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Evolution des tendances de la politique forestière en Amérique latine: Chili, Nicaragua et Mexique

G. Castilleja

Guillermo Castilleja est fonctionnaire principal chargé de programmes au Fonds mondial pour la nature (WWF) des Etats-Unis.

Cet article analyse l'évolution des politiques forestières de trois pays latino-américains, qui est due en grande partie à la transformation des marchés, à une sensibilisation croissante aux questions écologiques et à la prise de conscience des droits des indigènes sur la terre.

Récemment encore, le marché des produits forestiers était relativement fermé en Amérique latine. Bien que le volume de bois sur pied soit deux fois plus important que celui de l'Asie et du Pacifique réunis, les exportations de produits forestiers des pays d'Amérique latine représentaient, en 1980, moins d'un cinquième de celles des pays d'Asie et du Pacifique (Banque mondiale, 1992).

Au milieu des années 80, cependant, l'essor de l'industrie papetière au Chili et au Brésil, dont le taux de croissance atteignait respectivement 10 et 19 pour cent (Banque mondiale, 1992), a fait prendre conscience du potentiel inexploité de la région. Au Chili, les exportations forestières ont presque doublé depuis deux ans, s'établissant à quelque 1,2 milliard de dollars U.S. en 1992 (Anon., 1992).

Ce succès du Chili a fortement influencé des pays tels que la Colombie, le Venezuela et le Mexique, qui mettent maintenant en œuvre des politiques d'exportation analogues à celles qui ont permis de développer ce secteur au Chili.

L'optimisme en ce qui concerne le développement à venir du secteur en Amérique latine se fonde non seulement sur l'essor du marché asiatique pour le bois de pâte à fibres longues et courtes, pour lequel la région semble bénéficier d'un avantage relatif (Reed, 1992), mais aussi sur l'idée que l'Amérique latine pourrait supplanter l'Asie au cours des prochaines décennies en tant que principal exportateur de bois de feuillus tropicaux (Grainger, 1987).

Toutefois, une pression souvent inattendue de l'opinion publique force les responsables politiques à admettre que, pour promouvoir les investissements dans ce domaine, il leur faudra tenir compte de considérations autres que la simple valeur commerciale.

Reconnaître les valeurs environnementales

La reconnaissance des valeurs environnementales est capitale pour l'aménagement des forêts, notamment dans les zones dotées d'une biodiversité variée ou unique et/ou dont l'exploitation du bois est particulièrement dangereuse (Panayotou et Ashton, 1992). Le débat public porte souvent sur la question de savoir si une zone donnée devrait être déclarée interdite à l'exploitation commerciale. Les organismes forestiers peu accoutumés à l'intervention du grand public et souvent préoccupés par les pertes financières liées au retrait de la production de zones ou de ressources controversées ont d'abord réagi en restant sur la défensive. Plus récemment, toutefois, les services d'Amérique latine ont lancé des opérations de planification - dans certains cas, dans le cadre du Programme d'action forestier tropical - qui classent les forêts en diverses catégories, comme les aires de conservation, de protection et de production commerciale. Bien que cette désignation ne constitue pas en soi une garantie de conservation, la superficie forestière protégée légalement de l'exploitation commerciale du bois et de la conversion a augmenté sensiblement au Brésil, en Colombie, en Equateur, au Mexique et au Nicaragua.

Cette mise hors exploitation coûte cher, mais la création de parcs et de sites protégés n'a cependant pas atténué la pression des écologistes sur l'industrie forestière. Les écologistes ont lancé un défi peut-être encore plus difficile en demandant l'adoption de l'aménagement durable des forêts principe rarement appliqué en Amérique latine (Synnott, 1988). Indépendamment des problèmes techniques, l'enjeu n'était pas avant tout de promulguer des lois requérant l'établissement de plans d'aménagement des forêts pour obtenir des permis d'exploitation. (Les nouvelles lois forestières du Mexique, du Honduras, du Nicaragua et du Chili contiennent des clauses dans ce sens.) Le problème le plus délicat est peut-être que l'aménagement durable des forêts exige une surveillance accrue de la part des autorités forestières au moment même où les politiques officielles encouragent la croissance économique par le biais de la libération des activités commerciales et de la réduction de la participation de l'Etat. En outre, dans de nombreux cas, les incitations commerciales à l'aménagement durable des forêts ne jouent pas encore réellement car souvent l'augmentation des coûts liée à l'aménagement n'est pas encore compensée par un meilleur accès aux marchés.

