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CHAPITRE 1: Le contexte et les conditions du développement participatif


1. Le cadre historique
2. Les limites des approches sectorielles
3. Vers des approches de développement local
4. Les conditions favorables et les obstacles au développement local

Les interventions de terrain en Afrique sub-saharienne, et en Afrique de l'Ouest en particulier, s'organisent dans la majorité des cas autour de trois objectifs:

- l'augmentation de la production par l'amélioration de la productivité;
- la promotion de la participation et de la responsabilisation des producteurs;
- la protection de l'environnement et la gestion des ressources naturelles.
Théoriquement, toutes les interventions affichent au moins deux de ces objectifs. Dans la pratique cependant, les modalités de l'intervention et les dispositifs mis en oeuvre traduisent souvent une hiérarchisation des objectifs et donnent une tonalité à l'intervention. On a ainsi pu parler:
- de projets productifs donnant une large place à l'augmentation de la production et des rendements,

- de projets participatifs, centrés sur les attentes des producteurs et l'auto-promotion et,

- de projets orientés vers la protection de l'environnement tels que les projets forestiers, les actions de conservation des eaux et du sol, et plus récemment les projets de gestion des ressources naturelles ou de gestion des terroirs.

1. Le cadre historique


a. au moment des indépendances
b. dès la fin des années 60
c. pendant les années 70
d. au cours des années 80

Au cours de l'histoire du développement en Afrique sub-saharienne, chacun de ces trois objectifs a occupé une place et a mobilisé une attention et des moyens variables selon les pays et les périodes. De façon schématique, et en sachant qu'il faudrait nuancer au cas par cas, on peut dire que les évolutions paraissent avoir connu 4 grandes périodes.

a. au moment des indépendances

Dans certains pays (Sénégal, Niger, Madagascar...), c'est l'approche participative qui paraît dominer. Ces pays ont alors opté pour un développement contractuel fondé sur une implication de la population lors de la mise en oeuvre de programmes de développement et sur une responsabilisation des producteurs dans la gestion de ces actions. Cela s'est souvent traduit par:

- la création de dispositifs spécifiques chargés de promouvoir la participation de la population au moyen de l'animation rurale et du développement communautaire;

- la définition de programmes multisectoriels censés répondre aux attentes des bénéficiaires dans les domaines économique et social;

- la création de structures (les coopératives par exemple) censées donner un cadre officiel à la participation populaire.

b. dès la fin des années 60

Sous l'effet conjugué de modèles véhiculés par certains grands bailleurs de fonds, d'une détérioration du contexte économique international, de changements politiques internes et parfois de dérives des appareils censés promouvoir la participation des producteurs, c'est l'objectif d'augmentation de la production qui semble devenir dominant dans la plupart des pays.

Cela se traduit le plus souvent par de grands projets, axés sur une culture motrice, généralement d'exportation (l'arachide et le coton en Afrique de l'Ouest selon que l'on se situe dans les zones sahéliennes ou dans la zone de savanes, le café, le cacao dans les zones humides, etc...). Ces grands projets peuvent être sectoriels ("opération productivité mil-arachide" au Sénégal) ou intégrés (ils incluent alors plusieurs volets) mais ils donnent presque toujours la priorité à l'augmentation de la production par l'amélioration de la productivité.

Les caractéristiques de ces projets sont généralement les suivantes:

- les objectifs, les contenus et les modalités de leur mise en oeuvre sont définis de l'extérieur et proposés (de façon plus ou moins impérative) aux producteurs; l'approche technocratique l'emporte souvent sur l'approche participative;

- des paquets technologiques sont élaborés par la recherche et traduits par des appareils de vulgarisation spécifiques en messages que l'on s'efforce de diffuser aux producteurs;

- les projets tentent, avec plus ou moins de réussite selon les cas, d'organiser les producteurs à la base (quartier, village) pour qu'ils prennent en charge des tâches et des fonctions complémentaires de l'action menée par les appareils de développement (recensement des besoins et distribution des intrants, caution solidaire pour le crédit, collecte primaire des produits, etc..).

c. pendant les années 70

Dans certains pays, d'autres approches se maintiennent et continuent à privilégier l'objectif de participation populaire. Sont particulièrement représentatives de cette option, les approches des ONG, au Sahel en particulier, et les politiques de décentralisation administrative menées à partir des années 70 par des pays comme le Sénégal, le Rwanda, le Burundi par exemple. Les tendances de ces actions sont de deux ordres:

- autour de micro-réalisations, les ONG s'efforcent d'instaurer des rapports contractuels avec la population, de promouvoir une participation effective, en utilisant la marge de manoeuvre que leur laissent les projets;

- des collectivités locales territoriales dirigées par des conseils élus voient le jour dans certains pays; elles expriment la volonté de l'Etat de se décentraliser et de donner un cadre institutionnel à la gestion par la population de ses propres affaires, même si dans la pratique divers facteurs ont gêné souvent l'efficacité de leur action.

