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IV. Le traitement a l'urée


4.1. Principe
4.2. Facteurs de réussite du traitement à l'urée
4.3. Considérations pratiques sur le traitement à l'urée
4.4. Conclusion sur la technique de traitement à l'urée


Dans les pays tropicaux, le traitement des fourrages à l'ammoniac reste limité pour les raisons essentielles suivantes:

· l'ammoniac anhydre est souvent inexistant et il est difficilement concevable de l'importer aux seules fins de traitement;

· comme on l'a vu plus haut la technique de traitement nécessite un matériel coûteux (citernes spéciales, moyens de transport, plastique) et des voies d'accès chez les paysans (route) qui font souvent défaut;

· ce type de traitement demande un certain niveau de technicité que le paysan ne possède pas. Tributaire d'un agent de développement, le paysan ne serait pas assez autonome pour réaliser lui-même ses traitements;

· enfin le traitement n'est pas dénué de risques: la manipulation de l'ammoniac anhydre, gaz toxique, est souvent délicate et nécessite un matériel parfaitement entretenu.

Pourtant ce même ammoniac peut aussi être généré sans aucun risque à partir de l'urée classiquement utilisée comme engrais (46 N). Cette source d'ammoniac a l'avantage, sur la précédente, d'être universellement répandue, facile à transporter, à stocker et à manipuler et moins coûteuse. La majorité des pays d'Afrique et d'Asie l'utilisent comme engrais pour la fertilisation des cultures vivrières (maïs, sorgho, mil, riz,...). Il est donc disponible localement.

4.1. Principe

Le traitement à l'urée (source génératrice d'ammoniac) est une technique simple et très facilement maîtrisable par le paysan. Elle consiste à incorporer par arrosage une solution d'urée au fourrage grossier sec et à recouvrir l'ensemble avec les matériaux étanches localement disponibles.

En présence d'eau et d'enzyme, appelée uréase et, s'il fait suffisamment chaud, l'urée est hydrolysée en ammoniac gazeux et en gaz carbonique selon la réaction enzymatique simplifiée suivante:




chaleur




CO (NH2)2

+

H2O

------->

2 NH3

+

CO2


uréase




urée


eau


ammoniac


gaz carbonique

Lorsque l'hydrolyse est complète, une molécule d'urée (c'est à dire 60 g) génère deux molécules d'ammoniac (c'est à dire 34 g).

5 kg d'urée permettent donc de produire 2,83 kg d'ammoniac.

C'est l'ammoniac ainsi généré qui effectuera le traitement (alcalin) proprement dit en diffusant progressivement dans la masse du fourrage. Il agira de la même manière que l'ammoniac anhydre sur le matériel végétal:

· solubilisation des glucides pariétaux (notamment les hémicelluloses).

· gonflement du matériel végétal en milieu aqueux, facilitant l'accès des microorganismes cellulolytiques du rumen.

· diminution de la résistance physique des parois, facilitant le travail de mastication par l'animal et la digestion par les microbes.

· comme dans le cas du traitement à l'ammoniac anhydre le fourrage sera en outre enrichi en azote.

Il en résultera pour le fourrage une augmentation de sa digestibilité (de 8 à 12 points), de sa valeur azotée (qui sera plus que doublée) et de son ingestibilité (de 25 à 50%), donc de sa valeur alimentaire.

4.2. Facteurs de réussite du traitement à l'urée


4.2.1. Présence d'uréase
4.2.2. Dose d'urée
4.2.3. Quantité d'eau à rajouter
4.2.4. Température ambiante et durée de traitement
4.2.5. Qualité initiale du fourrage à traiter
4.2.6. Herméticité du milieu de traitement


Le traitement dit à l'urée est basé sur la transformation de l'urée en ammoniac. Pour qu'un tel traitement soit réussi, il faut d'abord que la majorité de l'urée apportée soit hydrolysée en NH3 et ensuite que ce dernier diffuse correctement pour se fixer sur le fourrage et le modifier chimiquement. Il convient donc de réunir les conditions favorables à une bonne uréolyse et à un bon traitement ammoniacal sachant que ces deux processus prendront place simultanément dans la masse du fourrage.

Les conditions de réussite du traitement alcalin ayant déjà été étudiées, l'objet de ce chapitre est d'étudier plus en détail les conditions de réussite de l'uréolyse eh voyant comment cette dernière peut éventuellement affecter le traitement ammoniacal proprement dit.

Les conditions pratiques de la réussite du traitement sont la présence d'uréase, la dose d'urée (qui va déterminer la dose d'ammoniac à laquelle sera traité le fourrage), l'humidité, la température et la durée du traitement, l'herméticité du milieu de traitement et, enfin, la qualité initiale du fourrage à traiter. Elles sont interdépendantes et il est difficile de les dissocier les unes des autres.

4.2.1. Présence d'uréase

L'hydrolyse de l'urée est une réaction enzymatique qui ne peut s'effectuer qu'en présence d'uréase, enzyme "coupant" la molécule d'urée. Cette réaction est très complexe.

L'uréase est produite par les bactéries uréolytiques. Ces dernières sont présentes dans le sol et, aussi, dans les urines et les déjections humaines et animales (l'uréase est présente dans le rumen). Ainsi, en milieu agricole et paysan, l'uréase présente dans le milieu (encore appelée d'origine tellurique) ne fera généralement pas défaut et viendra contrebalancer sa teneur parfois insuffisante dans les pailles (cf, entre autres les travaux de WILLIAMS et al., 1984 a et b et de YAMEOGO et al., 1993).

Les conditions de traitement doivent ainsi favoriser le développement des bactéries uréolytiques au sein du fourrage traité: humidité, température, durée, au détriment des microorganismes susceptibles de provoquer des moisissures et des putréfactions.

Le seul cas (§423) où il peut être nécessaire d'en ajouter artificiellement est celui du traitement à l'urée effectué en présence de quantités très réduites d'eau et à des températures tempérées, voire fraîches.

