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Financement des activités de foresterie communautaire

M. Morell

Merilio Morell est Forestier (institutions) à la Sous-Division des politiques et des institutions forestières (FONP). Département des forêts de la FAO.

Le présent article présente les observations résultant d'une étude réalisée par la Division des politiques et de la planification du Département des forêts de la FAO sur les mécanismes de financement de la foresterie communautaire appliqués au Costa Rica et au Nicaragua depuis 1993.

Au Costa Rica, le mécanisme d'exonération fiscale s'est révélé utile pour créer des plantations forestières couvrant des superficies conséquentes

L'étude de la FAO (FAO, 1994) a principalement porté sur les mécanismes conçus expressément pour les exploitants agricoles propriétaires d'exploitations petites à moyennes. Les données de référence avaient été recueillies par des consultants nationaux (Borges et Meza 1992: Bereta et Salinas. 1992) agissant sous la tutelle technique et sous la supervision de la Sous-Division des politiques et des institutions forestières de la FAO.

L'étude vise à mettre en relief les enseignements relatifs aux mécanismes de financement (récapitulatif des types de mécanismes appliqués, leurs buts, les critères de sélection et les résultats obtenus) et à faire le point de ces informations pour déterminer comment améliorer l'efficacité des financements affectés au développement forestier.

Quoique l'étude ne porte que sur le travail effectué dans deux pays, elle met en lumière: i) l'efficacité des mécanismes de financement pour assurer la participation des communautés rurales à la gestion des ressources forestières: ii) le caractère approprié de ces mécanismes pour atteindre les objectifs économiques et environnementaux: et iii) quelles principales capacités institutionnelles et autres conditions préalables d'analyse des politiques et de planification sectorielle et administrative sont nécessaires pour assurer que les mécanismes soient convenablement conçus et appliqués.

Mécanismes de financement: objectifs et résultats

Quatre types de mécanismes de financement ont été identifiés: exonération fiscale, fonds spéciaux contrats de reboisement et prêts au reboisement. Ces mécanismes avaient pour objectifs: d'accroître l'approvisionnement en matières premières pour l'industrie; de mettre en place des systèmes agroforestiers; d'induire un changement d'attitude vis-à-vis des ressources forestières chez les intéressés: et de transférer des fonds aux régions défavorisées par une faible production culturale. Les résultats positifs et les principales faiblesses de ces mécanismes sont indiqués ci-après.

Le mécanisme d'exonération fiscale s'est révélé utile pour créer des plantations forestières couvrant des superficies conséquentes. Jusqu'en 1993, quelque 50000 ha avaient ainsi été reboisés au Costa Rica. Initialement, le mécanisme n'était appliqué qu'à des entrepreneurs assujettis à l'impôt, avec pour objectif d'accroître les disponibilités nationales en bois d'industrie. A la demande des organisations de petits agriculteurs et des experts techniques, il a été élargi pour que puissent en bénéficier les agriculteurs propriétaires d'exploitations petites à moyennes. Ces agriculteurs ont planté 10000 ha sur les 50000 ha reboisés. Lorsque le mécanisme a été revu pour être étendu aux petits agriculteurs, un objectif additionnel, à savoir développer l'esprit forestier, a été introduit.

Au nombre des résultats, on peut distinguer la création de plantations sur des superficies importantes en un temps relativement bref la création d'emplois, le développement des compétences commerciales et l'introduction d'activités connexes, par exemple pépinières commerciales et sociétés de consultants. D'un point de vue social, les agriculteurs ont été, pour la première fois, en mesure de participer à un plan qui, jusque-là, était exclusivement réservé aux sociétés ou aux personnes privées assujetties à l'impôt.

Certaines critiques ont toutefois pu être faites, avec des allégations d'iniquité, d'inefficacité économique et d'effets adverses sur l'environnement. En ce qui concerne l'équité, la critique la plus fréquente est que le mécanisme ne bénéficie qu'aux personnes assujetties à l'impôt. Comme il a déjà été observé, au Costa Rica le mécanisme a été modifié pour inclure les agriculteurs jouissant de droits fonciers officiels (mais en excluant les autres).

