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Recyclage des éléments nutritifs et agroforesterie en Afrique

P.A. Sanchez et C.A. Palm

Le présent article examine d'abord le rôle que joue l'agroforesterie dans le recyclage des éléments fertilisants de divers écosystèmes, puis il étudie les deux principaux éléments nutritifs, l'azote et le phosphore, dans de petits systèmes de maïsiculture en Afrique.

Pedro A. Sanchez est Directeur général du Centre international pour la recherche en agroforesterie (CIRAF), Nairobi (Kenya).

Cheryl A. Palm est fonctionnaire scientifique principal du Programme de biologie et de fertilité des sols tropicaux du CIRAF, Nairobi (Kenya).

Agroforesterie reposant sur la culture du maïs, au Ghana

L'un des principes fondamentaux de l'agroforesterie est que les arbres améliorent la fertilité des sols, c'est-à-dire leur aptitude à fournir les éléments nutritifs indispensables à la croissance des végétaux. S'agissant des éléments nutritifs, on confond souvent des expressions clés telles qu'apports, exportations, bilans, recyclage et réserve. Toutes ces expressions s'appliquent à un système sol-plante, en général à l'échelle du champ. Les apports proviennent de l'extérieur du système, par exemple l'azote de l'air fixé par les légumineuses, ou l'utilisation des engrais chimiques. Les déjections animales sont des apports si elles ont été produites à l'extérieur du système. Les exportations sont les éléments nutritifs qui quittent le système en raison de la récolte, de l'érosion, du lessivage, de la volatilisation des gaz ou d'autres mécanismes. Le bilan est la différence entre les apports et les exportations d'éléments nutritifs.

Le recyclage correspond au passage d'éléments nutritifs déjà présents dans le système sol-plante entre une composante et l'autre, par exemple l'émission d'azote par les matières organiques du sol sous forme d'ammoniac ou de nitrates et son assimilation ultérieure par les plantes. Le recyclage des éléments fertilisants comprend d'autres processus tels que le retour au sol de résidus culturaux comme la paille; la déposition de déjections par les bovins se trouvant dans le système; l'enfouissement d'engrais verts composés de légumineuses dans le sol et le passage des éléments fertilisants des arbres aux cultures dans les systèmes agroforestiers par l'émondage, la chute des feuilles ou la décomposition des racines. Moins il y a de perte d'éléments fertilisants dans le système, moins on aura besoin d'apports extérieurs au système pour maintenir l'équilibre. La réserve correspond aux quantités d'éléments fertilisants présentes dans le sol sous des formes à assimilation lente, qui se libéreront au bout de plusieurs années d'années. Le présent article examine d'abord le rôle que joue l'agroforesterie dans le recyclage des éléments fertilisants de divers écosystèmes, puis il étudie les deux principaux éléments nutritifs, l'azote et le phosphore, dans de petits systèmes de maïsiculture en Afrique.

Le recyclage des éléments fertilisants

Ecosystèmes des forêts tropicales naturelles: l'équilibre

L'existence de cycles pratiquement fermés des éléments fertilisants entre une forêt tropicale humide mature et le sol sur lequel elle pousse est reconnue et étudiée depuis une soixantaine d'années (Hardy, 1936; Vitousek et Sanford, 1986). Les apports d'éléments fertilisants provenant de l'atmosphère, de la fixation biologique de l'azote et de la désagrégation des minéraux primaires du sol compensent les pertes d'éléments fertilisants dues au lessivage, à la dénitrification, au ruissellement et à l'érosion. L'azote (N), le phosphore (P), le potassium (K), le calcium (Ca), le magnésium (Mg), le soufre (S) et les oligoéléments sont absorbés par les racines des arbres et restitués au sol par la décomposition de la litière et des racines ainsi que par les précipitations au sol et l'écoulement sur écorce.

