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Les activités forestières de la FAO - s'adapter aux nouvelles tendances


D.A. Harcharik

David A. Harcharik a pris ses fonctions de Sous-Directeur général chargé du Département des forêts de la FAO le 1er février 1995.

Depuis la création de la FAO, il y a 50 ans, la perception des forêts par l'opinion publique a énormément changé et les milieux politiques, en particulier aux niveaux les plus élevés des gouvernements, ont manifesté un intérêt croissant pour les questions touchant aux forêts mondiales. Le secteur lui-même se modifie rapidement, puisqu'il passe d'une foresterie à rendement soutenu à une gestion durable des forêts. Le présent article présente quelques considérations préliminaires sur la manière dont les activités forestières de la FAO doivent être adaptées à ces nouvelles tendances.

Ces dernières années, les problèmes des forêts de la planète ont été abordés aux plus hauts niveaux politiques. Dans les années 80, la perte de forêts, notamment tropicales, a suscité une préoccupation croissante, qui a abouti à la préparation du Plan d'action forestier tropical, lequel a suscité l'intérêt des gouvernements aux plus hauts niveaux. De même, les incidences de la pollution atmosphérique transfrontières sur les forêts, la contribution des pertes et des incendies de forêts au changement climatique de la planète et les réductions de la diversité biologique ont suscité beaucoup d'intérêt et de préoccupation, comme en témoigne le Sommet de la planète Terre, tenu à Rio de Janeiro en 1992, auquel ont assisté un nombre sans précédent de chefs d'Etat et de gouvernement - et qui s'est efforcé de trouver des moyens de favoriser un développement mondial durable, en particulier dans le domaine forestier.

L'opinion publique a aussi porté un intérêt de plus en plus vif aux questions forestières, et un nombre croissant de groupements d'intérêts exige de participer à la prise des décisions et aux programmes de gestion relatifs aux forêts. Outre le secteur privé, qui y participe depuis longtemps, nombre de groupes écologistes, organisations de populations autochtones, communautés vivant à l'intérieur et aux alentours des forêts, associations sportives et représentations de divers intérêts économiques tels que le tourisme, l'élevage, l'agriculture, l'industrie minière et l'énergie s'intéressent de plus en plus aux forêts. Il en est résulté une mise en place de processus plus ouverts et participatifs qui, bien que positive, a aussi rendu plus complexes à la fois la prise de décisions et la gestion.

Les forestiers apprennent encore comment évoluer dans cet environnement éminemment politique et public. Par le passé, ils se plaignaient de ne pas parvenir à mobiliser l'attention du grand public ou des décideurs; aujourd'hui, elle est au centre des préoccupations, au point que les forestiers risquent d'être écartés des prises de décisions dans le domaine dont ils s'occupent. Au plan international, les ministères des affaires étrangères jouent un rôle de plus en plus prépondérant dans le débat forestier, tandis qu'au plan national les ministères de l'environnement et un large éventail de groupements d'intérêts font valoir leur point de vue.

De plus en plus, les ministères des affaires étrangères jouent un rôle prépondérant dans la prise des décisions en matière de forêts; les forestiers risquent d'être marginalisés

Le tissu institutionnel a lui aussi beaucoup évolué depuis la fondation de la FAO en 1945, en particulier avec la création de nouvelles organisations ayant un rôle à jouer dans la foresterie mondiale. Bien que la FAO soit encore unique en son genre, qu'elle soit investie d'une mission à la fois vaste et complète qui englobe l'ensemble des forêts, il existe aujourd'hui plus de 10 organisations intergouvernementales internationales, trois banques régionales de développement, un grand nombre d'organismes d'aide bilatérale et de nombreuses organisations non gouvernementales qui ont des rôles légitimes et importants à jouer en matière de foresterie mondiale. Aujourd'hui, l'un des principaux problèmes, au plan international, est de favoriser une étroite coordination et une collaboration entre ces organisations.

