Previous Page Table of Contents Next Page


La gestion forestière durable: leçons de l'histoire et développements récents


J.-P. Lanly

Jean-Paul Lanly est Directeur de la Division des ressources forestières de la FAO.

Considérations sur l'évolution du concept de durabilité, et analyse des récents efforts d'identification des critères et indicateurs de gestion durable des forêts.

La forêt occupe une place à la fois originale et ambiguë dans le subconscient et l'imagination de l'homme et au sein de la société. Cette position n'a cessé d'osciller d'âge en âge entre deux pôles opposés et conflictuels. D'une part, les forêts ont été défrichées, là où la densité ou l'expansion économique des populations locales ou des nations entières semblaient l'exiger (et continuent de l'être dans une grande partie du monde en développement), pour faire place à d'autres formes d'utilisation des terres, l'agriculture et le pâturage essentiellement. Elles étaient, et continuent d'être, considérées comme des obstacles au "développement". Souvent même, les forêts et les espaces boisés étaient perçus comme des lieux menaçants, parfois maudits, repères d'esprits malfaisants, de démons, sorcières et bêtes dangereuses. Après tout, la racine du mot désignant les forêts dans plusieurs langues indo-européennes est le préfixe "for" qui caractérise "ce qui est à l'extérieur" (hors du logis, du village ou de l'usage commun): étranger, invoquant toute la méfiance instinctive qui s'attache aux êtres et aux choses qui ne nous sont pas familiers. Dans certains pays industrialisés, où la forêt recolonise le paysage rural, d'aucuns n'hésitent pas à utiliser l'expression "étau forestier", caractérisant par là la pression tant physique que psychologique qu'exerce la forêt sur les habitants.

D'autre part, les forêts sont perçues - et c'est le cas aujourd'hui pour une partie des populations citadines des pays industrialisés - comme un des derniers refuges, peut-être le plus important, de la vraie, "authentique" nature. Les forêts - en particulier celles qui n'ont pas, ou presque pas, été utilisées, modifiées, manipulées, cultivées ou aménagées - constituent un des chaînons qui relient l'homme au monde vierge des premiers temps de l'humanité, bien avant l'avènement de la charrue, lorsque des petits groupes vivant en autarcie dans un milieu forestier pratiquement vierge, prélevaient de façon durable, par la chasse et la cueillette, les produits nécessaires à leur subsistance. Ce concept de la forêt, est revenu en force au cours de ces 20 dernières années sous la forme d'un mouvement de "retour à la nature" qui a trouvé dans le débat autour de la conservation de la diversité biologique un champ d'expression particulièrement vaste et fertile. Cette idée s'impose d'autant plus facilement à l'homme de la rue que celui-ci se sent quelque peu désemparé devant l'"artificialisation" croissante et apparemment inexorable de son cadre de vie.

Comme dans tous les domaines de l'action et de la pensée humaines, c'est par la définition d'approches prenant en compte simultanément ces deux conceptions antinomiques de la forêt que l'on pourra peut-être enfin réconcilier les hommes entre eux et les hommes avec leurs forêts. Les forêts doivent être considérées non pas comme un obstacle au développement mais comme un outil durable de celui-ci; la gestion des forêts doit être perçue comme un instrument permettant de conserver la diversité biologique de notre planète, d'éviter les changements du climat et d'améliorer notre cadre de vie, et non pas comme un élément d'"artificialisation" mondiale. Voici le défi que doivent relever les gestionnaires forestiers du monde entier ainsi que tous les "principaux groupes" (au sens du Programme Action 21 de la CNUED) qui ont un intérêt ou une responsabilité dans ce domaine, en particulier les collectivités locales, les organisations non gouvernementales de développement et de sauvegarde de la nature, le secteur privé et les organisations intergouvernementales, dont au premier rang, la FAO. C'est ce même défi qui a été exprimé dans la Déclaration de Paris du 10e Congrès forestier mondial de 1991 et dans les Principes forestiers adoptés par la CNUED en juin 1992, et sur lequel de nombreux pays, organisations et conférences internationales se sont concentrés durant ces trois dernières années.