L'étude donne plusieurs exemples d'inefficacité économique. Il a été estimé qu'au Costa Rica, 50 pour cent seulement des superficies reboisées pourraient parvenir au taux de croissance et à la densité voulus pour permettre une utilisation industrielle économiquement viable. Au Nicaragua, cette proportion n'était plus que de 27 pour cent. Aussi, quand les premières plantations, au Costa Rica, ont atteint les volumes prescrits pour abattage commercial, il est apparu que les activités de transformation du bois ne seraient pas économiquement viables en raison des grandes distances séparant les plantations des scieries, du manque d'infrastructures, et de la pénurie de moyens de transport et de machines pour la transformation du bois. Les techniciens costariciens ont aussi signalé que, pendant un temps, les incitations avaient été excessivement élevées, ce qui avait permis aux sociétés de reboisement d'acheter des terres sous couvert forestier naturel, d'y abattre les arbres, puis de se prévaloir du mécanisme d'exonération fiscale. Il y a ainsi eu surconcentration de la propriété foncière et déforestation accrue, deux résultats allant à l'opposé des objectifs initiaux. D'aucuns ont estimé que ce type de mécanisme entrait en conflit avec les principes macroéconomiques sur lesquels les programmes d'ajustement structurel sont fondés, à savoir tendre à la suppression des subventions.

Exonération fiscale

Ce type de mécanisme permet aux personnes privées et aux personnes morales de bénéficier d'abattements fiscaux à condition que la fraction de l'impôt non payé soit investie dans des activités forestières prescrites par le gouvernement. Le taux maximal de l'abattement fiscal et le coût unitaire maximal des activités correspondantes sont ordinairement précisés.

Au Costa Rica, la Loi n° 4465 de 1969 prévoit des abattements pouvant aller jusqu'à 16 pour cent de l'impôt mis en recouvrement, qui doivent être investis dans le reboisement. Ce mécanisme a été institué pour créer des plantations forestières afin d'approvisionner des scieries et réduire ainsi la pression exercée sur la forêt naturelle.

Ce mécanisme ne peut être appliqué que si les individus et les sociétés sont assujettis à l'impôt sur le revenu, et possèdent ou achètent des terres pour y établir leur propre projet de reboisement. Le mécanisme d'abattement fiscal n'est pas conçu pour promouvoir des activités de foresterie communautaire. Il est néanmoins mentionné ici car il est à la base d'une action intéressant les exploitants agricoles.

Certificat de souscription forestière (CAF)

Les CAF ont été introduits en 1986, à la suite d'amendements apportés au mécanisme d'exonération fiscale, pour permettre aux personnes privées et aux sociétés de bénéficier de ce mécanisme sans avoir à créer leur propre plantation. Les amendements ont aussi permis la constitution de sociétés spécialisées dans la promotion et la mise en œuvre de projets de reboisement. Les conditions de participation à ce mécanisme sont les suivantes: attestation de la propriété légale de terres forestières et présentation d'un plan de reboisement conforme aux critères d'évaluation établis par le Département des forêts (DGF).

Certificat de prêt forestier (CAFA)

Comme les petits agriculteurs qui exploitent leurs propres terres ne paient pas d'impôt sur le revenu, ils ne peuvent bénéficier ni du mécanisme d'abattement fiscal, ni du CAF. Le CAFA (créé en 1987) est conçu pour bénéficier aux agriculteurs petits et moyens dont les exploitations ne dépassent pas 150 ha et dont le revenu annuel est inférieur à 2,5 millions de colónes.

Pour être admis à bénéficier de ce mécanisme, les petits agriculteurs doivent être membres d'une organisation de développement communautaire. Pour obtenir des financements, l'organisation doit soumettre un projet de reboisement pour chacun de ses membres. Chaque exploitant signe un contrat avec l'organisation, s'engageant ainsi à honorer ses engagements de reboisement. La condition fondamentale dans ce cas est que les agriculteurs présentent des documents attestant qu'ils sont les propriétaires légitimes de leurs terres.

Les fonds spéciaux, comme le Fonds de développement forestier (FDF) au Costa Rica, représentent un autre type d'effort visant à aider les agriculteurs à bas revenu, en permettant même à ceux qui n'ont pas de titre foncier officiel d'y participer. Ces mécanismes sont aussi appréciés que ceux qui sont fondés sur l'exonération fiscale, mais ne produisent pas d'aussi bons résultats, car les financements sont moindres, et, parallèlement, d'autres mécanismes offrent de meilleurs services et des avantages plus grands à la même clientèle.

