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I. Raréfaction des ressources et compétition foncière: Trouver les principes d'une gestion viable a long terme

Les systèmes traditionnels n'ont pas su répondre aux nouvelles donnes environnementales, socio-économiques et politiques. Cette absence d'évolution appropriée se traduit par une compétition foncière exacerbée exprimant une situation de désorganisation lourde de conséquences écologiques et humaines. Au Mali, la nécessité de trouver des solutions opportunes et durables demeure une gageure mais reste impérative pour répondre aux besoins d'une population rurale constitutive de 80% de la population totale malienne.

1. Des espaces multifonctionnels

Le delta intérieur du Niger, au Mali, constitue un excellent exemple de situations. Il se présente comme une vaste zone humide, d'importance écologique internationale4, située dans un milieu semi-aride, dans le biome sahélien. L'espace deltaïque comprend une dynamique pastorale, halieutique et agricole. A ce triptyque, s'ajoutent les systèmes cynégétique et forestier.

4 Plusieurs sites sont inscrits au titre de la convention de Ramsar de 1971 relative aux zones humides d'importance internationale, particulièrement comme habitat des oiseaux d'eau.

L'importance de cette immense zone humide sahelienne mérite d'être précisée pour le pastoralisme. Pendant la saison des pluies, les animaux pâturent à l'extérieur du delta en zone exondée dans un Sahel recouvert de prairies vertes. Peu de temps après la fin de la dernière pluie, l'herbe commence à sécher et les mares disparaissent lentement. C'est alors que le delta devient une opportunité exceptionnelle. Au lieu d'effectuer des rotations vers le sud à la recherche d'autres zones exondées pâturables, les pasteurs entrent dans les espaces inondées qui deviennent accessibles en raison de la décrue. Les troupeaux séjournent ainsi dans le delta, pendant la saison sèche, jusqu'à l'arrivée des pluies.

Les Peul sont arrivés dans le delta au XVème siècle. A cette époque des Ardo, a succédé au XIXème siècle l'empire peul du Macina, la Diina de Seku Amadu, qui n'a duré que 44 années. Mais cette période de 1818 à 1862, marquée par cet empire théocratique, fut lourde de conséquences: l'organisation lignagère du delta fut institutionnalisée et le nomadisme des Ardo fut remplacé par une sédentarisation des pasteurs, tout en maintenant la pratique de la transhumance des troupeaux. Les agriculteurs et les pêcheurs subissaient la domination des Peul.

De nos jours, le delta est toujours divisé en leyde, provinces pastorales, dominées par des maîtres de pâturages, appelés jowro. Cependant les maîtres du delta sont au centre de rapports de force avec les membres d'autres groupes socio-ethniques qui remettent souvent leur autorité en cause. La situation varie selon les leyde. Mais le Delta ne comprend pas que des populations de pasteurs peul, qui représentent 35% de la population locale.

Avant l'arrivée de ces conquérants, des Bozo habitaient là, dans des habitats souterrains (hypogées). Les Peul et Bozo ont pactisé et sont généralement unis par des liens allant de la parenté à plaisanterie au pacte de sang (en fonction duquel le meurtre est prohibé, ainsi que l'alliance consanguine et tout autre rapport avec le sang d'autrui). Cette convention entre les deux groupes ethniques a protégé leur cohabitation et assis la reconnaissance d'un lien spécifique ethnie-ressource.

Les Marka que les Peul appellent Malinke (venus de l'empire du Wagadu, vers le 11ème siècle) sont eux des riziculteurs qui détiennent généralement la maîtrise sur les terres rizicoles. Les Bamanan, venus de la région de Segu et du Beledugu à des époques différentes, sont considérés comme des agriculteurs de terre sableuse ou argilo-sableuse.

Lorsque les Peul sont arrivés, ils ont asservi une grande partie des autochtones qui sont devenus des Riimaay'be, hommes non libres. Ce statut de Riimaay'be existe encore à l'heure actuelle, comme désignation des anciens captifs, bien que l'abolition de l'esclavage ait eu lieu en 1904. Ces Riimaay'be sont généralement des agriculteurs qui, après avoir cultivé les champs des Peul, se sont émancipés et ont poursuivi cette activité en raison des nombreux champs qu'ils possédaient. Certains d'entre eux pratiquent également l'élevage, mais essentiellement dans une perspective de capitalisation.

Le delta se caractérise par une pluralité d'usages simultanés ou successifs sur un même espace. En effet, chaque système d'exploitation se réfère à un espace lié à la ressource faisant l'objet de l'exploitation. Les espaces se chevauchent donc, d'autant plus qu'une dynamique géohydrologique fait que la spatialisation ou la présence des ressources varie selon les saisons.

Cette multifonctionnalité de l'espace se traduit par l'exemple du burgu (Echinochloa sp.) qui est pâturé en dehors de la saison des pluies, et qui se transforme en pêcheries tout au long de l'année, ou une partie, en raison de son inondation. En tant que zone humide, il est également susceptible d'être transformé en rizière. Dans les champs, on rencontre un temps pour la culture, un temps pour la pâture (sur les résidus de récolte et sur les arbres), sans oublier celui de la cueillette et de la coupe sur les arbres situés dans les champs. L'activité cynégétique est, quant à elle, transversale sur presque tous les espaces.

Les espaces sont utilisés simultanément ou diachroniquement par plusieurs types d'exploitants. Cette multifonctionnalité nous amène à dégager la notion d'espace-ressource que nous définissons à travers l'étroite union de la ressource avec son milieu physique. Ainsi, l'espace-ressource s'exprime dans la spatialisation géographique de la ressource, sa situation, sa place physique dans le géosystème. Il se présente le plus souvent de façon discontinue ou impermanente dans le temps et l'espace. A la différence de l'espace-sol qui est continu et permanent, l'espace-ressource dépend de l'existence et de la présence de la ressource.

Chaque type de ressource donne lieu à un type d'exploitation ou de prélèvement. Les usages du milieu se succèdent ou se superposent selon la ressource et l'espace concernés: la bourgoutière constitue un espace-ressource (de type pastoral) pour le pasteur, de la décrue à la crue, et en même temps un espace-ressource (de type halieutique) pour le pêcheur, ainsi qu'un espace de type cynégétique pour le chasseur. L'espace de culture est constitutif d'un espace-ressource simultanément agraire et forestier, puis après les récoltes ce même espace devient pastoral.

Tableau n°1: Un exemple de la multifonctionalité de l'espace

ESPACE-RESSOURCES

Pastoral

Cynégétique

Agricole

Forestier

Halieutique

ESPACES FONCIERS






Champs personnels

Champs lignagers

Champs Opération Riz Mopti

Champs beitel


Jachères personnelles

Jachères lignagères

Jachères beitel

Forêts lignagères (terres de réserves)

Forêts villageoises (beilel)


Mares lignagères






Mares beitel


Mares piscicoles


Prairies Hariima


Prairies inondées (burgu)

Terre salée (monde)

Couloirs de transhumance (burti) & gîtes d'étape (bille)

Pistes de transhumance (burti) & gîtes d'étape (bille)

Pistes de burgu (gumpi) & gîtes de nuit (waldamare)

Gués de traversé (napere)

Cours d'eau & Chenaux

Ce tableau montre comment les espaces pastoral, cynégétique, agricole, forestier et halieutique se superposent en recouvrant plus ou moins les mêmes espaces fonciers.


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