Sabah.

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¹ Manuscrit reçu le 30 juin 1992