Les forêts tropicales humides accumulent d'énormes quantités d'éléments nutritifs au fur et à mesure de leur croissance, une forêt mature atteignant régulièrement des valeurs de 700 à 2000 kg de N, 30 à 150 kg de P et 400 à 3 000 kg de K. Mg ou Ca par hectare. Le sol contient aussi de grandes quantités d'éléments nutritifs. Le recyclage efficace des éléments nutritifs du sol vers la biomasse, puis de celle-ci vers le sol, permet à une forêt tropicale luxuriante de se développer sur les sols acides, assez peu fertiles des tropiques humides, tant qu'il n'y a pas d'exportation majeure de biomasse du système. Une récolte malencontreuse des produits forestiers perturbe gravement ce mécanisme, car de grandes quantités d'éléments nutritifs sont exportées du système et le recyclage des éléments nutritifs est perturbé.

Systèmes agricoles: le déséquilibre

La principale différence entre les systèmes agricoles et les systèmes naturels est qu'il y a une exportation nette d'éléments nutritifs du site au moment de la récolte. Cette exportation peut entraîner un déficit net si les éléments nutritifs ne sont pas restitués. L'épuisement des éléments nutritifs peut être compensé par des apports d'engrais, de déjections provenant de l'extérieur ou d'autres éléments fertilisants. C'est généralement ce qui se passe dans les exploitations commerciales des pays développés où ces adjonctions, auxquelles s'ajoute la restitution des résidus culturaux, ont entraîné d'importantes accumulations d'éléments nutritifs. Cependant, celles-ci sont parfois à l'origine d'une pollution des eaux souterraines et d'une prolifération d'algues dans les cours d'eau.

La surexploitation des éléments nutritifs résultant des récoltes est considérable en Afrique. On estime que, depuis 30 ans, quelque 100 millions d'hectares de terres cultivées ont perdu environ 700 kg de N. 100 kg de P et 450 kg de K par hectare. Les études menées par Smaling (1993) sur les bilans des éléments nutritifs dans toute l'Afrique conduisent les auteurs à conclure que la détérioration de la fertilité des sols est la cause biophysique fondamentale de la baisse de la production vivrière par habitant dans les petites exploitations en Afrique (Sanchez et al., 1995). L'exploitation abusive d'éléments nutritifs en Afrique s'oppose donc très nettement à l'accumulation de réserves d'éléments nutritifs dans les régions tempérées.

Systèmes agroforestiers

L'un des principes fondamentaux de la durabilité consiste à restituer au sol les éléments nutritifs exportés par les récoltes, le ruissellement, l'érosion, le lessivage, la dénitrification et par d'autres mécanismes. Que peut faire l'agroforesterie? On trouvera ci-après un résumé de deux études (Palm, 1995; Sanchez, 1995) dont certains résultats sont encourageants, d'autres décevants.

L'agroforesterie, qui consiste à cultiver des arbres, des plantes et/ou à élever du bétail sur une même parcelle, favoriserait, plus que l'agriculture, un bon recyclage efficace des éléments nutritifs. Cette hypothèse est fondée en partie sur des études du bon recyclage des éléments nutritifs de la litière aux arbres dans les écosystèmes naturels, et sur l'hypothèse que, dans les systèmes agroforestiers, les arbres feront également passer des éléments nutritifs aux cultures intercalaires.

Cela est étayé par des observations de rendements plus élevés des cultures près des arbres de Faidherbia albida au Sahel et aux endroits où les arbres ont été récemment enlevés, comme c'est le cas des jachères broussailleuses et forestières. Les arbres peuvent donc favoriser la fertilité des sols; cependant, il faut aussi tenir compte de l'importance relative d'autres facteurs tels que la structure des sols, la matière organique de ces derniers et la concurrence pour la lumière, l'eau et les éléments nutritifs avant d'attendre un effet positif sur la fertilité des sols dans un système donné.

Deux principes essentiels distinguent les systèmes agroforestiers des systèmes agricoles ou forestiers: la concurrence et la complexité, qui déterminent à leur tour deux propriétés souhaitables: la rentabilité et la durabilité. Ces quatre principes concourent aux problèmes biophysiques et socioéconomiques. Le problème biophysique de base en agroforesterie est de savoir comment gérer la concurrence pour la lumière, l'eau et les éléments nutritifs entre l'élément arbre et l'élément culture et/ou élevage au mieux des intérêts de l'agriculteur. Bien que les systèmes agroforestiers aient été classés selon une infinité de méthodes, on peut les répartir en deux types différents selon leur mode de fonctionnement: les systèmes simultanés et les systèmes séquentiels.