Les forêts ont parfois été considérées par certains comme des obstacles au développement...

QUELQUES ENSEIGNEMENTS GÉNÉRAUX DE L'HISTOIRE

Ce défi mondial ne peut être relevé avec succès que si l'on sait tirer avantage des leçons de l'histoire des hommes et des forêts. Il faut être réalistes même si l'ampleur du défi requiert une certaine dose d'optimisme et même d'utopie. Ces leçons sont nombreuses et seules les plus importantes sont présentées ci-dessous.

Dans les limites des frontières nationales, l'évolution des sociétés, depuis celles vivant de la chasse et de la cueillette jusqu'à celles modernes de l'ère postindustrielle, se traduit généralement, par une courbe décroissante des surfaces terrestres, en forme de S renversé. Le long de cette courbe générale des sinusoïdes de longueur d'onde variable représentent les phases alternées de déforestation accentuée et de reforestation relative correspondant à des périodes d'apogée de civilisation (par exemple celle des empires Khmer et Maya du Xe au XIIe siècles) ou au contraire celles suivant les guerres et épidémies ayant décimé les populations "défricheuses". Avec le développement industriel, le mouvement de déforestation se ralentit jusqu'à un certain seuil qui peut être très faible (le Royaume-Uni n'avait que 3 pour cent de couverture forestière au début de ce siècle) à partir duquel la surface boisée augmente par reforestation naturelle, boisement et reboisement. Bien que ce modèle d'évolution ne soit pas inéluctable (tout pays peut à tout moment diverger de ce modèle grâce à une politique volontariste plus favorable aux forêts), l'analyse de l'histoire forestière, notamment celle des pays industrialisés, démontre la validité générale de ce "patron" d'évolution. Un des effets corollaires de la réduction des surfaces forestières d'une zone donnée est la fragmentation du manteau forestier initial en massifs plus ou moins isolés avec les implications que cela peut avoir pour la gestion de ces ressources et la conservation de leur diversité biologique.

... tandis que d'autres y voient des îlots de nature intacte

L'abondance, qu'il s'agisse de forêts ou de toute autre ressource naturelle, est mauvaise conseillère: l'histoire montre malheureusement que l'homme n'apporte de rationalité et de mesure dans l'utilisation de la ressource qu'à partir du moment où ses besoins ne peuvent plus être satisfaits. Et malgré la prolifération de plans, programmes et autres stratégies aux niveaux national, régional ou mondial, peu de progrès ont été effectués par la société humaine pour ce qui est de l'anticipation effective des pénuries. Il semble que lorsqu'il y a abondance, les hommes ne sont, pas plus maintenant que dans les siècles passés, prêts à écouter les vrais prophètes. Là encore il n'y a rien d'inéluctable, mais, en voulant promouvoir la gestion durable des forêts, il serait peu raisonnable d'ignorer cette constante de l'histoire.

La pénurie apparaît donc le plus souvent comme une condition nécessaire à une démarche volontariste en matière d'aménagement durable des ressources naturelles, mais seule, elle ne suffit point. L'histoire là encore est riche d'enseignements. La pénurie de bois de marine en Europe entre les XVIe et XVIIIe siècles n'a pas provoqué chez tous les gouvernements concernés la même détermination à gérer de façon pérenne leurs ressources forestières. Si la République de Venise au XVIe siècle et le Royaume de France au XVIIe siècle ont commencé à prendre des mesures et réaliser des plans d'aménagement pour s'assurer un approvisionnement régulier en bois d'ouvre à partir de leurs propres forêts, d'autres pays européens ont préféré dépendre des ressources de l'étranger, et parfois d'outre-mer. L'histoire récente montre que de nombreux pays déficitaires en bois n'ont pas entrepris de façon résolue, ou n'ont pas réussi, l'aménagement de leurs forêts. Dans le cas de beaucoup de pays en développement, cela est dû principalement au manque de moyens institutionnels, techniques et financiers, et il n'est donc pas étonnant que les Principes forestiers de la CNUED y fassent référence de façon insistante. A cela s'ajoute bien évidemment la priorité très faible accordée au secteur forestier par des pays qui cherchent en premier lieu à combler les pénuries alimentaires et énergétiques auxquelles leurs populations sont confrontées, encore qu'il n'y ait plus à démontrer que les forêts et les arbres contribuent de multiples manières à la sécurité alimentaire et très directement bien sûr à la fourniture d'énergie domestique.