4.2.2. Dose d'urée

Les premiers traitements de paille à l'urée ont fait l'objet de nombreuses controverses en ce qui concerne les doses d'urée à appliquer car on minimisait le degré d'uréolyse et, par là, la quantité d'ammoniac produite - elle seule responsable de l'efficacité du traitement alcalin - (cf chap. 3). Il est maintenant bien établi que les doses optimales se situent entre 4 et 6 kg d'urée par 100 kg de paille brute, ce qui correspond à un traitement ammoniacal se situant entre les valeurs de 2,4 et 3,4 kg d'NH3 par 100 kg de paille brute (soit, si la paille a une teneur en matière sèche de 90%, des doses d'NH3 comprises entre 2,7 et 3,8 kg par 100 kg de MS de paille). Elles correspondent à celles recommandées pour le traitement à l'ammoniac anhydre.

Des doses d'urée plus élevées n'entraînent pas d'amélioration supplémentaire significative de la valeur alimentaire de la paille (SCHIERE et IBRAHIM, 1989). Ces derniers auteurs ont même été jusqu'à vulgariser au Sri Lanka des doses de 4% d'urée. La controverse en la matière est très certainement à rechercher dans l'ensemble des raisons suivantes:

· le traitement à l'urée s'effectue à une humidité plus élevée que celui effectué à l'ammoniac anhydre. A dose d'NH3 égale, il est donc plus efficace, et la tendance est de réduire la dose d'urée;

· le traitement alcalin, s'il est plus efficace, est plus lent que celui à l'ammoniac car il s'effectue en présence des composés intermédiaires (carbamates) de la production de l'ammoniac. Or ces derniers freinent la fixation de l'NH3 et l'hydrolyse des parois végétales (SAHNOUNE, 1990). La majorité des travaux sur le traitement à l'urée ont été effectués en régions chaudes donc sur des durées assez courtes (10 j à 3 semaines). Même si la température accélère la vitesse de traitement (§424), il est possible que le traitement ne soit pas achevé. La "réponse" à des doses d'urée plus élevées peut ainsi ne pas s'exprimer totalement. La conclusion "hâtive" est alors de ne traiter qu'à des doses moins élevées.

· comme l'a montré (SAHNOUNE, 1990), l'hydrolyse de l'urée peut s'arrêter ou ralentir lorsque la quantité d'ammoniac libre (non encore fixée) à l'intérieur de la masse traitée est importante. Il est ainsi vraisemblable que pour des doses d'urée élevées et des durées de traitement courtes la réponse à la dose d'urée puisse ne pas être décelée, la totalité de l'urée n'ayant pas eu le temps de se transformer.

· enfin, la réponse du traitement alcalin dépend de la qualité initiale du fourrage à traiter (chapitre 3). Il est vraisemblable que des doses considérées comme optimales sur certaines pailles de riz ne le soient plus sur certaines pailles de blé ou certains fourrages naturels.

En outre, elles augmentent le coût du traitement chez des paysans dont les moyens financiers sont limités.

Des tentatives ont été faites pour diminuer la dose d'urée à 2-3% en y associant de la chaux, Ca(OH)2 qui favoriserait l'hydrolyse de l'urée mais, surtout, le traitement alcalin. Les travaux sur cet aspect sont encore au stade des essais et les références sur la réponse des animaux sont encore trop rares pour pouvoir vulgariser la technique (ZAMAN et OWEN, 1990; WANG et FENG, 1993; KAYOULI, 1994 a et b). Un essai récent de BUI VAN CHINH et al. (1994) au Vietnam avec une paille de riz traitée à raison de 2,5 kg d'urée, 0,5 kg de chaux et 0,5 kg de sel donne toutefois des résultats intéressants sur des bovins en croissance (§7332).

En conclusion et en pratique, la majorité des travaux et des observations de terrain conduit à recommander la dose de 5 kg d'urée par 100 kg de fourrage en l'état (ramassé sec). Elle a été largement utilisée avec succès dans les différents cas pratiques auxquels nous avons été confrontés.

4.2.3. Quantité d'eau à rajouter

L'hydrolyse de l'urée ne peut s'effectuer qu'en présence d'eau. La quantité d'eau à ajouter dans le fourrage est donc un facteur déterminant de la réussite du traitement.

L'hydrolyse de l'urée s'effectue d'autant mieux qu'il y a plus d'eau. Comme cette réaction a lieu en milieu complexe constitué de fourrages dans lesquels la solution d'urée est incorporée, il existe des limites pratiques à cette humidité. Or les travaux sur la compréhension de l'uréolyse en milieu hétérogène (eau plus fourrages) sont très peu nombreux (WILLIAMS et al., 1984 a et b; SAHNOUNE et al., 1991 et 1992; YAMEOGO et al., 1993; entre autres).

C'est pourquoi, tant dans les pays tempérés que dans les pays tropicaux, les travaux ayant cherché à définir la quantité d'eau idéale à ajouter sont parfois contradictoires (WILLIAMS et al., 1984; WAISS et al., 1972; SUNDSTOL et al, 1978; SCHIERE et IBRAHIM, 1989; MANDELL et al, 1988; SAHNOUNE et al, 1989; REDDY et al, 1989; ALHASSAN et ALIYU, 1991; STIEFEL et al., 1991; MAO et FENG, 1991; NYARKO et al, 1993; CHENOST, 1993; KAYOULI, 1988, 1994 a et b).

L'élément de décision pratique est moins la quantité d'eau à ajouter que le taux d'humidité le meilleur possible. L'ensemble des travaux de recherche, des essais et des observations en vraie grandeur permet d'affirmer que pour réussir l'uréolyse complète en milieu hétérogène,

l'humidité finale du traitement ne devrait jamais être inférieure à 30 p.100 (ou, exprimé autrement, la teneur en matière sèche finale du fourrage traité jamais supérieure à 70 p.100).

La limite supérieure de cette humidité tient aux raisons suivantes:

· il est pratiquement impossible d'ajouter des quantités trop importantes d'eau sur de la paille. Les pertes de solution par ruissellement seraient trop importantes et, surtout, la masse du fourrage serait trop molle,

· l'ammoniac généré doit diffuser correctement dans la masse du fourrage. Or l'ammoniac étant hygroscopique, il risquerait d'être "piégé" par l'eau avant de se fixer sur les parois végétales,

· une masse trop humide favorisera le développement de moisissures si l'herméticité n'est pas parfaite,

· un apport excessif d'eau favorisera le lessivage de l'urée vers le fond du silo dans le cas de fourrages peu absorbants, provoquant un surdosage et, même, un pourrissement du fourrage dans les parties inférieures du silo, augmentant le risque d'intoxication des animaux.