Dans le système d'agroforesterie simultanée, les éléments arbre et culture croissent en même temps et suffisamment près les uns des autres pour entrer en concurrence polir la lumière, l'eau ou les éléments nutritifs. On trouve comme exemple de ce type les cultures en bandes (cultures en couloir), les haies suivant une courbe de niveau, les forêts-parcs, les plantations le long des limites, les potagers familiaux et plusieurs systèmes sylvo-pastoraux. Les systèmes simultanés peuvent présenter de grandes différences des proportions respectives des arbres et des cultures et de leur agencement spatial. Les systèmes mixtes dans l'espace tels que les plantations de caféiers et de cacaoyers comprennent des arbres à l'étage supérieur qui fournissent des éléments nutritifs, provenant de la chute de la litière et d'émondages périodiques, et de l'ombrage aux cultures d'arbres de l'étage inférieur. Les systèmes répartis en zone comprennent les couloirs, dans lesquels des plantes annuelles sont cultivées en bandes entre des rangées d'arbres qui sont émondées périodiquement pour fournir des éléments nutritifs aux cultures.

La concurrence pour les éléments nutritifs est à son maximum dans les systèmes agroforestiers simultanés, en particulier les systèmes de brève durée comme les cultures en bandes. La documentation existante, qui regroupe plus de 100 séries de données expérimentales sur les cultures en bandes allant des climats semi-arides aux climats humides, dans des sols extrêmement différents, a récemment été analysée. De nombreux facteurs ont une influence sur la réussite des cultures en bandes: le choix des essences et des cultures, la largeur de la bande, le. régime d'émondage, la production de biomasse, le nombre de cycles des cultures, l'époque et la fréquence des émondages, les façons culturales, la fumure, la dynamique des adventices, etc. La conclusion générale semble claire: les probabilités de réussite des cultures en bandes sont limitées et éminemment liées au site, car, dans la plupart des cas la concurrence des arbres pour l'eau et les éléments nutritifs va probablement dépasser les avantages au point de vue de la fertilité qui découle des adjonctions de paillage de légumineuses.

Dans les systèmes agroforestiers décalés les rythmes maximaux de croissance de la culture et de l'arbre se déroulent à des moments différents, même si les deux éléments peuvent avoir été mis en place en même temps et sont très voisins l'un de l'autre. Parmi les exemples de ce type, citons les cultures itinérantes, les jachères aménagées, les systèmes taungya et quelques systèmes multistrates. La concurrence pour les ressources nécessaires à la croissance est limitée dans l'agroforesterie décalée parce que les besoins maximaux de lumière, d'eau et d'éléments nutritifs se font sentir à des moments différents pour chaque composant.

Dans les écosystèmes tropicaux, qu'ils soient naturels ou aménagés, l'azote et en particulier le phosphore limitent souvent la production. L'étude qui suit est axée sur ces deux éléments nutritifs les plus limitants, la culture de référence étant le mais.

Azote

Apports

Les arbres peuvent fournir des apports d'azote dans les systèmes agroforestiers de deux manières: la fixation biologique de l'azote (FBA) et l'absorption d'éléments nutritifs en profondeur. Bien que l'ampleur de la fixation biologique de l'azote soit méthodologiquement difficile à quantifier, les estimations annuelles globales sont de l'ordre de 150 kg de N par hectare (Gifler et Wilson, 1991). Les preuves empiriques, par exemple la présence de nodules actifs d'espèces légumineuses des familles des Papilionacées et des Mimosacées indiquent que la FBA peut fournir des apports considérables d'azote aux cultures par l'intermédiaire de la litière dans les sols suffisamment riches en phosphore. Il s'agit là d'un véritable apport d'éléments nutritifs. On a aussi constaté à maintes reprises que les arbres qui ne fixent pas l'azote, notamment plusieurs espèces de Cassia (récemment appelées Senna), accumulent autant d'azote dans leurs feuilles, si ce n'est plus d'azote que les légumineuses fixatrices, probablement du fait du volume supérieur de leurs racines et de leur aptitude à prélever les éléments nutritifs (Garrity et Mercado, 1994). Il importe cependant de noter que ces arbres non fixateurs d'azote ne font que recycler l'azote, sans rien ajouter d'apports au système.