Même lorsqu'il y a volonté et priorité politiques, le succès n'est pas forcément au rendez-vous; des approches à la fois intersectorielles et participatives font peut-être encore défaut; les actions forestières ne sont pas toujours intégrées dans la planification globale de l'utilisation des terres et dans leur gestion aux niveaux local (terroir) et national; les effets négatifs des politiques et des actions dans des domaines connexes (démographie, agriculture, énergie et développement industriel) sur la gestion durable des forêts ne sont pas pris en compte; les populations locales ne participent pas à la conception et la mise en ouvre des programmes forestiers, et des formes appropriées de formation, d'incitation et d'investissement financier font défaut.

Mis à part les constatations essentielles faites à partir de l'expérience historique, il faut signaler les délais de production du bois, source en général la plus importante de revenus forestiers. Ces délais entraînent une faible rentabilité des investissements dans la gestion forestière, tant pour les propriétaires privés que pour les autorités politiques nationales et locales dont les mandats sont d'habitude beaucoup plus courts que les cycles de production forestière, au point qu'une fraction souvent très faible des revenus forestiers est réinvestie dans la forêt par ses propriétaires, menaçant à terme la durabilité de sa gestion et son existence même. La solution à ce problème lancinant réside en partie dans la quantification économique de tous les biens et services de la forêt, et dans l'"internalisation" de ces "externalités" dans la comptabilité économique: qu'il s'agisse de conservation des eaux et des sols et de protection des infrastructures et des vies humaines dans les zones d'aval, de la conservation de la diversité biologique, de l'amélioration des conditions de vie et enfin des valeurs esthétiques et culturelles inhérentes aux forêts. Malgré l'accord de tous sur la gravité de cet écueil, la recherche consacrée à l'estimation de la valeur économique des services forestiers et à son intégration dans les mécanismes de fixation des prix est loin d'être à la hauteur de l'enjeu. Les intérêts économiques faisant tourner le monde, une démarche de ce genre pourrait être une façon objective et non coercitive de maintenir l'état boisé là où il devrait perdurer.

A l'aube du troisième millénaire, quel est le résultat de tous ces siècles de gestion forestière (ou de mauvaise gestion)? Très schématiquement, on pourrait résumer la situation comme suit:

RÉFLEXIONS
Oscar Fugalli

DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS

A partir de la définition du développement durable adoptée par la Commission Brundtland qui insiste sur la nécessité de satisfaire les besoins des générations actuelles et futures, la FAO et ses organes directeurs ont retenu qu'en matière d'agriculture, de forêts et de pêches, le développement durable concerne aussi la conservation des terres, des eaux et du patrimoine génétique et l'utilisation de méthodes sans danger pour l'environnement, techniquement bien adaptées, économiquement viables et socialement acceptables.

