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Chapitre 1. L'énigme: Changement de climat - agriculture


1.1. Le contexte agricole mondial
1.2. Le changement de l'environnement agricole
1.3. Effets phytophysiologiques directs
1.4. Le cycle hydrologique et les sols
1.5. Conclusions
Références

Wim G. SOMBROEK
Division du Développement des Terres et des Eaux, et Groupe de Travail Interdépartemental sur le Changement de Climat, FAO, Rome, Italie

René GOMMES
Agrometeorology Croup (Environmental Information Management Service), and Interdepartmental Working Group on Climate Change, FAO, Rome, Italie

Les risques associés au changement de climat se situent à l'interaction de plusieurs systèmes à variables multiples qui doivent être considérées ensemble. L'agriculture (y compris les cultures, l'élevage, la foresterie et la pêche) peut être définie comme un des systèmes et le climat l'autre. Traiter ces systèmes indépendamment conduirait à une approche trop fragmentaire. Le problème est plus global. Maintenant, on considère comme vraisemblable le fait que les activités humaines affectent le climat, une des composantes de l'environnement. A son tour, le climat affecte l'agriculture, source de toute l'alimentation consommée par les êtres humains et les animaux domestiques. De plus, il faut considérer que non seulement le climat peut changer mais aussi que les sociétés humaines et l'agriculture développent des tendances et des contraintes spécifiques que les études sur l'impact du changement de climat doivent prendre en considération.

Au cours d'une réunion d'experts tenue au siège de la FAO à Rome, du 7 au 10 décembre 1993, ont été considérés les effets directs du changement des processus hydrologique, pédologique et phytophysiologique sur la production agricole, particulièrement sur leurs mécanismes. Ce chapitre introductif de ses comptes rendus vise au-delà des aspects techniques de l'agriculture et met l'accent sur quelques uns des buts principaux de la FAO.

Premièrement, la durabilité de l'agriculture et le développement rural. Comment seront affectés les liens entre les ressources environnementales et la démographie dans les 50 prochaines années? Sera-t-il possible, en même temps, d'accroître la production alimentaire sans perdre irrémédiablement des ressources environnementales comme les sols et la biodiversité?

Deuxièmement, la sécurité alimentaire et la nutrition sont à améliorer mais sont deux éléments d'une spirale qui inclut aussi la pauvreté rurale et la pression démographique. Quelles sont les prospectives de briser le cercle vicieux de la pauvreté dans beaucoup de pays en développement sous les conditions d'un changement de climat?

1.1. Le contexte agricole mondial

En général, la production alimentaire globale a crû plus vite que la population humaine (Tableau 1.1). Cependant, il y a de fortes disparités entre les continents. Par exemple, en Afrique, la production locale de céréales ne peut suivre l'augmentation de la population et la production de racines et de tubercules croît plus vite que celle des céréales plus valables nutritionnellement.

Par contre, l'augmentation des terres arables est à la traîne de celle de la population, ce qui indique une certaine intensification de la production. En Asie, la limite supérieure des terres disponibles a été atteinte dans plusieurs pays, ce qui a conduit à une intensification très élevée des cultures et au rôle dominant de l'irrigation. En Amérique Latine, l'augmentation des terres arables n'a été atteinte qu'à un prix écologique très élevé (spécialement la déforestation) qui peut avoir un impact direct sur le changement de climat.

D'après une étude prospective très récente de la FAO, allant des années 1988/1990 à 2010 (Agriculture Mondiale: Horizon 2010 ou AH-2010; FAO, 1995a),"le taux de croissance des terres agricoles se réduira encore au cours des deux prochaines décennies. Les pressions sur les ressources en eau douce seront cependant considérables, de même que celles sur l'environnement du fait de l'intensification de l'occupation du sol".