Fonds spéciaux

Ce type de mécanisme permet de distribuer des fonds en espèces, aux fins de l'investissement forestier exclusivement. Des fonds sont réservés à des activités forestières spécifiques, et les utilisateurs sont soit dispensés de rembourser le capital, soit censés rembourser une certaine proportion de celui-ci sur les produits de la récolte finale. L'étude a mis en évidence deux variantes de ce type de mécanisme: le Fonds de développement forestier (FDF) au Costa Rica, et le Fonds de roulement au Nicaragua.

Fonds de développement forestier (FDF)

Le FDF (Costa Rica) a été établi à l'intention des agriculteurs qui n'ont pas de titre foncier pour la terre qu'ils exploitent, et il ne leur est pas demandé de produire une preuve écrite de la propriété de la terre à reboiser. Au nombre des objectifs du FDF figurent la production de bois d'industrie, le renforcement des organisations d'agriculteurs, la conservation des forêts, l'amélioration la technologie forestière et l'innovation dans ce domaine, la production de semences de haute qualité, l'établissement d'unités forestières autosuffisantes et le développement de la conscience forestière. Les activités financées sont les plantations alternées, la création de haies vives, de brise-vent et de plantations arboricoles mixtes pour le bois et d'autres productions, par exemple le café.

L'établissement de systèmes agroforestiers est aussi encouragé. En pratique, la majeure partie du capital mis à la disposition des agriculteurs par le FDF sert à créer des plantations forestières contiguës. Comme dans le cadre du CAFA, les espèces les plus fréquemment plantées sont le teck, le gmelina, le pochote et le laurier.

Les fonds de fonctionnement du FDF proviennent d'une opération de rachat de la dette extérieure conclue entre les Gouvernements du Costa Rica et des Pays-Bas. Pour pouvoir bénéficier de ce fonds, les agriculteurs doivent être représentés par une organisation de développement communautaire dont les procédures sont analogues à celles qui ont été décrites pour le CAFA. Les organisations de développement communautaires doivent promouvoir des projets intéressant plus de 100 ha de plantations, avec au moins 20 agriculteurs participants, et soumettre une proposition visant la constitution d'un fonds de roulement. Cette dernière exigence vise à assurer que des fonds continueront d'être disponibles pour les activités forestières futures dans les localités qui ont initialement bénéficié du FDF. Le fonds de roulement doit être constitué à partir des contributions des agriculteurs, à hauteur de 30 pour cent de la valeur escomptée de la production des plantations.

Le coût de reboisement utilisé pour calculer le financement par les agriculteurs est de 762 dollars des Etats-Unis. Les organisations de développement communautaires reçoivent 70 pour cent de ce montant (533 dollars), étant entendu que les familles d'agriculteurs fourniront les 30 pour cent restants sous forme de main-d'œuvre. Les organisations retiennent 104 dollars pour couvrir les frais d'administration, et les agriculteurs reçoivent un montant net de 429 dollars.

Cumulativement, 10560 ha ont été reboisés par le biais du FDF. Interrogés lors de l'enquête effectuée au Costa Rica, les agriculteurs ont estimé que la souplesse du FDF est propice à l'amélioration des systèmes de production traditionnels. Au nombre des critiques exprimées par les agriculteurs et les organisations de développement communautaires, on peut relever les suivantes: promotion de plantations monospécifiques et d'espèces autres que celles que préféreraient les agriculteurs; exigence des techniciens que les agriculteurs plantent des terres aptes à d'autres usages agricoles; enfin, prise en compte insuffisante des caractéristiques agroécologiques et culturales régionales. Par ailleurs, le fait que les fonds disponibles par le biais du FDF sont inférieurs à ceux que distribue le CAFA est mal perçu et critiqué par les agriculteurs, qui préfèrent donc en général le CAFA.

Le capital utilisé pour le FDF provenait du rachat d'une partie de la dette extérieure, et n'était donc pas renouvelable annuellement, comme dans le cas de l'exonération fiscale. Au moment de l'examen, il n'avait pas encore été décidé de la manière d'obtenir un flux régulier de financement. La seule proposition consistait à créer un fonds de roulement en utilisant les profits tirés de la vente du bois des plantations créées au fonds. Les objectifs du mécanisme étaient les suivants: accroître les disponibilités en bois d'industrie, développer la sensibilisation vis-à-vis des forêts et persuader les agriculteurs d'autofinancer les dépenses de reboisement (fonds de roulement).