Il faut souligner aussi que certains grands bailleurs de fonds et institutions internationales maintiennent pendant cette période des approches qui s'efforcent d'intégrer les objectifs de participation populaire et d'amélioration de la production. C'est par exemple le cas du Fonds des Nations-Unies pour l'Equipement qui apporte dans plusieurs pays un appui aux programmes de promotion féminine. C'est aussi le cas du FIDA qui vise souvent à travers ses actions les groupes les plus démunis. La FAO de son côté soutiendra divers projets intégrés qui visent simultanément la préservation de l'environnement, la participation populaire et l'accroissement de la productivité.

d. au cours des années 80

Des révisions importantes s'opèrent dans les stratégies de développement officielles et dans les priorités affirmées. A l'origine de ces changements, on trouve généralement trois constats:

- les résultats des grands projets d'augmentation de la production sont souvent décevants même s'il y a eu des réussites comme par exemple, le développement de la culture cotonnière dans le Mali-Sud;

- le coût des appareils de développement et du soutien à l'agriculture est jugé excessif par les bailleurs de fonds qui poussent les Etats à se désengager;

- la dégradation des ressources naturelles qui touche, selon des formes différentes, toutes les régions africaines et va en s'accélérant.

Ces constats amènent les Etats, poussés par leurs bailleurs de fonds, à définir deux nouvelles priorités:
- l'importance de la participation populaire s'impose. Elle est présentée comme une condition d'efficacité et de pérennité des actions entreprises, mais est souvent ressentie comme le moyen de transférer aux producteurs des tâches, des fonctions et des charges, notamment financières, que l'Etat ne peut plus assumer;

- la protection de l'environnement et la promotion d'une agriculture durable s'affirment comme prioritaires. Elles donnent lieu à la multiplication de projets et programmes de gestion des ressources naturelles et de gestion des terroirs qui ont souvent pour objectif central la préservation, la régénération du capital écologique et la création de conditions (techniques, sociales, juridiques) de leur renouvellement. Ces programmes sont centrés tantôt sur la préservation de sites, d'espèces, etc.. tantôt sur une approche multisectorielle donnant une place importante à l'objectif de durabilité.

Ce bref historique ne prétend pas bien sûr rendre compte de la diversité des options de développement des pays d'Afrique sub-saharienne et d'Afrique de l'Ouest en particulier, ni de la façon particulière dont ces options ont été traduites en projets et programmes dans chaque pays. Il tente seulement d'identifier les grandes tendances. De façon générale, on constate cependant que les grands projets officiels semblent avoir eu beaucoup de difficultés à mettre en oeuvre des approches réellement intégrées combinant l'objectif d'augmentation de la production et la prise en compte de l'environnement, tout en cherchant à créer les conditions d'une appropriation et d'une maîtrise des changements par les ruraux.

Dans la pratique, et au-delà des intentions affichées, chaque objectif s'affirme comme prioritaire à un moment donné, ou dans un lieu donné, et engendre une approche plus ou moins sectorielle. Des approches sectorielles ou spécialisées, bâties autour d'un objectif central, se succèdent ainsi dans le temps, accréditant l'idée de modes en matière de développement. Ces évolutions ne se font pas bien sûr partout de la même manière et il est fréquent de voir des projets d'inspiration différente co-exister dans un même pays ou une même région.

2. Les limites des approches sectorielles


a. l'augmentation de la production
b. la gestion des ressources naturelle
c. la participation populaire

L'augmentation de la production par l'amélioration de la productivité, une mise en valeur de ressources naturelles qui permette leur renouvellement, la participation de la population à la définition et à la gestion des actions qui la concernent, sont des objectifs qui ont chacun leur légitimité.

Mais quand un objectif est déconnecté des autres (ou survalorisé), l'approche devient sectorielle et se heurte généralement tôt ou tard à de nombreuses difficultés. Elle génère des problèmes nouveaux qui deviendront à leur tour prioritaires en termes d'action. Les points suivants tentent de mettre en évidence quelques-unes des limites des approches sectorielles pourtant organisées autour d'un objectif légitime.

a. l'augmentation de la production

Elle est envisagée par l'amélioration des rendements et ceci est un objectif dont la légitimité est reconnue par tous les acteurs du développement. Il s'impose à la plupart des Etats comme un moyen de renforcer la sécurité alimentaire des villes et des campagnes. Il est aussi perçu comme un moyen de générer des ressources indispensables au fonctionnement des services publics et les devises nécessaires à l'importation de biens de production et de consommation ainsi qu'au paiement de la dette extérieure.

