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LE CENTRE DE SEMENCES FORESTIERES DU KENYA LA GENESE D'UN PROJET, ET SA CONTRIBUTION AU DEVELOPPEMENT

par

J. Albrecht et W. Omondi Oloo
GTZ - Forestry Seed Centre, P.O. Box 41607, Nairobi, Kenya
Kenya Forestry Seed Centre, P.O. Box 20412, Nairobi, Kenya

INTRODUCTION

En dehors de leur intérêt écologique à l'échelle mondiale comme au plan local, les forêts tropicales et subtropicales occupent une place importante dans l'économie de nombreux pays en développement. Outre leur diversité floristique et faunistique exceptionnelle, les écosystèmes forestiers tropicaux renferment d'immenses réserves de bois et autre biomasse, de ressources alimentaires pour nourrir des populations humaines et animales en expansion, de substances médicinales connues et inconnues, etc., et elles remplissent également d'importantes fonctions sociales et culturelles.

Une large proportion des populations des pays tropicaux et subtropicaux vit bien au-dessous du seuil de pauvreté. Ces populations sont fortement tributaires du bois de feu comme source d'énergie, des sources d'eau naturelles, et de la fertilité naturelle des sols pour la production agricole. Les arbres et les forêts ont donc pour elles une importance primordiale, parce qu'ils sont la garantie de l'équilibre écologique. Dans de nombreux pays d'Afrique, d'Asie, d'Amérique Centrale et d'Amérique du Sud, un développement durable ne saurait être réalisé sans l'appui d'un secteur forestier organisé.

La situation du secteur forestier au Kenya peut servir d'exemple pour bien des pays tropicaux. On peut la caractériser par les données suivantes:

D'importants efforts ont été faits en matière de reboisement, et des objectifs ambitieux ont été fixés (500 millions de plants par an), cependant qu'on se réoriente vers l'utilisation d'essences locales. Toutefois, l'ignorance des traitements à appliquer à ces essences indigènes et la manque de semences appropriées ont entravé ces efforts.

Le Centre de semences forestières du Kenya (Kenya Forestry Seed Centre) a pour objet “la fourniture de semences d'essences forestières certifiées de haute qualité, adaptées aux conditions locales, et en quantités suffisantes”. Le projet comprend des recherches sur les semences, l'élaboration de stratégies appropriées, et des mécanismes de contrôle et de protection.

HISTORIQUE ET ORGANISATION DU KFSC

Dès les années soixante, une petite unité de semences forestières avait été mise en place au sein du Département de sylviculture de l'Institut de recherche agronomique du Kenya (KARI). Elle fournissait principalement des semences d'essences exotiques pour les reboisements industriels, telles que cyprès, pins et eucalyptus.

En 1985 fut créé le Centre de semences forestières du Kenya, avec une assistance de l'Allemagne Fédérale par l'intermédiaire de GTZ (Deutsche Gesellschaft für Technische Zusammenarbeit). II constitue aujourd'hui une division de l'Institut de recherche forestière du Kenya (KEFRI), basé à Muguga à 25 km au nord-ouest de Nairobi et placé sous la tutelle du Ministère de la recherche et de la technologie.

Le KFSC a son siège à Muguga, où se trouvent des laboratoires d'essais de semences et des installations de traitement et conservation des graines. Huit centres de récolte sont répartis dans les différentes régions écologiques du pays; d'autre part une coopération étroite est maintenue avec les stations régionales de recherche du KEFRI (Figures 1 et 2).

En fonction de la mission que le Centre s'est fixée de fourniture de semences de haute qualité, notamment d'essences locales, cinq grandes activités sont inscrites dans son organigramme (Figure 2):

Son mandat couvre l'ensemble du pays. A l'heure actuelle, un stock de semences d'environ 220 essences récoltées dans plus de 600 localités (provenances) est tenu en magasin. Les semences distribuées annuellement permettent de produire 250 à 300 millions de plants.

Figure 1. Organigramme du Centre de semences forestières du Kenya

Figure 1

Figure 2. Organisation régionale du Centre de semences forestières du Kenya

Figure 2

RECHERCHE DE LA QUALITE LORS DE L'IDENTIFICATION DES SOURCES DE SEMENCES, DE LA PROSPECTION, DE LA RECOLTE, DU TRAITEMENT ET DE L'EXPEDITION DES SEMENCES

Des semences de haute qualité intrinsèque sont considérées comme le fondement de l'adaptabilité, de la stabilité et de la productivité des peuplements qu'elles produiront. Une semence forestière de qualité, pour le KFSC, n'implique pas seulement des qualités extérieures telles que pureté, absence d'insectes et de germes pathogènes, mais aussi les caractéristiques physiologiques et génétiques de viabilité, de vigueur et de variabilité génétique. En outre, l'adéquation de la station (provenance) est considérée comme un autre facteur de qualité lorsqu'il s'agit d'obtention de semences. Ces aspects de qualité sont traités dans les guides qui ont été rédigés par le Centre, pour tous les stades et processus de recherche, obtention, production et distribution de semences.

