2.2.4. Régime des importations, taxations

Table des matières - Précédente - Suivante

Après les indépendances, nombre de pays africains ont choisi de construire leur économie sur la base de la planification, imposant une limitation administrative aux importations; mais même dans le cadre du libéralisme, des licences et des quotas d'importations ont été imposés pour limiter les sorties de devises mais surtout pour protéger des industries locales naissantes: c'est la raison essentielle évoquée en Côte d'Ivoire, au Mali, ou au Sénégal. En ce qui concerne la filière Lait, le fonctionnement des unités industrielles reposait largement sur l'emploi de la poudre de lait importée. Mais le déclin et/ou l'abandon de l'économie planifiée dans de nombreux pays dans le monde sont à l'origine d'une libéralisation des importations de lait et produits laitiers pour les pays africains: ainsi le rôle de la SOMIEX au Mali en 1988, comme celui des groupements de commerçants ou de coopératives au Sénégal depuis 1987, a été supprimé et les importations sont libres; seule la Côte d'Ivoire maintient un systéme de quotas d'importation en faveur des transformateurs locaux.

Ce libéralisme va dans le sens des règles du commence international (GATT) mais il permet surtout d'assurer un approvisionnement satisfaisant des populations urbaines à travers les lois du marché, alors que la réglementation bureaucratique allongeait les délais et entraînait l'ensemble de la filière à des manoeuvres spéculatives génératrices de corruption. L'abandon des barrières administratives à l'importation n'a pas été compensée par une augmentation des tarifs douaniers, bien au contraire: la tendance générale est à la baisse des droits de douane et autres taxes frappant le lait et les produits laitiers à leur entrée dans les différents pays. Perçus jusqu'au milieu des années 80 comme une source non négligeable de rentrées fiscales, les droits à l'importation ont été ensuite considérés comme une cause de renchérissement du lait et des produits laitiers affectant les plus démunis; c'est pour cette raison d'ailleurs que les bases de taxation dans les pays de la zone franc reposaient sur les mercuriales, d'une valeur plus faible que le prix CAF, pour éviter des droits de douane trop élevés. L'utilisation des mercuriales correspondait à une subvention aux produits jugés de première nécessité.

La modernisation des instruments fiscaux et une meilleure approche de la réalité économique sont à l'origine de l'abandon des mercuriales, mais cette évolution n'a pas toujours entraîné une hausse massive des droits de douane car si la base d'imposition a fortement progressé, par contre, les taux ont baissé. Seul le Burundi conserve des droits élevés (40 % + 19 %) ce qui favorise un fort marché parallèle transfrontalier (40 % du volume des importations !) tant il est vrai qu'en Afrique, la notion de frontière nationale est chose abstraite pour les gens de la même ethnie vivant de chaque côté de cette frontière.

Tableau XII: Régime des importations - Taxations

  Régime des
importations
Droits de Douanes et Autres Droits à l'importation
Bases de
taxation
Date du
dernier
change
Tarifs sur la poudre vrac:
avantment changement après changement
Burkina
Faso
Libre Mercuriales 1/1/93 24% sur D.D. 5 % sur CAF +
  jusqu'en   mercuriales 6 % autres droits
  1992      
  Depuis      
  1993 :      
  CAF      
        D.D. 40 % sur CAF +
Burundi Libre CAF 1987 100 % 19 % autres taxes soit
        au total: 65 %
Quotas        
Côte d'Ivoire d'importation CAF 29/9/93 ? D.D.: 23,5 %
pour laits       Autres produits: 33,5
concentrés        
Ethiopie n.c. n.c. n.c. n.c. D.D. n.c.
Libre depuis Mercuriales      
Mali
1988 pour jusqu'en 1991 80 % D.D. 6 % - TVA 10 %
- importateur 1991 CAF IAS 11 % agréé depuis 65 % pour le beurre
Sénégal Libre depuis Mercuriales 1990 jusqu'à 72 D.D. 15 % - DF supprimé
1977     % dont 30 - TVA 7 %
      % DF soit au total 23 %

- D.D.: Droits de Douane
- D.F.: Droits fiscaux; I.A.S.: Impôts sur les Affaires et les Services
- T.V.A.: Taxe à la Valeur Ajoutée
- C.A.F. : Coût/Assurance/Fret
- Mercuriales: de 60 à 120 FCFA/kg de poudre vrac (lait entier)

2.2.5. L'aide alimentaire

Soumise de manière chronique à des calamités climatiques - sécheresse en particulier ou à des désordres socio-politiques de grande ampleur (Ethiopie, Soudan, Angola, Burundi, etc.), l'Afrique doit faire appel régulièrement à l'aide alimentaire internationale pour éviter - ou seulement limiter - les conséquences humaines de ces dérèglements. Plus généralement, la malnutrition touche encore de nombreux pays du continent et entraîne un besoin régulier d'envois alimentaires vers les régions les plus touchées. L'inexorable croissance démographique de la région fait de l'aide alimentaire une action permanente des pays industrialisés vers les pays africains. Ainsi, dans de nombreux pays, le PAM avait organisé une distribution régulière de lait dans les établissements scolaires permettant d'offrir à chaque enfant un apport minimum de protéines animales qui font le plus défaut en Afrique. Mais les difficultés d'approvisionnement nées de la maîtrise de la production laitière par les pays industrialisés depuis une dizaine d'années (1984 dans la CEE) ont diminué les disponibilités en poudre. D'autre part, les difficultés d'acheminement ont également contribué à freiner cette offre. Enfin, une fois sur place, ces produits alimentaires - dont la poudre de lait - sont l'objet de spéculations et de manipulations mercantiles qui ont peu à peu découragé les donateurs et les ont amenés à interrompre leurs envois.