Une réduction significative des taux de croissance de la population mondiale est prévue de 1,8% (1980/1990) à 1,4% (2000/2010), ce qui correspond grossièrement à une augmentation du temps de doublement de la population de 40 à 50 ans. La continuation projetée de la croissance élevée de la population en Afrique peut être liée au lent développement économique des deux prochaines décennies puisqu'on général, une réduction de la pauvreté précède celle de la croissance démographique.

AH-2010 reprend aussi des listes des tendances significatives suivantes pour un futur proche:

(i) la production mondiale de céréales continuera de croître mais pas par personne;
(ii) la demande en céréales d'exportation augmentera modestement;
(iii) l'élevage continuera de croître dans les pays en développement;
(iv) les cultures de racines, de tubercules et de bananes plantains maintiendront leur importance;
(v) les oléagineux croîtront rapidement dans les pays en développement; et, le plus important,
(vi) beaucoup de pays en développement deviendront importateurs nets de produits agricoles.

Comme indiqué ci-dessus pour la croissance de la population, il y a de grandes différences dans le taux de développement agricole parmi les continents en développement tandis que les différences entre les pays développés tendent à se niveler.

Tableau 1.1. Quelques tendances de la population mondiale, de la production alimentaire, des terres arables et irriguées (données de la F.A.O. 1990). L'Europe et l'Asie n'incluent pas l'Ex-URSS. Les Terres arables se définissent comme toutes les terres agricoles, à l'exception des terres occupées par des cultures pérennes et des prairies permanentes. Les terres irriguées sont exprimées en % des terres sous cultures annuelles et permanentes, valeur moyenne de 1981 à 1990. Les valeurs moyennes d'utilisation d'engrais se rapportent à la période 1980-1990. D'après Gommes, 1993.

Continent

Taux de croissance exponentiel 1961-1990 (%)

Augmentation en % du rendement céréalier (1961-1970 et 1986-1990)

Utilisation d'engrais (Kg d'engrais par ha de terres arables)

Terres irriguées

Population

Production

Terres arables

Céréales

Tubercules

Légumineuses

Afrique

2,83

1,95

2,74

1,58

0,44

32

1,2

5,8

Amérique du Nord et Centrale

1,52

2,32

1,30

1,53

-0,59

49

10,7

9,6

Amérique du Sud

2,34

2,80

0,51

0,71

1,53

44

2,6

5,8

Asie

2,11

3,30

1,95

0,26

0,07

86

14,5

31,0

Europe

0,51

2,37

-1,27

1,57

-0,53

75

64,3

10,8

Océanie

1,72

3,14

1,62

13,76

1,23

34

2,0

4,1

Monde

1,88

2,66

0,78

0,83

0,12

65

9,6

15,2

Il est aussi vraisemblable que la famine et la malnutrition qui affectent aujourd'hui 800 millions de personnes (environ 20% des 4.000 millions d'habitants des pays en développement) diminueront mais que de larges poches de malnutrition persisteront. La pression sur les ressources environnementales continuera de croître.

1.2. Le changement de l'environnement agricole

1.2.1. LE "COMPLEXE" CLIMATIQUE

Le climat constitue un complexe de variables interdépendantes. En moyenne, à travers un ensemble de mécanismes de régulation, une légère modification d'une variable déclenche de légers changements dans la plupart des autres. A l'exception de variations possibles qualitatives et abruptes qui seront mentionnées ci-dessous, ces interrelations sont indépendantes du dioxyde de carbone atmosphérique (CO2). Ce dernier et d'autres gaz à effet de serre font largement sentir leurs effets sur le bilan de radiations de l'atmosphère.

Il n'y a qu'un faible lien entre des facteurs tels que les nuages et le vent. La température, l'évaporation et la pluie sont fortement corrélées. La figure 1.1 illustre cette intensification probable du cycle hydrologique. Combinée avec la pression prévue sur l'utilisation des terres et des eaux, la compétition pour l'eau et le sol deviendra sûrement une question sociale et politique clé.