Mais de façon globale, les statistiques montrent que la croissance agricole en Afrique a été inférieure à la croissance démographique et que les importations alimentaires se sont accrues ainsi que l'aide alimentaire. Même si la situation alimentaire s'est améliorée dans certains pays (Mali, Burkina Faso, Niger par exemple) grâce à un accroissement de la production lié à une amélioration de la productivité de la terre, la croissance agricole a été inégale et, dans la plupart des pays, insuffisante pour accroître de façon convenable les revenus per capita.

Il est donc fort "légitime" que tous les Etats et leurs bailleurs de fonds fassent de l'augmentation de la production et de la productivité un objectif central des politiques agricoles. De la réalisation de cet objectif dépend le développement de l'industrie qui a besoin de matières premières agricoles et l'essor des activités qui fournissent des services à l'agriculture.

Les producteurs ruraux, bien sûr, sont eux aussi intéressés par une augmentation des rendements, surtout dans un contexte rural marqué dans certains endroits par une pression foncière accrue et dans un contexte économique où se réduisent les alternatives en matière d'emploi. La sécurité alimentaire passe le plus souvent par une couverture des besoins vivriers au sein de l'exploitation. Un revenu monétaire est indispensable pour faire face aux multiples besoins sociaux et à des investissements agricoles ou extra-agricoles individuels ou collectifs.

Cependant, l'unanimité qui entoure l'objectif d'amélioration de la productivité ne se traduit pas automatiquement par une réussite généralisée des interventions qui en font leur priorité. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette apparente contradiction. On peut citer entre autre le fait que:

- les propositions techniques formulées ne sont pas toujours adaptées aux stratégies des producteurs. Ainsi par exemple, l'adoption par les paysans de certains paquets technologiques suppose un accroissement des risques encourus alors que dans des zones où l'agriculture est soumise à des conditions précaires, la stratégie des paysans est orientée vers la recherche de la sécurité par la limitation des risques (cas des zones sahéliennes mais aussi des producteurs les plus démunis partout en Afrique);

- les obstacles à l'intensification naissent souvent d'un environnement économique défavorable (prix aux producteurs peu incitatifs, coût élevé et faible disponibilité des intrants, absence d'un crédit agricole adapté, état médiocre des infrastructures de commercialisation, absence de marchés organisés pour les céréales, etc...);

- l'absence d'une convergence d'intérêts entre les différents acteurs concernés est souvent à l'origine de nombreuses difficultés. La non-prise en compte, au nom d'objectifs et de contraintes macro-économiques, des finalités des producteurs (qui ne se réduisent pas à une ou deux spéculations mais qui englobent souvent, au plan économique, la pluri-activité et des préoccupations sociales, culturelles), amène les paysans à puiser de façon sélective dans les propositions qui leur sont faites ou à s'en détourner. De la même façon, les intérêts des paysans sont parfois sacrifiés de manière excessive dans la gestion de certaines filières, ce qui finit par diminuer leur capacité d'accumulation et plus généralement la rentabilité des changements entrepris.

La réussite de Mali-Sud est à cet égard illustrative. L'action de la CMDT a permis une sécurisation du contexte économique (approvisionnement, commercialisation, crédit). Son articulation avec la recherche a permis l'élaboration de propositions techniques diversifiées adaptées à différentes situations agricoles. Simultanément, une politique originale d'appui à l'organisation villageoise et de formation a permis l'émergence de 1700 associations villageoises (AV), auxquelles ont été transférées des ressources financières permettant divers investissements sociaux et économiques.

Les résultats apparaissent très positifs en matière d'augmentation de la production (près de 300.000 tonnes de coton en 92/93 et des excédents vivriers) et de responsabilisation des producteurs. Les AV se sont fédérées en 1991 dans un Syndicat des cotonniers et vivriers (SYCOV) qui s'affirme comme un partenaire à part entière des autres acteurs intervenant dans la région.

Cependant, et peut-être parce qu'une attention insuffisante a été apportée aux conséquences de l'intensification sur l'environnement, le Sud du Mali est confronté à un processus de dégradation des ressources naturelles qui devient préoccupant et prioritaire en termes d'action. Il existe en outre des inquiétudes sur l'évolution du prix du coton, dont la baisse pourrait compromettre les résultats obtenus. Des stratégies de diversification sont ainsi devenues nécessaires.

b. la gestion des ressources naturelle

Elle apparaît elle aussi comme un objectif légitime des interventions de développement. Le constat d'un processus de dégradation des ressources naturelles qui peut compromettre l'avenir de l'agriculture africaine s'impose à tous, même s'il prend des formes diverses et s'il est d'une gravité variable selon les régions.