Quant au secteur forestier proprement dit, il a aussi évolué, puisqu'il est passé rapidement de la foresterie à rendement soutenu à la gestion durable des forêts ou de l'écosystème. Le rendement soutenu consistait à exploiter l'accroissement de bois de la forêt sans jamais puiser dans le capital. Le concept de gestion durable des forêts, en revanche, envisage la forêt de manière beaucoup plus intégrée ou globale, les objectifs écologique, économique et social étant plus étroitement liés. On met davantage l'accent sur le maintien de la diversité biologique et les fonctions esthétiques, culturelles et écologiques de la forêt, laquelle produit par ailleurs de nombreux biens dont ont besoin les populations, et notamment le bois, celui-ci ayant toutefois une importance plus relative.

Le concept de gestion durable des forêts suppose aussi que l'on mette très fortement l'accent sur les populations, en tant qu'élément de l'écosystème. Celles-ci vivent à l'intérieur et aux alentours des forêts et elles doivent être associées aux décisions les concernant. Ce processus participatif, qui reconnaît que les populations ont leur mot à dire en matière de gestion des ressources, est un élément essentiel du concept de gestion durable des forêts. A l'évidence, la gestion des terres forestières devient beaucoup plus complexe lorsque la durabilité entre en jeu. Il faut alors s'appuyer sur des compétences techniques et de relations publiques plus poussées.

Enfin, on se rend mieux compte que les principales incidences sur les forêts découlent pour la plupart de décisions et de sources qui sortent du cadre forestier et dépassent l'expérience de la plupart des forestiers. La croissance démographique, la pauvreté, le chômage, l'exploitation de l'énergie, l'expansion agricole, l'exploitation minière, le développement des infrastructures, le commerce et de nombreuses politiques macroéconomiques sont des facteurs qui peuvent avoir une grande influence sur le devenir des forêts, et souvent quel que soit le degré de complexité des techniques de gestion forestière auxquelles on a recours. Aujourd'hui, la foresterie internationale a bien besoin d'études plus approfondies de ces questions intersectorielles.

Le concept de gestion durable des forêts suppose que l'on fasse une place importante aux populations en tant que partie intégrante des ressources

ORIENTATIONS FUTURES

Ces nouvelles tendances sont lourdes de conséquences pour le programme forestier de la FAO. Ainsi, celle-ci opère dans un climat plus politique, le grand public ayant davantage conscience de ce qui se passe, et dans lequel de nombreuses organisations sont actives. Elles signifient aussi que les solutions ponctuelles, technologiques peuvent être d'une applicabilité très limitée et que l'on peut être amené à faire davantage appel à des approches d'ordre scientifique, politique et intersectoriel. La section ci-après expose quelques-unes de mes réflexions préliminaires sur les mesures que la FAO devrait prendre pour s'adapter à cette importante évolution qui touche les forêts et la foresterie du monde entier.

L'un des principaux points forts de la FAO est qu'elle est à même d'obtenir des avis de qualité auprès d'un grand nombre de sources. En mars 1995, elle a sollicité les vues des gouvernements, des organisations écologistes et de développement, et du secteur privé sur ses programmes futurs et sur la manière dont elle peut aider à accélérer la mise en ouvre des Principes forestiers et d'Action 21, convenus à la Conférence des Nations Unies pour l'environnement et le développement en 1992. A la fin de 1994, l'Organisation a également demandé des indications à un Groupe d'experts forestiers indépendants de haut niveau. Ces groupes lui ont communiqué un certain nombre de messages sur l'orientation future que l'Organisation devrait donner à ses activités forestières. Le point de vue qui suit s'inspire abondamment de ces avis.

Une tribune technique orientée vers les politiques

Notre aptitude à conserver un capital de compétences techniques, et d'expériences en matière de forêts et de disciplines connexes, sera essentielle pour la réussite future de la FAO. Fort heureusement, l'Organisation dispose déjà de ce capital, mais avec la pratique accrue de la gestion durable des forêts, le niveau de compétence dont elle aura besoin s'élèvera et il faudra mettre l'accent sur des approches interdisciplinaires, intersectorielles et visant l'ensemble de l'écosystème.