En revanche,

· l'humidité facilite le tassement de la masse de fourrage et, par conséquent, une meilleure évacuation de l'air et un milieu plus ammoniacal si l'enceinte de traitement est bien hermétique. Cet aspect texture/tassement sera évoqué au §43.

l'humidité finale ne devra ainsi jamais être supérieure à 50 p.100.

Elle devra donc se situer dans la fourchette 30-50 p.100.

Le tableau 3 donne un exemple concret des quantités d'eau minima et maxima à ajouter suivant la teneur en matière sèche de la paille. Une faible variation de cette dernière peut entrainer des différences importantes dans les quantités d'eau à rajouter. Il conviendra d'être très vigilant en zone tropicale sahélienne où non seulement les pailles ou les fourrages naturels sont très secs (MS% souvent supérieur à 92) mais où le degré hygrométrique de l'air est très bas favorisant une évaporation rapide et intense. Il faudra être vigilant, dans l'autre sens, dans le cas des pailles tempérées plus humides (teneur en MS% de 85, voire même moins).

Tableau 3: Quantité d'eau en là rajouter à 100 kg de paille pour obtenir une humidité finale de 30 et 50% suivant la teneur MS de la paille

Eau à ajouter (l/100 kg de paille)

MS p100 de paille initiale

Humidité finale (p100)

23

85


30

90

30

38

95


75

85


85

90

50

95

95


50

90

39

dans le cas d'un traitement à 5 kg d'urée pour 100 kg de paille brûle

Exemple: calcul de la quantité d'eau à ajouter à une paille d'une teneur en MS de 90%, traitée avec 5 kg d'urée, pour atteindre une humidité finale de 30%

humidité

= 30% soit MS = 70%

MS%

= (90 + 5)/(100 + 5 + x) = 70/100


= poids sec (paille + urée)/poids total (paille + urée + eau ajoutée)

x

= 30 litres

La décision d'ajouter plus (pailles et atmosphère ambiante très sèches) ou moins (pailles manifestement moins sèches) d'eau, dans les limites indiquées plus haut, dépendra de l'appréciation de facteurs spécifiques propres à chaque situation:

· ne pas restreindre l'eau si elle n'est pas limitée: d'une part le tassement n'en sera que facilité et, d'autre part le maintien d'une humidité correcte dans la masse du fourrage n'en sera que favorisé si l'atmosphère est sèche et que les matériaux de couverture disponibles sont peu performants?

· ne pas en mettre trop si les pailles ne sont pas trop sèches et que les conditions atmosphériques risquent d'humidifier le milieu de traitement?

En conclusion et pratiquement, la quantité d'eau recommandable à ajouter est de 50 litres d'eau par 100 kg de fourrage en l'état (pendant la saison sèche). Cette quantité a d'ailleurs largement fait ses preuves dans de très nombreuses situations. Il n'y a aucun problème à ce qu'elle se situe entre 40 et 80 l.

4.2.4. Température ambiante et durée de traitement

La température ambiante joue un rôle déterminant sur la durée du traitement à travers son influence sur

· le développement des bactéries uréolytiques,

· la vitesse et l'intensité de la réaction d'uréolyse (la vitesse est doublée à chaque augmentation de la température de 10°C, elle est inversement ralentie de moitié à chaque diminution de 10°C),

· l'efficacité du traitement alcalin.

Le traitement alcalin (§32) est correctement réalisé au bout d'une semaine à des températures supérieures ou égales à 30°C et au bout de une à quatre semaines à des températures comprises entre 15 et 30°C. Aux remarques près évoquées au §32, ces durées sont donc les mêmes pour le traitement à l'urée dans la mesure où, toutefois, la réaction d'uréolyse s'est elle-même déroulée normalement entre temps.

La température idéale de l'uréolyse est de 30 à 40°C (30°C est d'ailleurs la température de référence pour le dosage de l'urée par action de l'uréase en laboratoire).

A des températures supérieures à 25-30°C, l'uréolyse est achevée au bout de quelques jours en milieu hétérogène, du moins dans la mesure où l'humidité n'est pas limitante. C'est ainsi qu'à des températures ambiantes comprises entre 30 et 40°C, l'efficacité du traitement est maximale au bout d'une semaine. STIEFEL et al (1991), en Inde, ont observé sur paille de riz traitée à 4-5 kg d'urée et 60 litres d'eau pour 100 kg de paille, la même efficacité de traitement sur des durées très courtes de 8, 5 et même 4 jours.

A des températures ambiantes plus basses l'activité des bactéries uréolytiques est ralentie et l'uréolyse est plus lente. Ainsi, dans le cas des pays tempérés ou des hauts plateaux tropicaux comme Madagascar ou la région du Kilimandjaro où, malgré des journées chaudes, les nuits peuvent être très fraîches (il peut même geler) pendant la période des traitements, il convient de respecter des délais plus longs. Ces derniers sont sensiblement les mêmes que ceux imposés pour un bon traitement alcalin. Des traitements de 3 semaines se révèlent suffisants puisqu'on ne constate que de très faibles teneurs en urée résiduelle et une augmentation correcte de la digestibilité (tableau 4). Cinq semaines y ont été recommandées comme sécurité. En effet, et nous l'avons bien montré (fig. 12) sur des pailles traitées au mois de septembre en Auvergne (nuits fraîches) l'efficacité du traitement, mesurée en termes de digestibilité in vivo, s'améliore encore avec la durée du traitement. MAO et FENG (1991) ont observé, en Chine, que l'hydrolyse de l'urée est quasi-complète après trois semaines à 25°C, alors qu'à 15°C il était nécessaire d'attendre au moins deux mois pour avoir un traitement correct.

Tableau 4: Teneurs en matières azotées totales, degré d'uréolyse et digestibilité de quelques échantillons de pailles et de fourrages pauvres traités en conditions d'exploitation suivant diverses modalités pratiques dans différents projets de développement. (Chenost. 1993: Chenost et al., 1993: Kayouli. 1994 a et b et 1995)

Figure 12: Evolution avec le temps de la digestibilité in vivo de la matière organique (dMO) d'une paille de blé traitée à l'urée seule (U), ou additionnée de soja cru (US), de mélasse (UM), ou de soja et de mélasse (USM). Comparaison avec la paille non traitée (NT) et traitée à l'ammoniac (NH3). (Chenost et Besle. 1993).