Le prélèvement en profondeur des éléments nutritifs est l'absorption d'éléments nutritifs par les racines des arbres à des profondeurs auxquelles ne peuvent arriver les racines des plantes cultivées. Il peut être considéré comme un apport supplémentaire d'éléments nutritifs dans les systèmes agroforestiers, car ces éléments sont lessivés pour la culture. Ils deviennent un apport lorsqu'ils passent dans le sol par l'intermédiaire de la décomposition de la litière.

On a récemment fait une découverte très intéressante dans l'ouest du Kenya. Elle concerne les nitrates du sous-sol dans les nitisols ayant une carence en azote (alfisols rouges et oxisols à teneur élevée en fer), Hartemink et al. (sous presse) y ont détecté des teneurs de nitrate de l'ordre de 120 kg de N par hectare dans le sous-sol, à des profondeurs de 50 à 200 cm. Ils ont également constaté que les jachères de Sesbania sesban épuisent cette réserve, prélevant des ressources qui viennent à manquer au maïs. On pense que la source de cette réserve de nitrate résulte de la minéralisation de l'azote organique de surface, relativement abondant dans ces sols, puis du lessivage des nitrates provenant des coûts superficiels. Les unions nitrates sont ensuite retenus dans le sous-sol par des surfaces d'argile à charge positive. On peut conclure que les arbres ont accru considérablement le volume de sol utilisé.

Exportations

Généralement, le mais cultivé dans les petites exploitations africaines donne moins d'une tonne de grain par hectare et nécessite une accumulation par la plante de moins de 40 kg de N par hectare. Une récolte de 4 tonnes par hectare de grains de mais nécessite 100 kg de N par hectare, alors qu'une récolte de 7 tonnes de mais par hectare nécessite 200 kg de N (Sanchez, 1976). Les deux tiers de cet azote sont accumulés dans le grain et seront exportés au moment de la récolte. La plus grande partie de ce qui reste, qui se trouve dans la paille, peut ne pas être restituée au sol, car elle est souvent donnée au bétail se trouvant en dehors du système et les déjections de celui-ci sont rarement restituées au champ où le maïs a été cultivé. Les autres mécanismes de perte - érosion, lessivage et dénutrification - sont à l'origine d'une exportation d'azote analogue à celle de la récolte dans le district de Kisii au Kenya (Smaling, 1993).

Bilan

Un bilan annuel négatif de 112 kg de N par hectare a été calculé par Smaling dans le district de Kisii, où les apports totaux d'azote s'élevaient à 55 kg par hectare et les exportations à 167 kg par hectare. Ces chiffres sont considérés comme caractéristiques de beaucoup de régions de l'Afrique.

Recyclage

La libération d'azote provenant de la matière organique du sol peut apporter la plus grande partie des 40 kg de N par hectare prélevés par la récolte moyenne de 1 tonne de mais par hectare. Compte tenu de l'utilisation variable des engrais azotés et des restitutions très limitées de résidus de récolte au sol, la plus grande partie de la circulation du cycle interne dans les petits systèmes d'Afrique fondés sur le mais est probablement due à la décomposition de la matière organique du sol.