La variabilité du climat augmentera vraisemblablement avec le réchauffement global (Katz et Brown, 1992) en termes absolus et relatifs. Ceci est lié aux seuils qui affectent l'apparition de beaucoup de phénomènes météorologiques. Notamment, les cyclones tropicaux sont nourris par la vapeur d'eau en provenance des océans à une température supérieure à 26 ou 27°C. Par conséquent, des températures moyennes plus élevées de la surface des mers donneront lieu à une fréquence plus rapide des cyclones tropicaux.

Le taux de changement en lui-même est extrêmement important. Par exemple, des travaux récents (Lehman, 1993; Paillard et Labeyrie, 1994; Rahmsdorf, 1994; Holmes, 1995) sur les changements passés de températures en dent de scie observés dans l'Arctique nous amènent à nous préoccuper du fait que des changements abruptes peuvent avoir lieu avec des modifications moyennes de températures de 10 à 12°C en quelques décennies. Le mécanisme de tels changements n'est pas encore clair mais semble impliquer la stabilité mécanique des couches de glace, de brusques changements dans le cycle hydrologique et le courant convoyeur dans l'Atlantique.

De tels changements seraient associés, bien entendu, à des modifications dramatiques dans la distribution et les quantités de produits marins, causant des dommages aux activités des pêcheries nationales en place. Ils rendraient aussi extrêmement difficiles, à la fois, l'adaptation aux changements de climat et la planification agricole dans son ensemble.

Figure 1. Quelques relations entre les principales variables climatiques (température moyenne, Temp; tension de vapeur d'eau, Vap, précipitations. Pluie; vitesse de vent, Vent; nébulosité. Nuages et évapotranspiration potentielle, ETP). Les lignes continues et en pointillés indiquent respectivement les corrélations positives et négatives. Le degré de corrélation décroît de la double ligne épaisse à la ligne simple. Ces données sont traitées à partir des moyennes annuelles de 3263 stations d'observations au sol, essentiellement des stations des pays en voie de développement. (FAO, 1995b)

1.2.2. LES GAZ A EFFET DE SERRE DE L'AGRICULTURE

Outre la vapeur d'eau, les gaz à effet de serre importants sont le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4), l'oxyde nitreux (N2O), l'ozone troposphérique (O3) et les chlorofluorocarbones (CFCs). Les caractéristiques de base des trois premiers gaz sont données au Tableau 1.2. Le degré de provenance de ces gaz à effet de serre à partir de sources agricoles est aussi renseigné. Les proportions exactes entre ces émissions liées à l'occupation du sol et celles en provenance d'écosystèmes naturels (marais, toundra), combustibles fossiles (charbon, huile, gaz) et de sources géologiques (volcans) sont une pomme de discorde entre les pays industrialisés, les pays producteurs de pétrole et les pays en développement.

Des droits et devoirs moraux en relation avec le flux international des fonds de développement et de conservation sont impliqués. Par conséquent, de meilleures estimations basées sur des mesures exactes des émissions nettes de gaz à effet de serre dues aux pratiques agricoles dans les pays en développement sont requises d'une manière urgente pour évaluer proprement les responsabilités. On pense que les réductions d'émissions nécessaires pour stabiliser les concentrations atmosphériques au niveau actuel sont supérieures à 60% pour le CO2, 15-20% pour le CH4 et 70-80% pour le N2O. Ceci implique le besoin d'informations mises à jour et complètes sur la couverture et l'usage des terres par pays: non seulement le type de récoltes mais aussi leur intensité, leurs rotations et les quantités d'intrants (énergie, engrais). Les tendances actuelles de quelques secteurs agricoles directement associés avec les gaz à effet de serre sont énumérés au Tableau 1.3.

La perte de terres "naturelles", y compris les forêts tropicales, en faveur de l'agriculture, du pâturage, de l'exploitation forestière et de l'urbanisation peut continuer, quoiqu'à une cadence ralentie (AH-2010).

