6. Politique laitière et projets laitiers en Afrique

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6.1. Projets laitiers au Burkina Faso
6.2. Projets laitiers au Burundi
6.3. Projets laitiers en Côte d'Ivoire
6.4. Projets laitiers en Éthiopie
6.5. Projets laitiers au Mali
6.6. Les projets laitiers au Sénégal
6.7. Les enseignements des diverses expériences


Objet de toutes les sollicitudes dès avant les indépendances, l'Afrique a connu un nombre considérable de projets de développement de l'élevage: centres de recherche zootechnique, ranches privés ou publics, unités de production laitière liées ou non à un centre de traitement transformation du lait, etc. Ces projets ont été élaborés et conduits tant par les autorités locales que par des organismes extérieurs (ONG, organisations de développement agricole bi- ou multilatérales). L'amélioration génétique et la conduite du troupeau (alimentation et santé animale) ont été et restent au centre des préoccupations de tous les projets, mais les résultats enregistrés à ce jour sont plus que modestes: manque de moyens, absence de continuité et de cohérence dans les politiques de recherche et de développement laitiers. Dans ces conditions, les résultats sont décevants et les retombées sur la production locale quasi-inexistantes, alors que les projets avortés et les abandons jalonnent le parcours des filières Lait en Afrique.

Aujourd'hui, la lassitude a gagné bon nombre de partenaires du développement laitier en Afrique: les investisseurs privés mesurent chichement leurs appuis alors que nombre d'organisations semblent renoncer à s'engager plus à fond dans des opérations qui, l'expérience le montre, se révèlent trop souvent être des échecs. La dévaluation du FCFA va-t-elle permettre de repositionner la production locale face à des importations désormais plus coûteuses ? La logique économique devrait apporter une réponse positive, mais les investissements et aides extérieures sont aujourd'hui deux fois plus élevés, ce qui signifie un allongement proportionnel du retour d'investissement.

Bien évidemment, les structures actuelles peuvent et doivent servir de base aux projets de développement laitier en Afrique: le point fort de toute structure, l'épine dorsale doit être l'unité de traitement-transformation du lait, seul outil capable de sauvegarder une matière première particulièrement altérable... Mais cette condition nécessaire ne sera pas suffisante si aucune demande solvable proche n ' est à même d ' absorber régulièrement les productions de cette usine.

Les structures et les projets de développement laitier identifiés dans les zones couvertes par cette étude peuvent dans une large mesure être le point de départ d'une réflexion - mais aussi de la mise en place - relative aux filières Lait locales. Lorsque toutes les informations auront été recueillies, cette réflexion devrait être élargie à d'autres projets identifiés dans les pays concernés.

6.1. Projets laitiers au Burkina Faso

Lancé en juin 1990, le projet de "Développement de la production laitière" de Bobo-Dioulasso vise à améliorer la production du lait sur la région par des actions d'encadrement des éleveurs. Le projet intéresse six groupements totalisant 107 éleveurs et quelque 1100 vaches laitières.

En août 1991, une unité de traitement du lait "Faso Kossam est venue compléter le projet: cette unité doit permettre une meilleure commercialisation du lait produit par les groupements en offrant aux consommateurs une garantie de qualité et une diversification des produits offerts. Avec 2501/j au départ, Faso Kossam comptait rapidement disposer de 400/500 I/j pour assurer sa rentabilité.

Actuellement - faute d'une gestion efficace - les objectifs prévus ne sont pas atteints, la percée commerciale sur la ville de Bobo-Dioulasso reste trop modeste (1 % des approvisionnements ?), alors que la collecte n'arrive pas à mobiliser plus de 230 1/jour en moyenne, deux ans après la mise en route de l'usine. Si cette double contrainte en amont (approvisionnement en matière première) et en aval (commercialisation des produits) n'est pas rapidement levée, la viabilité économique du projet risque d'être irrémédiablement compromise.

6.2. Projets laitiers au Burundi

Il n'existe pas à l'heure actuelle de véritable projet de développement de la production laitière au Burandi, mais seulement des actions ponctuelles au niveau de fermes laitières à production intensive plus ou moins relayées par des unités de transformation jouant sur un approvisionnement mixte lait frais - lait en poudre. Mais pour l'immense majorité des éleveurs 95 % - prévalent encore des conditions traditionnelles de production, c'est à dire que la productivité et la rentabilité restent particulièrement faibles.