Le mécanisme de prêt au reboisement a été difficile à mettre en œuvre, et peu prisé par les agriculteurs et ce en raison de l'application de règles bancaires strictes incompatibles avec les caractéristiques de circulation des actifs dans la plupart des activités forestières. Les règles bancaires prescrivent que les banques doivent percevoir des intérêts sur le capital dès la première année du prêt. Cela n'est financièrement pas possible dans des opérations comme le reboisement ou la création de systèmes agroforestiers. Par ailleurs, les garanties exigées, s'ajoutant aux moyens dont disposent les banques pour recouvrer les capitaux prêtés, ont rendu les agriculteurs méfiants vis-à-vis de ce mécanisme. Comme les terres sont habituellement le seul actif dont disposent les agriculteurs, il apparaît très risqué de l'utiliser comme nantissement, car si l'entreprise échouait, la survie même de la famille serait mise en péril. Par ailleurs, beaucoup d'agriculteurs, tant au Nicaragua qu'au Costa Rica, occupent des terres sans titre foncier authentique, à tel effet qu'une forte proportion de ceux que ce mécanisme tentait d'aider n'avaient pas droit au crédit dans le cadre juridique actuel. En revanches ce type de mécanisme pouvait être très utile pour financer des activités comme la création de pépinières ou de petites entreprises commerciales.

Les contrats de reboisement se sont révélés être appropriés pour les activités de recherche et de démonstration exigeant la participation des agriculteurs et l'utilisation de leurs propres terres. Quand bien même ce mécanisme peut exercer un rôle important dans les activités de vulgarisation, son utilisation future à d'autres fins ne semble guère envisageable, sauf si les, conditions financières sont améliorées.

Contrats de reboisement

Ce mécanisme permet aux organismes publics ou privés de recherche ou de vulgarisation (en l'espèce, l'organisme gouvernemental Centro Agrícola Cantonal de Hojancha [CACH], Costa Rica) d'accorder des financements et d'entreprendre des travaux de reboisement sur les terres des agriculteurs. La terre est la seule contribution de ces derniers. Il est convenu contractuellement que 60 pour cent de la production revient au CACH, et le reste aux agriculteurs.

Une superficie de 12 ha a été plantée en utilisant ce mécanisme. Les parcelles reboisées ont servi à démontrer la faisabilité du reboisement dans des zones qui ne se prêtaient pas à des usages agricoles, et qui étaient donc laissées en jachère. Les fonds nécessaires ont été apportés par l'Agence de développement international des Etats-Unis (USAID).

Le même mécanisme a par la suite été utilisé en plusieurs occasions au Costa Rica; par exemple en 1979 dans le cadre des essais en vue du projet MADELEÑA (projet conjoint faisant intervenir le CATIE et le DGF, avec un appui financier USAID/ROCAP). Il a été fait appel à ce mécanisme, dans le cadre de ce projet, pour étudier la croissance de différentes espèces en vue de la production de bois. Les contrats stipulaient que l'intégralité de la production des plantations reviendrait aux agriculteurs. Une autre expérience ayant utilisé ce mécanisme, le projet de reboisement de LEÑA, a été faite en 1981. L'objectif était d'étudier le comportement des espèces à croissance rapide et leur potentiel d'utilisation dans les programmes de reboisement. Plus de 100 ha ont été plantés dans le cadre de contrats établis entre les projets MADELEÑA et LEÑA. Les agriculteurs ont déclaré que la confiance qu'ils placent actuellement dans les plantations forestières tient pour beaucoup à l'expérience acquise grâce à ces plantations, et à leur effet de démonstration. Le projet CEE NA-82/12 mis en œuvre entre 1984 et 1989, avec le soutien de la Communauté économique européenne, prévoyait que les agriculteurs recevraient le capital dont ils avaient besoin pour couvrir les coûts de reboisement (y compris de main-d'œuvre) et pour ensuite conduire les plantations, pour une période de trois ans. Au terme de cette période, s'il était établi que les agriculteurs avaient correctement suivi tous les conseils techniques, leur dette serait effacée. Ce même projet accordait des prêts pour la mise en place de pépinières, remboursables en cinq ans. Ces derniers prêts n'étaient accordés qu'à des organisations justifiant de plusieurs années d'expérience et de succès antérieurs dans les zones rurales. L'objectif principal de ces projets était d'effectuer des essais en vue d'introduire de nouvelles espèces.