En première analyse, deux facteurs interdépendants peuvent contribuer à expliquer ce processus de dégradation:

- l'exploitation des ressources naturelles s'intensifie au fur et à mesure que la population augmente, que ses besoins alimentaires et monétaires s'accroissent et qu'elle dispose de techniques facilitant et/ou accélérant leur mise en valeur. C'est là une "tendance lourde" dont les pays du Nord ont une grande expérience.

- les règles de gestion des ressources naturelles en vigueur dans maints endroits paraissent insuffisantes (ou inadaptées) pour enrayer un processus de dégradation, notamment dans les zones appropriées ou utilisées collectivement.

Tous les acteurs du développement paraissent aujourd'hui conscients des processus de dégradation en cours et jugent important de chercher les moyens d'y remédier. Alertés par les formes graves de dégradation dans certaines régions et poussés par le développement de la réflexion internationale sur l'environnement, les Etats et leurs bailleurs de fonds ont en fait une priorité.

Les producteurs sont les premiers touchés par la dégradation en cours (baisse de la fertilité, zones devenues impropres à la culture, raréfaction des pâturages, du bois de feu, salinisation. Ils en connaissent les mécanismes et en subissent les conséquences en termes de rendements, de pénibilité accrue du travail, etc...).

Si l'objectif de préservation et de gestion des ressources naturelles est légitime, les actions sectorielles menées pour l'atteindre ont rencontré beaucoup de déboires:

- les approches répressives ainsi que la réglementation par l'Etat de l'utilisation des ressources ont montré leurs limites. Diverses expériences font en effet ressortir que si des réglementations officielles sont nécessaires, elles ne sont pas suffisantes pour changer durablement les pratiques des ruraux.

- la sensibilisation des paysans par des services spécialisés est l'alternative, et plus souvent le complément, d'une réglementation officielle, extérieure. Elle postule que les paysans détruisent leurs ressources naturelles parce qu'ils ne sont pas conscients des conséquences de cette destruction. Or, il suffit de discuter sérieusement avec eux pour se rendre compte du contraire. Ils ont une connaissance très fine des conséquences de la dégradation en cours et font souvent des analyses pertinentes de ses causes mais ils considèrent qu'en l'état actuel des choses, ils ne peuvent pas faire autrement;

- l'utilisation de mesures incitatives en faveur de pratiques conservatrices de l'environnement (lutte anti-érosive, reboisement) avec ou sans stimulations matérielles (vivres, argent) donne des résultats souvent rapides mais dont la durée est variable. Lorsque le capital écologique est très fortement dégradé et que la production agricole ou pastorale est déjà très compromise, des habitudes nouvelles se créent (cas des cordons pierreux au Yatenga). Lorsque la densité de population est très forte et les surfaces disponibles limitées, des réflexes de protection de l'environnement sont constatés surtout s'ils sont stimulés par une politique officielle volontariste et vigoureuse (Rwanda, Burundi). Dans d'autres cas, la mobilisation populaire est souvent de durée variable et il n'est pas rare qu'elle cesse avec le projet ou bien qu'elle reste très en deçà des besoins observés.

La faible efficacité de nombreuses interventions sectorielles centrées sur le seul objectif de gestion des ressources naturelles s'explique sans doute par le fait que dans diverses régions d'Afrique, la dégradation du milieu est le signe le plus visible (ou le plus alarmant) d'une détérioration plus générale des conditions de production et d'existence des ruraux et de la décapitalisation au sein des exploitations agricoles.

Confrontés à de multiples contraintes (augmentation des besoins vivriers et monétaires, baisse de la pluviométrie, stagnation ou diminution des prix des produits agricoles, augmentation du prix des intrants), dont la plupart ne dépendent pas d'eux en premier lieu, les paysans tentent de s'adapter. Leur marge de manoeuvre est étroite et ils sont donc amenés à puiser dans leur capital écologique compromettant ainsi l'avenir.

L'affaiblissement général des règles traditionnelles de gestion et la difficulté d'y substituer des règles nouvelles et efficaces ouvrent le champ à des pratiques individuelles, de la part des paysans mais aussi d'autres acteurs locaux ou extérieurs (les charbonniers par exemple) dictées par le seul court terme (survie ou recherche du profit maximum). Ceci aggrave la dégradation du milieu naturel et "fait craquer" à leur tour les règles collectives encore en vigueur. Les sociétés rurales entrent ainsi dans un cercle vicieux où différents facteurs défavorables à une mise en valeur durable des ressources naturelles, se renforcent mutuellement.

c. la participation populaire

C'est un objectif lui aussi légitime que les ruraux sont de plus en plus nombreux à revendiquer mais cette légitimité est diversement reconnue par d'autres acteurs du développement qui lui donnent parfois un contenu restrictif. La notion de "participation populaire" ayant connu divers avatars, il semble utile de la redéfinir ici en donnant d'abord quelques points de repère sur ce que n'est pas la participation populaire, avant de préciser ce qu'elle peut être.