Le statut des communautés indigènes

Les responsables politiques qui s'efforcent de promouvoir l'investissement dans le secteur forestier doivent aussi aborder la question du statut des territoires indigènes et du régime des ressources forestières. Plus de 80 pour cent des superficies boisées d'Amérique latine sont domaniales (FAO, 1982), et, dans la plupart des pays, les ressources forestières - qu'elles soient situées sur des terrains publics ou privés - appartiennent à l'Etat (Katz, 1975). Les concessions d'exploitation du bois d'œuvre accordées par l'Etat sont par conséquent un moyen courant pour les investisseurs d'accéder à de vastes zones boisées.

Toutefois, les politiques de concessions ne reconnaissent guère le droit coutumier d'utilisation et de propriété des terres des populations indigènes vivant sur les «terres domaniales». Par exemple, tandis que la majeure partie des forêts de la Mosquitia hondurienne est considérée par l'Etat comme territoire national, les cartes des territoires indigènes montrent que seule une petite fraction de la zone n'est pas occupée (Herlihy et Leake, 1992). Pourtant, les communautés indigènes de la Mosquitia ne possèdent aucun docu ment légal qui assure leurs droits sur ces forêts. Cette contradiction pourrait provoquer de graves conflits, comme l'a montré récemment la réaction de l'opinion devant les tentatives du Gouvernement hondurien d'octroyer des concessions forestières dans la Mosquitia à des sociétés d'exploitation étrangères. L'antagonisme entre accès juridique et accès coutumier aux ressources forestières est apparu également en Bolivie, en Equateur et en Colombie, et oblige de plus en plus les responsables politiques à intégrer les droits des communautés indigènes dans les politiques forestières nationales.

Les questions environnementales et indigènes influent sur les politiques forestières nationales à des degrés différents suivant les pays. Toutefois, comme les pays de la région ont beaucoup de problèmes communs et disposent d'un cadre juridique analogue pour les résoudre, les solutions adoptées par un pays sont vraisemblablement applicables dans d'autres. Les exemples suivants montrent comment les divers défis auxquels l'Amérique latine doit faire face ont récemment façonné les politiques forestières nationales.

Chili

L'essor spectaculaire de l'industrie forestière au Chili est exceptionnel dans le contexte latino-américain et constitue, aux yeux de certains pays, un bon modèle à suivre. Entre 1970 et 1990, les exportations chiliennes de produits forestiers sont passées de 41,7 à 855,3 millions de dollars U.S., et, d'après les estimations, elles devraient s'établir en 1992 à 1,2 milliard (soit environ 10 pour cent des exportations totales du pays). Cet essor s'explique initialement par la création de grandes plantations de Pinus radiata; il a été favorisé par la demande croissante de pâte, de papier et de sciages chiliens au Japon et en Europe. En 1992, plus de 1,4 million d'ha dans le sud du pays étaient couverts de plantations forestières commerciales, et on estime que cette superficie augmente de 75 000 ha chaque année. En se développant, l'industrie forestière du Chili fondée sur les plantations diversifie sa base de production: elle a désormais introduit l'eucalyptus dans ses programmes de plantation et exploite les forêts naturelles pour la production de copeaux de bois.

Cette croissance est imputable en grande partie à une série de mesures incitatives spécifiques qui remontent à la loi sur les forêts de 1931, laquelle encourageait les premières plantations à grande échelle au moyen d'importantes exonérations fiscales en faveur des activités de reboisement (CORMA, 1991a). Sous le gouvernement d'unité populaire, au début des années 70, l'Etat a lancé directement une campagne de reboisement massive, créant des milliers d'emplois, et ces plantations trouvèrent par la suite des débouchés dans l'industrie privée. Le gouvernement militaire qui arriva ensuite au pouvoir, restructura le système d'incitation au reboisement, le rendant plus intéressant pour le secteur privé. En vertu du décret-loi 701 (en vigueur jusqu'en 1994), les coûts d'établissement d'une plantation sont subventionnés à concurrence de 75 pour cent, le capital n'est pas imposable et un abattement de 50 pour cent est appliqué sur les impôts sur le revenu. Ce décret-loi favorise surtout les opérations de grande envergure et attire les capitaux privés en déclarant que les zones plantées ne peuvent être nationalisées. Tandis que le taux de rendement des investissements est accru par les subventions et les dégrèvements fiscaux, d'aucuns estiment que l'incitation première est la sécurité foncière dont jouit l'investisseur (Vincent et Binkley, 1992).