Préts au reboisement

Ce mécanisme fonctionne de manière analogue aux prêts commerciaux. L'argent est mis à la disposition des agriculteurs pour une durée déterminée, pendant laquelle ils versent des intérêts et, en fin de prêt, le capital doit être remboursé. Le prêteur s'assure du remboursement en demandant des garanties aux emprunteurs ou à des parties tierces. Le mécanisme a été observé dans trois cas: l'un au Costa Rica (le projet AID-032) et les deux autres au Nicaragua (crédit au reboisement et crédit pour la conservation et l'aménagement).

Crédit au reboisement (Nicaragua)

Ce mécanisme est actuellement utilisé dans le cadre de deux projets, à savoir Développement rural Chinorte, avec un soutien financier de l'Agence suisse de coopération au développement, et Héroes y Mártires de Veracruz, projet financé par le Gouvernement des Pays-Bas et exécuté par la FAO. Les crédits sont administrés conjointement par la Banque nationale de développement, les directions techniques de projets et l'IRENA. L'objectif de ces projets est d'établir des plantations pour la production de bois. Pour chaque hectare reboisé, le financement équivaut à 51 journées de travail, quatre rouleaux de fil de fer et 2 kg de clous cavaliers. Les modalités de remboursement sont les suivantes: délai de grâce de cinq ans et remboursement sur six ans. Au moment de l'examen, le taux d'intérêt n'avait pas encore été fixé, mais devait se situer entre 8 et 14 pour cent. Les principales conditions de prêt sont les suivantes: faire la preuve de la propriété légale de la terre, s'engager à reboiser pas moins de 0,7 ha, accepter le plan de reboisement établi par les experts techniques de projet, et participer au programme local de prévention des incendies.

Crédit à la conservation et à l'aménagement forestiers (Nicaragua)

Appliqué dans le cadre des deux projets susmentionnés, ce mécanisme se distingue du précèdent en ceci que les prêts sont accordés sans intérêt. L'opération vise à conserver et à aménager les ressources naturelles avec une participation communautaire. Parmi les activités financées actuellement en cours, on compte l'établissement de systèmes agroforestiers, l'aménagement de la forêt naturelle, la création de haies vives et d'ouvrages de conservation des sols, d'ouvrages de maîtrise des ravines, et la plantation de barrières végétales. Le montant maximum des prêts, par bénéficiaire, équivaut au coût de reboisement de 1,4 ha Cette limite a été établie pour contenir l'endettement des participants et accroître leur nombre.

Le fonds est administré par l'équipe technique de projets. Chacun des projets est chargé de l'organisation et de la formation des bénéficiaires des prêts, et il est escompté qu'une fois formés, ceux-ci pourront prendre le relais de la gestion des prêts dans le cadre d'un fonds renouvelable autofinancé.

Le projet de prêt AID-032

Le projet AID-032 a été lancé en 1982 dans la Péninsule de Nicoya, au Costa Rica, dans le cadre du programme de conservation des ressources naturelles, le CORENA. Géré par les petits agriculteurs, il avait pour objectif d'offrir des prêts au reboisement et aux activités d'élevage. Les conditions de prêt pour le reboisement étaient les suivantes: taux d'intérêt de 8 pour cent, délai de grâce de cinq ans, et remboursement sur 12 ans. Les prêts pour activités d'élevage étaient consentis aux mêmes conditions de remboursement, mais le taux d'intérêt était de 12 pour cent. L'AID-032 intervenait en tant qu'organisme de financement, et le DGF en qualité d'organe technique, tandis que la Banque nationale du Costa Rica servait d'intermédiaire financier. Le programme se fondait sur l'hypothèse que les bénéfices engendrés par l'élément élevage produiraient des fonds suffisants pour couvrir les coûts de l'opération forestière. En fait, les résultats financiers de l'élément élevage ont été bien inférieurs à ce que prévoyait l'étude de faisabilité. Une superficie de 124 ha a été ainsi reboisée. Actuellement, les prêts sont mis en recouvrement. En raison de la faible rentabilité des activités d'élevage, les agriculteurs participants ont pu se trouver menacés de perdre leurs terres, étant juridiquement tenus de rembourser leur dette à la Banque nationale.

Prêts bancaires

Au Costa Rica, la Loi forestière 4465 de 1969 stipule que les banques commerciales d'État doivent réserver 3 pour cent de leur portefeuille de prêts au financement forestier. Ce mécanisme n'a pas été appliqué. L'absence de demande s'explique par la disponibilité de prêts non remboursables et par les taux d'intérêt auxquels ces prêts seraient consentis.