Beaucoup d'estimations anciennes sont maintenant regardées avec suspicion, étant donné que la frontière entre les cultures, la forêt et l'élevage parait floue.

Tableau 1.2. Vue d'ensemble des émissions des gaz à effet de serre dues aux activités agricoles avec les tendances actuellement envisagées (adapté de IPCC, 1992; Houghton et al., 1995; Keeling et al., 1995). ppmv et ppbv représentent, respectivement, des parties par million et des parties par milliard par unité de volume.


CO2

CH4

N2O

Durée de vie dans l'atmosphère (année)

120

14,5

120

RPG direct ¹

1

24,5

320

Concentration Préindustrielle3

280 ppmv

0,8 ppmv

288 ppbv

Niveau actuel de concentration

360 ppmv

1,72 ppmv

310 ppbv

Accroissement annuel actuel (%)

0,5

0,9

0,25

Principales sources agricoles 4

déforestation

- rizières en zones humides
- ruminants
- brûlage de biomasse

- engrais azotés synthétiques
- excrétion animale
- fixation biologique d'azote

Pourcentage de la source globale résultant de l'agriculture

30

40

25

Changement prévu 1990-2020

-

+

+

¹RPG, Réchauffement Potentiel Global, est l'effet direct de réchauffement en relation avec le CO2 à l'horizon de 100 ans.
2 Inclut les effets indirects par la chimie.
3 Vers les années 1750-1800
4 Activités responsables des émissions sont prévues d'accroître par: la culture de riz (+ 10%); la population de ruminants (+ 30%); l'utilisation d'engrais synthétique (+ 20%); l'excrétion animale et la fixation biologique d'azote augmentent mais leur taux n'est spécifié.

Finalement, à la fois les tendances récentes de l'usage des engrais et les projections de l'AH-2010 indiquent de fortes augmentations de la consommation. Même avec des mesures appropriées pour optimiser l'usage des engrais, il est vraisemblable que les pertes en N2O continueront de croître.

Effets écologiques et indirects du climat

En termes qualitatifs, beaucoup d'effets indirects du changement de climat sur l'agriculture peuvent entrer en conjoncture. La plupart d'entre eux sont estimés être négatifs et attirent presque toute l'attention des médias. Ces effets comprennent:

· la diminution de la possibilité de prédire en gros le temps et le climat, ce qui rendrait plus difficile la planification à court et moyen termes des opérations agricoles;

· la perte de certains environnements les plus fragiles tels que les forêts tropicales et les mangroves;

· la montée du niveau des mers (40 cm dans les 100 prochaines années) entraînerait la submersion de quelques terres agricoles côtières de valeur;

· la fréquence des maladies et des fléaux, surtout étrangers, augmenterait;

· les zones (agro) écologiques actuelles pourraient être déplacées dans certains cas sur des centaines de kilomètres horizontalement et des centaines de mètres verticalement, avec le risque que certaines plantes, spécialement les arbres, et des espèces animales ne suivront pas et que les systèmes agricoles ne s'ajusteront pas d'eux-mêmes à temps;

· les températures plus élevées permettraient des saisons de croissance des plantes et des moissons plus longues dans les régions froides et montagneuses, conduisant dans certains cas à une augmentation des récoltes et de la production. Par contre, dans les régions déjà chaudes, le changement de climat peut réduire la productivité;

· le déséquilibre actuel dans la production alimentaire entre, d'une part, les régions froides et tempérées et, d'autre part, les régions tropicales et subtropicales pourrait empirer.

Tableau 1.3. Taux de croissance entre 1961 et 1990 des secteurs d'activité agricole responsables d'émissions des gaz à effet de serre (FAO, 1990). L'Europe et l'Asie n'incluent pas l'Ex-URSS. Le nombre de ruminants domestiques a été obtenu par la sommation du nombre de bovins, moutons, chèvres, chameaux et buffles.