Les groupements écologistes ont systématiquement attaqué les exportations colossales assurées grâce à ces mesures d'encouragement en critiquant les répercussions sur l'environnement. Bien que le décret-loi 701 ne permette pas en principe la destruction des forêts naturelles pour l'établissement de plantations, il semble bien qu'au moins 100 000 ha de plantations ont entraîné la conversion de forêts (Cavieres et Lara, 1983). L'échappatoire semble offerte par une clause du décret-loi qui donne aux autorités forestières la possibilité d'autoriser la conversion des forêts dans des zones où la forêt naturelle «n'est pas propre à l'exploitation commerciale» (Gouvernement chilien, 1979).

Questions liées à la conversion des forêts naturelles

Il existe 12 sortes de forêts naturelles dans le sud du Chili, dont la seule forêt ombrophile tempérée d'Amérique du Sud et les nombreuses forêts mixtes de Nothofagus (Rottmann, 1988). Le remplacement des forêts naturelles suscite maintenant des controverses car l'industrie forestière chilienne augmente rapidement ses exportations de copeaux de bois à fibres courtes, en exploitant les forêts naturelles et les plantations d'eucalyptus (CORMA, 1991b). Dans ce contexte technologique et commercial, les investissements sont rentabilisés dès la première année, alors qu'ils ne l'étaient pas tant que le seul produit commercialisable était le bois produit à la plantation. Toutefois, ce système a été sérieusement contesté à l'occasion d'une affaire récente dans la province de Valdinia, où une entreprise mixte nippo-chilienne entendait exploiter (pour vendre des copeaux) plus de 10 000 ha de forêt naturelle, avant de la convertir en plantation d'eucalyptus (Maxudov, 1989). Les groupes écologistes, tant nationaux qu'internationaux, ont organisé une campagne qui a contraint le Président Aylwin à arrêter ce plan.

Après ce litige, le gouvernement Aylwin a entrepris de formuler des lignes directrices claires pour réglementer plus de 5 millions d'ha de forêts naturelles privées. Si les principaux volets de la politique forestière introduite par le régime militaire n'ont pas changé sous le nouveau gouvernement démocratique, le processus décisionnel semble être plus ouvert et prendre davantage en compte les vues des écologistes (Loveman, 1991). Dans le cadre de l'élaboration de la future loi sur les forêts naturelles, le gouvernement a formé une commission ad hoc pour négocier avec les interlocuteurs clés (notamment l'industrie et les organisations non gouvernementales [ONG]) et s'efforcer de dégager un consensus sur le futur de ces forêts. La proposition à laquelle cette commission a abouti autorise un certain degré de conversion des forêts (25 pour cent des zones ayant moins de 45 pour cent de pente), accorde un soutien aux petits et moyens propriétaires et aborde ainsi, contrairement au décret-loi 701, le problème de l'équité sociale (Gouvernement chilien, 1992).

Pour certains groupes, cette proposition n'est pas encore suffisante car son adoption permettrait de convertir 800 000 ha de forêt indigène. Par ailleurs, l'industrie forestière affirme que l'absence d'une politique entrave les investissements dans le secteur. L'absence d'intervention du gouvernement et les mesures encourageant les investissements à grande échelle étaient censées servir de base à l'essor de l'industrie. L'issue du débat engagé sur la nouvelle loi montrera dans quelle mesure il est possible de concilier, grâce à la participation, des critères environnementaux judicieux et une industrie forestière dynamique.

Nicaragua

Le Nicaragua est le pays d'Amérique centrale qui a la plus grande étendue de forêts productives: quelque 2,5 millions d'ha de forêts de feuillus tropicales et 0,5 million d'ha de conifères. Ces forêts sont situées, pour l'essentiel, dans les plaines de l'Atlantique, région faiblement peuplée par les communautés indigènes Misquito, Sumo et Rama, qui se considèrent traditionnellement comme distinctes des métis de la côte pacifique. Avec la Mosquitia hondurienne, qui prolonge les plaines atlantiques, cette région représente la plus vaste étendue forestière continue d'Amérique centrale.