Les objectifs communs des fermes laitières sont les suivants:

Ces fermes appartiennent soit au secteur privé (SODEA: 12001/j, SOMERA: 1000 1/j) et affichent alors une bonne rentabilité, soit elles dépendent du secteur public (Ferme de Randa, rattachée au Centre National d'Insémination Artificielle et Ferme de Mahwa, rattachée à l'ISABU) et dans ce cas, les résultats financiers s'avèrent négatifs.

Ces fermes livrent en partie leur lait à deux laiteries présentes sur Bujumbura. La filière privée (SODEA: Produlait, et SOMERA) a eu un développement cohérent et s'avère rentable alors que la filière publique (Randa, Mahwa) souffre de coûts de production trop élevés; la privatisation de la L.C.B. en 1992 devrait inverser la tendance, mais sans doute en privilégiant la poudre de lait comme matière première. Toutefois il semble que les structures publiques (Centre National d'Insémination Artificielle, Institut des Sciences Agronomiques du Burundi) demeurent des outils indispensables pour le développement de la filière Lait au Burundi. La question est de savoir si ces structures peuvent être intégrées dans un système d'économie libérale où la rentabilité est un impératif incontournable, ou si elles doivent seulement être un service public pour l'ensemble des éleveurs du pays.

En 1993, deux nouveaux projets initiés par la Banque Mondiale étaient envisagés au Burundi, à Ngozi et Kayauza pour apporter à Bujumbura un supplément de lait (15001/j) permettant l'autosuffisance de la ville; d'autre part, des projets de micro beurreries sont envisagés pour valoriser la production laitière de zones rurales isolées.

De part ses conditions géo-climatiques et ses structures laitières étoffées, le Burundi serait en mesure de construire rapidement une filière Lait autosuffisante et rentable. Toutefois, la concurrence des importations parallèles de toutes natures et de tous horizons compromettent fortement cette mise en place. Plus encore, la situation socio-politique en forte et constante dégradation depuis octobre 1993 repousse à long terme la réalisation de tout projet.

6.3. Projets laitiers en Côte d'Ivoire

Malgré les efforts considérables entrepris par la Côte d'Ivoire, l'élevage reste une activité secondaire dans l'économie agricole du pays avec moins de 3 % de l'ensemble du secteur primaire. Le cadre institutionnel est pourtant fortement structuré au sein du Ministère de l'Agriculture (MINAGRI) et du Ministère de l'Enseignement et de la Recherche (MESRS) pour le développement de la recherche sur l'élevage.

La SODEPRA fondée en 1970 a pour but d'assurer des opérations de service public dans le domaine de l'élevage: encadrement, amélioration génétique, aménagement pastoraux et en aval, production, transformation et commercialisation des produits d'élevage.

En ce qui concerne plus spécifiquement la production laitière, les orientations pour l'intensification de la production en milieu traditionnel et en zones péri-urbaines sont prévues en deux phases:

1ère phase: organisation de l'approvisionnement des éleveurs en sous-produits agro-industriels;

2ème phase: proposer aux éleveurs une race laitière rustique issue de croisements effectués dans les centres de recherche zootechnique.

Ce programme prévu sur une durée globale de cinq ans doit d'abord concerner une quinzaine de villes où la vente de lait est active: le programme des éco-fermes de Bouaké sera pris en compte dans ce schéma de développement. Ce projet Eco-fermes lancé en 1986 et soutenu par la GTZ, concerne huit installations en situation péri-urbaine et se fixe l'objectif de promouvoir une production laitière rentable intégrant une meilleure valorisation des sous produits agro-industriels et le maintien de la fertilité des sols. Le résultat économique de ces exploitations s'avère actuellement positif. Par contre, la ferme de Brobo à 25 km de Bouaké, fonctionnant comme centre de formation, conduit à un coût de production très élevé. Cependant la valorisation du lait en fromage doit assurer la rentabilité globale du projet.

Sur Korhogo, la SODEPRA a réalisé plusieurs études sur l'intérêt de la création d'une unité agro-industrielle pour la transformation du lait produit localement. Les possibilités de collecte sont estimées à 30 0001/jour sur un rayon de 100 km autour de la ville. Trois projets ont été proposés pour valoriser le potentiel:

Le Nord de la Côte d'Ivoire est potentiellement apte à voir naître un projet laitier important. Le retrait ou la frilosité des opérateurs possibles trouvent leur explication dans une conjoncture locale très défavorable. Toutefois, la ceinture laitière qui se met en place à Bouaké (Eco-fermes) et le bassin laitier identifié dans un large rayon autour de Korhogo doivent inciter les responsables locaux ou extérieurs à aller au-delà des études d'identification.