L'agroforesterie peut-elle fournir l'azote dont on a besoin? La teneur en azote de la matière sèche de 4 tonnes de feuilles et de paille de légumineuses va de 60 à 150 kg par hectare (Palm, 1995). Ce taux d'apport du paillis également été enregistré dans des jachères de légumineuses à Chipata (Zambie), où le maïs réagit fortement aux engrais azotés, mais où la plupart des agriculteurs ne peuvent plus se permettre de les utiliser depuis qu'ils ne sont plus subventionnés. Des jachères de Sesbania sesban de deux ans ont doublé les rendements du maïs sur une période de six ans par rapport à une production continue de maïs sans engrais (Kwesiga et Coe, 1994). Cela a été fait malgré deux années d'absence de production des cultures, pendant la croissance de S. sesban. L'analyse coût-avantage montre aussi que l'avantage cumulatif net des jachères de S. sesban est deux fois plus élevé que celui du maïs non fumé. Les jachères de S. sesban ont ajouté 128 kg de N par hectare à la récolte de mais, probablement en grande partie grâce à la fixation biologique de l'azote et au recyclage. La recommandation d'apports d'engrais dans cette zone est 112 kg de N par hectare, soit un peu moins que l'apport d'azote fourni par la jachère de S. sesban.

Les systèmes agroforestiers décalés appropriés comme les jachères de S. sesban semblent à même de remplacer les applications d'engrais azotés pour un rendement de 4 tonnes de mous par hectare. A des rendements élevés comparables à ceux des exploitations commerciales des pays industrialisés (de l'ordre de 7 tonnes par hectare), les apports d'azote organique sont probablement insuffisants et doivent être complétés par des engrais minéraux. L'interaction entre les sources organiques et minérales d'éléments nutritifs commence seulement à être étudiée dans les tropiques. On connaît très mal cette question, parce que, jusqu'ici, les recherches ont surtout comparé une source à l'autre.

Il semble donc que la jachère aménagée et quelques systèmes de cultures en bande puissent fournir suffisamment d'azote pour répondre aux besoins du maïs à faible rendement. Le degré auquel cet azote est effectivement absorbé par la culture dépend de plusieurs autres facteurs, notamment le taux de décomposition des paillis organiques.

Reconstitution des réserves d'azote

L'assimilation de l'azote des feuilles de légumineuses enfouies dans le sol par la culture (10 à 30 pour cent) est généralement plus faible que celle des engrais azotés (20 à 50 pour cent). Cependant, les apports organiques ont un avantage important par rapport aux engrais minéraux au point de vue de la durabilité. La plus grande partie des 70 à 90 pour cent d'azote organique appliqué mais non utilisé par les cultures s'ajoute aux réserves actives et moins actives de matières organiques du sol, car ces paillis fournissent également une source de carbone. Les micro-organismes du sol ont besoin d'un substrat de carbone pour se développer; ils utilisent également l'azote provenant des apports organiques, pour former l'azote organique du sol. De surcroît, une partie de l'azote lié dans les apports organiques plus difficiles à absorber vient aussi s'ajouter à l'azote organique du sol.

Les engrais minéraux ne contiennent pas ces sources de carbone; par conséquent, la plus grande partie de l'azote des engrais non utilisé par les cultures est sujet aux pertes par lessivage et par dénitrification, tandis qu'une grande partie de l'azote libéré par les apports organiques et non utilisé par les cultures peut grossir les réserves d'azote organique du sol tout en jouant un rôle important dans la constitution de la capacité de rétention de l'humidité du sol.

L'accumulation lente d'azote ou d'autres substances organiques dans le sol en agroforesterie va probablement faire une différence au point de vue de la durabilité à long terme.

Cette stratégie n'est pas nouvelle et elle a été utilisée pendant des siècles dans les régions agricoles tempérées, avec les rotations des cultures et les cultures de couverture de légumineuses d'hiver. Ce qui est nouveau c'est la possibilité de faire quelque chose d'analogue dans les tropiques, avec des systèmes à faible apport d'intrants et qui correspondent mieux aux besoins de la petite agriculture. Il faut évaluer le potentiel d'amélioration de la gestion de l'azote dans les systèmes agroforestiers en quantifiant des processus comme la minéralisation, l'immobilisation, la dénitrification, l'évaporation et le lessivage, ainsi que l'évolution des réserves d'azote organique du sol dans les systèmes qui associent les sources organiques et minérales d'azote.