Pour simplifier, on pourrait dire que la gestion durable des forêts constitue l'outil permettant aux forêts de contribuer au développement durable en général. Par rapport aux formes les plus élaborées de gestion forestière que nous connaissons aujourd'hui - qu'elles soient le fait de services forestiers nationaux, de communautés ou de propriétaires privés - la nouveauté du concept de gestion forestière durable consiste avant tout en une approche systémique par laquelle on cherche à maintenir au mieux toutes les composantes de l'écosystème forestier et leurs interactions. Dans les forêts qui peuvent être utilisées pour la production de bois, cela signifie associer à cet objectif, d'autres objectifs d'aménagement, ayant trait notamment à la conservation de la diversité biologique végétale et animale, et à celle des eaux et des sols. De pareilles intentions n'étaient pas exclues du bon vieil aménagement à rendement soutenu (de bois) - ne serait-ce que dans les zones montagneuses où les risques d'érosion sont importants -, mais il est convenu maintenant qu'elles doivent toutes être prises en compte systématiquement dans l'aménagement forestier. La gestion forestière à buts multiples est une forme de gestion durable dans la mesure où les objectifs considérés et les moyens utilisés permettent de maintenir les composantes et les fonctions essentielles de l'écosystème forestier.

La rareté des ressources forestières est préoccupante, mais elle n'est pas une condition suffisante pour une gestion durable

La définition du développement durable adoptée par la FAO requiert une base de méthodes techniquement adaptées, économiquement viables et socialement acceptables. Sur le premier point, l'expérience, l'empirisme et des interventions prudentes ont permis jusqu'à présent de suppléer en partie au manque de connaissances théoriques sur le fonctionnement des écosystèmes forestiers et sur l'impact sur ceux-ci des différents types de manipulation. Pour ce qui est de la viabilité économique, on a évoqué plus haut la faiblesse des outils à notre disposition pour l'évaluation quantitative des services fournis par les écosystèmes forestiers; cela constitue un obstacle sérieux à la gestion forestière durable et au maintien de l'état boisé dans les pays en développement. Enfin, l'acceptabilité sociale n'est pas la même si l'on se place au niveau national ou local, et dans le premier cas, si l'on se trouve dans un pays industrialisé où l'opinion publique citadine prévaut, ou un pays en développement avec une population en majorité rurale.

La complexité du concept de gestion forestière durable est à la mesure de celle des écosystèmes auxquels il s'applique. Afin de l'appliquer de façon aussi claire et simple que possible, il convient de le caractériser par des principes directeurs et des critères auxquels correspondent des indicateurs quantitatifs ou descriptifs.

Les avantages de la protection des sols et des eaux doivent être chiffrés dans les bilans forestiers

Critères de gestion durable des forêts

Au cours des trois dernières années, des travaux ont été menés par certains pays, comme le Canada, pour essayer de définir des critères et indicateurs de gestion forestière durable tant au niveau national qu'à celui de l'unité de gestion forestière. Parallèlement des initiatives ont été prises au niveau international, regroupant des pays ayant des situations forestières semblables: pays producteurs de bois des tropiques humides, dans le cadre de l'Organisation internationale des bois tropicaux (OIBT); pays européens dans le cadre du suivi des Conférences ministérielles pour la protection des forêts en Europe tenues à Strasbourg en 1990 et à Helsinki en 1993 (processus d'Helsinki); et pays tempérés et boréaux non européens dans le cadre du suivi du séminaire d'experts sur le développement durable des forêts tempérées et boréales de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe qui s'est tenu à Montréal en 1993 (processus de Montréal). Par ailleurs, des organisations internationales de sauvegarde de la nature et en particulier le Fonds mondial pour la nature ont également cherché à caractériser la gestion forestière durable.

Une analyse réalisée par la FAO à la fin de 1994 sur les résultats de ces quatre initiatives fait ressortir un consensus sur la caractérisation de la gestion forestière durable autour de six critères englobant à la fois des préoccupations déjà anciennes (pas toujours bien formulées, comme la conservation de la diversité biologique) et des priorités plus récentes comme celle du cycle du carbone et du changement du climat. On peut les présenter schématiquement comme suit:

