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Introduction

Le Foncier-Environnement: une nouvelle approche pour un développement durable

«Les populations et communautés autochtones et les autres collectivités locales ont un rôle vital à jouer dans la gestion de l'environnement et le développement du fait de leurs connaissances du milieu et de leurs pratiques traditionnelles. Les Etats devraient reconnaître leur identité, leur culture et leurs intérêts, leur accorder tout l'appui nécessaire et leur permettre de participer efficacement à la réalisation d'un développement durable»1.

1 Principe 22 de la déclaration de Rio sur l'environnement et le développement (juin 1992).

Les populations sahéliennes sont si étroitement dépendantes des ressources naturelles renouvelables que la capacité de regénération et la diversité de ces ressources biologiques conditionnent leur survie et la reproduction de leurs sociétés.

La problématique de la gestion environnementale constitue un défi planétaire, auquel l'humanité est confrontée à plusieurs niveaux et dans des domaines différents. Elle se retrouve à toutes les échelles, du niveau local au niveau mondial, où elle se traduit en termes de conservation. Objet de préoccupations pressantes, enjeu de grande importance, notamment pour les populations en situation de crise conjoncturelle, environnementale et socio-économique, il convient d'y répondre en apportant des éléments essentiels pour l'effectivité de solutions urgentes.

Par ailleurs, la problématique foncière en Afrique est mise sur le devant de la scène scientifique en raison des conséquences importantes qu'elle entraîne. Cependant cette problématique n'est pas indifférente au souci de gestion des ressources naturelles, qui constitue l'objectif majeur de cette fin de siècle. En réalité, le foncier et l'environnement constituent des problèmes capitaux pour les populations, les Etats-Nations et la communauté internationale.

Pendant longtemps les programmes de développement se sont focalisés sur une perception technicienne et ont valorisé des solutions sectorielles. Cependant, les mentalités ont évolué et de nombreux acteurs du développement (décideurs, bailleurs de fonds) ont pris conscience de la nécessité d'adopter une approche, non plus restrictivement agronomique ou forestière mais plus largement gestionnelle. Ainsi, saisir l'organisation sociale et foncière, de même que le rapport des hommes à l'environnement est devenu une question primordiale venant en amont de toute entreprise. De fait, les comportements socioculturels produits dans des contextes socio-historiques donnés sont à mettre en rapport avec les représentations socio-cognitives qui sous-tendent à leur tour des stratégies d'action individuelles ou collectives. Normes, règles, procédures et institutions en dépendent.

Jusqu'à présent les Etats africains, notamment sahéliens, ont négligé le travail de reconstruction de l'édifice, ils se sont limités à le recouvrir d'un vernis inopérant. Il s'agit de dépasser ces conceptions superficielles, inadaptées et exogènes pour aboutir à la compréhension des phénomènes. Chaque groupe socioculturel construit en effet sa vision du monde, son ordre social avec ses propres référents, ses racines historiques que certains, au nom de la modernité, appellent à supprimer, oubliant trop vite que les traditions, ainsi qu'un certain rapport à l'invisible, constituent le substrat de la réalité présente. L'enveloppe chamelle n'est que la dimension visible et palpable du vivant et le droit, pour être opérationnel, ne doit pas être victime de cette illusion.

De nombreux échecs de politiques, de réformes juridiques, de programmes de développement proviennent de l'absence ou de l'insuffisance de prise en compte de la diversité socioculturelle rencontrée. Par ailleurs, la recherche scientifique en sciences sociales et juridiques s'est souvent gardée d'avancer des réponses aux préoccupations des décideurs ou des développeurs.

Le pont entre la recherche et le développement se matérialise dans ces travaux, en raison des rapports privilégiés entre chercheurs et développeurs qui ont constitué leur contexte. En effet, de nombreux contacts avec des équipes de développeurs aux prises avec les difficultés de leur terrain ont facilité notre accès à leurs perceptions, nous plaçant dans une situation médiane, à la jonction des demandes émanant du terrain et des propositions suggérées par les développeurs. Cet angle d'observation privilégié n'a fait que renforcer notre volonté d'aboutir à une recherche finalisée en élaborant un outil conceptuel et opérationnel, le "foncier-environnement".

Cette recherche finalisée consiste à apporter des éléments de réponse en vue d'une gestion viable à long terme des ressources naturelles renouvelables au Sahel. Il s'agit de proposer des solutions concrètes non pas dans les domaines techniques, forestiers ou agronomiques, mais dans le registre de l'organisation institutionnelle et juridique. Le droit constitue un lieu privilégié de l'expression des rapports de l'homme à son milieu. En tant que produit socioculturel, le droit dépend de multiples facteurs que seule l'interdisciplinarité peut aborder dans son ensemble.

Afin qu'une gestion des ressources renouvelables soit opérationnelle et viable à long terme, une approche "de l'intérieur" s'impose pour saisir et assimiler la structure des rouages internes, les conceptions endogènes, les permanences et les dysfonctionnements du système social. L'objectif consiste à traduire juridiquement cette totalité dans un schéma répondant à l'interrogation fondamentale: quel droit faut-il appliquer dans le but d'assurer une coviabilité des systèmes d'exploitation et des écosystèmes? En définitive, il s'agit de travailler sur un droit de la gestion des ressources naturelles renouvelables et de la conservation des écosystèmes, un droit de l'environnement2 qui permette aux sahéliens d'utiliser les ressources naturelles renouvelables tout en les maintenant à un niveau de régénération permettant de les conserver à long terme3. Ce processus entre dans la logique d'un développement durable.

