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Légalisez-la! La participation communautaire à la gestion des ressources naturelles

P.E. Wynter

Pauline E. Wynter est directrice principale de projets à la Tropical Research and Development Inc., en Floride (Etats-Unis). Elle était auparavant conférencière en écologie à l'Université Eduardo Mondlane, au Mozambique.

Dans de nombreux pays d'Afrique, les changements constitutionnels en faveur d'un processus démocratique offrent la possibilité d'intégrer les pratiques et les institutions locales dans les cadres administratifs et juridiques qui déterminent la gestion des ressources naturelles. Pour que les services forestiers nationaux délèguent les responsabilités de gestion aux niveaux du district et du village, il faut reconnaître les institutions villageoises et les renforcer sur les plans juridique et administratif Le présent article décrit les institutions villageoises qui régissent l'utilisation des terres sur la petite île d'Inhaca, au Mozambique; il tire ensuite quelques conclusions permettant de débattre de l'avenir de la gestion des ressources du pays.

Dans l'Afrique post-coloniale, les tentatives de réglementer de nouveaux systèmes de tenure se sont concentrées sur la mise en place de mécanismes en faveur de la tenure franche par des particuliers. Il semble qu'elles visent uniquement à fournir un cadre juridique susceptible de promouvoir le développement économique de la production de marché. En conséquence, la grande variété des systèmes de tenure autochtones, qui régissent l'utilisation des ressources naturelles aux fins de subsistance, est généralement restée mal comprise et en dehors de la loi codifiée.

Pour justifier sur le plan économique l'octroi de titres de propriété clairs comportant des droits héréditaires, on avance que cela encouragera l'investissement à long terme et améliorera la productivité. Les gestionnaires de l'utilisation des terres définissent l'investissement en termes de capacité des sols à produire sur une longue durée.

Toutefois, Bruce et Freundenberger (1992), après avoir examiné une série d'études comparatives, ont découvert que les pays qui possèdent des systèmes juridiques fournissant une tenure sûre, par l'octroi officiel de titres de propriété avec des droits héréditaires, ne bénéficient pas ipso facto de meilleures pratiques d'utilisation des terres que les pays où le système de tenure n'est pas codifié. Des investissements à long terme étaient ou n'étaient pas réalisés sous les deux régimes juridiques, indépendamment de la sécurité juridique formelle. Bruce et Freundenberger (1992) en concluent que l'on exagère l'insécurité de tenure dans les cadres juridiques coutumiers ou autochtones. Cette constatation suggère qu'il existe plusieurs façons de parvenir à la sécurité de tenure, et qu'il est utile de réexaminer les institutions juridiques autochtones pour y trouver une source de stratégies et de réglementations en faveur de la mise en valeur durable des ressources forestières. A cette fin, le présent article examine les pratiques de gestion des ressources locales sur l'île d'Inhaca, au Mozambique.

L'île d'Inhaca

L'île d'Inhaca est située à 40 km au large de la côte de Maputo. Elle s'étend sur 44 km² et compte environ 7 000 habitants, qui vivent dans des villages regroupés en trois bairros. Un tiers de l'île a été déclaré zone protégée et se compose de forêt terrestre et de mangrove. Dans la zone protégée, les habitants sont autorisés à exploiter le bois d'œuvre pour construire des maisons et à cueillir des plantes à des fins médicales ou culinaires, mais il leur est interdit de défricher la forêt pour cultiver.

La pêche est une occupation essentielle. La mer et les marées déterminent le rythme des journées. La zone intertidale est la plus intensivement exploitée. La partie côté terre, sur le littoral abrité, est couverte de forêt marécageuse de mangroves, alors que la partie située vers la mer reçoit les déchets des mangroves et les nutriments. Ainsi, à Inhaca, la pêche dépend de la forêt. En d'autres termes, les crustacés sont le produit forestier le plus précieux.

Utilisation des mangroves

Les habitants de l'île tirent des mangroves trois types de produits: les produits non ligneux, qui comprennent les invertébrés marins et des plantes comestibles; du bois de construction; du bois de feu pour traiter les produits de la pêche. Une étude sur l'exploitation de la mangrove, effectuée en 1990, montre que des ressources forestières spécifiques sont exploitées par des groupes sociaux distincts (Wynter, sous presse). L'utilisation de chaque espèce est guidée par un ensemble de règles légèrement différentes, et les nouveaux besoins en ressources de la mangrove sont définis en fonction des concepts de l'utilisation de la forêt qui existent au sein de la communauté.