Un septième critère du processus de Montréal est lié au cadre de politique, juridique et institutionnel de la gestion forestière. On s'accorde pour considérer qu'il est de nature différente des six autres critères en ce sens qu'il ne caractérise pas la durabilité de la gestion forestière directement, mais seulement indirectement, puisqu'il correspond aux "outils" de celle-ci (tels qu'ils sont présentés dans le domaine d'action A du Chapitre 11 d'Action 21 de la CNUED). Il est important de garder à l'esprit cette différence de nature entre les six premiers critères et le septième, pour plusieurs raisons: les indicateurs pour les six premiers sont quantitatifs, et ceux correspondant au septième sont surtout descriptifs; les indicateurs pour les six premiers sont objectifs, tandis que les indicateurs correspondant au septième supposent une référence à des "modèles" qui peuvent ne pas être universellement reconnus; et certains des outils identifiés peuvent dans des situations nationales données ne pas être nécessaires à la durabilité de l'aménagement (par exemple, capacité de recherche dans un pays qui peut bénéficier des résultats de recherche obtenus par d'autres dans des conditions semblables).

Dans le cadre de ces initiatives nationales et internationales, un certain nombre d'indicateurs quantitatifs ou descriptifs associés à chaque critère, sont communs à plusieurs d'entre elles: structure par classe d'âge pour le critère se rapportant à l'étendue de la forêt, surface des aires protégées et fragmentation du couvert forestier pour le critère lié à la conservation de la diversité biologique (au niveau écosystème); et indicateurs de la santé et de la vitalité des forêts (dégâts causés par des polluants atmosphériques, des insectes et des maladies) et aménagement des bassins versants pour le critère des fonctions protectives de la forêt.

La nature conceptuelle des critères fait qu'ils peuvent tous s'appliquer à la fois au niveau local (unité de gestion) et à des niveaux de planification plus élevés, notamment à l'échelle d'un pays. Il n'en est pas de même des indicateurs, dont certains peuvent certes être communs aux différents niveaux, mais dont d'autres caractérisent de façon spécifique et détaillée la durabilité de la gestion au niveau d'une unité de gestion. Les processus d'Helsinki et de Montréal (et dans une moindre mesure, les travaux de l'OIBT) ont cherché à dégager un accord entre pays d'une même région ou grande zone écologique sur des critères et indicateurs au niveau national. Les autres initiatives (y compris dans une certaine mesure celle de l'OIBT), et notamment celles mises en ouvre par certains pays et par des organisations non gouvernementales (dont le Forest Stewardship Council), se sont attelées à la définition d'indicateurs au niveau de la forêt, avec en arrière-plan leur utilisation possible pour l'attribution d'un "certificat d'origine" pour les bois et autres produits bruts extraits d'une forêt donnée, certificat pouvant être un élément éventuel d'un label écologique pour les produits finis.

A la demande de plusieurs réunions intergouvernementales, la FAO, en coopération avec l'OIBT, a entrepris un processus d'harmonisation de ces diverses initiatives, permettant ainsi de faciliter la mise en ouvre de l'engagement pris par les gouvernements à Rio en 1992, de formuler avec l'appui de tous les groupes intéressés "des critères de valeur scientifique éprouvée, ainsi que des directives concernant la gestion, la conservation et le développement durable de tous les types de forêts" (Action 21, paragraphe 11.22[b]). La première réunion réunissant des experts gouvernementaux des pays impliqués dans les processus d'Helsinki, de Montréal, de l'OIBT ainsi que de pays en dehors de ces initiatives (zones arides d'Afrique et du Proche-Orient) et d'organisations intergouvernementales et non gouvernementales, s'est tenue à Rome du 13 au 16 février 1995 à l'initiative conjointe de la FAO et de l'OIBT.