Non seulement le capital de compétences de la FAO doit être à la disposition des gouvernements pour les aider à résoudre les problèmes techniques, mais il doit aussi être de plus en plus mis à profit pour la prise de décisions de politiques, en particulier au plan international. Dans les années qui viennent, la communauté mondiale s'occupera d'un certain nombre de grands problèmes mondiaux de politique forestière. Citons: le caractère souhaitable d'un instrument juridiquement contraignant sur les forêts; la définition du concept de gestion durable des forêts et l'éventuelle nécessité d'harmoniser les approches écorégionales actuelles pour mettre au point des critères et indicateurs et d'y associer les pays qui ne le sont pas encore; et les avantages et inconvénients des systèmes de certification. La FAO peut et doit servir de tribune aux débats concernant ces questions et d'autres problèmes et offrir des apports aux hommes politiques qui prennent les décisions.

REFLEXIONS
Börje K. Steenberg

Approches participatives

La FAO doit adopter une approche plus participative de ses activités. Bien qu'elle ait déjà commencé, il reste encore à faire à divers niveaux. D'abord, au sein du Département des forêts lui-même, nous nous efforcerons de veiller à ce que l'information soit rapidement diffusée d'une division à l'autre, et des équipes chargées des principales questions ont été mises en place. Ensuite, il doit y avoir une bonne collaboration entre les principaux départements de la FAO de manière que l'on puisse s'occuper plus efficacement des liens intersectoriels. Là encore, la plupart des mécanismes sont déjà en place, mais il sera important de ne pas relâcher les efforts et de chercher des moyens d'améliorer l'efficacité.

Il faut également renforcer le sens du partenariat entre les organisations internationales qui s'occupent des questions forestières. Aucune instance ne dispose à elle seule des ressources ou des compétences nécessaires pour s'occuper de toutes les dimensions des problèmes forestiers mondiaux. Il faut donc renforcer la collaboration et réduire les chevauchements d'activités, de manière à mieux tirer profit des compétences et ressources. Les gouvernements, en particulier, l'ont demandé à maintes reprises, et la FAO peut et doit jouer un rôle de premier plan pour favoriser cet esprit de partenariat.

La FAO doit mettre au point de meilleurs moyens de solliciter, d'évaluer et d'utiliser les avis et l'expérience des organisations non gouvernementales. Bien que nous soyons une organisation intergouvernementale, et qu'à ce titre nous communiquions essentiellement avec nos gouvernements membres, ceux-ci ne doivent pas être nos seuls interlocuteurs. Nous devons recevoir des apports d'un large éventail de groupements d'intérêts, et notamment l'industrie forestière privée et les organisations non gouvernementales représentant des intérêts au point de vue de l'environnement et du développement et les populations locales. Bien que la FAO bénéficie depuis de nombreuses années des services de groupes consultatifs d'industries privées, ce n'est qu'au début de cette année qu'elle a convoqué pour la première fois une réunion spéciale pour solliciter des apports des organisations non gouvernementales qui s'occupent de la conservation et du développement. Ces efforts doivent être maintenus et renforcés aux plans international, national et local.

Utilisation efficace de la structure administrative actuelle

Il est primordial de mieux utiliser le tissu administratif en place et les capacités de la FAO. Avec plus de 170 membres, ainsi que des représentations dans de nombreux pays, six commissions forestières régionales et de nombreux comités consultatifs permanents, la FAO dispose d'un tissu institutionnel unique en son genre. Nous devons veiller à faire un usage optimal de cette structure, notamment en renforçant nos commissions forestières régionales. Ces organes doivent se faire l'écho du débat de politique concernant les questions forestières régionales et doivent permettre de promouvoir la collaboration régionale afin d'aborder les problèmes forestiers. Ils doivent en outre devenir une des principales sources d'avis donnés à la FAO.