Les ressources de la région atlantique ont attiré toutes sortes de négociants, des sociétés d'exploitation britanniques et américaines à la recherche d'acajou, de cèdre d'Amérique et de peuplements âgés de pins des Caraïbes au début du siècle, aux sociétés de production fruitière des Etats-Unis dans les années 40 et 50 et aux industries du bois opérant actuellement aux Caraïbes et en Amérique centrale.

Disparition des grandes concessions

Avant la prise de pouvoir des sandinistes en 1979, la plupart de ces opérations se faisaient sur la base de vastes concessions octroyées par le gouvernement, étant admis que les terres étaient propriété de l'Etat Ces arrangements ont donné lieu à une exploitation à blanc suivie d'abandon, ce qui a gravement endommagé les peuplements sur pied - en particulier ceux de pins - et apporté peu d'avantages durables pour l'économie de la région atlantique.

Une plantation de pins au Nicaragua, le pays d'Amérique centrale qui possède la plus vaste étendue de forêts exploitées

Après leur arrivée au pouvoir, les sandinistes révoquèrent toutes les concessions sur les ressources naturelles et promulguèrent en 1981 une loi abolissant le système des permis. Le secteur forestier est alors passé sous le contrôle direct du gouvernement par l'intermédiaire de la Corporación Forestal del Pueblo (CORFOP) qui était chargée de la coupe, de la transformation et de la vente du bois d'œuvre extrait des terres publiques. Les exportations de produits forestiers, relativement élevées sous le régime du président Somoza, passèrent de 70 millions de dollars U.S. en 1976 à guère plus de 3 millions en 1980. Avec la guerre et l'isolement économique qui frappèrent le Nicaragua durant les années 80, les exportations de ces produits tombèrent même à moins de 500 000 dollars U.S. en 1986 (Araquistain et Nuñez, 1990; Morales et Daloia, 1991).

Après sa victoire électorale sur les sandinistes en 1990, le gouvernement de Mme Chamorro donna une nouvelle orientation à la politique économique, en attribuant un rôle plus important au secteur privé, en encourageant les exportations et en prenant des mesures d'incitation pour les investissements étrangers. La CORFOP fut supprimée et les investisseurs privés internationaux revinrent dans le pays à la recherche de concessions forestières dans la région atlantique. Vu la situation économique désastreuse du pays, nombre d'entre eux supposaient que le gouvernement accepterait pratiquement n'importe quel accord.

En 1991, la première proposition sérieuse d'investissement dans le secteur forestier a été présentée par une société de Taiwan qui sollicitait une concession de 250 000 ha dans le nord de la région atlantique. Le processus de décision écartelé entre le nouveau programme économique et la législation sandiniste donna, au mieux, une impression de confusion. L'idée que des tractations malhonnêtes qui auraient d'énormes répercussions sociales et écologiques étaient en cours déclencha une vaste protestation populaire. Les opposants à la concession estimaient que l'exploitation à grande échelle accélérait la dégradation de la forêt et la destruction de la biodiversité. Du point de vue politique, le problème était que le gouvernement national octroyait une concession sans consulter les autorités régionales (qui bénéficient d'un statut d'autonomie), ni les communautés indigènes vivant sans titres de propriété sur les terres ouvertes à l'exploitation.

Création d'une commission forestière

Les groupements écologistes, locaux et internationaux, ont lancé une campagne vigoureuse qui se répandit rapidement dans le monde entier. A la fin, le Gouvernement nicaraguayen, souhaitant faire disparaître l'ombre du régime Somoza, décida de constituer une commission forestière qui rassemblerait des organismes officiels et des ONG pour évaluer les mérites de la proposition de Taiwan. La commission a jugé la proposition inacceptable pour des raisons techniques, et le gouvernement l'a rejetée officiellement et publiquement en faisant remarquer qu'elle négligeait les droits des communautés indigènes et ne comportait pas de «plan de protection contre la dégradation de l'environnement» (IRENA, 1992).

Ce cas a été décisif pour définir une politique forestière au Nicaragua dans le cadre de la nouvelle politique économique. Dans ses délibérations, la commission forestière a recommandé l'élaboration de procédures d'approbation des opérations d'exploitation de grande envergure. Jusque-là, aucune proposition de concession ne pourrait être acceptée. Le nouveau règlement forestier, qui sera adopté dans le courant de l'année, autorise et facilite les investissements étrangers dans le secteur, en mettant l'accent sur l'aménagement des forêts, la transformation locale des produits, la protection de l'environnement et les droits des communautés indigènes. Contrairement à la politique précédente, il accorde des droits de propriété sur la forêt aux propriétaires fonciers privés et institue un organisme chargé de l'administration des terres forestières domaniales (IRENA, 1993).