- La participation ne consiste pas à transférer à la population des fonctions et des charges matérielles et financières qui découlent de décisions prises en dehors d'elle. C'est pourtant l'ambiguïté de certaines des formes que prend le désengagement de l'Etat: des décisions de transfert de responsabilités aux populations sont prises de façon unilatérale, des calendriers sont fixés sans concertation, des limites sont données à la participation qui est parfois souhaitée pour combler des vides laissés par le retrait des intervenants extérieurs et jugée souvent inutile pour réfléchir sur la politique agricole (prix, subventions, etc...).

- Elle ne consiste pas non plus à rechercher l'aval ou l'adhésion a posteriori de la population à des objectifs, des programmes d'action, des démarches définis de façon unilatérale par des intervenants extérieurs.

- Elle ne consiste donc pas à informer parfois hâtivement ou à sensibiliser la population pour obtenir une adhésion formelle ou une mobilisation conjoncturelle et ponctuelle.

- Elle n'est pas non plus un simple recours en cas de dysfonctionnements ou de difficultés dans la mise en oeuvre de programmes nationaux, régionaux ou locaux définis sans concertation.

- Elle n'est pas réservée aux zones les plus difficiles, là où les intervenants extérieurs considèrent que les enjeux économiques sont peu significatifs en ternies macro-économiques.

- Elle n'est pas non plus réservée aux seules catégories sociales les plus démunies, que la faible capacité d'investissement semble disqualifier pour des objectifs économiques.

- La participation des populations consiste à restituer à celles-ci un pouvoir d'initiative et de décision dans la définition et la mise en oeuvre des actions et programmes qui concernent son propre avenir. Cela signifie que les intervenants extérieurs et les Etats reconnaissent les paysans, éleveurs, artisans, etc... comme des acteurs du développement, des partenaires à part entière et non comme les cibles d'un projet extérieur ou les moyens de mettre en oeuvre des décisions prises sans eux.

- il n'y a donc de participation populaire que si s'instaure une relation de partenariat, des rapports contractuels, entre la population concernée par un programme d'action et les autres acteurs. Cela suppose que le programme s'appuie sur un diagnostic concerté et que ses orientations prennent en compte les aspirations, les objectifs et les contraintes des différentes parties. Une intervention n'est donc participative que si elle résulte de compromis, explicites et négociés, entre les intérêts des différents acteurs.

- la participation de la population s'exprime d'abord à l'échelon local autour de programmes particuliers. Elle s'élargit cependant à d'autres échelles géographiques et niveaux de décision (région, pays, etc..) au fur et à mesure que se consolident et se fédèrent les organisations rurales de base.

Les projets dits "participatifs" l'ont été à des degrés divers. Certains se sont cependant efforcés de promouvoir une véritable participation de la population et ont fait une priorité de cet objectif sans pour autant enregistrer toujours des réussites durables à des échelles significatives. Les approches participatives ont souvent enregistré des résultats prometteurs à "petite échelle", à l'échelon de quelques villages. Trois raisons peuvent l'expliquer: les intervenants se sont souvent donnés des objectifs quantitatifs à la mesure de leurs moyens humains et financiers souvent réduits (cas des ONG); ils ont travaillé à la marge des grands projets de développement, utilisant l'espace ou les interstices laissés libres par les interventions dominantes; en outre, les promoteurs de projets participatifs ont acquis la certitude que la participation ne pouvait être effective qu'au sein d'espaces limités, maîtrisables par la population.

Les approches participatives à l'échelon local ont eu parfois tendance à isoler leurs actions du contexte socio-économique dans lequel elles s'inscrivaient. Certaines interventions visant l'auto-développement ou l'auto-promotion ont privilégié des activités économiques de diversification (maraîchage, transformation, artisanat, etc...), des actions à caractère social, qui répondaient aux besoins des populations. Elles n'ont que peu touché aux activités qui constituent la base économique principale des exploitations (agriculture pluviale, élevage, etc..) soit parce que les problèmes étaient trop complexes, soit parce que les marges de progrès et d'action semblaient très étroites faute d'alliances avec la recherche, de possibilité (ou de désir d'agir) sur les politiques de prix, etc.. De ce fait, les actions menées ont souvent été utiles et appréciées par les paysans. Elles ont aussi rencontré des limites (manque de marchés organisés par exemple, technologies parfois peu au point, etc..) et n'ont que relativement peu enrayé l'aggravation des tendances lourdes de l'agriculture.