Continent

Croissance exponentielle 1961-1990 (%)

Nombre de ruminants

Zone boisée

Rizière

Consommation des engrais

Afrique

1,29

-0,43

2,23

6,21

Amérique du Nord et Centrale

-0,07

-0,02

1,5

3,29

Amérique du Sud

1,29

-0,49

1,65

9,15

Asie

1,18

-0,59

0,62

9,54

Europe

0,33

0,25

0,78

2,75

Océanie

0,07

-1,15

5,88

1,25

Monde

0,90

-0,26

0,74

5,35

1.3. Effets phytophysiologiques directs

Les gaz à effet de serre comme CH4, N2O et les chlorofluorocarbones (CFCs) n'ont pas d'effets directs connus sur les processus physiologiques des végétaux. Ils ne modifient que la température globale et ne seront donc pas discutés dans la suite. Au contraire, on se concentrera sur les effets d'une teneur accrue en CO2, de l'O3 troposphérique, de l'augmentation des UV-B suite à l'épuisement de l'ozone stratosphérique, et des températures ainsi que de l'intensification du cycle hydrologique qui leur est associée.

1.3.1. LE DIOXYDE DE CARBONE

L'effet fertilisant du CO2

Le CO2 est un "nutriment" essentiel des plantes, ajouté à la lumière, une température propice, l'eau et aux éléments chimiques tels que N, P et K. Actuellement, son approvisionnement est réduit.

Des concentrations plus élevées en CO2 atmosphérique, causées par un usage accru des combustibles fossiles, la déforestation et la combustion de la biomasse, peuvent avoir une influence positive sur la photosynthèse (Figure 1.2); dans des conditions optimales de lumière, de température, d'éléments nutritifs et d'humidité, la production de biomasse peut augmenter, particulièrement chez les plantes à métabolisme photosynthétique C3 (Encadre 1.1), au-dessus et même en-dessous du sol (pour les détails voir le chapitre 4 par Allen et al.).

Figure 1.2. Représentation de l'effet de la concentration du CO2 sur les plantes en C3 et C4 (d'après Wolfe et Erickson, 1993). Le principal mécanisme de fertilisation par le CO2 fait que la photo-respiration est plus ralentie chez les plantes en C3 que chez les plantes en C4

Au total, 10 à 20% du doublement approximatif de la productivité des cultures pendant les 100 prochaines années pourraient être attribués à cet effet (Tans et al., 1990). La croissance et la repousse des forêts pourraient en être stimulées tout autant. En outre, des gains de productivité de l'ordre de 30% ou plus auraient lieu là où les éléments nutritifs et l'humidité seront adéquats pour les plantes.

Des valeurs plus élevées en CO2 atténueraient aussi les dommages causés à la croissance des plantes par des polluants tels que NOX et SO2 à cause des ouvertures de stomates plus petites (voir ci-dessous). Des pourcentages plus grands d'amidon dans l'herbe améliorent leur qualité nutritive, impliquant moins de mélange d'aliments dans l'ensilage.

Encadré 1.1. Principales cultures et les trois itinéraires photosynthétiques

Les plantes sont classifiées C3, C4 ou CAM d'après les produits formés dans les phases initiales de la photosynthèse.

Les espèces C3 répondent plus à l'augmentation de CO2 les espèces C4 répondent mieux que les plantes C3 à une température plus élevée et leur efficience à l'utilisation de l'eau croît plus que chez les plantes C3. Il se peut que ce renchérissement décroisse avec le temps ("down-regulation") (voir le chapitre 4 par Allen et al. dans ce livre).