L'écosystème de mangrove est essentiel à la vie villageoise sur l'île d'Inhaca

Produits non ligneux. Les femmes de l'île d'Inhaca s'occupent principalement d'exploiter la zone intertidale. Elles ramassent de nombreux produits de la mangrove, notamment des crustacés (tant pour la consommation des ménages que pour la vente), des plantes comestibles et de la boue pour le sol des maisons. Elles exploitent la mangrove la plus proche de leur village, mais, si de plusieurs villages on peut accéder à pied à la même mangrove, des zones sont attribuées à chacun d'entre eux. Toutes les femmes d'un village peuvent ramasser n'importe quelle espèce aux fins de consommation du ménage, mais seules quelques femmes peuvent ramasser les espèces destinées à être vendues. La délimitation des zones de collecte réduit au minimum les conflits entre les villages, tandis que la distinction entre la collecte pour la consommation des ménages et celle pour le commerce offre un filet de sécurité à tous, tout en protégeant l'accès privilégié.

Bois d'oeuvre. La production ligneuse la plus importante est le bois de construction, coupé par les hommes. Les espèces de la mangrove, imprégnées de tanin, sont très recherchées pour leur résistance aux termites et autres térébrants. Deux espèces, Rhizophora mucronata et Bruguiera gymnorhizza, atteignent une taille qui convient à leur utilisation comme piquets et perches de construction. Une troisième espèce, Ceriops tagal, est de petite taille, et ses branches souples sont utilisées pour maintenir les poteaux qui forment la charpente traditionnelle des maisons. Seule l'espèce C. tagal se trouve en abondance, alors qu'il ne reste pratiquement plus aucun spécimen exploitable de B. gymnorhizza. Il convient de remarquer que bien que la coupe du bois soit un travail d'homme, les femmes se rendent plus souvent dans la mangrove et ce sont elles qui indiquent où trouver les plus grands arbres. De ce fait, le bois de construction tend également à être récolté dans la zone attribuée à chaque village. Les habitants des villages où l'on ne trouve pas de bois d'œuvre adapté dans les mangroves voisines tendent à acheter des perches de palétuvier sur le continent (Wynter, sous presse).

Bois de feu. Bien que les études scientifiques et l'expérience en général en Afrique de l'Est désignent Rhizophora mucronata comme la meilleure espèce pour le bois de feu, les habitants d'Inhaca n'utilisent pas cette espèce favorite (Costa, 1988), lui préférant Avicennia marina, espèce à valeur calorique nettement inférieure (Bunster et Karlberg, 1988). Ils n'utilisent pas non plus R. mucronata pour sécher le poisson ou les concombres de mer. Apparemment, ils se privent des avantages à court terme présentés par l'utilisation de certaines espèces comme bois de feu, afin de garantir le caractère durable de la ressource.

Les stratégies clés de gestion dans le système d'Inhaca sont résumées dans le tableau. Le concept prioritaire est de limiter le nombre de personnes qui exploitent une zone de la forêt ou de la plage, ou bien un puits. Le deuxième point à retenir est que les villageois ne font pas la distinction entre ressources forestières, agricoles ou halieutiques pour les intégrer dans des systèmes séparés. Chaque famille, mais pas nécessairement tout le monde, consacre du temps et du travail à chaque activité. La clé du fonctionnement de ce système réside dans les relations entre les groupes et les sous-groupes d'utilisateurs. Les liens de parenté et les relations avec les chefs de village servent à obtenir et à conserver l'accès à des ressources et à des endroits spécifiques. Les modèles de comportement sont intériorisés et présentés comme inviolables; les activités inappropriées sont condamnées par la société. Ce système se fonde sur un mélange de propriété privée et collective. Il s'agit à présent de déterminer si ce système écologiquement viable de gestion des ressources du village peut entrer dans un cadre juridique général et de quelle manière il peut le faire, et de trouver les moyens de l'institutionnaliser.

La propriété foncière après l'indépendance

En 1975, date de son indépendance, le Mozambique a pris deux décisions importantes relatives aux systèmes autochtones d'utilisation des terres. Toutes les terres ont été placées sous le contrôle de l'Etat et ne pouvaient être que louées, et non pas achetées. Le gouvernement a également retiré son soutien aux autorités locales traditionnelles - les chefs de village - dans un effort pour mettre fin au système administratif colonial local, perçu comme corrompu et rétrograde.