(Quantités utilisées pour 100 kg de paille à 90% MS: urée: 6 kg, mélasse: 14 kg, soja: 1,2 kg, NH3: 3,5 kg. Quantités d'eau calculées pour atteindre une humidité finale de 25 p.100 pour chaque traitement)

L'adjonction d'une source d'uréase, telle que la farine de soja cru ou, mieux encore, le Canavalia ensiformis (Jack bean) qui en sont très riches, accélère la réaction d'uréolyse en venant compenser la déficience des bactéries uréolytiques et réduit la durée de traitement (SAHNOUNE et al, 1991; CHENOST et BESLE, 1992). Il a été démontré qu'à des températures supérieures à 25°C et, surtout, à des teneurs en humidité supérieures à 25-30%, cette addition n'est plus nécessaire (WILLIAMS et al., 1984 a et b; SAHNOUNE et al, 1991; IBRAHIM et al, 1984; CHERMITI, 1994).

En pratique: la température ambiante dans les pays tropicaux est élevée et n'est pas un facteur limitant pour le traitement à l'urée, sauf dans les cas particuliers d'altitude. L'addition d'uréase, qui ne peut qu'engendrer des frais supplémentaires pour le paysan, n'est pas nécessaire aux humidités pratiquées. Aux doses de 5 kg d'urée solubilisée dans 50 litres d'eau pour traiter 100 kg de fourrages secs, les températures tropicales sont idéales à la fois pour l'uréolyse et le traitement alcalin qui peuvent ainsi être réalisés,

· en deux semaines pour les régions tropicales sèches ou humides de plaine,
· en trois à cinq semaines en zones tropicales de montagne, ainsi qu'en zones méditerranéennes où les températures peuvent chuter la nuit.

4.2.5. Qualité initiale du fourrage à traiter

Le traitement à l'ammoniac répond d'autant mieux que le fourrage est pauvre (§324). Il en est donc de même pour le traitement à l'urée. (CHENOST et DULPHY, 1987; TUAH et al, 1986; KIANGI et al, 1981; DIAS - DA - SILVA et GUEDES, 1990; BA, 1993; COLUCCI et al., 1992; SCHIERE et IBRAHIM, 1989).

En pratique: Les principaux fourrages auxquels on aura à faire sont les pailles de céréales à petits grains (riz, blé,...), les tiges de céréales comme le maïs, le sorgho, le mil,... ainsi que les graminées locales ramassées en saison sèche (pailles de brousse), ou encore des foins médiocres comme ceux de vesce-avoine en zone méditerranéenne. Bien que, dans l'état actuel des connaissances, il soit difficile de distinguer une bonne paille d'une mauvaise paille et, surtout, l'aptitude d'une paille à répondre au traitement, on ne fera pas d'erreur en la traitant et sa valeur alimentaire n'en aéra qu'améliorée.

D'une manière générale les pailles d'orge sont meilleures que les pailles de blé, dur ou tendre. Aussi certains spécialistes du Maroc recommandent-ils de ne pas traiter les pailles d'orge pour mettre en revanche plus l'effort sur les pailles de blé.

Il est généralement recommandé de ne traiter que des fourrages "morts" (desséchés et pas verts) non humides afin d'éviter les erreurs de surdosage d'eau et d'urée. Certains essais pratiques de sauvegarde de foins humides au Cameroun (LHOSTE, communication personnelle) et de traitement de pailles de mil et de sorgho juste après récolte (MS p.100 de 60) au Burkina Faso (ACHARD, communication personnelle) ont toutefois déjà été réalisés avec succès en incorporant une solution d'urée en petites quantités. Il conviendra d'être très vigilant avant de généraliser cette pratique.

4.2.6. Herméticité du milieu de traitement

Le dernier facteur de réussite du traitement est l'herméticité de l'enceinte de traitement, tant du point de vue des pertes de la solution d'urée introduite ou de l'ammoniac généré que du point de vue du maintien de l'anaérobiose (garantie contre le développement de moisissures au sein de la masse de fourrage traité qui est humide). En effet l'ammoniac, plus léger que l'air, diffuse dans la masse de fourrage et a tendance à s'échapper quand la paille n'est pas suffisamment tassée et l'enceinte pas suffisamment étanche. La pression d'NH3 généré progressivement à partir de l'urée au sein de la masse de fourrage est toutefois beaucoup moins importante que dans le cas du traitement par injection d'NH3 anhydre gazeux.

Aussi l'étanchéité de l'enceinte de traitement est-elle relativement moins importante pour les traitements à l'urée que pour le traitement à l'ammoniac anhydre. Du type d'enceinte dépendra la réalisation de l'herméticité tant des parois que de la couverture. Nous étudierons cet aspect en même temps que les modalités pratiques du traitement à l'urée.

4.3. Considérations pratiques sur le traitement à l'urée


4.3.1. Les types de traitements et de stockage
4.3.2. Les opérations pratiques du traitement
4.3.3. Calendrier des travaux et traitement à l'urée
4.3.4. Autres traitements à l'urée: Utilisation de l'urine


L'objet de ce paragraphe est de suivre la réflexion et les questions qui se posent au moment de choisir les modalités de mise en oeuvre de la technique. Ces modalités doivent être adaptées aux conditions locales, les plus simples et les plus efficaces possible, et répondre aux principes de base étudiés plus haut.

L'ensemble des résultats expérimentaux et des résultats de "terrain" acquis dans différentes conditions agro-climatiques et socio-économiques, en particulier d'Afrique, d'Asie et à Madagascar, montrent bien que:

il n'existe pas de solution standard, universelle, mais des solutions raisonnées suivant les conditions spécifiques propres à chaque situation.

Celles-ci ont été évoquées dans différentes publications ou rapports (SCHIERE et IBRAHIM, 1989, DOLBERG et al., 1981 a et b; KAYOULI, 1988, 1994 a et b; CHENOST, 1993, 1995), nous en examinerons quelques unes à titre d'exemples.

4.3.1. Les types de traitements et de stockage

La stratégie et le type de traitement vont dépendre des trois points suivants:

· du conditionnement de la paille ou du fourrage à traiter:

· en vrac: haché ou en brins longs,
· en gerbes: mécaniques ou manuelles,
· en balles pressées.