Les approches participatives se sont attaquées diversement à la gestion des ressources naturelles. Certains intervenants "participatifs" ont cependant été parmi les premiers à y accorder de l'importance, bien avant que la réflexion sur l'environnement devienne une préoccupation affirmée à l'échelon international. La sensibilité écologique de certains intervenants a depuis les années 70 donné lieu à divers programmes "d'éco-développement" basés sur des technologies alternatives, respectueuses de l'environnement: compost, énergies renouvelables, etc.. D'autres intervenants ont eu pour préoccupation principale une approche participative de la gestion de l'environnement (reboisement villageois, diminution de la consommation de bois de feu, etc...). Des succès ont été enregistrés dans ces divers domaines mais les expériences ont assez rarement dépassé l'échelon local.

Enfin, d'autres intervenants ont eu des difficultés à concilier la recherche de réponses aux besoins exprimés par les producteurs qui se situaient souvent et d'abord dans une perspective de court terme et la mise en oeuvre d'actions sur l'environnement prenant en compte souvent le moyen et long terme.

3. Vers des approches de développement local


a. la reconnaissance des acteurs locaux
b. la revalorisation de l'échelon local
c. le transfert du pouvoir de décision
d. l'intégration de différentes échelles de temps
e. Les approches multi-sectorielles et interconnectées

Les limites d'intervention décidées de l'extérieur, sans concertation suffisante avec les intéressés, ont amené les intervenants à revaloriser la "participation populaire" comme condition d'efficacité et de pérennité des actions entreprises, même si cette revalorisation n'est pas sans ambiguïtés parfois.

Les enseignements positifs et négatifs des expériences ont mis en évidence la difficulté d'obtenir des résultats significatifs et durables par des approches sectorielles, l'approche arbitrairement isolée d'un problème, si grave et évident soit-il, ne parvenant qu'exceptionnellement à des solutions satisfaisantes et durables et ceci pour deux raisons:

- soit l'approche sectorielle génère ou aggrave à terme un problème nouveau qui devient à son tour prioritaire (le processus de dégradation de l'environnement a parfois été accéléré par les techniques diffusées par les projets productifs);

- soit l'approche sectorielle mobilise peu les ruraux car elle ne correspond pas à leur stratégie, s'inscrit dans une perspective de moyen et long terme alors que les producteurs sont préoccupés par des contraintes immédiates insuffisamment prises en compte (cas de certains projets centrés sur la préservation des ressources naturelles).

Ces divers constats amènent certains Etats et certains intervenants extérieurs à se tourner vers des approches de développement local et à ce propos on peut donner deux définitions:
"Le développement local c'est pour les sociétés locales la faculté de relocaliser leur développement, en s'appuyant sur les caractéristiques de leur espace: richesses naturelles, humaines, spécificité de l'espace, organisation sociale propre, tradition culturelle. Pour cela, il faut que la société "récupère" un certain nombre de fonctions sur cet espace, mais aussi opère une sorte de rupture avec le passé. Le développement local vise ainsi à recréer un espace structuré par des pôles, relativement autonome, capable de négocier avec l'extérieur..." (J. Mangin, 1989).

"Le développement local est une démarche globale de mise en mouvement et en synergie des acteurs locaux pour la mise en valeur des ressources humaines et matérielles d'un territoire donné, en relation négociée avec les centres de décision des ensembles économiques, sociaux et politiques dans lesquels ils s'intègrent" (P. Houée, 1989).

Ces deux définitions mettent en évidence les principales caractéristiques de ces approches. On en donnera cinq:

a. la reconnaissance des acteurs locaux

Le rôle qu'ils jouent dans la définition et la mise en oeuvre de programmes de développement est la première caractéristique des approches de développement local. Après de multiples détours, et parce qu'il ne reste parfois pas d'autre voie à explorer, certains Etats et certains grands bailleurs de fonds semblent décidés à miser sur les acteurs locaux et en particulier sur les producteurs, notamment:

- là où l'agriculture paysanne est appelée à rester dominante car ce sont les producteurs qui, en dernière instance, prennent ou non la décision de changer ou de maintenir leurs pratiques et comportements économiques;

- dans les régions où les conditions de production sont aléatoires et précaires, où la rentabilité économique des investissements est peu assurée et n'attire pas de grands entrepreneurs;

- partout où des équilibres écologiques sont en danger, du fait d'une utilisation des ressources naturelles qui ne permet pas leur régénération et où de nouveaux équilibres ne peuvent être recherchés qu'en collaboration avec la population locale.