Le Fonds pour le développement forestier, au Costa Rica, a encouragé les systèmes mixtes de cultures arborées et d'agroforesterie. Sur la photo, plantain et café

Au Nicaragua, le mécanisme d'exonération fiscale a été utilisé aussi pour promouvoir la création de haies vives

Principaux enseignements et conséquences pour la formulation des politiques

La fin d'un mythe

Les résultats obtenus en appliquant des mécanismes d'exonération fiscale et de fonds spéciaux démontrent que les agriculteurs répondent aux incitations économiques et aux signaux du marché. Toutefois, la plupart des programmes d'incitation n'ont pas réussi à bien appliquer ces mécanismes. A l'inverse, les incitations préférées ont été les incitations en nature, par exemple sous forme d'intrants agricoles, de programmes de vulgarisation et de rémunération alimentaire du travail. Les programmes d'incitation semblent avoir été fondés sur l'hypothèse que les agriculteurs répondraient mieux aux incitations de caractère moral ou éthique qu'aux signaux du marché et aux incitations économiques dans le contexte d'une économie de marché.

Cette approche a conduit à adopter des politiques favorisant l'utilisation de fonds d'investissement pour le secteur commercial, et les activités de vulgarisation pour les agriculteurs à bas revenu. Cette attitude a aussi eu pour effet qu'il était demandé aux agriculteurs à faible revenu de contribuer à la réalisation des objectifs nationaux en ce qui concerne la fourniture de biens ou d'équipements publics, tandis que les objectifs fixés aux entrepreneurs ne portaient que sur les biens marchands. Cette attitude apparaît dans la conception et la mise en œuvre des mécanismes de financement. Au Costa Rica, le mécanisme d'exonération fiscale, conçu principalement pour rendre disponibles des fonds d'investissement, était à l'origine applicable aux seuls entrepreneurs. Au Nicaragua, les mécanismes appliqués le plus souvent aux agriculteurs à faible revenu consistaient à leur distribuer de petites quantités de vivres ou d'intrants agricoles. Il faut aussi noter que si les agriculteurs ne peuvent bénéficier que de petites sommes en espèces, les objectifs physiques doivent logiquement être peu ambitieux. Cela peut donner l'impression, trompeuse, que le travail accompli par les entrepreneurs est plus efficace, puisque des superficies plus importantes ont été reboisées par leurs soins. Mais en définitive, les données empiriques recueillies l'étude infirment cette supposition. Rien ne prouve que les entreprises ont été plus efficaces que les petits agriculteurs au plan de l'efficacité économique ou des objectifs de plantation.

L'impression injustifiée que les résultats des agriculteurs sont différents en présence d'incitations économiques a conduit à une autre erreur grave dans le choix des politiques: on attendait davantage des agriculteurs à faible revenu que des entrepreneurs. Lorsque le mécanisme d'exonération fiscale au Costa Rica a été élargi aux petits agriculteurs, ceux-ci ont été mis en demeure de réaliser des objectifs sociaux et financiers additionnels, qui n'étaient pas exigés du secteur commercial. Le programme ouvert aux entrepreneurs visait à l'accroissement des disponibilités de matières premières industrielles. Quand ce même programme a été ouvert aux agriculteurs sans titre foncier, un objectif a été ajouté: développer la sensibilisation vis-à-vis des forêts. Enfin, les fonds spéciaux mis à la disposition des agriculteurs sans titre foncier ont ajouté pour objectif de parvenir à l'autofinancement. L'étude confirme que, dans une économie de marché, les agriculteurs répondent aux incitations économiques de la même façon que le secteur commercial, et qu'avec leur participation des opérations forestières de grande ampleur peuvent être mises en œuvre, et des objectifs ambitieux être atteints.

Mécanismes de financement et politiques macroéconomiques

Les programmes d'ajustement structurel n'excluent pas la possibilité d'appliquer des politiques forestières faisant intervenir des incitations économiques. Le but principal de ces programmes est d'éliminer les inefficacités économiques et de dynamiser la compétitivité. Les incitations forestières sont justifiées quand, elles permettent de promouvoir des solutions novatrices de production de biens et services publics et marchands, tout en améliorant la productivité et l'efficacité économique. Les pays développés, qui préconisent les programmes d'ajustement économique, utilisent d'eux-mêmes divers types d'incitations de cette nature.