Cette décision ne visait pas à modifier le système de tenure, mais c'est bien ce qui se passa, car les chefs se trouvaient au sommet du système autochtone d'utilisation des terres et arbitraient également en dernier recours la répartition des ressources en terre, en eau et en forêt au sein de la communauté. En les reléguant dans des limbes officielles, on a créé un vide dans le processus de distribution des terres (Wynter, sous presse). Les décisions étaient prises dans la capitale et les administrateurs fraîchement nommés, souvent originaires d'une autre province, ne possédaient ni les compétences ni les informations requises pour juger la situation dans les campagnes, et ils étaient le plus souvent incapables de fournir des informations en retour adéquates.

Dans le même temps, tandis que les chefs étaient officiellement dépossédés de toute autorité, ils restaient extrêmement importants dans la réalité du village. Par exemple, la population d'Inhaca s'est accrue de manière spectaculaire après 1979, en raison de la diminution du nombre de contrats offerts aux Mozambicains pour travailler dans les mines sud-africaines, et de la politique prise en conséquence par le Gouvernement du Mozambique de rapatrier les chômeurs de Maputo en 1982. La population d'Inhaca est passée de 3 500 habitants en 1979 à 7 000 en 1983. La pression exercée sur les terres arables s'est accentuée, ment dans les deux bairros qui avaient perdu une partie de leurs terres à la suite de la création de zones protégées. Les habitants de l'île cultivaient les zones protégées, en dépit du fait qu'une enquête indiquait que, dans un bairro au moins, de vastes superficies de terre non classées restaient en friche. Le maire de Maputo, auquel l'administrateur d'Inhaca rendait des comptes, se rendit sur l'île pour distribuer officiellement ces terres disponibles. Les semaines passèrent, les pluies aussi, mais la terre n'était toujours pas cultivée. Après une enquête plus approfondie, on découvrit que personne n'utilisait les terres distribuées par le maire car, pour les villageois, elles étaient sous le contrôle du chef, et celui-ci n'avait pas accordé son autorisation. Par ailleurs, les villageois ne voulaient rien demander au chef car ils pensaient qu'il voudrait une compensation. Les habitants préféraient courir le risque de défricher la terre située dans la zone protégée plutôt que celle appartenant au chef. Les panneaux placés dans la réserve et le garde forestier suffisaient à indiquer que cette zone n'était plus sous le contrôle du chef, mais ne suffisaient pas à montrer que l'Etat sévirait s'ils l'utilisaient. Les habitants estimaient qu'ils couraient moins de risques d'être punis en défrichant les terres de l'Etat qu'en exploitant les terres du chef. En créant les réserves, l'Etat avait transformé un système d'accès fermé en un système d'accès ouvert.

Règles de gestion dans un village d'Inhaca

Activités villageoises

Résultat

Concept

Accès aux zones forestières réservé aux résidents d'un village

Nombre d'utilisateurs limité à la taille du village

Accès limité

Grandes forêts divisées entre les villages. Chaque village en détient une partie à son usage exclusif

Le libre accès aux terres communales est fermé

Propriété collective

Récolte d'espèces commerciales limitée à un sous-groupe ce villageois (Wynter, 1993)

Réduction de la pression sur la ressource

Accès limité

Récolte de certaines espèces rares limitée a des périodes spécifiques (Wynter, 1992)

Chaque membre d'un groupe d'utilisateurs a des chances équitables ce récolter une espèce rare et l'espèce est protégée contre la récolte continue

saisons terminées

Récolte sélective d'espèces pour ces utilisations différentes

Préservation de la forêt et ces autres habitats

Récolte sélective

Propriété individuelle des arbres fruitiers qui ne poussent pas sur des terres appartenant à ces particuliers

Accès exclusif aux fruits d'un arbre sans posséder la terre sur lequel cet arbre pousse

Droits d'usufruit

L'intérêt d'un groupe pour une espèce particulière est communiqué, même si la raison de cet intérêt n'est pas claire

Attirer l'attention de la communauté sur le fait qu'une espèce est utile et requise par un sous-groupe

Flux de l'information

Règle villageoise insistant sur la nécessité absolue d'utiliser ou non certaines espèces

Protéger les espèces contre des exploitations injustifiées

Norme sociale

Conférer à certaines espèces, comme Sclerocarya birrea, et à des sites, comme les emplacements funéraires, une signification spirituelle, pour les protéger

Protection absolue contre l'abattage

Croyances sacrées/religieuses

Les femmes et les hommes exploitent des espèces différentes et ont des créneaux de production différents. La modification des approches en matière de gestion et de législation foncière tend à priver les femmes de leurs droits