Recherche de la qualité dans l'identification des sources de semences
L'approvisionnement en semences doit refléter les conditions écologiques diverses du pays. Des sources de semences doivent donc être identifiées, ou si nécessaire créées, dans toutes les écozones. Un système de zonage pour les semences, fondé sur la similitude des conditions écologiques, a été établi comme moyen de classement préliminaire des différentes provenances (Albrecht et Braun, 1993).

Selon le programme OCDE (OCDE, 1976), les sources de semences au Kenya doivent être sélectionnées et classées dans la catégorie “source identifiée, sélectionnée et testée”. Afin d'assurer une variabilité génétique suffisante dans les lots de semences, les peuplements semenciers en forêt naturelle doivent avoir une taille qui permette de récolter au moins 25–30 arbres différents espacés d'au moins 50–100 m les uns des autres. Les déboires récemment essuyés avec des essences exotiques telles que Pinus radiata, Cupressus lusitanica et Leucaena leucocephala permettent de suspecter que les peuplements semenciers présents au Kenya ne possèdent pas une variabilité génétique suffisante pour s'adapter à de nouveaux milieux. C'est pourquoi le Centre a entrepris un vaste programme destiné à améliorer la variabilité génétique des essences exotiques.

L'étude de la floraison et de la fructification, condition de l'obtention de semences de qualité
La distribution et la fréquence des fleurs mâles et femelles dans un peuplement semencier ont une grande influence sur la variabilité génétique des lots de semences qui en seront issus. C'est pourquoi leur étude doit précéder systématiquement la récolte de semences. Par la suite, le développement des fruits doit être contrôlé afin de déterminer la qualité et la maturité des graines.

Recherche de la qualité lors de la récolte des semences
Comme on l'a mentionné plus haut, une récolte de semences doit porter sur un minimum de 25 arbres espacés d'au moins 50–100 m. On ne doit récolter que sur des arbres adultes et sains répondant aux critères du phénotype de l'espèce. Pour assurer une représentation égale de tous les génotypes, on doit récolter la même quantité de semences par arbre. Les récolteurs doivent récolter et garder les semences séparément pour chaque provenance. Une documentation et un enregistrement clairs et complets sont nécessaires.

Recherche de la qualité lors de la manipulation des semences
Les semences fraîches sont sujettes à détérioration. Pour maintenir leur viabilité et leur vigueur, il faut éviter de les soumettre à des extrêmes de chaleur, de froid, d'humidité ou de dessiccation. On a souvent une connaissance insuffisante des techniques de séparation des graines du fruit, de séchage et d'entreposage convenant aux essences indigènes. Ces aspects font l'objet de recherches, dont les résultats se traduisent immédiatement par la publication de brochures techniques qui sont distribuées aux utilisateurs.

Essais de semences en vue d'assurer leur qualité physiologique et génétique
Les essais pratiqués sur chaque lot de semences se font, dans la mesure du possible avec les graines d'essences forestières tropicales, selon les règles internationales (ISTA, 1985), afin d'assurer la qualité physiologique et la viabilité les plus élevées possibles. Le Centre accorde une priorité élevée à la qualité génétique des semences, et l'on recourt de plus en plus à l'étude des isoenzymes pour déterminer les différences génétiques entre clones de vergers à graines et entre peuplements semenciers. Des expérimentations sont menées actuellement sur les vergers à graines de Pinus et de Cupressus. Des essais comparatifs sont également en cours avec des peuplements naturels et artificiels de deux essences indigènes importantes (voir Tableau 1).

Recherche de la qualité dans la distribution des semences
L'adaptation stationnelle des matériels de reproduction est l'un des facteurs les plus importants à considérer dans la pratique en reboisement et en agroforesterie. Au Kenya, on souffre d'un manque critique d'information sur l'adaptation des espèces et des provenances à des stations diverses. Au surplus, les forestiers ne sont souvent pas suffisamment conscients de ce problème.

Le choix des provenances qui conviendront le mieux à des conditions stationnelles déterminées est laissé au jugement du Centre. C'est pourquoi on s'efforce actuellement de mettre au point un système de zones écologiques forestières qui est utilisé tant dans la récolte de semences pour la délimitation des provenances que dans la fourniture de semences pour accorder la provenance aux conditions de la station.