2 Considéré ici uniquement dans l'optique conservation des écosystèmes et des produits vivants de la biosphère. Nous ne considérons pas ici l'aspect "pollution".

3 La Convention internationale sur la diversité biologique (Rio, 1992) traduit cette idée par l'utilisation durable.

Au-delà de la logique du rapport homme/bien impliquant une appropriation du fonds, nous avons plutôt considéré l'importance du rapport entre les hommes et le milieu que l'on peut exprimer en termes de pouvoir. Cette vision engage une conception patrimoniale de la gestion des ressources naturelles et de la conservation des écosystèmes.

Dans cette perspective, nous avons étudié l'organisation des hommes face à la gestion de la ressource et au contrôle sur l'espace. Ce double rapport de l'homme à la ressource et à l'espace parait devoir être abordé dans un même élan en vue d'une gestion intégrée. Ceci nous amène à revenir sur la définition des rapports fonciers, qui sont l'expression des rapports sociaux projetés sur le milieu et sur le fonds, la terre non réduite à sa dimension agraire, mais perçue comme substrat des systèmes écologiques. En effet, la réduction des rapports fonciers au système agricole ne donne pas la possibilité d'embrasser la dimension globalisante des actions des hommes sur le milieu, qui est la seule valide dans le cadre de la recherche d'une gestion viable de l'ensemble des ressources naturelles renouvelables.

Cette redéfinition obligée nous a permis d'effectuer la conjonction du fonds et de la ressource, synthétisée sous le concept d'espace-ressource, constituant le premier jalon d'une approche nouvelle que nous désignons par le néologisme "foncier-environnement".

Le foncier-environnement relève d'un modèle d'approche dynamique interdisciplinaire qui s'attache à exprimer la réalité, de la façon la plus précise possible, dans un souci d'endogénéité constant. Voir de l'intérieur nous engage - loin d'importer un modèle exogène - à prendre en considération les interrogations profondes émanant des décideurs locaux, nationaux et internationaux et à tenter d'y répondre par l'élaboration d'un droit opportun. Or le droit est lui-même issu des réalités locales et de la pratique du quotidien.

A partir de la cristallisation juridique des rapports des individus aux espace-ressources dans les maîtrises foncières, la construction du concept foncier-environnement aboutit à la mise au point d'un schéma d'usage, un outil offrant l'opportunité de mettre en application une gestion patrimoniale endogène répondant aux impératifs du terrain, partant du local pour rejoindre le global. Une armature institutionnelle et juridique est proposée pour concrétiser la mise en place d'un droit de la gestion des ressources naturelles renouvelables. Cette approche est présentée de façon synthétique dans l'encadré qui suit.

Le problème fondamental est de parvenir à une organisation des hommes entre eux permettant de tendre vers une gestion viable à long terme des ressources naturelles renouvelables et une conservation de la biodiversité. A cette fin les systèmes écologiques doivent faire l'objet d'une conservation qui ne peut se réaliser que grâce à un droit prenant en compte les rapports de pouvoir exercés sur l'espace et les éléments du milieu. En quelque sorte, les bases d'un droit foncier de l'environnement doivent être posées dans le but de sceller les perspectives d'un développement durable. Nous tentons de répondre à ce défi progressivement en trois étapes:

1. Une problématique de fond: Recherche d'une coviabilité entre les hommes et les écosystèmes dans un contexte sahélien dont les données environnementales, socio-économiques et politiques se sont profondément transformées depuis au moins vingt ans. Le contexte se caractérise par:

· une compétition dans l'accès aux ressources naturelles»

· une absence de gestion rationnelle,

· une multiplication des conflits,

· une pression accrue sur le milieu,

· des stratégies de survie à court terme»

· une multifonctionnalité de l'espace à organiser,

· l'inapplicabilité d'un droit étatique d'origine occidentale plaqué sur des normes et règles traditionnelles dépendantes de divers fonds culturels,

· le besoin d'un droit positif légitimé par tous (populations et Etat) pour une sécurisation foncière de tous les usagers et exploitants.

2. Des moyens d'analyse pour y répondre:

· une redéfinition des rapports fonciers,

· la nouvelle notion d'espace-ressource,

· les maîtrises foncières, expression du rapport juridique de l'homme à l'espace et à la ressource,

· une représentation matricielle des rapports fonciers,

· les mécanismes et les rouages de la décision dépendant des représentations, des logiques et des stratégies des acteurs,

· le nouveau concept de foncier-environnement comme base juridique de gestion et de conservation.

3. Des éléments de solution pour une réponse opérationnelle:

· la réponse juridique à une casuistique de situations conflictuelles,

· une armature institutionnelle pour une cogestion intégrée dans le cadre de la décentralisation,

· les bases d'une écologie foncière

 


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