L'Organisation se doit aussi de trouver des moyens plus efficaces de mettre à profit les opinions des chefs des services forestiers et des autres participants aux sessions du Comité des forêts (COFO), notre principal organe consultatif pour les problèmes forestiers. Le COFO est un atout de la FAO, mais il est sous-utilisé. Il faut trouver des moyens de stimuler un examen plus approfondi des questions pendant le COFO et éventuellement de s'adresser à certains membres du COFO entre les sessions ordinaires (qui se tiennent actuellement tous les deux ans).

Avec ses 171 Etats Membres, la FAO peut avoir accès à un éventail de vues, d'opinions et de techniques unique en son genre

Etablissement des priorités

Il va être particulièrement difficile de fixer les priorités. Jusqu'ici, la FAO a maintenu en place un vaste programme forestier complet afin de satisfaire les besoins nombreux et variés de ses gouvernements membres. Ces besoins deviennent de plus en plus divers et complexes. A un moment où la communauté mondiale s'efforce de parvenir à une application mondiale des Principes forestiers et d'Action 21 et demande à la FAO de jouer un rôle de premier plan en facilitant les activités donnant suite à la CNUED et en leur ouvrant la voie, il sera essentiel que la FAO maintienne en place un vaste programme concret de gestion durable des forêts et chacune de ses dimensions écologiques, économiques et sociales, notamment la production de biens, la protection des ressources et la satisfaction des besoins et des aspirations des populations. Le premier principe à appliquer pour l'établissement des priorités devra donc être le maintien d'un programme fondamental crédible.

Bien que le maintien du programme fondamental soit essentiel, la FAO ne peut s'occuper de toutes les questions forestières. Nous serons amenés, de plus en plus à mettre l'accent sur les activités qui ont le plus d'importance, qui sont au centre de notre rôle normatif, et pour lesquelles nous avons un avantage comparatif par rapport aux autres organisations. Certains des domaines identifiés comme prioritaires lors des récentes réunions du Comité des forêts et des ministres des forêts sont notamment: le renforcement et l'élargissement de nos activités en matière d'évaluation des forêts mondiales; le renforcement des activités d'analyse et de communication de données et de statistiques et de projections stratégiques; la foresterie communautaire; et la constitution de capacités grâce à des programmes nationaux d'action forestière. Nous devrons faire une plus grande place à ces activités à l'avenir.

REFLECTIONS
C. Hollis Murray

CONCLUSION

La FAO devra s'adapter à l'évolution des problèmes forestiers et de la profession elle-même. Elle devra agir davantage sur l'ordre du jour forestier mondial et être à la pointe en ce qui concerne les problèmes nouveaux, les innovations et les technologies. Elle devra en outre être une organisation qui dispose des meilleurs atouts scientifiques et technologiques à faire valoir dans les décisions de politiques, et qui fixe les priorités tout en maintenant un programme forestier équilibré doté d'un cadre très expérimenté et d'experts techniques constituant un centre mondial pour les informations relatives aux forêts. Nous nous efforcerons d'être ouverts et participatifs dans nos processus et coopératifs avec d'autres organisations internationales dans nos activités. La FAO devrait être une tribune de débats et de dialogues et ne pas se borner à s'adapter uniquement à l'évolution, mais en être aussi un élément moteur.

Pour récapituler, on peut dire que la FAO doit maintenir en place un programme forestier vigoureux et équilibré. Il nous faudra concilier les exigences de la production de biens - dont les populations ont et auront encore besoin - et la conservation des ressources, la protection de l'environnement et la satisfaction des besoins et aspirations des populations locales. C'est précisément ce dont traitait le Sommet de la planète Terre - consacré au développement durable, et en ce qui nous concerne à la foresterie durable.

Les effets de l'évolution proposée ici ne seront pas sensibles d'emblée mais si nous les mettons en place dès maintenant, la FAO sera en mesure de les concrétiser d'ici à l'an 2000 et d'être généralement considérée comme le défenseur des forêts mondiales et des populations qui en sont tributaires.


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