Plantes C3: coton, riz, blé, orge, haricots, tournesol, pommes de terre, la plupart des légumineuses, des plantes ligneuses et maraîchères ainsi que beaucoup de mauvaises herbes

Plantes C4: maïs, sorgho, canne à sucre, mil, halophytes (plantes qui tolèrent le sel) et beaucoup de hautes herbes tropicales, de pâturage, de fourrage et de mauvaises herbes

Plantes CAM (Crassulacean Acid Metabolism, un itinéraire C3 ou C4 optionnel de la photosynthèse qui dépend des conditions): manioc, ananas, figues de barbarie, oignons, ricin

L'effet anti-transpirant du CO2 (amélioration du coefficient d'utilisation de l'eau, WUE)

Avec l'augmentation du CO2 atmosphérique, la consommation d'eau devient plus efficace du fait de la réduction de la transpiration. Cet effet est induit par une contraction des stomates et/ou une réduction de leur nombre par unité de surface foliaire. Ceci diminue plus l'échappement de la vapeur d'eau à partir de la feuille qu'il ne diminue la photosynthèse (Wolf et Erikson, 1993; voir détails dans le chapitre 5 par Van Geijn et Goudriaan).

Avec la même quantité d'eau disponible, il pourrait y avoir plus de surface foliaire et de production de biomasse par les cultures et la végétation naturelle. Les plantes pourraient survivre dans des régions jusqu'à présent trop sèches pour leur croissance.

1.3.2. LE RAYONNEMENT ULTRAVIOLET

Un rayonnement ultraviolet accru (UV-B, entre 280 et 320 nanomètres), dû à l'épuisement de la couche d'ozone stratosphérique, surtout dans l'Antarctique, peut affecter négativement la photosynthèse terrestre et aquatique ainsi que la santé des animaux. Durant la dernière décennie, une diminution de l'ozone stratosphérique fut observée à toutes les latitudes (environ 10% en hiver, 0% en été et des valeurs intermédiaires au printemps et en automne). Cependant, le "Facteur d'Action Biologique" de l'UV-B peut varier de plusieurs ordres de grandeur suite à des modifications même faibles de la quantité et de la longueur d'onde de l'UV-B.

Le sujet est traité en détail ailleurs dans ce livre (voir le chapitre 8 par Unsworth et Hogsett, ou Runeckles et Krupa, 1994). En particulier, on peut noter que:

· il y a des effets nuisibles de l'accroissement de l'UV-B sur la croissance des cultures, les animaux et le plancton. On rapporte que l'UV-B affecte la capacité des organismes du plancton à contrôler leurs mouvements verticaux et à s'ajuster aux niveaux de lumière;

· des réductions jusqu'à 10% dans les récoltes ont été mesurées pour des valeurs expérimentales très élevées d'UV-B et ceci serait particulièrement effectif dans les plantes où l'effet fertilisant du CO2 est le plus fort. D'autre part, l'augmentation d'UV-B élèverait la quantité de composés internes qui agissent contre les ennemis des plantes.

1.3.3. L'OZONE TROPOSPHERIQUE

L'ozone troposphérique provient à peu près, pour moitié, de réactions photochimiques impliquant les oxydes d'azote (NOx), le méthane ou le monoxyde de carbone et, pour moitié, du mouvement descendant de l'ozone stratosphérique.

Des concentrations élevées d'ozone ont des effets toxiques sur la vie, à la fois, des plantes et des animaux (German Bundestag, 1991; MacKensie et Al-Ashry, 1988; UNEP, 1993). Il est probable que l'ozone, en conjonction avec d'autres photo-oxydants, contribue au "nouveau type de dégâts forestiers" observés en Europe et aux Etats-Unis.

Aux tropiques, les concentrations d'ozone troposphérique sont généralement plus faibles qu'aux latitudes mi-nordiques. Cependant, ceci ne s'applique pas aux périodes pendant lesquelles la combustion de la biomasse relâche des substances préalables à la formation photochimique de l'ozone.