La commission forestière, qui est devenue un organe permanent, examine actuellement une proposition d'une firme dominicaine concernant l'exploitation de 40 000 ha dans la région nord-atlantique, proposition qui aura valeur de test pour l'application du nouveau règlement. La commission a commencé par recommander de ne pas octroyer le permis en faisant valoir que la zone en question pourrait appartenir au moins en partie à la communauté Sumo d'Awas Tingni qui y vit. Si la communauté est en mesure de démontrer qu'elle possède ces terres, les arbres lui appartiennent en vertu du nouveau règlement. Elle pourrait alors décider de céder ses droits à la société d'exploitation ou de signer un accord de vente pour un volume de bois déterminé.

L'esprit de cette politique est totalement nouveau, non seulement pour le Nicaragua mais aussi pour les autres pays où les forêts domaniales sont habitées par des communautés indigènes. Toutefois, sa mise en œuvre est actuellement compliquée par l'absence de définition juridique des droits d'occupation de la plupart des communautés indigènes de la région atlantique. Des cas comme celui d'Awas Tingni indiqueront si les gouvernements constitués de métis sont disposés à reconnaître juridiquement le rôle des communautés indigènes dans l'aménagement de la forêt et, ce qui est plus important encore, si ces communautés peuvent associer avec succès la foresterie commerciale à leurs pratiques traditionnelles.

Mexique

Les forêts commerciales du Mexique, composées de résineux et de feuillus tropicaux, couvrent une superficie de 25 millions d'ha. Pourtant, le pays est importateur net de produits forestiers, en raison surtout de la réduction constante de la production nationale de pâte à papier. Pour ce qui est des sciages et autres produits transformés, l'offre et la demande s'équilibrent, ne laissant pratiquement aucun excédent pour l'exportation.

Droits de propriété foncière des populations indigènes

Contrairement à ce qui se passe dans la plupart des pays de la région, près de 80 pour cent des terres boisées du Mexique appartiennent aux communautés indigènes et aux «ejidos», mode de faire-valoir communal établi durant la révolution de 1920 pour assurer aux populations rurales l'accès aux terres agricoles; le reste des forêts est privé (15 pour cent) ou domanial (5 pour cent) (SARH, 1992). La Constitution mexicaine stipule que toutes les forêts, indépendamment de leur régime foncier, appartiennent à la nation. L'exploitation du bois d'œuvre, par des concessionnaires ou des coopératives ejido, est réglementée par le gouvernement fédéral.

Durant la majeure partie de ce siècle, l'exploitation commerciale s'est faite par le biais de concessions accordées par le gouvernement fédéral aux industries dont la production, telle que le papier, était considérée comme d'intérêt public. L'octroi de permis d'exploitation sur les terres ejido a toutefois abouti à un conflit. Les avantages économiques qui revenaient aux ejidos étaient minimes et, comme l'Etat n'exerçait qu'un contrôle limité, les coupes commerciales ont entraîné la dégradation des forêts. Au début des an nées 80, alors que de nombreuses concessions touchaient à leur fin, plusieurs ejidos se sont opposés à leur reconduction et ont fait pression sur le gouvernement pour que celui-ci leur permette de diriger l'exploitation de leurs propres forêts (Snook, 1986).

La loi forestière de 1986 a jeté les bases de la suppression progressive des concessions et de la mise en place des coopératives forestières autonomes ejido. Toutefois, les longues années de concessions ont créé un mode d'extraction du bois caractérisé par une classification par taille dans les forêts de pins et par l'écrémage intensif de l'acajou et du cèdre dans les forêts tropicales; en conséquence, les coopératives forestières héritent fréquemment de peuplements abîmés et appauvris dont les besoins d'aménagement dépassent fréquemment leurs ressources financières et techniques.

