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Instruments économiques et financiers pour l'aménagement durable des forêts en Colombie

D. Gaviria

Diana Gaviria anciennement responsable de la Division d'économie de l'environnement du Bureau colombien de planification nationale, travaille à présent auprès du Ministère colombien de l'environnement, à Bogota.

Brève analyse d'une situation dynamique, s'appuyant sur un document présenté à l'Atelier sur les mécanismes financiers et les sources de financement pour la foresterie durable, qui s'est tenu à Pretoria (Afrique du Sud) du 4 au 7 juin 1996.

Vue d'une forêt tropicale naturelle en Colombie

L'expérience de la Colombie en matière d'outils économiques et financiers au service du développement durable remonte à 1959, lors de la création des premiers services chargés de l'environnement et du développement dans le pays. Les principaux instruments sont: les taxes d'utilisation de l'eau et des forêts, les taxes de pollution de l'atmosphère et de l'eau, les transferts du secteur électrique pour la conservation des bassins versants, et les transferts de redevances aux autorités régionales chargées de l'environnement (pour une analyse plus détaillée de ces instruments, consulter Gaviria. 1996).

Néanmoins, avant l'approbation de la Loi 99 de 1993 portant création du Ministère de l'Environnement et du Réseau national pour l'environnement, la plupart de ces instruments n'étaient que des «instruments compensatoires» visant à indemniser des atteintes à l'environnement liées à l'utilisation des différentes ressources naturelles et au rejet d'efluents et de gaz. Cependant, ils n'étaient pas conçus pour modifier le comportement des substances polluantes ou nocives. En effet, ils n'entraient dans le cadre d'aucune stratégie spécifique tenant compte de l'environnement ni avaient un rôle clairement défini dans l'atteinte d'objectifs écologiques.

La Loi 99 modifie ces instruments en étendant leur application à l'ensemble du pays et en les inscrivant expressément dans une logique économique. Cet article décrit brièvement les outils financiers qui existaient avant la Loi 99 et les nouveaux défis que la Colombie doit relever dans ce domaine.

Instruments financiers pour l'aménagement durable des forêts avant 1993

En 1974, le Code colombien des ressources naturelles a défini plusieurs instruments financiers pour l'aménagement durable des forêts. Les mécanismes les plus importants étaient les redevances pour les bassins versants, et les diverses taxes, impôts et droits d'utilisation des forêts. En outre, les décrets portant à la création des autorités régionales chargées de l'environnement stipulaient des transferts du secteur de l'électricité au service de la protection des bassins versants. Les lois nationales de réforme fiscale ont institué des dégrèvements fiscaux pour le reboisement il y a quelques années. La fonction principale de ces instruments était de dégager des ressources pour le secteur de l'environnement, et c'est ainsi qu'ils étaient généralement perçus.

Le Code des ressources naturelles, qui déterminait les redevances d'utilisation de l'eau, ne précisait aucune méthode de calcul, ce qui porta à la définition de tarifs qui n'étaient pas optimaux, et laissait une grande marge de manœuvre aux autorités régionales chargées des questions concernant l'environnement. Quoiqu'il en soit, ces taxes étaient calculées sur la base de l'eau distribuée ou donnée en concession à l'utilisateur, même si les autorités employaient des échelles de prix différentes en fonction de sa destination (domestique, industrielle ou énergétique). Dans la plupart des cas, le prix du litre était fixé indépendamment du volume consommé et de l'offre et de la demande de la ressource au niveau régional. De cette façon, les consommateurs n'étaient aucunement incités à faire un usage plus rentable de l'eau. La valeur de la taxe ne prenait pas en compte les coûts économiques et sociaux de l'utilisation de l'eau. Ainsi, les tarifs étaient dérisoires; à titre d'exemple, dans la vallée de Cauca, ils étaient inférieurs à 0,5 peso/m³, tandis qu'à Tolima, les consommateurs payaient moins de 0,1 peso/m³.