Phosphore

Apports et recyclage

Cependant, l'agroforesterie ne saurait fournir l'essentiel du phosphore dont les cultures ont besoin. Les paillis de légumineuses et les engrais verts appliqués à une dose réaliste de 4 tonnes par hectare fournissent 8 à 12 kg de P par hectare, soit environ la moitié des besoins en phosphore d'une culture de maïs donnant 4 tonnes de grains par hectare, qui accumule 18 kg de P par hectare. Par conséquent, le phosphore est souvent l'élément nutritif indispensable en agroforesterie et dans d'autres systèmes à faible apport d'intrants extérieurs. Du phosphore minéral doit être appliqué aux systèmes agroforestiers lorsque les sols manquent de cet élément. Pour ce faire, on recycle d'abord toutes les sources organiques disponibles, notamment les fumiers, et on complète à l'aide d'engrais phosphatés. Les combinaisons de sources organiques et minérales de phosphore peuvent permettre d'utiliser plus efficacement les éléments nutritifs.

Le prélèvement en profondeur du phosphore est probablement négligeable, en raison des très faibles concentrations de phosphore disponibles dans le sous-sol. Certes, nombre de systèmes agroforestiers accumulent du phosphore dans leur biomasse et le restituent au sol par la décomposition de la litière. Mais il s'agit d'un recyclage et non pas d'un apport provenant de l'extérieur du système. Cependant, le recyclage peut permettre de transformer quelques formes organiques peu assimilables de phosphore du sol en formes plus facilement assimilables.

Exportations

Les deux principaux modes de perte de phosphore sont les exportations provoquées par les récoltes et l'érosion. Si la première est souhaitable, la deuxième est dangereuse pour l'environnement car l'érosion d'un sol superficiel enrichi en phosphore peut entraîner l'eutrophisation des eaux de surface. Il existe heureusement des solutions biologiques éprouvées de lutte contre l'érosion, telles que les haies de légumineuses suivant des courbes de niveau (Kiepe et Rao, 1994).

Reconstitution des réserves de phosphore

Dans les sols d'Afrique subsaharienne, le phosphore s'épuise rapidement. L'agroforesterie ne saurait fournir un supplément de phosphore à la plupart des systèmes agricoles. C'est pourquoi, la Banque mondiale et d'autres institutions de développement envisagent actuellement de reconstituer les réserves de phosphore par l'application de quantités importantes d'engrais. Il est possible de reconstituer les réserves de phosphore dans des sols ayant une capacité élevée de fixation de cet élément (que l'on identifie comme ayant des horizons superficiels rouges, argileux). Des applications abondantes de phosphate naturel ou d'autres engrais phosphatés pourraient permettre de reconstituer les réserves de phosphore de ces sols après être fixées, et ensuite graduellement libérées par désorption des surfaces d'argile oxydées vers les plantes pendant les cinq à 10 années suivantes. Cela est considéré comme une nouvelle approche qui consiste à investir dans une réserve de ressources naturelles. L'un des problèmes que comporte cette approche est la nécessité d'ajouter des agents acidificateurs au phosphate naturel afin de faciliter leur dissolution dans la plupart des sols africains qui ont perdu leur phosphore, et dont le pH est de l'ordre de 6. La décomposition des apports organiques peut produire des acides organiques propres à favoriser l'acidification du phosphate naturel, et c'est peut-être la solution pour surmonter ce problème.

Conclusion

En conclusion, on peut dire que les systèmes agroforestiers appropriés peuvent maintenir, voire restituer la fertilité que confère l'azote grâce à la FBA, au prélèvement des nitrates en profondeur et à plusieurs mécanismes de recyclage. Cependant, la fertilité due au phosphore ne peut pas être reconstituée par la seule agroforesterie, mais probablement rendue plus facilement assimilable grâce au recyclage. Pour être productifs à long terme, les systèmes agroforestiers doivent prévoir des apports de phosphore, et, dans de nombreux cas, d'engrais azotés également, afin d'inverser la tendance à l'épuisement des éléments nutritifs et de permettre une utilisation efficace des ressources.

Bibliographie

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