1.3.4. LA TEMPÉRATURE

En général, de plus hautes températures sont associées à un rayonnement plus élevé et une plus grande consommation d'eau. Il est relativement difficile de séparer les effets physiologiques des températures (au niveau des plantes et de leurs organes) des effets écologiques (au niveau du champ ou de la région). Il y a, à la fois, des impacts positifs et négatifs aux deux niveaux et seule une simulation spécifique à la culture et au site permet d'évaluer l'effet global "net" des augmentations de températures (pour le détail voir le chapitre 6 par Abrol et Ingram). On s'accorde généralement à dire que:

· l'élévation des températures - estimée maintenant à 0,2°C par décennie, ou 1°C d'ici 2040 (Mitchell et al., 1995) avec les plus petits accroissements aux tropiques (IPCC, 1992) - diminuerait les rendements de certaines cultures, particulièrement si les températures nocturnes s'accroissent (l'accroissement thermique depuis le milieu des années 1940 est dû principalement à celui des températures nocturnes tandis que le réchauffement induit par le CO2 résulterait en une forte élévation quasi égale de températures minimales et maximales (Kukla et Karl, 1993);

· des températures plus hautes pourraient avoir un effet positif sur la croissance des plantes du type CAM. Elles renforceraient aussi l'effet fertilisant du CO2 ainsi que son effet anti-transpirant sur les plantes C3 et C4 (voir Encadré 1.1) à moins que les plantes ne soient surchauffées;

· une température nocturne élevée peut accroître la respiration obscure des plantes, ce qui diminuerait la production nette de biomasse;

· de hautes températures en saison froide conduiraient à un mûrissement précoce des récoltes annuelles, ce qui diminuerait le rendement par culture mais qui permettrait localement la croissance de plusieurs cultures par an due au fait de l'allongement de la saison de croissance. L'élimination hivernale des ennemis des cultures sera probablement réduite à hautes altitudes résultant en des pertes plus importantes de récoltes et en un besoin accru de pesticides;

· des températures plus élevées permettront plus de croissance des plantes à hautes latitudes et altitudes.

1.3.5. EFFETS COMBINES ET INCERTITUDES

Les changements en CO2, ozone troposphérique et UV-B accrus ne se produisent pas nécessairement en même temps: l'augmentation de CO2 est mondiale mais avec une saisonalité marquée aux hautes et moyennes latitudes; une élévation significative d'UV-B est largement limitée aux régions subpolaires et principalement pendant les mois d'hiver de l'hémisphère nord; les teneurs élevées en O3 près de la surface sont limitées aux faubourgs des grandes villes, aéroports, etc. (Seitz, 1994).

L'Encadré 1.2 illustre quelques mécanismes potentiels qui pourraient être responsables soit de l'augmentation soit de la diminution de la biomasse dans les conditions d'un changement global. Notons qu'une augmentation de la biomasse pourrait même être associée à une diminution du rendement en grain (ou sucre, huile, etc.) si une des conséquences de l'élévation de la teneur en CO2 était une redistribution de la biomasse au sein des organes des plantes (il y a des indications d'augmentations relatives de la croissance des racines).

1.4. Le cycle hydrologique et les sols

Même une légère élévation des températures de surface affectera l'évaporation, l'humidité atmosphérique et les précipitations (Figure 1.1). Tandis que l'on s'accorde sur le fait que la pluie va augmenter (d'après une estimation de 10 à 15%), deux aspects doivent être élucidés: comment l'intensité des pluies sera-t-elle affectée et quelle sera leur distribution spatiale? Ceci reste un grand sujet de discussion parmi les experts (pour les détails voir le chapitre 2 de Evans).