Ces révisions sont accélérées dans certains pays par les processus de démocratisation en cours, par les politiques de décentralisation administrative et par la montée en puissance d'organisations de producteurs qui se fédèrent à des échelons géographiques supérieurs (région, pays) et qui revendiquent des approches négociées (Mali, Sénégal, Cameroun, Côte d'Ivoire...)

b. la revalorisation de l'échelon local

La revalorisation de cet échelon comme lieu d'initiative et de décision et la prise en compte de ses articulations avec les échelles géographiques et les niveaux de décision plus englobants est la deuxième caractéristique des approches de développement local.

Dans ces approches, l'échelon local cesse d'être considéré comme le point d'application d'orientations de développement décidées par des intervenants extérieurs à partir d'analyses externes et des seules exigences macro-économiques. Il devient le lieu où les acteurs locaux reprennent l'initiative pour définir les orientations de leur développement économique, social et culturel et pour les mettre en oeuvre.

C'est à l'échelle que les producteurs peuvent prendre des initiatives, que peuvent se négocier des collaborations, des contrats entre acteurs locaux et avec des partenaires extérieurs. C'est en effet cet espace que les paysans peuvent le mieux appréhender et c'est sur lui qu'ils ont le plus de possibilités d'agir. A noter que souvent l'échelon local s'élargit socialement, du fait de ressortissants qui restent liés à leur petite région même s'ils en sont géographiquement éloignés.

L'importance donnée à l'échelon local ne signifie pas "repli sur soi" ni retour à une autarcie devenue impossible et que les acteurs locaux ne souhaitent d'ailleurs pas. Il n'y a développement local que si, d'une part, se créent des relations contractuelles entre les villageois et les autres acteurs locaux et si, d'autre part, des relations négociées s'instaurent entre les acteurs locaux et les autres niveaux de décision économiques et politiques.

Il ne s'agit donc pas de centrer la réflexion sur la seule société locale mais de donner à cette dernière:

- les moyens de se définir un projet d'avenir et des programmes d'action;

- les moyens de négocier ses projets et programmes avec les acteurs économiques situés aux échelons régional et national, les institutions techniques et politiques de développement, les sources de financement, etc...

c. le transfert du pouvoir de décision

C'est la troisième caractéristique des approches de développement local. Elle cherche à mettre les populations en situation de responsabilité vis-à-vis du capital écologique dont elles disposent et dont les types de mise en valeur peuvent selon les cas favoriser ou compromettre le renouvellement.

Ce n'est pas bien sûr parce que les acteurs locaux sont responsabilisés dans la gestion des ressources naturelles et de leurs terroirs qu'ils prennent automatiquement des décisions permettant leur préservation voire leur accroissement. De nombreux facteurs peuvent, surtout au départ, freiner la prise de mesures dans ce sens: divergences d'intérêt, primauté des objectifs à court terme, sous-estimation (volontaire ou non) des conséquences de certains choix de production, etc..

Cependant, la responsabilisation effective et durable des producteurs dans la définition et la mise en oeuvre d'actions de développement accroît les chances d'une réflexion endogène sur les modes de mise en valeur du milieu même si celle-ci est souvent, et spontanément, différée. Il appartient alors à ceux qui appuient la démarche des acteurs locaux de mettre en perspective les programmes à court terme avec premièrement l'état des ressources naturelles et deuxièmement leurs perspectives d'évolution à moyen et long terme.

d. l'intégration de différentes échelles de temps

C'est la quatrième caractéristique du développement local. L'urgence de problèmes immédiats pousse la population rurale à privilégier souvent des stratégies de court terme même si elle est fréquemment consciente de leurs conséquences à moyen et long terme. Beaucoup de projets de développement de la production ont fait de même sacrifiant parfois la participation populaire, la formation des producteurs, et parfois l'environnement, pour atteindre des objectifs quantitatifs "urgents" au plan macro-économique. A l'inverse, certains projets centrés sur l'environnement ont misé sur le moyen et long terme et ont insuffisamment pris en compte les contraintes qui pesaient sur les producteurs et qui nécessitaient des actions immédiates même si leurs effets n'étaient que limités.

Il n'y a de développement local que si les approches mises en oeuvre prennent en compte le court, moyen et long terme. Cela suppose que le point de départ de l'intervention soit la situation vécue par les acteurs locaux et l'analyse des causes internes et externes qui en sont à l'origine.

C'est à partir de ce diagnostic initial et concerté que sont identifiées des actions immédiates et à court terme, susceptibles de résoudre des problèmes "urgents", donnant ainsi de la crédibilité à la démarche entreprise.