Utilisation des espèces et des emplacements différenciée selon le sexe

Spécificités de chaque sexe

En 1990, le Mozambique a adopté une nouvelle constitution, avec un système électoral fondé sur le pluripartisme. Elle ouvrait la voie à l'expansion d'une administration professionnelle et à la décentralisation institutionnalisée de la prise de décision loin des capitales nationales et provinciales et en faveur du district et des échelons inférieurs. En outre, entre 1975 et 1990, le Mozambique a élaboré un code juridique national, que les juges provinciaux ont interprété à la lumière de la perception locale de la justice. En conséquence, une masse hétérogène d'arrêts juridiques s'est développée. La nouvelle constitution ne reconnaît pas spécifiquement ces arrêts, mais elle ne les interdit pas non plus. Ainsi, les concepts juridiques locaux concernant la terre et ses produits peuvent entrer de deux manières dans le code écrit: par la voie législative ou par le biais des tribunaux.

Institutionnaliser la participation locale

Pour que les gestionnaires des ressources puissent tirer parti de la possibilité offerte par les changements politiques, il faut considérer les questions suivantes:

· la capacité des fonctionnaires provinciaux à traiter de manière adéquate les questions de gestion des ressources, dans un contexte où ils devront considérer les requêtes de la hiérarchie et des communautés locales;

· la capacité du cadre juridique de protéger efficacement les droits de propriété traditionnels des villageois;

· les moyens de surveiller les approches participatives locales pour évaluer leur viabilité.

Participation locale «du sommet vers la base»

Pour trouver la réponse à ces questions, il est utile d'examiner d'autres expériences dans la région. Un examen attentif de deux tentatives visant à déléguer la gestion des ressources au niveau des villages, pour lesquelles on dispose de documents abondants, est instructif: le programme CAMPFIRE (Communal Areas Management Programme for Indigenous Resources) au Zimbabwe; et l'ADMADE (Administrative Management Design) et Zambie (voir Murindagomo, 1992; et Lewis, Mwenya et Kaweche, 1990). Ce deux programmes partaient du principe que la détérioration de la faune et de la flore sauvages ne pourrait être freinée que si les populations locales avaient un intérêt économique à leur conservation. En Zambie, l'objectif était de protéger le animaux de la chasse illégale, et la clé de la participation locale a été le soutien accordé par les chefs locaux aux activité de protection. Les chefs ont renforcé leur autorité grâce au contrôle de la faune sauvage. Au Zimbabwe, on visait à préserver les terres destinées à la faune sauvage. Avec le programme CAMPFIRE on s'est assuré la participation locale en transférant les bénéfices des safaris de chasse lucratifs aux personnes qui vivent sur les aires de parcours de la faune sauvage, en échange de quoi elles ne cultivent pas les libres pâturages où paissent les animaux sauvages. Dans les deux cas, la participation locale est une tactique visant à atteindre les objectifs nationaux de conservation. Les organismes de protection créés à l'échelon national sont insérés dans le cadre administratif déjà en place au niveau du district et du village. Il s'agit essentiellement d'une approche du sommet vers la base.

Restructuration de l'administration rurale

Une autre approche consiste à ne pas se contenter de réorienter certains programmes ministériels mais également à renforcer l'administration provinciale pou une vaste gamme de décisions. En 199 le Gouvernement du Zimbabwe restructuré l'administration des zones rurales. Il visait expressément à prendre de mesures pour garantir que la planification commencerait «au plus bas niveau et ne serait pas imposée du sommet» (Gouvernement du Zimbabwe, 1990). L'un des objectifs était de déléguer aux conseils ruraux de district (RDC) l'autorité de prendre des décisions concernant l'utilisation des ressources en terres, en eau et en forêt au sein du district; toutefois, il est utile de voir dans quel contexte ces RDC doivent travailler. Le premier problème que rencontrent ces nouveaux RDC concerne l'établissement de relations de travail entre les deux administrations, qui ont été regroupées pour former le RDC dans chaque district, à savoir le District Council et le Rural Council for White and Black Farmers. Il semble que le succès dépendra de la capacité de chaque RDC à répondre équitablement aux besoins des différentes communautés ethniques, dont les ressources économiques sont disparates. Le professionnalisme du personnel des RDC sera donc probablement la clé de leur succès. Non pas que les RDC doivent parvenir à l'harmonie raciale pour fonctionner, mais en fonctionnant ils engendreront l'harmonie. La diversité sociale et culturelle est également un facteur déterminant dans la plupart des provinces du Mozambique, et le professionnalisme requis pour harmoniser une telle diversité sera tout aussi important. La formation continue des fonctionnaires au niveau du district et de la province constitue l'un des domaines où les organismes de gestion des ressources doivent intervenir. Il est inutile de dispenser à tous les fonctionnaires une formation en foresterie ou en biologie halieutique, mais les fonctionnaires du district doivent être en mesure d'évoquer avec les techniciens les problèmes concernant les ressources. Par ailleurs, puisqu'on cherche à stimuler la participation locale, les techniciens aussi bien que les fonctionnaires doivent être formés de manière à refléter cette nouvelle approche, et il faut donc leur inculquer les connaissances nécessaires pour examiner et évaluer les besoins des systèmes villageois.