Dans tous les pays étudiés, l'aide alimentaire a considérablement baissé depuis quelques années. Le Burundi a reçu environ 970 T de poudre au titre de l'aide alimentaire en 1992 contre 2700 T en 1998; le Burkina Faso a enregistré 319 T en 1992 soit seulement 8 % d'EqL importés.

Au Mali, le PAM a fourni la poudre et l'huile de bourre nécessaires au fonctionnement de l'unité laitière de Bamako depuis 1984. Les recettes générées par la production devaient permettra à l'ULB de renforcer son approvisionnement en lait frais local; la CEE a pris le relais du PAM et a fourni jusqu'à 800 T de matières premières (600 T de poudre et 200 T d'huile de beurre). Mais devant l'échec du schéma prévu, l'ULB ne reçoit plus de produits au titre de l'aide alimentaire depuis 1990. Seuls subsistent au Mali quelques dons effectués par les ONG (Secours Catholique pour 120 T. World Vision pour 130 T en 1992, Caritas, etc.).

Au Sénégal, l'aide alimentaire représente environ 1050 T en 1992, soit 4,7 % des approvisionnements extérieurs. En Ethiopie, ces dons semblent avoir disparu, alors qu'en Côte d'Ivoire, ils représentent environ 1000 T/an et sont destinés aux réfugiés du Liberia; cette aide devrait prendre fin en 1994. Seules quelques ONG qui contrôlent cette aide jusqu'à son utilisation finale participent encore à cette forme de solidarité envers les habitants les plus défavorisés. Actuellement certains envisagent le recours à une aide alimentaire massive.... jusqu'à ce que la production locale ait pris le relais: c'était déjà objectif de la création de l'ULB (Bamako, Mali) et des dons du PAM qui l'avaient accompagnée !

2.2.6. Origine des importations

L'Afrique francophone, correspondant grossièrement à la zone franc, constitue un véritable marché réservé pour les industriels laitiers français qui occupent environ 50 % des marchés sénégalais et ivoiriens à l'importation de lait et produits laitiers. Cette suprématie doit également se retrouver au Mali dont l'essentiel des approvisionnements transitent par Dakar et Abidjan. Par contre, les Pays-Bas occupent la 1ère place au Burkina Faso avec le marché du lait concentré sucré. Les deux pays totalisent environ 75 % des ventes de lait et produits laitiers sur l'Afrique de l'Ouest, ne laissant qu'une place limitée au Royaume Uni, l'Italie et l'Allemagne. Les USA sont présents avec du lait en poudre (programme PAM), alors que la Nouvelle Zélande se retrouve à des niveaux conséquents (10 % en Côte d'lvoire, 17 % au Sénégal) grâce à ses ventes de beurre et de poudre de lait transitant par le Royaume Uni.

Le Burundi procède à des achats beaucoup plus dispersés: la CEE vient en tête devant les USA présents à travers les PAM et les ONG, mais il faut noter la place non négligeable qu'occupaient les pays africains voisins: Rwanda, Kenya, Zimbabwe, mais aussi Zaïre (marché parallèle) et République Sud-Africaine.

Les rares importations éthiopiennes seraient constituées de fromages italiens et de poudre venant de façon indirecte des USA.

2.2.7. Importations et marché mondial des laits et produits laitiers

Bien que 5 à 7 % seulement de la production laitière mondiale fassent l'objet de transactions internationales, le marché mondial des laits et produits laitiers revêt une grande importance car il s'intègre dans la "stratégie alimentaire" des pays industrialisés vis à vis des pays en développement. D'autre part, les laits et produits laitiers - surtout sous forme de poudres ou de concentrés - font partie avec la farine, l'huile et le sucre des produits de première nécessité dont les gouvernements du Tiers Monde tiennent à assurer l'accès dans de bonnes conditions aux populations locales. Ainsi, tant du côté de l'offre que de celui de la demande, tout contribue à faire de la poudre de lait un produit pilote des échanges agro-alimentaires dans le monde. Mais cet intérêt a encore été amplifié par les excédents qui se sont accumulés dans les pays industrialisés du Nord (CEE, USA) dès le début des années 70; afin de préserver les intérêts de leurs agriculteurs-éleveurs, les pouvoirs publics de ces pays se sont engagés dans une politique de subventions massives à l'exportation de la poudre de lait; si bien que les cours pratiqués sur le marché mondial se sont situés à des niveaux suffisamment bas pour être attractifs sur les marchés africains. Les populations urbaines très sensibles aux prix des produits alimentaires de base ont pu ainsi s'approvisionner en lait à des prix modérés et en tout cas inférieurs aux prix souhaités par les producteurs locaux.

Cette distorsion de prix a joué en défaveur du développement de la production locale: insuffisamment rémunérés, sans demande solvable répondant à leurs attentes, les éleveurs trouvaient la production laitière peu attractive et n'envisageaient pas les investissements nécessaires au développement de cette production. Le taux de change inadapté du FCFA sur la longue période (surévaluation) n'a fait que renforcer cette distorsion au détriment de la production locale. Cette conclusion est corroborée par les études de Valentin J. Von. Massow: "On peut dire qu'à chaque fois que les importations ont augmenté plus vite que ne l'aurait permis la croissance démographique et l'accroissement du revenu et de la production nationale, la croissance ainsi enregistrée était la conséquence de la surévaluation des monnaies nationales et de la faiblesse des prix à l'importation (due probablement aux subventions décrétées par les pays exportateurs)".


Table des matières - Précédente - Suivante