Par ailleurs, avant la promulgation de la Loi 99, seules les personnes ou les organisations qui tiraient un profit de l'utilisation de l'eau étaient redevables de ces droits. Le gouvernement et les sociétés de services publics en étaient exonérés. Les décisions et projets du gouvernement ne considéraient pas les coûts écologiques liés à la distribution et à l'utilisation de l'eau.

Comme dans le cas de l'eau, la Colombie possède une longue tradition en matière de redevances et droits forestiers. De même que les autres instruments, ces redevances avaient un problème fondamental: leur rôle peu clair dans le cadre d'une politique forestière. Ce manque de clarté et l'absence d'un consensus sur leur fonction se sont traduits par une application incohérente et désordonnée dans les différentes régions du pays. Certes, ces taxes forestières, mal conçues et mal utilisées, ont contribué à la dégradation de cette ressource, mais il faut souligner que bien d'autres causes plus importantes entrent en jeu dans le déboisement de la Colombie, notamment: les inégalités du régime foncier, les pressions exercées par les colons et le système de concessions forestières.

En Colombie, les redevances d'utilisation des forêts se divisent à leur tour en plusieurs types de taxes. Le premier correspond à un «droit de participation national», allant jusqu'à 30 pour cent du prix du bois vendu sur le marché le plus proche du lieu d'extraction. En conséquence, le bois plus rare ou de meilleure qualité est soumis à une taxe plus élevée parce qu'il est plus cher. Le deuxième type de redevance est applicable à des usages spécifiques, à savoir: reconstitution de la ressource, recherche forestière et services d'administration technique. Ces trois taxes ont une valeur fixe, indépendamment du type de bois ramassé. Cela a incité à récolter les bois les plus fins et les plus rares car les taxes représentent un pourcentage relativement plus faible du prix de vente des bois les plus recherchés. Dans ces conditions, ces droits et tarifs ont favorisé la surexploitation des types de bois les «plus rares» et la destruction et l'abandon du bois le plus «ordinaire». D'autre part, les droits de reconstitution et d'assistance technique ont déchargé les utilisateurs de leurs responsabilités vis-à-vis de la régénération et de l'exploitation durable de la forêt.

Ces redevances présentent un autre point faible: elles sont prélevées selon le volume de bois commercialisé et non pas selon le volume de bois alloué ou réellement ramassé par l'utilisateur. Ainsi, l'industrie forestière n'a guère reçu d'incitations pour optimiser le processus de production; si l'utilisateur n'est imposé que sur le bois qu'il vend au marché, peu importe la quantité de bois ainsi gaspillé durant l'opération. Par ailleurs, le bois peut «se volatiliser» sans trop de problèmes vu que l'important est ce qui est déclaré au marché. Une imposition plus faible dans les forêts privées a également favorisé le ramassage illégal du bois dans les forêts domaniales - en utilisant les permis de coupe pour les propriétés privées.

Comme pour l'eau, le Code des ressources naturelles ne précisait pas la méthode de calcul des tarifs. L'autonomie des autorités régionales n'a fait qu'accroître la disparité des taxes d'utilisation d'une région à l'autre du pays, ce qui a encouragé la surexploitation des forêts dans certaines régions où les redevances étaient plus basses. Cela s'est également traduit par une situation où les exploitants utilisaient des permis moins coûteux obtenus dans une région pour justifier la coupe et le trafic de bois dans d'autres régions du pays.

Par ailleurs, le faible niveau de ces redevances a protégé l'industrie forestière en Colombie pendant de nombreuses années. Il a également eu un effet dissuasif sur la transformation plus rentable du bois. Les faiblesses des systèmes de surveillance et de contrôle ont en outre donné libre cours à la fraude fiscale. Enfin, dès lors que la survie financière de certaines administrations dépend de ces redevances, le système a créé des mesures d'incitation ayant un effet pervers et permettant aux autorités de délivrer des permis et de prélever des taxes de ramassage pour pouvoir fonctionner.

En Colombie, la Loi 99 a institué le Ministère de l'environnement en 1993

La Colombie a une expérience limitée en matière de dégrèvements fiscaux pour le reboisement. Les investissements de reforestation sont déductibles de l'impôt sur le revenu chaque année. Ces allégements ont favorisé l'assainissement de l'industrie forestière dans une certaine mesure, même s'ils n'ont pas remporté autant de succès que dans d'autres pays, comme le Chili.