Instruments juridiques

Les droits auxquels aspirent les communautés rurales, comme les habitants d'Inhaca concernent l'utilisation de façon temporaire d'espèces précises qui se trouvent en plusieurs endroits. En d'autres termes, chaque zone peut engendrer autant de droits d'exploitation qu'il y a de produits exploitables, et chaque droit peut être détenu par plusieurs personnes à la fois. Le problème est de reconnaître ces droits et d'éviter un système d'accès ouvert et gratuit pour tous. Au Botswana, on a utilisé des certificats pour octroyer aux occupants illégaux des droits d'usage sûrs et négociables (Dickson, 1990), et on pourrait peut-être adapter cette méthode aux ressources forestières chevauchantes.

Aucune forme de propriété à elle seule, qu'il s'agisse de tenure à bail ou de tenure franche, ne sera adaptée à la variété des liens juridiques qui régissent l'exploitation des ressources naturelles en milieu rural. Les rapports décrits pour l'île d'Inhaca sont l'expression de concepts ruraux relatifs aux espèces, à l'espace, aux relations sociales et à la justice.

Ce sont surtout les femmes qui, entre les marées, récoltent de nombreux produits dans les mangroves

Comme le montre l'exemple d'Inhaca nombre de ces concepts sont analogues à ceux qui sous-tendent la gestion prétendument moderne des ressources naturelles. En outre, les relations sociales, les liens de parenté, la distribution des tâches selon le sexe et l'autorité du chef de village représentent autant de moyens qui permettent d'appliquer les concepts.

Limiter l'accès à une partie de la forêt à un village est une première étape vers la fermeture de l'accès et l'allégement de la pression exercée sur la ressource. Le fait que ce concept d'entrée limitée existe déjà est très utile, et les chefs de village peuvent accroître leur pouvoir en affinant le concept par l'utilisation de mécanismes tels que licences et certificats; la durée ces documents peut être limitée au temps nécessaire pour remplir les objectifs de gestion.

Les chefs de village prennent des décisions concernant une vaste gamme d'utilisation des terres. Certaines se rapportent aux droits d'usufruit et d'autres à l'octroi de droits individuels sûrs permettant de cultiver la terre. Comme les chefs de village sont intégrés dans la hiérarchie administrative à l'échelon du district et de la province, il faut que leurs activités cessent d'être obscures et inconnues pour devenir explicites.

La délégation et la décentralisation suggèrent que l'autorité qui était détenue au niveau central retourne au niveau local. Toutefois, il faut se garder de conclure qu'il suffit de déplacer le centre de prise de décision. Si l'on entend agir dans un processus démocratique, il faut que ce déplacement ne soit pas uniquement géographique. Les décisions qui étaient prises ou rejetées dans les systèmes forestiers, halieutiques ou de parcours doivent être prises après délégation, en tenant les autorités centrales parfaitement informées et avec la possibilité d'obtenir des informations en retour et des conseils techniques par l'intermédiaire des organismes centraux de gestion, et parfois des tribunaux. Elles doivent être prises dans le cadre des pratiques locales, avec le bénéfice de la recherche et des autres expériences rapportées par les gestionnaires des ressources.

Comme le Mozambique envisage de remanier le gouvernement local, les forestiers et les autres responsables de la gestion des ressources ont la possibilité de contribuer à concevoir un système qui s'inspire des points forts des communautés locales et de la capacité de leurs institutions pour parvenir aux objectifs nationaux d'exploitation durable des ressources. Pour cela, toutefois, la gestion des ressources communautaires doit être un processus décentralisé où s'imbriquent les principes de gestion et les principes communautaires. Cette gestion doit en effet s'imprégner des conceptions villageoises de l'exploitation et de la distribution des ressources naturelles.

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