Un clivage net est apparu dans les débats récents sur les critères et indicateurs au niveau national, entre, d'un côté, les gestionnaires, publics ou privés, et de l'autre les chercheurs et représentants d'organisations de sauvegarde de la nature. Ce clivage concerne le bien-fondé de certains indicateurs et la faisabilité technique et économique de leur évaluation au niveau national et non tant la nécessité ou le contenu général de la gestion forestière durable. Les enquêtes réalisées par les pays européens sur le dépérissement des forêts attribué à la pollution atmosphérique illustrent à la fois la difficulté d'arriver à un ensemble cohérent de résultats fiables au niveau régional, et le coût de la collecte et du traitement de l'information. Les indicateurs de gestion forestière durable n'ont d'intérêt au niveau national que dans la mesure où ils peuvent être évalués de façon claire et objective à cette échelle. Cela suppose des indicateurs, dont la définition claire laisse peu de place à l'interprétation personnelle et dont l'évaluation ne soit pas d'un coût prohibitif au regard des objectifs recherchés. La meilleure formule pour réduire les coûts de collecte et de traitement semble être d'intégrer l'évaluation de ces indicateurs dans les inventaires forestiers nationaux. Ceux-ci enregistrent déjà un certain nombre de paramètres directement liés aux indicateurs identifiés par les processus internationaux. D'autres paramètres, notamment environnementaux, devront être ajoutés afin que chaque pays puisse se conformer aux engagements pris dans le cadre de ces initiatives.

Il en va de même, mutatis mutandis, au niveau de l'unité de gestion forestière pour laquelle l'inventaire d'aménagement devrait inclure le relevé des indicateurs de durabilité. L'expérience récente des pays industrialisés dans leurs forêts publiques - ainsi que celle des pays européens en transition où jusqu'à récemment des inventaires de toutes les forêts étaient conduits régulièrement avant chaque révision des plans d'aménagement - est utile à cet égard.

Au niveau international, la FAO, conjointement avec le Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE), la Commission économique pour l'Europe des Nations Unies (CEE) et l'Union internationale des instituts de recherches forestières (IUFRO) a approfondi la réflexion à ce sujet, identifiant des paramètres à relever au niveau mondial liés à la conservation des eaux et des sols, à la conservation de la diversité biologique, à la fixation du carbone et aux autres fonctions et services rendus par la forêt. Dans l'évaluation des ressources forestières mondiales de 1990, un essai a été tenté au niveau de l'ensemble du monde industrialisé pour certaines fonctions autres que la production de bois et, pour la zone tropicale, perte de la diversité spécifique, études sur la fragmentation et la destination des terres déboisées. A tous les niveaux - forêt, pays, région et ensemble du monde - des efforts importants restent à faire pour intégrer le relevé et la compilation des indicateurs de gestion forestière durable dans l'"évaluation et l'observation systématique des forêts" (suivant la terminologie du Chapitre 11 d'Action 21).

La définition de la durabilité et de ses critères et indicateurs est un formidable défi

CONCLUSION

L'un des principaux éléments de la mouvance de la CNUED dans le domaine forestier aura été l'affirmation du concept élargi de gestion forestière durable, ou pour reprendre un terme à la mode, l'évolution du paradigme de l'aménagement forestier à rendement soutenu à celui de la gestion durable des écosystèmes forestiers. Quel que soit le nom dont on l'affuble, il importe que toutes les parties concernées - propriétaires (qu'ils soient publics ou privés, communautés locales ou entreprises), concessionnaires et locataires, gouvernements, administrations forestières, organisations non gouvernementales de sauvegarde de la nature ou coopératives, femmes et hommes, jeunes et vieux - s'entendent progressivement sur le concept de gestion durable des forêts dans le domaine de la conservation et du développement, de la protection et de la production; ces parties devraient ensuite mettre en pratique ce concept dans tous les espaces boisés existants et dans ceux à créer ou à recréer, et ce, afin d'éviter leur spécialisation excessive, ainsi que la perspective d'un paysage où l'on ne retrouverait plus, d'un côté, que des forêts laissées à elles-mêmes et dont l'accès serait restreint sinon interdit (par la loi ou du fait de leur impénétrabilité), et, de l'autre, des "usines à bois" entièrement artificialisées; dans les deux cas, l'homme avouerait son incapacité à gérer son espace forestier de façon durable et globale.


Previous Page Top of Page Next Page