· de la quantité de fourrage à traiter, elle même dépendant du nombre d'animaux et du temps pendant lequel ceux-ci recevront le fourrage traité,

· des possibilités matérielles et financières de l'éleveur et de sa disponibilité (calendrier des travaux agricoles).

En outre le fourrage traité peut se conserver pendant plusieurs mois si la masse de fourrage traité est bien refermée après chaque ouverture pour la reprise. Il serait par conséquent possible de traiter en une seule fois tout le fourrage nécessaire pour tous les animaux pendant toute la saison sèche. Cela n'est pas toujours faisable.

Il va donc en découler différents types de traitements et de stockage.

Nous nous proposons d'abord de les passer en revue et ensuite d'en décrire les modalités de mise en oeuvre.

a) Le trou ou la fosse

C'est un dispositif simple et peu coûteux, mais qui peut conduire à de grosses erreurs s'il n'est pas raisonné et maîtrisé.

Il ne peut s'envisager que dans des sols lourds et fermes dont la coupe est franche et n'entraîne pas de désagrégation des parois et que dans des parties topographiquement surélevées ou, tout au moins, ne présentant aucun risque d'entrée d'eau soit par ruissellement (éviter les creux) soit par infiltration souterraine (éviter la proximité des rizières ou des plans d'eau). Il est à proscrire dans le cas de sols légers ou sableux dont les parois se désagrègent facilement et s'éboulent et dans les cas où le fourrage, une fois traité, sera utilisé jusqu'en début de saison des pluies (infiltration, moisissures).

Ces trous ont fait leurs preuves en saison sèche dans certains pays (Tanzanie, Madagascar,...) où les sols ferralitiques sont cohérents et où les paysans (particulièrement Madagascar) sont très familiers du travail de ces sols par creusement (avec l"angady", une bêche à lame longue et étroite). Ils peuvent être tapissés avec des feuilles de bananier (photo 7) ou des bandes de plastique (photo 8).

Photo 7: traitement à l'urée par la technique de la fosse: l'herméticité est réalisée, ici, avec des pétioles (on peut aussi utiliser les limbes) de bananier (Tanzanie). Photo. Chenost.

Photo 8: traitement à l'urée par la technique de la fosse: l'herméticité est réalisée avec des bandes de plastique tressé utilisé pour ta fabrication des sacs (Madagascar). Photo. Chenost.

Ils ne doivent être ni trop profonds (problèmes de reprise du fourrage traité) ni trop grands (problèmes de couverture, risque d'exposition aux éventuelles pluies). Des dimensions de 2 m x 1 m sur 1 m de profondeur conviennent parfaitement.

Ce sont donc des dispositifs à n'utiliser que pour des petites quantités (200 à 300 kg) de fourrage à traiter.

Nous ne recommandons généralement pas les fosses compte tenu du travail important nécessaire pour les creuser et des risques d'inondation en saison des pluies qui entraîne une perte de fourrages et/ou la détérioration de la fosse.

b) Tranchée semi-enterrée

C'est toujours un trou (pas de murs construits) mais creusé dans un talus ou une déclivité de terrain. Les deux avantages par rapport au trou sont l'accès plus direct et les risques de contamination par l'eau moins importants.

Là aussi il faut des sols fermes argileux. Les tranchées sont réalisées avec succès sur les hauts plateaux malgaches dont la topographie des sols est parfaitement appropriée.

c) Silo couloir

Par rapport au trou ou à la tranchée le couloir implique une élévation de parois (de murs).

Le coût de ces silos dépendra de leur taille mais, surtout, de la nature des matériaux utilisés pour construire les murs. Ceux-ci peuvent être construit en briques cuites ou parpaings.

Ces silos sont efficaces mais nécessitent un certain investissement (briques, ciment) dont le coût ne peut pas toujours être supporté par tous les paysans.

C'est ainsi qu'une solution locale a été développée à grande échelle au Niger, depuis 1988 (KAYOULI, 1988), reprise ensuite dans d'autres pays d'Afrique (dont la Mauritanie et Madagascar). Il s'agit de murs construits en briques de banco (photo 9). Le banco est un aggloméré de terre et de paille (ou autre produit fibreux) fabriqué par les paysans et fréquemment utilisé pour leurs habitations (cases, greniers de stockage, murs de la cour, etc....). La construction du silo peut être isolée ou s'appuyer sur un mur déjà existant dans la cour (photo 10); elle ne demandera plus dans ce cas que les deux murs latéraux. Si le silo est grand, une petite porte peut être aménagée sur un des murs pour faciliter les opérations de traitement et de reprise du fourrage. Le silo en banco est très performant. Il est tout à fait adapté aux zones sahéliennes et soudaniennes de l'Afrique où il est très couramment utilisé.

Photo 9: traitement à l'urée dans des batteries de deux silos en banco (Mauritanie). Photo. Chenost.

Photo 10: traitement à l'urée dans des batteries de deux silos en banco (Mauritanie). Photo. Chenost.

d) Silos en tiges de mil, de sorgho ou de maïs

Dans les zones du Sahel, les paysans ramassent souvent une partie des tiges de céréales pour confectionner des clôtures et des constructions d'habitation. C'est sur ce principe qu'a été développée, dans certaines régions du Niger, l'utilisation des palissades traditionnelles en tiges de mil tissées pour réaliser des silos comparables aux enclos traditionnels. Ces palissades sont renforcées par des piquets en bois et doublées de nattes d'Andropogon gayanus, tressé (seko) (photo 11) par les paysans, sur les parois intérieures pour assurer une étanchéité minimum. Ce système est particulièrement adapté en zones pastorales sahéliennes.

Photo 11: réalisation d'une enceinte en séko pour le traitement à l'urée (Niger). Photo. Kayouli.

e) Paniers en bambou

Le bambou (malais bambu) est une graminée très utilisée par les paysans dans de nombreux pays d'Asie pour les constructions d'habitations, de clôtures, etc.... Des grands récipients ou cylindres (appelés "baskets" - paniers) en bambou dont les parois ont été préalablement enduites de bouse de vaches ou de buffles pour améliorer l'étanchéité ont été utilisés efficacement au Bangladesh (DOLBERG et al, 198 la et b) pour traiter des pailles (photo 12).