Importance de la capacité institutionnelle de planification et d'analyse des politiques

Si les mécanismes financiers, fondés sur des principes économiques établis, sont des moyens efficaces de mettre en œuvre les politiques, il peut être utile de se demander pourquoi il est fréquent qu'ils ne parviennent pas à atteindre les objectifs, et pourquoi ils peuvent être économiquement inefficaces. Leurs défauts les plus fréquents sont l'iniquité sociale, l'inefficacité économique et une incidence négative sur l'environnement. Pourtant, même si ces défauts sont bien réels, il apparaît à l'examen que la cause profonde tient au manque de capacités institutionnelles, et non pas aux défauts que font apparaître ces mécanismes.

L'iniquité qui apparaît lorsque des exonérations fiscales sont accordées au secteur commercial exclusivement tient à plusieurs facteurs. Comme nous l'avons vu, l'une des principales raisons pour lesquelles les agriculteurs n'ont pas la possibilité de participer tient à la conviction qu'ils ne répondront pas aux incitations de caractère économique. Le cadre juridique qui gouverne les investissements bancaires représente une autre des principales contraintes. Les garanties et les conditions de remboursement que prévoit la réglementation en vigueur sont inadaptées quand les agriculteurs occupent des terres sans titre foncier officiel, et vu la spécificité des mouvements de trésorerie dans l'activité forestière. En pratique, les banquiers les mieux intentionnés ne peuvent prêter aux agriculteurs.

Les faibles taux de croissance obtenus dans les plantations forestières du Costa Rica et du Nicaragua pourraient avoir été meilleurs avec une planification soigneuse, qui aurait établi des normes par espèces, qualités de semences, pratiques de préparation des sites et de conduite des plantations après leur mise en place. Le bois tiré des premières coupes commerciales aurait pu être utilisé au Costa Rica s'il avait été tenu compte, quand le mécanisme d'exonération fiscale était à l'étude, des usages qui seraient faits de la production des plantations. Les compétences et savoir-faire techniques nécessaires sont disponibles tant au Costa Rica qu'au Nicaragua. C'est aux administrations forestières qu'il appartient de s'assurer que les opérations soient conformes aux normes: il est besoin pour cela de coordination, d'autorité et de supervision.

Le détournement de fonds par le biais de ces mécanismes vers des activités autres que celles qui étaient initialement visées, et le versement d'incitations en excès du coût effectif des activités sont imputables à une médiocre analyse des politiques, à une connaissance insuffisante de la théorie économique, et parfois au degré de développement politique des pays. Ces déviances auraient pu être évitées par une analyse précise des éléments du marché des produits forestiers (demande, prix, coûts de commercialisation et de production) afin de déterminer le niveau optimal de financement pour chacun des types d'objectifs.

Des prêts au reboisement ont été utilisés pour faciliter la plantation de forêts axées sur la production de bois. Sur la photo, un peuplement de pitchpins américains (Caribea hondurensis) au Nicaragua

L'exiguïtés le manque de continuité des financements consentis sont imputables au faible poids politique du secteur forestier, et au fait que les investissements n'étaient pas justifiés. Les investissements de l'État dans le secteur forestier sont fondés sur l'hypothèse que les activités envisagées sont essentielles pour la production de biens et de services qui ne répondent pas aux signaux du marché. Cette hypothèse n'est pas mise en doute. Toutefois, les décisions semblent se fonder sur le principe général que tout ce que l'on peut faire pour les populations rurales et les forêts est nécessairement bon. Si l'argument est valable, il ne garantit pas des financements durables et efficaces. Pour assurer un flux continu de financements suffisants pour répondre aux problèmes dans toute leur ampleur, le raisonnement qui conduit à investir doit être appuyé de façon continue, et les avantages pour la société et pour l'économie nationale qui en sont attendus doivent être clairement exprimés. L'étude n'a rien mis en évidence qui suggère que les investissements aient été fondés sur des analyses comparatives des différents secteurs en concurrence pour obtenir des financements publics.