Sur base d'analogies paléoclimatiques, certains auteurs prédisent des conditions plus favorables dans le Sahel actuel (Petit-Marie, 1992). Si l'augmentation des précipitations devait être associée à celle de leurs intensités, alors la qualité et la quantité des ressources en terres et en eaux déclineraient, notamment du fait de l'augmentation du ruissellement, de l'érosion, des processus de dégradation des sols, de la fréquence des inondations et, probablement, des sécheresses. Cependant:

· la pluie supplémentaire sur terre, si elle tombe sur les régions actuellement subhumides à semi-arides, augmentera la croissance des plantes dans ces régions. Ceci améliorera la protection de la surface du sol et accroîtra la production agricole pluviale; dans les régions déjà humides, le supplément de pluie peut, cependant, compromettre le séchage et le stockage des récoltes;

· les précipitations supplémentaires prédites dans certaines régions peuvent procurer des sites de stockage en plus dans les rivières, lacs et réservoirs artificiels (sur l'exploitation agricole ou au niveau du sous-bassin) au bénéfice de l'approvisionnement rural en eau, d'une agriculture irriguée plus étendue ou plus intensive et des piscicultures à l'intérieur des terres;

· les effets sur les ressources en eau et la répartition de l'eau des rivières et lacs internationaux peuvent être très importants, surtout du point de vue politique.

Les plus grands risques sont souvent estimés être associés à une perte accrue en sols par érosion.

Les sols, en tant que milieu de croissance végétale, pourraient être affectés de plusieurs autres manières (pour les détails voir le chapitre 3 par Brinkman et Sombroek):

· des températures accrues peuvent conduire à plus de décomposition de la matière organique du sol;

· une croissance végétale accrue due à l'effet fertilisant du CO2 peut causer un manque en d'autres éléments nutritifs tels que N et P; cependant, un accroissement en CO2 stimulerait l'activité des mycorhizes (en rendant le phosphore du sol plus disponible) ainsi que la fixation de l'azote biologique (symbiotique ou non). Grâce à une croissance accrue des racines, il y aurait une altération supplémentaire du substratum, d'où un approvisionnement frais de potassium et de micro-éléments;

· l'effet fertilisant du CO2 produirait plus de détritus avec un rapport C/N plus élevé, d'où plus de matière organique à incorporer comme humus dans le sol; seulement, une litière avec un rapport C/N élevé se décompose lentement et ceci peut avoir un retour négatif sur la disponibilité en éléments nutritifs;

· l'effet "anti-transpirant" du CO2 stimulerait la croissance végétale dans les régions sèches, une meilleure protection du sol contre l'érosion et des températures plus basses de la couche supérieure du sol, ce qui produirait un "effet d'anti-désertification".

Encadré 1.2. Quelques mécanismes susceptibles d'affecter la production de biomasse dans certaines conditions de changement global, Remarquez que le rapport entre le rendement économique (e.g., grain, fibre) et la biomasse peut changer en fonction des conditions actuelles

1.5. Conclusions

S'il a lieu, le changement global du climat affectera directement l'agriculture. La plupart des mécanismes et les interactions dans les deux sens entre l'agriculture et le climat sont connus même s'ils ne sont pas toujours bien compris.

Il est évident que la relation entre le changement de climat et l'agriculture est encore très fortement un sujet de conjecture avec de nombreuses incertitudes (voir aussi Rosenzweig et Hillel, 1993) et reste largement une énigme.

De fortes incertitudes affectent, à la fois, les Modèles de Circulation Globale (GCMs) et la réponse de l'agriculture telles que illustrées par les différences entre modèles, spécialement en ce qui concerne les effets aux niveaux nationaux et subrégionaux. En outre, beaucoup de modèles ne considèrent pas l'effet fertilisant du CO2 ni l'amélioration de l'efficience de la consommation en eau, ni l'effet du couvert nuageux (sur le climat et la photosynthèse) ou le caractère transitoire du changement de climat.

Il vaut la peine de rappeler que de grosses lacunes affectent la connaissance du cycle du carbone (un trou d'environ 2 Gt de carbone), les facteurs impliqués dans la quasi-stabilisation des concentrations en méthane atmosphérique ou la réduction inexpliquée de l'accroissement de CO2 dans les dernières années, l'effet des éruptions volcaniques (notamment la récente éruption du Pinatubo), l'effet d'une quelconque augmentation de la couverture nuageuse, etc.

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