Recherche de la qualité dans la multiplication de semences
De nombreux projet forestiers et agroforestiers au Kenya ont entrepris de créer leurs propres vergers à graines. Du point de vue de la qualité génétique, la plupart ne sont pas soumis à un contrôle. Il est en conséquence recommandé aux projets et autres groupements de suivre les directives ci-dessous:

RECHERCHE SUR LES SEMENCES FORESTIERES AU KFSC

L'intérêt exclusif porté aux essences exotiques (Cupressus lusitanica, Pinus spp, Eucalyptus spp) jusqu'à une époque récente a eu pour conséquence un retard considérable dans la connaissance des essences locales, en ce qui concerne notamment leur comportement phénologique, la physiologie des graines, l'extraction, le séchage, l'entreposage et les traitements avant semis. Le Tableau 1 présente la liste des essences et les activités de recherche menées au Centre de semences forestières du Kenya depuis le démarrage du projet en 1985.

Observations phénologiques
Des observations phénologiques sont effectuées dans tout le pays, et elles sont facilitées par la structure régionale du KFSC (Figure 1). Elles ont pour but l'établissement de calendriers de floraison et de fructification et, en liaison avec des expérimentations, la détermination des époques de récolte de graines garantissant une bonne conservation et un pourcentage de germination élevé.

Calendrier de récolte de graines
Les expériences faites avec diverses essences indiquent une diminution rapide de la viabilité des semences entreposées lorsqu'elles ont été récoltées après l'optimum de maturité, par exemple une fois tombées au sol. Des essais de germination sont effectués avec des graines récoltées à différents stades de maturité des fruits, et entreposées dans différentes conditions.

Traitements avant germination
Les fruits charnus donnent lieu à des difficultés non seulement d'extraction mais également de germination. Des essais effectués avec diverses essences ont montré un taux de germination plus élevé lorsque la pulpe du fruit est enlevée à l'état frais.

Les méthodes d'extraction font l'objet d'essais en vue de réduire la proportion d'impuretés et les dommages aux graines. Des méthodes applicables en conditions de pépinière ont été mises au point pour un certain nombre d'essences.

Dans l'immense variété d'essences forestières du Kenya, on peut rencontrer ou supposer toutes sortes de phénomènes de dormance, qui font obstacle à une germination uniforme et rapide. Les essences dont le comportement des semences n'est pas connu font l'objet d'essais de criblage systématiques.

Conservation des semences récalcitrantes
Un grand nombre d'essences forestières importantes du Kenya sont considérées comme ayant des semences récalcitrantes. La perte de viabilité qui accompagne la diminution de la teneur en humidité et la durée de conservation limitée des graines posent des problèmes particulièrement ardus aux chercheurs. L'entreposage des semences est inévitable pour les essences qui ne grainent pas régulièrement, ou qui produisent des graines lorsque la saison de semis est déjà passée.

Tableau 1. Activités de recherche au Centre de semences forestières du Kenya - 1985–1992

EspèceDifférence génétiqueEssais de provenancesMéthodes d'extractionMéthodes de séchagePrétraitementMéthodes de conservationMéthodes de récolte
Acacia spp.    x  
Aningeria adolfi-friedericii  xxx  
Antiaris toxicaria  x  x 
Azadirachta indica   x xx
Balanites aegyptiaca  x x  
Boscia coriaria  xxx  
Brachylaena huillensis    xx 
Brachystegia speciformis    x x
Calliandra calothyrsus x     
Casuarina equisetifolia x     
Cordia abyssinica  xxxxx
Cordia sinensis    xxx
Combretum schumannii    xxx
Croton macrostachys     x 
Cupressus lusitanicax      
Dovyalis caffra  xxxx 
Dobera glabra  xxxx 
Eucalyptus camaldulensis x     
Eucalyptus grandis x     
Eucalyptus urophylla x     
Fagara macrophylla    x  
Gliricidia sepium x     
Grevillea robusta x     
Juniperus procera    x  
Maesopsis eminiix x xx 
Melia spp.    x  
Milicia excelsa  xxxxx
Ocotea usambarensis  x   x
Olea spp.  xxxx 
Pinus patulax      
Podocarpus falcatus  x x  
Podocarpus latifolius  x  x 
Polyscias spp.  x xx 
Prosopis spp.  x    
Prunus africana   x x 
Salvadora persica  x xx 
Terminalia spp.  x x  
Vitex keniensisx x xx 
Warburgia ugandensis  xx x 

Mise en place d'essais de provenances et de descendances
Il faut un grand nombre de provenances et descendances de l'aire naturelle des essences utilisées pour des essais comprenant au moins 20 répétitions en placettes d'un ou deux arbres en distribution aléatoire. Les graines doivent provenir d'un nombre suffisant d'arbres ou de familles par provenance pour assurer une variation génétique suffisante. Au moins trois stations différentes dans la gamme de conditions écologiques de l'essence doivent être choisies pour les essais de chaque essence. L'identité des provenances et descendances doit être conservée pendant toute la durée des essais.