Conclusions

Les mécanismes de financement examinés ici sont autant de moyens utiles pour mettre en œuvre une politique de promotion de la participation des communautés rurales au développement forestier. Ils demeureront essentiels pour mettre en œuvre les politiques sectorielles faisant appel à la participation des exploitants en vue d'assurer l'utilisation durable des ressources forestières. La plupart des problèmes liés à leur application proviennent des carences de planification et de l'inadéquation du cadre institutionnel, et non pas de problèmes techniques ou administratifs inhérents aux mécanismes eux-mêmes. Des efforts accrus sont nécessaires pour améliorer l'efficacité économique des mécanismes financiers. Plus particulièrement, des programmes visant à doter les pays d'un cadre institutionnel et politique approprié sont nécessaires pour garantir l'efficacité économique des fonds acheminés par le biais de ces mécanismes. Il est urgent de prendre des mesures propres à développer les moyens humains d'analyse en vue de la formulation des politiques, et les compétences techniques requises pour manier efficacement les outils d'analyse économique, traduire les politiques dans une réglementation fonctionnelle, et mettre en place des procédures et des mécanismes aptes à les traduire efficacement dans la pratique.

Le manque chronique de capitaux à investir dans le secteur forestier représente un grave problème pour ce qui est des mécanismes de financement. Cela est particulièrement vrai dans le cas des activités de foresterie communautaire. Priorité absolue doit être donnée à la recherche de solutions nouvelles permettant d'obtenir les capitaux nécessaires au financement de la participation communautaire. Les financements extérieurs à titre gracieux et l'approche projet sont certes d'un grand intérêt, mais semblent incapables d'assurer les niveaux d'investissement nécessaires pour régler les problèmes que connaissent les pays visés. Il est donc urgent d'innover pour attirer des capitaux internationaux et nationaux. L'approche projet telle qu'elle est actuellement pratique doit céder la place à une approche programme structurée en fonction d'impératifs concrets et de délais raisonnables et fermes.

Le système à mettre en place devra faire appel aux marchés financiers nationaux et internationaux. Il conviendra de veiller tout particulièrement aux perspectives offertes par les nouveaux marchés de capitaux dans les pays en développement, et à l'ouverture de ces pays à l'investissement international. A l'échelon national, une plus forte proportion de l'épargne intérieure, et notamment de l'épargne rurale, devra être affectée au secteur forestier. Ce serait en outre aller dans le bon sens que d'établir des liens entre le secteur commercial et les agriculteurs dans le cadre de dispositifs d'investissement conjoints.

Pour assurer la participation des communautés rurales, il est essentiel de tenir compte des conditions du marché dès la conception des mécanismes financiers. Il devra en aller de même lorsque l'on s'en prendra aux causes de l'inefficacité économique observée. Dans bien des cas, la solution consistera à générer une demande à long terme de services et de produits issus des activités communautaires. Cela permettra d'établir de nouveaux mécanismes de coopération entre la communauté internationale de financement et ceux des pays en développement qui prennent des mesures pour assurer une utilisation durable des ressources forestières.

Comme désormais de nombreux pays sont en phase de réajustement économique, et comme les critères d'efficacité des investissements publics sont devenus plus stricts, il est essentiel de: veiller plus étroitement à la définition des objectifs des mécanismes financiers; évaluer les incidences économiques, sociales et environnementales plus attentivement, en veillant tout particulièrement à l'identification et à la mesure des risques; assurer que les investissements sont économiquement efficaces; adopter une approche programme; enfin, mettre en place les moyens institutionnels de mise en œuvre des mécanismes financiers. Les objectifs de ces mécanismes financiers, au service d'activités forestières communautaires, doivent au premier chef être assujettis à la résolution des problèmes concrets que connaissent les communautés visées. La justification de ces objectifs doit être fondée sur l'impact et les effets, par exemple la résolution des problèmes d'environnement. Parallèlement, des efforts accrus doivent être consentis pour faire participer les communautés elles-mêmes au suivi de l'efficacité des mécanismes financiers, en prévoyant des incitations économiques fondées sur les principes de l'économie de marché.

L'amélioration globale de la capacité d'investissement et d'administration, qui détermine la bonne application des mécanismes financiers, doit être un des aspects fondamentaux des programmes de renforcement des capacités qui visent à appuyer les efforts des pays en développement.

Bibliographie

Bereta, S. et Salinas, D. 1992. Estudios sobre mecanismos de financiamiento para actividades forestales comunitarias: caso de Nicaragua. FAO, Rome. (Rapport de consultants non publie)

Borges, C. et Meza, A. 1992. El financiamiento de actividades forestales comunitarias: el caso de Costa Rica. FAO, Rome. (Rapport de consultants non publié)

FAO. 1994. Mecanismos de financiamiento para actividades forestales comunitarias. Rome.


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