6.4. Projets laitiers en Éthiopie

Les éléments disponibles sur les projets laitiers en Ethiopie et autour d'Addis Abeba semblent confidentiels. Au niveau officiel, la filière Lait éthiopienne est structurée autour de la D.D.E. présente à travers une unité de traitement-transformation - la laiterie Shola - et de 9 fermes laitières d'Etat. Pour l'ensemble de cette filière formelle, la rentabilité n'est pas assurée et la survie des différents établissements n'est possible qu'avec une intervention des autorités de tutelle. Les initiatives et projets semblent inexistants à ce niveau.

Par contre, la filière Beurre et le développement de crémeries -fromageries sur la ville d'Addis Abeba constituent un excellent exemple du dynamisme de ce secteur laissé à l'initiative privée. Il n'y a toutefois pas de projet de développement sur ces mini-laiteries urbaines dont l'approvisionnement, le fonctionnement, les débouchés... n'ont pas été pris en compte.

6.5. Projets laitiers au Mali

En 1985, le gouvernement malien adoptait une politique laitière dont les termes généraux sont largement utilisés:

Face à la pénurie persistante de l'approvisionnement des villes en lait et produits laitiers, un projet de développement d'une ceinture laitière a vu le jour en novembre 1989. En 1994 ce projet a été remplacé par l'Opération d'Appui aux Eleveurs Périurbains. Celui-ci intègre l'alimentation animale, la santé, l'habitat et la conduite des troupeaux; la recherche d'animaux laitiers performants s'appuie sur l'insémination artificielle à partir de semence "Montbéliarde".

La Colaiba (Coopérative laitière de Bamako) et l'ULB devaient être les instruments de cette politique laitière relancée à de multiples reprises. Mais les difficultés rencontrées et l'absence de rationalité économique ont largement compromis l'édification d'une filière Lait locale crédible. Les problèmes de la Colaiba à la suite des événements de mars 1991 n'y sont pas non plus étrangers.

Une nouvelle fois, c'est l'initiative privée qui permet d'entrevoir une possibilité de mettre sur pied un ensemble cohérent et viable de production-transformation-commercialisation de lait et produits laitiers dans un pays africain: les mini-laiteries installées à Bamako se développent rapidement depuis 1990/91, souvent à l'initiative de femmes. Le terme mini-laiterie recouvre en fait une réalité complexe, des unités bénéficiant de financements extérieurs (AIPB : Aide aux Initiatives Productives de Base, émanation de la CFD; ONG canadienne, FED) aux petits ateliers familiaux. Leur adaptation au marché constitue un élément essentiel de rentabilité.

Hors de Bamako, des projets laitiers se développent de façon diverse: succès relatif à Mopti (Kossam Mopti) suivant un financement de la CFD et une action de coopération décentralisée de la Région Franche-Comié, pour une petite unité performante de pasteurisation transformant en proportion variable selon la saison du lait en poudre et le lait local des élevages peuls, alors que Kénélait (crée en 1989 par initiative privée et prêt FED) à Sikasso a cessé ses activités en 1991. Une autre laiterie fonctionne à Koutiala avec l'appui d'une ONG française, le CIDR. Il s'agit d'une opération strictement villageoise, qui a valeur de test pour l'instant. L'objectif était de valoriser la production laitière des troupeaux de trait des agriculteurs de la zone cotonnière, qui n'ont pas de tradition d'élevage, et donc pas non plus de tradition laitière. L'expérience est un succès (organisation de la collecte, transformation minimale) et doit être reproduite dans d'autres zones du Mali.

6.6. Les projets laitiers au Sénégal

Il n'y a pas de structure politique ni de cadre législatif permettant d'asseoir le développement d'une filière Lait officielle au Sénégal; le seul appui à cette activité vient de la recherche zootechnique (C.R.Z.) et des services vétérinaires (L.N.E.R.V.). Les organisations de producteurs sont présentes à travers deux structures:

Ces deux structures implantées dans la région d'élevage de Niayes devraient être des modèles pour le développement de la filière Lait sénégalaise; elles fonctionnent actuellement très en deçà des objectifs prévus; Cooplait a même disparu récemment.

L'initiative privée reste donc le seul ancrage possible de cette filière Lait. Deux réalisations en cours d'évolution ont vu le jour au Sénégal:

Mais les volumes de collecte restent très éloignés des objectifs du programme de développement: un prix peu attractif (90 FCFA/litre) pourrait expliquer en partie cette défaillance des éleveurs. Malgré un coût de collecte et de traitement exorbitant, Nestlé entend poursuivre ce projet qui répond à une stratégie à long terme.