En outre, la Loi 56 de 1981 a créé une situation avantageuse qui s'est traduite par des efforts de reboisement et d'aménagement des bassins versants dans certaines zones du pays. Cette loi imposait aux entreprises de production d'électricité, soit de transférer 2 pour cent de leur chiffre d'affaires brut à une administration responsable de l'environnement, soit d'investir ce montant dans les organismes de protection des bassins versants. Plusieurs études montrent l'utilisation rationnelle de ces ressources.

Instruments financiers et économiques pour l'aménagement durable des forêts après 1993

La Loi 99 de 1993 modifie, amende et développe un certain nombre d'instruments et sources de financement cités ci-dessus. Dans le cas des instruments économiques, la différence entre ceux qui ont été créés récemment et ceux du Code de ressources naturelles consiste en l'intention manifeste d'en faire de véritables instruments économiques pour l'exploitation durable des ressources. En outre, la Loi 99 élargit le champ d'action et les sphères d'application de ces instruments et crée d'autres outils importants, tels que l'obligation d'affecter 1 pour cent de l'ensemble des investissements aux infrastructures utilisant l'eau pour la protection et le contrôle du bassin hydrographique respectif. Les autres aspects innovateurs de cette loi sont la définition de mécanismes de fixation de taxes plus systématiques, l'extension des avantages à toutes les autorités régionales chargées de la protection de l'environnement et l'obligation pour tous les utilisateurs - y compris le gouvernement - de payer les redevances d'utilisation et de déversement d'effuents. La Loi introduit clairement les concepts de dépréciation des ressources naturelles et d'équité régionale et sociale, et laisse aux régions une plus grande liberté, en particulier pour les taxes d'utilisation et de pollution.

Le Ministère de l'environnement n'a pas encore fixé ces nouvelles redevances d'utilisation de l'eau. Néanmoins, l'expérience nous apprend qu'il faut recourir aux taxes sur l'eau comme véritable instrument économique, prenant en compte les coûts sociaux et économiques de la dépréciation de la ressource. Il faut également inscrire ces instruments dans le cadre d'une politique globale d'aménagement des ressources hydriques, et s'assurer que leur mise au point et leur application contribuent à en garantir l'offre et à créer des incitations pour son utilisation rationnelle. Pour ce faire, la conception des taxes d'utilisation de l'eau doit prendre en compte l'offre et la demande aux niveaux régional et local, les mécanismes d'imposition du volume d'eau consommé et non pas seulement de la quantité d'eau donnée en concession, ainsi que les augmentations du coût marginal de l'eau proportionnellement à l'accroissement de la consommation. Les recettes dérivant de ces taxes serviront aux administrations régionales chargées de l'environnement pour la conservation et le reboisement des bassins versants. Une partie de ces ressources pourrait être utilisée à bon escient comme mesure d'incitation pour les agriculteurs et les petits propriétaires servant la cause de la conservation des sources hydriques.

Le Conseil des ministres a récemment approuvé la première loi forestière officielle de Colombie. Ce document fixe les bases pour la mise au point de nouvelles taxes comme un des outils de définition d'une politique forestière rationnelle. Ces redevances viendront se conjuguer à d'autres mesures telles que la définition de quotas nationaux de coupe, l'élaboration de systèmes de surveillance et d'information, la promotion de processus de planification participative et d'un système de permis et de concessions qui permettra l'aménagement durable des forêts de la Colombie.

Ces taxes devraient se fonder sur une méthode de calcul claire et ne pas inciter à la surexploitation sélective d'essences forestières plus fines et plus rares. Afin de corriger la tarification non optimale, ces taxes devraient être concurrentielles à l'échelle internationale, en particulier vis-à-vis des pays voisins. En outre, il ne devrait pas y avoir de différence entre les taxes perçues sur le bois provenant des forêts domaniales ou des forêts privées. Les différences perçues en fonction des autorités régionales devraient dériver de l'offre et de la demande au niveau régional, de la capacité de régénération des forêts, et de l'évaluation écologique et sociale de la forêt au niveau local. Enfin, il est important de mettre au point des systèmes efficaces de suivi et de coercition afin de prévenir la fraude fiscale, promouvoir le réinvestissement en actions au profit de la forêt et encourager l'utilisateur à participer à la reconstitution de la ressource.