Photo 12: paniers et abris pouvant servir pour le traitement des pailles à l'urée (Cambodge). Photo. Kayouli.

Photo 12': paniers et abris pouvant servir pour te traitement des pailles à l'urée (Cambodge). Photo. Kayouli.

f) Silos en bois et en bambou

La plupart des paysans de Thaïlande, du Laos, du Nord du Vietnam et du Cambodge stockent leur pailles de riz dans des enclos en bois ou en tiges de bambou. Ces enclos couverts par un toit incliné sont souvent surélevés sur pilotis ou planchers en bois pour éviter la pénétration des eaux de ruissellement et l'accès des animaux. Ce type de stockage est utilisé avec succès au Laos pour le traitement des pailles à l'urée. L'étanchéité des parois est assurée en les doublant de matériaux locaux tels que feuilles de bananier, branches de cocotier, sacs d'engrais usagés, ou nattes tressées en bambou (palissades traditionnelles) ou en paille elle-même (photos 13,14,15 et 16).

Photo 13: grenier abrité sur pilotis aménagé pour le traitement à l'urée grâce à des bandes de plastique et des nattes tressées (Cambodge). Photo. Kayouli.

Photo 14: silo local en charpente de BOIS et en murs de nattes tressées pour le traitement à l'urée (Cambodge). Photo. Kayouli.

Photo 15: abri local aménagé pour le traitement à l'urée grâce a des murs en gerbes de paille (Cambodge). Photo. Kayouli.

Photo 16: aménagement d'un grenier sur pilotis pour le traitement des pailles à l'urée (Cambodge). Photo. Kayouli.

Photo 16': aménagement d'un grenier sur pilotis pour le traitement des pailles à l'urée (Cambodge). Photo. Kayouli.

g) Constructions existantes mais non utilisées: cases, grenier,...

Toute construction en dur, en banco ou en tiges de céréales peut bien sûr servir d'enceinte pour le traitement à l'urée dans la mesure où on s'est assuré préalablement de l'étanchéité de ses parois.

h) Autres possibilités

Une méthode de stockage de paille ramassée en vrac avait été récemment développée avec succès au Niger par PEYRE de FABREGUES et DALIBARD (1990). Il s'agit de meules consolidées sur leur pourtour par une armature en grillage métallique de type Ursus, non recouvertes mais arrondies sur le sommet pour éviter les infiltrations d'eau de pluie. Ce type de meule pourrait être utilisé pour traiter à l'urée dans la mesure où l'herméticité serait assurée par badigeonnage de boue, de lisier ou de banco.

Des poches de butyle, supposant certes un investissement au départ mais réutilisables car résistantes et de surcroît facilement transportables, peuvent également être utilisées pour des petites quantités comme l'ont fait la Syrie et la Jordanie (photo 17) pour leurs essais de démonstration. Des dimensions d'1 à 1,5 m de diamètre et 1,5 m de long (volume utile de 1,50 à 2,25 m3) permettent de traiter de 150 à 200 kg de paille hachée quand on les remplit sur une hauteur de 1 m (de façon à disposer d'un rabat de 50 cm pour les fermer).

Photo 17: démonstration de traitement à l'urée dans une poche de butyle (Jordanie). Photo. Chenost.

i) Meules traditionnelles de paille en gerbe:

Dans certains pays d'Asie et à Madagascar les paysans confectionnent des petites gerbes de 200 à 300 g avec leurs pailles de riz. Ils les empilent selon des couches croisées en meules de forme parallélépipédique ou ronde dont les gerbes du haut inclinées servent de toit (photos 18 et 19).

Photo 18: meules de pailles traditionnelles avec auto couverture par des gerbes inclinées en toit (Cambodge). Photo. Kayouli.

Photo 19: meules de pailles traditionnelles avec auto couverture par des gerbes inclinées en toit (Cambodge). Photo. Kayouli.

Photo 19': meule traditionnelle à Madagascar. Photo. Chenost.

De telles meules sont suffisamment compactes et étanches pour pouvoir y réaliser le traitement en arrosant chaque couche au moment de la construction. Nous avons réalisé cette technique avec succès au Cambodge dans le cadre du Projet FAO, TCP/Cambodge/2254 (E).

Dans le cas de Madagascar où les conditions atmosphériques pendant la période d'utilisation des pailles sont encore incertaines avant l'installation de la saison sèche, nous avons traité ces gerbes par la technique du trou et de la tranchée.

j) Meules de fourrages pressés en balles

A l'exception de cas particuliers (Opération fauche/pressage en Mauritanie, Projet de développement laitier en Tanzanie), les presses à fourrages sont encore peu utilisées en Asie et en Afrique. Elles sont en revanche déjà bien répandues au Maghreb, en Egypte et au Proche Orient.

Dans tous ces cas, le traitement à l'urée s'effectue par arrosage, lit par lit, de la solution d'urée au moment de la construction de la meule. La hauteur de la meule devra rester raisonnable (quatre à cinq couches) pour faciliter là reprise après traitement. Cette technique est maintenant vulgarisée avec succès pour le traitement des pailles (photo 20) au Maroc, en Jordanie et dans d'autres pays méditerranéens. Elle a également été testée en vraie grandeur pour le traitement des tiges de maïs en Tanzanie (photo 21) dans la région du Kilimandjaro/Arusha (CHENOST et al., 1993) et au Portugal (DIAS DA SILVA et al., 1988).

Photo 20: aspersion manuelle de la solution d'urée pour le traitement en tas (Tunisie). Photo. Chenost.

Photo 21: traitement en tas de tiges de maïs pressées par aspersion mécanisée lit par lit à l'échelle de la coopérative (Tanzanie). Photo. Chenost.

k) Couverture de meules avec de la boue

Les films de plastique coûtant cher et n'étant souvent pas réutilisables après le traitement, parce que troués ou déchirés, diverses solutions de remplacement ont été envisagées et sont en cours d'étude.

Au Moyen Orient et en Afrique du Nord les paysans ont, dans certaines régions, l'habitude de protéger leurs pailles stockées au champ en meules traditionnelles en en badigeonnant le sommet (réalisé en forme de toit à deux pentes) et les côtés avec de la boue. Il est logique de penser que cette couverture puisse être efficace pour les traitement à l'urée où le dégagement de l'ammoniac est progressif et sans augmentation de pression. Les premiers essais contrôlés réalisés en Tunisie (BEN SALEM al., sous presse) ont été satisfaisants.