D'autres projets existent dans d'autres régions du pays: laiterie du projet Primoca à Sedhiou, projet privé OSBI de ferme laitière intensive avec mise en route d'une unité de fabrication de lait UHT dans la vallée du fleuve.

6.7. Les enseignements des diverses expériences

Les projets de développement laitier en Afrique sont nombreux et émanent de divers horizons: projets mis en place par les autorités locales et projets d'initiative privée. Les sources de financement sont également diversifiées: organisations internationales multilatérales (F.A.O., P.N.U.D.) ou bilatérales (F.A.C., C.F.D.) mais aussi des O.N.G. de toutes origines: canadienne, allemande, italienne, française... La viabilité de tous ces projets, exprimée en terme de rentabilité des capitaux investis, est très variable. Les projets d'initiative publique s 'avèrent généralement peu rentables et ne survivent que sous perfusion financière des autorités de tutelle, alors que les projets d'initiative privée, formel ou informel et souvent de taille modeste, connaissent une vitalité incontestable dans toutes les villes étudiées. En amont de la filière, on retrouve les mêmes difficultés, à savoir que les fermes laitières d'État (Ethiopie, Burundi) ou les structures coopératives (Sénégal, Mali), émanations de projets "officiels", souffrent d'une rentabilité médiocre qui conduit trop souvent à des échecs. Ces structures avaient pourtant été mises en place pour assurer la diffusion du progrès technique et économique au sein des éleveurs ruraux. Le fait est qu'elles n'ont pas souvent joué ce rôle et ont contribué à maintenir les éleveurs traditionnels dans l'immobilisme et la résignation, traits dominants de la filière Lait depuis des décennies. Or, il faut absolument que tout projet prenne en compte l'ensemble de la filière: production-transformation-distribution.

L'unité de traitement-transformation reste la pierre angulaire dans la construction de la filière. Toutefois il ne faut pas sous-estimer les freins s'opposant au développement d'une telle structure. Tout d'abord, il est nécessaire pour équilibrer les comptes de l'entreprise d'envisager un prix d'achat du lait au producteur qui soit sensiblement inférieur à celui des ventes directes et c'est par l'acceptation de cette obligation économique que se bâtit une solidarité entre les différents opérateurs de la filière, solidarité qui doit être à la base même de la filière. Cet écart de prix doit permettre d'intégrer la composante industrielle et commerciale du circuit formel et moderne.

Dans ces conditions d'achat à un moindre prix, il faut s'attendre à ce que les éleveurs privilégient une part plus ou moins importante de leur production vers la vente directe: c'est ce qui se passe pour Nestlé dans le Ferlo au Sénégal; dans ce cas, les conséquences sur la filière seront ressenties à long terme. Par contre, pour les adhérents de Colaiba, Cooplait et même Faso-Kossam, lorsque l'éleveur choisit l'option libérale et informelle de la vente directe, la pérennité de l'outil de transformation est compromise dès que le niveau des approvisionnements tend à baisser (saison sèche).

Également en aval, l'unité de traitement est confrontée aux structures de distribution du lait et des produits laitiers par le secteur informel, qui risque d'être déstabilisé: collecteurs, colporteurs et transformateurs artisanaux sont nombreux à graviter autour du lait. Ainsi, sur les différentes villes étudiées, ce secteur informel de transformation et de distribution peut regrouper plusieurs centaines d'opérateurs qui trouvent là un revenu. Il est certain que la déstabilisation de secteur informel ne sera pas compensée - loin de là - par des emplois créés au sein de la laiterie. De plus. Ie secteur informel, atomisé et souple, permet une distribution à la fois large et fine en allant vers les consommateurs (cf. système des clients abonnés dans presque toutes les villes), alors que la structure plus lourde de la laiterie ne pourra, pour des raisons de coûts de distribution excessifs atteindre un tel degré de diffusion.

Ainsi donc, toute mise en place d'une filière Lait doit prendre en compte les contraintes, rigidités, et pesanteurs liées aux habitudes rencontrées, tant en amont qu'en aval auprès de l'ensemble des agents économiques concernés; un seul maillon faible peut faire céder l'ensemble, et c'est l'échec, si fréquent dans les projets de développement laitier en Afrique. C'est donc une analyse minutieuse de la situation - au cas par cas - qui permettra d'éviter les erreurs: les études menées ici vont dans le sens d'une connaissance affinée des articulations au sein des filières Lait et constituent certainement une contribution intéressante à la définition des axes de réflexion pour la deuxième phase consacrée aux stratégies de développement de la production laitière en Afrique.


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