La réalisation de ce premier programme, à court terme, permet de renforcer la réflexion locale et de définir des orientations à long terme d'où peut se déduire un plan d'action à moyen terme.

e. Les approches multi-sectorielles et interconnectées

Elles sont inséparables du développement local, plus ou moins rapidement. De fait, les ruraux vivent leur réalité sans la sectorialiser. Ainsi, à titre d'exemple, on peut dire que les déficiences du système de santé pèsent lourd sur les résultats de la production, ou bien que la déforestation est inéluctable tant que des solutions n'ont pas été trouvées pour le bois de feu, l'alimentation du bétail. De même, il est admis que de multiples activités extra-agricoles tentent de limiter les risques que les aléas de l'agriculture font peser sur la sécurité alimentaire et les revenus monétaires.

Face à ces défis et à ces cercles vicieux, la finalité des programmes de développement local, est d'amorcer une "spirale ascendante" permettant de retrouver de nouveaux équilibres entre le milieu naturel et la société qui le met en valeur, de recomplexifier l'économie locale par de nouvelles activités interconnectées dans l'agriculture et l'élevage, dans le reboisement, l'artisanat, le commerce, la transformation, les équipements sociaux de base, etc...

La définition par lés acteurs locaux d'un véritable projet d'avenir multisectoriel, en créant une référence commune, semble la mieux à même de leur permettre d'élaborer une stratégie cohérente de développement économique, social et culturel et donc d'augmenter la probabilité d'une "reproduction élargie" de la société rurale.

Cela ne signifie pas que tous les secteurs de la vie économique et sociale doivent être appréhendés d'emblée. Le point de départ peut être global ou sectoriel, selon la demande sociale exprimée. Cependant, lorsque le point de départ est sectoriel, il est important d'une part qu'il soit resitué dans l'analyse du contexte général dans lequel il acquiert un sens et que d'autre part l'approche initiale s'élargisse au fur et à mesure que cela apparaît nécessaire aux acteurs locaux.

4. Les conditions favorables et les obstacles au développement local


a. les facteurs favorables
b. les obstacles externes et internes

Toutes les interventions de développement rural ont été localisées géographiquement et cependant peu d'entr'elles ont généré des dynamiques locales durables et maîtrisées. A défaut de recettes infaillibles ou de conditions de réussite, on peut parler cependant de facteurs favorables, qui apparaissent fréquemment dans diverses expériences prometteuses.

a. les facteurs favorables

Le recours à un espace d'initiative constitue un premier facteur important. Il suppose une législation et une réglementation souples en matière d'association, un espace d'initiative économique que la libéralisation de l'économie favorise, la reconnaissance de la diversité des formes d'organisation sociale et de leur contenu culturel, etc...

L'existence d'enjeux techniques et économiques importants et perçus comme tels par les intéressés est un facteur essentiel. Ce n'est en effet qu'autour d'objectifs réellement mobilisateurs et partagés par le grand nombre que peuvent se construire des dynamiques nouvelles.

La présence de leaders locaux est un autre facteur important que l'on retrouvé dans les dynamiques locales les plus prometteuses. Paysans ou intellectuels fortement enracinés dans leur milieu ont un rôle souvent déterminant mais qui n'est durable que s'il y a volonté et capacité des leaders à animer la dynamique amorcée, à décentraliser les responsabilités, à favoriser le partage des tâches, etc...

L'utilisation de stimulations extérieures est enfin un facteur constant. En font partie les appuis pour accroître l'accès à l'information des acteurs locaux et leur formation, des propositions techniques, des soutiens matériels et financiers, etc... Encore faut-il que ces appuis viennent renforcer les stratégies endogènes et non les infléchir à partir de modèles et de normes extérieures.

b. les obstacles externes et internes

De nombreux obstacles freinent l'émergence et le renforcement de dynamiques locales de développement. Il s'agit d'obstacles extérieurs qui naissent d'un environnement socio-politique peu ouvert aux initiatives d'acteurs locaux et/ou d'un contexte économique peu incitatif. Ils peuvent aussi être liés à la nature d'interventions censées favoriser les dynamiques locales mais qui dans leur mise en oeuvre restent peu conformes aux attentes des acteurs locaux.

Il y a aussi des obstacles internes à la société locale dont l'organisation sociale pré-existante et la culture freinent parfois les initiatives qui sont toujours au départ portées par quelques individus. Ces obstacles rendent difficiles l'émancipation de certains groupes sociaux. L'accès réduit à l'information, à la formation, l'affaiblissement de références sociales et culturelles peuvent aussi empêcher ou ralentir une réaction organisée des sociétés locales.


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