Un instrument important pour contrôler la dégradation en Colombie sera l'établissement dans les nouvelles politiques de taxes adéquates pour l'exploitation forestière

Peu après la promulgation de la Loi 99, le Congrès colombien a approuvé une disposition visant à encourager le reboisement, dénommée Certificat d'aide à la foresterie (CIF), qui subventionne les coûts de reboisement en essences exotiques à 50 pour cent, et en essences locales à 75 pour cent. Le gouvernement actuel a l'intention de reboiser 160000 ha grâce à cette subvention qui a contribué, en 1995, à la reforestation de 2578 ha. Les principaux bénéficiaires du CIF étaient les propriétaires de parcelles moyennes d'une cinquantaine d'hectares. Outre le CIF, le gouvernement encourage le reboisement par le biais de plusieurs autres subventions financées par des prêts de la Banque interaméricaine de développement (BID), de la German Reconstruction Credit Institution (KfW) et de la Banque mondiale. Néanmoins, la panoplie de conditions différentes offertes par les mesures a jeté la confusion dans les esprits des communautés comme des utilisateurs. Ainsi, dans d'autres cas, une subvention s'est avérée plus attrayante pour les bénéficiaires, ce qui a entraîné des conflits de ressources qui ont nécessité la prise de mesures correctives actuellement en cours.

Dans le cadre de la loi de réforme fiscale récemment promulguée, L'Administration a approuvé une mesure visant à encourager la conservation des forêts, qui prévoit d'indemniser les propriétaires fonciers des coûts directs et indirects de conservation des écosystèmes forestiers restés relativement intacts. Le gouvernement, avec le concours des organisations non gouvernementales (ONG), est en train de définir cette mesure et a alloué 1 million de dollars des Etats-Unis pour son application durant l'exercice financier 1997. Dans ce même cadre, le secteur de l'environnement a éliminé certains des obstacles à la conservation et à la lutte contre la pollution. Au vu des leçons tirées des incitations accordées dans le passé, le gouvernement colombien doit consulter les bénéficiaires potentiels et lancer des campagnes de diffusion et d'information.

Outre ces instruments économiques, la Colombie a fortement accru le budget destiné au secteur de l'environnement. Le Programme «Mas agua», consacré à la protection et au reboisement des bassins versants, et le Programme «Mas bosques», bénéficieront, grosso modo, respectivement de 98,6 et de 25 millions de dollars. Par ailleurs, 72,2 millions de dollars seront alloués au Programme sur les écosystèmes stratégiques. Ces chiffres incluent des fonds provenant de deux prêts internationaux octroyés par la BID et la Banque mondiale. Le prêt de la Banque mondiale est principalement axé sur les réformes de politique générale et la recherche dans le secteur forestier, ainsi que sur les programmes de reboisement. D'autre part, les administrations régionales responsables de l'environnement dégageront des ressources pour l'environnement pour un montant de 1,24 milliard de dollars au cours de la même période, dont 150 millions de dollars qui seront transférés du secteur électrique pour la reforestation et l'aménagement des bassins versants du pays. Le Fonds national pour l'environnement (FONAM), le Fonds colombien pour l'Amazonie (FAMAZONIA), le Fonds national de redevances (Fondo Nacional de Regalías), et le Fonds d'affectation spéciale des ONG (ECOFONDO) disposent également d'importantes ressources destinées au secteur forestier. L'ensemble de ces initiatives contribuera indéniablement à la conservation du patrimoine forestier de la Colombie dans les années à venir.

Bibliographie

Gaviria, D. 1996. Los instrumentos económicos y financieros para la gestión ambiental en Colombia: una mirada retrospectiva con lecciones para el futuro, Ministerio del Medio Ambiente de Colombia, Bogotá.


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