Promouvoir une foresterie ejido durable

Il y a des cas où la ténacité d'une communauté, la volonté politique et une aide technique adéquate encouragent la foresterie ejido durable, tant dans les forêts tempérées que tropicales. L'Union des communautés forestières et des ejidos d'Oaxaca (UCEFO), qui gère 70 000 ha de pins, a commencé à introduire des plantations-abris, des arbres à semences et d'autres méthodes de sylviculture propres à accroître la productivité et à aider à restaurer les peuplements dégradés après avoir été exploités, pendant des dizaines d'années, par une seule société papetière (López et Gerez, 1993). A Quintana Roo, un groupement d'associations d'ejidos forestiers - dénommé Plan Piloto Forestal - gère plus de 250 000 ha de forêts tropicales de basse altitude (Bray et al., 1993). Avec le concours de donateurs, ces ejidos mettent en œuvre des stratégies de sylviculture et de commercialisation destinées à accroître l'utilisation des essences peu connues, réduisant ainsi la dépendance à l'égard des peuplements d'acajou et de cèdre déjà bien éprouvés. Conséquence importante de la foresterie ejido, dans le cadre de leurs arrangements coopératifs, les «ejidatarios» (membres des ejidos) délimitent de façon permanente leur domaine forestier. Dans les zones tropicales telles que Quintana Roo, qui sont soumises à des taux élevés de déboisement, cette mesure limite incidemment la conversion des forêts.

Extraction de grumes dans une coopérative ejido à Quintana Roo (Mexique)

Les coopératives d'ejidos ont réussi à se réserver une part plus importante de la valeur des produits extraits de leurs forêts. Cette situation a suscité une dépendance mutuelle des ejidatarios et de l'industrie, qui est difficile à régler, à cause de l'antagonisme politique et aussi de la lenteur avec laquelle le marché des produits forestiers au Mexique s'est remis de la crise économique des années 80.

Bien que la foresterie ejido ait démontré les possibilités qu'elle offre au cours des 10 dernières années, son avenir est incertain. La nouvelle politique macro-économique du Mexique encourage vivement la libéralisation, les investissements privés et l'ouverture des marchés. Les lois agraire et forestière de 1992 ouvrent la voie à la privatisation des ejidos et aux investissements directs du secteur privé dans la production forestière (Gouvernement mexicain, 1992). Alors que l'industrie pourrait fournir les capitaux frais dont tant de coopératives ejido ont besoin pour rationaliser leur production, beaucoup pensent que ces entreprises mixtes ne sont avantageuses pour aucune des deux parties et compromettront les progrès déjà réalisés.

Le libre-échange représente un autre défi pour la foresterie ejido. Au Mexique, le prix du bois de résineux (usiné) dépasse actuellement de 35 pour cent le cours du marché international (Lara, 1992) et, malgré le droit de 15 pour cent imposé sur les importations de bois d'œuvre, les industriels mexicains achètent de plus en plus de produits importés (González, 1993). L'entrée du Mexique dans l'Accord de libre-échange d'Amérique du Nord devrait faire augmenter les arrivées de bois à bon marché des Etats-Unis (Merino, 1992). Dans ces conditions, pour rester compétitive, la foresterie ejido sera vraisemblablement forcée de réduire ses coûts de production, ce qu'elle pourra faire de plusieurs manières. Mais il reste à savoir si cela sera possible sans que soient sacrifiées ses réalisations sociales et environnementales.

Les responsables politiques semblent partir de l'idée qu'une politique macro-économique de libéralisation, de privatisation et d'ouverture des marchés aboutira, avec quelques ajustements, à une meilleure intégration des producteurs et des industries. D'autres pays d'Amérique latine devraient pouvoir tirer des enseignements importants des résultats obtenus par la foresterie ejido au Mexique.

Conclusion

Ces exemples montrent que le secteur forestier en Amérique latine a entrepris un formidable processus de réorientation, qu'il s'agisse de sa place dans le commerce mondial des produits forestiers ou du cadre politique qui régit sa production. Il est trop tôt pour savoir si les tendances examinées ici se confirmeront. En outre, même en cas de succès des politiques les plus modernes, l'avenir du secteur reste en péril à cause du déboisement rapide imputable aux activités extrasectorielles.

Il ressort de cette étude que le commerce, l'environnement et le régime foncier sont les composantes essentielles des politiques forestières en Amérique latine. Aucune formule unique permettant d'associer tous les éléments ne semble encore avoir été trouvée. Toutefois, les exemples du Chili et du Nicaragua montrent que la dynamique des processus décisionnels est fondamentale pour définir la marche à suivre. Même s'ils sont parfois désordonnés et conflictuels, les processus participatifs donnent naissance à des idées que les instances dirigeantes n'ont pas su dégager à elles seules.

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