Les caractéristiques importantes sont évaluées périodiquement jusqu'à ce que l'on ait une idée suffisamment claire du comportement des provenances ou descendances dans les différentes conditions stationnelles. C'est à ce moment que l'on peut choisir les provenances ou descendances à retenir pour de nouvelles importations en vue de la création de peuplements semenciers.

Dans l'ensemble, toutes les essences exotiques importantes qui ont une base génétique supposée étroite et qui ont été introduites au hasard au Kenya sont toutes désignées pour faire l'objet d'essais. Il a été mis en place des essais de six essences exotiques d'importance majeure au Kenya, et d'autres sont en attente. En coopération avec le Programme d'amélioration des arbres du KEFRI, des essences indigènes, notamment parmi celles en danger d'extinction, seront aussi incluses dans le programme d'essais.

INFORMATION ET FORMATION

Les résultats de la recherche sont publiés par les moyens d'information nationaux et internationaux appropriés. Des conseils pratiques sont donnés à différents niveaux par la série “Technical Notes” du KEFRI, le bulletin “Rural Forestry News Letter” du Service de vulgarisation forestière, et “Tree Seed Information” du KFSC.

La formation en matière de récolte et traitement des semences est devenue depuis quelques années une tâche importante du KFSC, du fait que des récoltes de semences sont entreprises par un nombre croissant de groupements, projets et organisations nationaux et locaux. Le KFSC est maintenant reconnu au Kenya et internationalement comme une importante institution de formation en techniques des semences forestières.

Des stages de formation spéciaux sont offerts sur les sujets suivants:

COOPERATION TECHNIQUE

Outre l'information générale diffusée par le Centre, une assistance est fournie par exemple pour la création d'unités de production de semences et d'installations d'entreposage. Le Centre collabore avec des institutions et organisations nationales et internationales (FAO, IUFRO, ISTA, ICRAF, PNUD, etc.) dans le domaine de la recherche, de la formation et de l'information.

Le KFSC a rédigé et publié des “Règles nationales concernant les matériels de reproduction forestiers”, qui visent à promouvoir la stabilité, la durabilité, la productivité et la variabilité génétique dans le domaine de la forêt et de l'agroforesterie en assurant la disponibilité de semences forestières de qualité et la protection des sources de semences, ainsi que le contrôle des importations et exportations de semences forestières.

L'importance de la qualité génétique des semences forestières est reconnue et mise en lumière. Les récoltes de semences doivent suivre des règles minimales en ce qui concerne les sources de semences et les techniques de récolte. L'exactitude du nom et la qualité physiologique des matériels de reproduction forestiers doivent être assurés selon les règles internationales (ISTA, OCDE). Le contrôle de toutes les activités relatives aux semences est entre les mains d'experts (le personnel du KFSC); il comprend notamment l'enregistrement des récolteurs commerciaux et négociants en semences.

CONSERVATION DES RESSOURCES GENETIQUES

Près d'une centaine d'espèces ligneuses sont considérées comme en danger d'extinction au Kenya. Parmi ces espèces, le KFSC a - dans un premier temps - reconnu 10 espèces d'intérêt à la fois écologique et économique. Les mesures prises pour la conservation des ressources génétiques subsistantes de ces espèces et provenances sont les suivantes:

Une coopération a été récemment amorcée à cet égard avec l'Unité de conservation des plantes des Musées nationaux du Kenya.

CONCLUSIONS

L'emploi de semences de haute qualité intrinsèque est une condition sine qua non du succès des plantations forestières en ce qui concerne le taux de survie, la résistance et le rendement. Le degré élevé de dépendance des pays en développement vis-à-vis des biens et services fournis par la forêt, et les activités menées par un nombre croissant d'organisations fortement motivées mais ayant des connaissances techniques insuffisantes, imposent de porter une attention toute particulière à l'obtention de semences forestières de haute qualité.

Informations sur les Resources Génétiques Forestières No 21. FAO, Rome (1994)


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