Dans le cadre des opérations fauche/pressage, en Mauritanie, où les films de plastique sont inexistants et où le faible degré hygrométrique de l'air impose l'étanchéité, les efforts s'orientent sur l'utilisation du banco, soit frais comme la boue, soit en brique pour la réalisation de couloirs.

A noter que la couverture avec de la boue est également applicable pour des meules de paille non pressée en balles.

l) Cas particulier des balles rondes

Nous le citerons pour mémoire car il n'a été utilisé en France que pour la conservation des spathes (CHENOST et al., 1986) et des tiges de maïs (CHENOST et ai., 1991) et, à titre expérimental, pour le traitement mécanisé (à très faible teneur en eau) des pailles au champ (CHENOST et BESLE, 1992).

L'urée est introduite au moment de la fabrication des balles rondes grâce à un dispositif placé au dessus du pick-up de la presse (photo 22), soit sous forme solide pour les spathes et les tiges, fourrages humides (MS p.100 voisine de 40 p.100), soit sous forme de solution eau/urée/farine de soja cru, (§424), par un système de buses, pour le traitement des pailles et fourrages secs. Les balles de tiges, de spathes ou de pailles sont ensuite introduites dans une gaine de plastique.

Photo 22: traitement mécanisé de paille de blé au champ: l'eau et l'urée sont injectées ici séparément sur le pick-up de la presse à balle ronde (France). Photo. Chenost.

4.3.2. Les opérations pratiques du traitement

Elles sont décrites dans l'annexe 1.

A - Traitement de petites quantités en enceinte

C'est le cas le plus fréquent. Comme il est difficile de traiter de la paille hachée en tas ou en meutes de grande taille (cohésion de la masse de fourrage) on cherche à traiter la quantité de fourrage nécessaire aux animaux pendant une période de temps unitaire minimum, à définir. Cette dernière devra être au moins égale au délai d'achèvement d'un deuxième traitement, préparé à l'avance, et ouvert lorsque le fourrage traité en cours de consommation est terminé, et ainsi de suite. Les traitements et l'exploitation du fourrage traité s'effectuent ainsi grâce à une "batterie" de deux enceintes (photos 9 et 10). C'est ce que les égyptiens ont vulgarisé sous le terme "système des trois murs" (three wall-system). Ce délai est, en général, de 3 semaines (§424).

Pour déterminer le volume et les dimensions de l'enceinte, il faut connaître les quantités de fourrage nécessaires et la densité de ce dernier une fois mis dans l'enceinte.

- quantités:

La consommation volontaire d'un bovin recevant un fourrage traité se situe en moyenne à 2,0 kg de matière sèche (MS) par 100 kg de poids vif par jour. Ainsi, une vache de 300 kg a besoin de 6 kg par jour, pertes entre enceinte et auge comprises.

Prenons l'exemple d'un éleveur ayant 2 vaches de 300 kg à nourrir. Quelle quantité de fourrage (sec) doit-il traiter pour 3 semaines?

6 kg/j/vache
soit, pour 2 vaches pendant 21 jours:
6 kg x 2 vaches x 21 jours = arrondi à 250 kg

- volume occupé (densité):

Notre expérience montre que, suivant l'énergie avec laquelle elle est tassée dans un trou, une tranchée ou un couloir, et suivant son degré d'humidification, une paille ou un fourrage naturel en vrac a une densité comprise entre 80 et 120 kg (sec au départ) par m3. Cette densité peut facilement atteindre plus de 100 kg dans le cas de paille hachée finement ("tibin" au Proche Orient où la paille est souvent séparée du grain dans des batteuses à poste fixe qui hachent la paille).

Dans notre exemple il faudra donc prévoir, par silo ou par trou, un volume de 2,5 à 3,0 m3 pour de la paille.

La forme à donner devra privilégier des sections d'attaque les plus petites possible par rapport à la longueur afin de pouvoir refermer facilement après chaque reprise du fourrage traité pour éviter des rentrées d'air trop importantes. La longueur de l'enceinte sera ainsi proportionnelle au poids de fourrage traité.

B - Traitement de grandes quantités en meule ou tas

Le traitement est généralement effectué en tas, comme pour le traitement à l'ammoniac anhydre. La solution est apportée couche par couche de balles et le tas est recouvert d'une bâche hermétique. La taille de la meule dépend,

· de la taille et de la densité de pressage des balles. Des balles cubiques classiques de 35 x 50 cm de section et de 80 cm de longueur pressées à moyenne densité (100 kg/m3) pèsent en général de 10 à 15 kg,

· des dimensions du film de plastique. Cet aspect est évoqué plus haut (§332) à propos du traitement à l'ammoniac anhydre en tas.

4.3.3. Calendrier des travaux et traitement à l'urée

II est préférable de traiter au début de la saison sèche juste après la récolte, non seulement parce que l'eau et les stocks de fourrage sont encore là, mais aussi parce que le paysan est plus disponible et qu'il dispose de la trésorerie lui permettant d'acheter l'urée.

Il sera également possible de ne manipuler le fourrage qu'en une seule fois en effectuant le traitement au moment de la construction de la meule traditionnelle.

En outre, il ne fait pas encore trop chaud et le travail physique en est facilité. Dans la majorité des cas observés, une famille peut traiter une tonne de paille en 4 heures.

Pour une meilleure organisation du travail, il est évidemment conseillé de procéder aux préparatifs un ou deux jours avant la date du traitement.

4.3.4. Autres traitements à l'urée: Utilisation de l'urine

L'urine peut être utilisée comme source d'urée. En effet, bien qu'elle contienne 90 à 95 p.100 d'eau, l'urée est le plus important de ses constituants solides et il représente plus de 70 p.100 de l'azote urinaire. La composition de l'urine est toutefois très variable. Elle dépend des quantités d'eau ingérées, de la quantité et de la qualité des protéines ingérées et de la concentration en énergie de la ration (qui affecte l'efficacité de l'utilisation des protéines). Elle dépend aussi de l'espèce animale et du stade physiologique de l'animal. La quantité d'urée par litre d'urine varie ainsi de 2 à 25 g chez les mammifères domestiques (DIAS - DA - SILVA, 1993).

Les premiers essais sur l'utilisation de l'urine comme source d'urée pour traiter les pailles ont été réalisés en Asie du Sud-Est au début des années 1980. La revue de DIAS DA SILVA (1993) montre que les résultats de tels traitements sont variables suivant les auteurs. L'urine est apportée dans des rapports (en poids) paille/urine allant de 1/1 à 1/3. L'humidité à laquelle est effectué le traitement est donc parfois élevée. Les améliorations de la digestibilité mesurée sur animaux ou estimée en laboratoire sont variables mais peuvent atteindre des valeurs voisines de celles obtenues avec des traitements à l'urée classique. Pourtant les quantités d'urée apportées par de tels traitements sont inférieures à celles des traitements classiques. Il est vraisemblable que l'humidité a un rôle favorable sur l'efficacité du traitement mais l'acceptabilité des pailles ainsi traitées n'est pas toujours améliorée. DIAS DA SILVA (1993) conclut dans sa revue qu'il est encore nécessaire d'étudier plus en détail les modalités de traitement avant de pouvoir utiliser l'urine dans la pratique.

Enfin, un des facteurs purement pratiques pour lesquels le traitement à l'urine ne s'est pas encore réellement développé est la difficulté de récolte et de stockage de ce produit.

4.4. Conclusion sur la technique de traitement à l'urée

En définitive, le traitement à l'urée est une technique simple, peu onéreuse et efficace. Elle est souple et peut être adaptée à de nombreuses situations, fort différentes les unes des autres. Le traitement à l'urée a suffisamment fait ses preuves en milieu paysan pour pouvoir être démystifié. L'essentiel est de bien prendre en compte l'ensemble des facteurs conditionnant sa réussite et qui viennent d'être exposés par rapport aux contraintes auxquelles on a à faire face.

Le point sur lequel on ne reviendra pas, quoique controversé, est la quantité d'urée. Il ne faut pas, à notre avis, descendre en dessous de 5 kg par 100 kg de fourrage sec, surtout lorsque l'étanchéité est assurée par des matériaux locaux.

Les points auxquels il conviendra de prêter une attention particulière sont la durée du traitement, les quantités d'eau à rajouter au fourrage à traiter et l'herméticité du milieu de traitement. L'importance de ces points dépend en réalité du climat, des quantités et du conditionnement du fourrage à traiter et de la durée de stockage.

En climat tropical classique, l'expérience montre que le traitement peut être terminé au bout de trois voire deux semaines. En climat tropical d'altitude, en revanche, il convient de prolonger cette durée. Cinq semaines se sont avérées nécessaires dans le cas des hauts plateaux où le risque de gelées nocturnes est élevé. Mieux vaut traiter plus longtemps que pas assez puisque l'ammoniac dégagé assure la conservation. La seule contrainte peut être liée au calendrier des autres travaux agricoles: on essaiera autant que possible de traiter pendant des périodes creuses.

Certains malentendus peuvent exister en ce qui concerne l'herméticité et l'économie réalisable en utilisant des matériaux locaux au lieu du plastique. L'herméticité est certes moins importante que dans le cas du traitement à l'ammoniac anhydre où la pression élevée fait partir le gaz avant sa fixation. En fait cette herméticité sera d'autant moins à négliger que les quantités de fourrage à traiter seront petites. En effet la partie périphérique de tout traitement en contact avec l'air est forcément abîmée ou moisie donc impropre à la consommation par les animaux. Dans le cas de grandes quantités à traiter (meules de grande taille) il est possible d'être moins vigilant et de couvrir sommairement, la paille périphérique jouant le rôle d'auto couverture pour la masse interne. La partie endommagée restera peu importante par rapport à la partie interne intacte et la perte est négligeable au regard de l'économie réalisée sur le plastique. Ceci est difficile dans le cas de traitements en petites quantités où la partie endommagée peut, à la limite, devenir proportionnellement plus importante que la partie intacte si on n'a pas pris de précautions suffisantes. Les résultats de contrôle sur l'utilisation des matériaux locaux (tableaux 4 et 5) montrent qu'il est possible d'obtenir des traitements efficaces au niveau villageois lorsque le plastique n'est pas disponible ou qu'il est trop coûteux.

Beaucoup a été dit et se dit sur les quantités d'eau à ajouter. Celles-ci se situent dans une fourchette qui est finalement assez large puisque comprise entre 40 et 80 l par 100 kg de paille. Il n'existe pas de règle universelle et la décision dépendra du bon sens: ne pas se contraindre à peu d'eau si celle-ci est abondante; en revanche la réduire, mais dans des limites raisonnables compatibles avec la nécessité d'un tassement correct et avec l'hygrométrie ambiante (attention aux climats secs et chauds où l'évaporation est intense) quand elle est limitée et chère.

Le traitement à l'urée ne doit pas poser de difficultés si les agents d'encadrement ont été bien formés et en ont compris les principes de base, à prendre en compte pour trouver les solutions pratiques régionales adaptées. C'est une technique utilisable aussi bien à l'échelle artisanale du petit paysan qu'à grande échelle par des coopératives ou des exploitations importantes dans les pays où l'ammoniac industriel n'existe pas.

Tableau 5: Effet du type d'enceinte et de couverture sur la valeur alimentaire de pailles de riz traitées à l'urée en milieu villageois asiatique

Type de traitement

urée

digestibilité

N x 6,25

Références

(p.100 kg)

(p.100)

(p.100 MS)

TEMOIN

0

41

3.1

SAADULLAH et al. (1981a)

FOSSE

5

54

6.7


PANIER DE BAMBOU

5

52

7.1


FEUILLE COCOTIER ET BANANIER

5

nd

6.3


TAS OUVERT

nd

53

nd

IBRAHIM et al. (1984)

COUVERT AVEC PLASTIQUE

nd

60

nd


TEMOIN

0

nd

2.8

TORO et MAJGAONKAR (1987)

SANS COUVERTURE

4

nd

8.4


TEMOIN

0

42

4

KAYOULI. 1995

TAS OUVERT

5

47

7


AVEC NATTES EN BAMBOU

5

52

10


AVEC PLASTIQUE

5

54

13



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