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Modélisation hydrologique de petits bassins versants ruraux sahéliens : apport de la télédétection et des systèmes d'information géographique pour la détermination des paramètres


A. Nonguierma, Centre régional AGRHYMET, Niamey, Niger

S. Dautrebande, Faculté des sciences agronomiques de Gembloux, Gembloux, Belgique

Resumé

Dans la région sahélienne, en Afrique subsaharienne, le ruissellement de surface est pratiquement la seule forme d'écoulement observée sur les bassins. Son importance dépend en partie de l'aptitude au ruissellement du bassin.

Dans cette étude, le paramètre numérique de ruissellement (CN, de la méthode SCS) est associé à un modèle paramétrique pluie-débit (modèle SWRRB), conduisant à l'estimation de volumes de crue journaliers au niveau de quelques bassins sahéliens (mare d'Oursi au Burkina Faso). L'utilisation conjointe de la télédétection et des systèmes d'information géographique élargit l'horizon de la recherche en permettant la détermination synthétique du potentiel de ruissellement. La démarche est significative et conduit à une modélisation satisfaisante des écoulements.

Abstract

In the Sahelian zone, as for the whole subSaharan area, surface runoff is in fact the single form of flow which is observed on the basins. Its importance is largely due to the runoff capacity of the basin.

In this paper, the numerical runoff parameter (CN from the SCS method) is associated with a hydrological parametrical model (SWRRB) leading to the estimation of the daily flood volumes of some Sahelian basins in the region of Oursi, in northern Burkina Faso. The use of remote sensing coupled with the Geographical Information System widens the outlook of the research making possible the synthetic determination of the runoff potential. This approach is significant and leads to a satisfactory modelling of flows in the Sahelian zone.


Introduction

Dans la région sahélienne, le ruissellement de surface est pratiquement la seule forme d'écoulement observée sur les bassins. Son importance dépend en partie de l'aptitude au ruissellement du bassin.

L'objectif de cette étude est d'appréhender les principaux hydrodynamiques agissant sur le processus pluie-écoulement de surface dans le contexte de petits bassins ruraux sahéliens.

Nous avons orienté l'étude vers un modèle paramétrique pluie-débit, qui demande la détermination d'un potentiel de ruissellement conduisant, initialement, à l'estimation des valeurs de volumes d'écoulement de crue au niveau des bassins versants étudiés. Le modèle est d'abord ajusté et validé sur six bassins versants au Nord du Burkina Faso et ensuite utilisé pour simuler des situations particulières (prédiction de la crue de récurrence décennale).

L'utilisation de la télédétection élargit l'intérêt de l'étude en permettant, d'une part, d'obtenir les informations sur le potentiel de ruissellement, paramètre hydrologique de base pour la simulation de l'écoulement superficiel, d'autre part, de tester la sensibilité du modèle à toute modification spatiale ou temporelle des différentes caractéristiques du bassin versant concerné.

Cadre de l'étude

Les six bassins étudiés font partie du grand bassin dit de la mare d'Oursi. Celui-ci est situé au Nord du Burkina Faso, en zone climatique sahélienne. Il s'étend entre 14°33 et 14°41 Nord et entre 0°26 et 0°40 Ouest (figure 1). Le paysage de la mare d'Oursi est très complexe malgré une relative homogénéité d'ensemble. Sous l'angle des caractéristiques hydro-dynamiques, on y distingue (Chevallier et al, 1985) quatre grandes familles de paysages :

(i) Le système dunaire, correspondant à un erg ancien fixé, plus ou moins pédogénéisé avec des sols brun-rouge subarides sur sables éoliens, ou des sols ferrugineux tropicaux peu lessivés.

(ii) Les thalwegs et les dépressions, constitués par les marigots et la mare elle-même.

(iii) Les buttes et les reliefs provenant des sources variées : roches basiques, roches granitiques, paléosurfaces cuirassées peu disséquées.

(iv) Les grandes zones de glacis qui sont des paysages à surface relativement plane et de faible pente, liées soit à des cuirasses ferrugineuses, soit à des affleurements rocheux.

Le climat de la région est de type sahélien sec, caractérisé par des températures moyennes élevées avec de fortes amplitudes, des valeurs moyennes mensuelles très fortes de l'évapotranspiration potentielle (plus de 2 500 mm par an, méthode Penman), un régime de précipitation marqué par une saison de pluie de moins de quatre mois, des averses de courte durée (les corps d'averses durent rarement plus de 30 minutes) et généralement de forte intensité et une pluviosité faible (465 mm par an en moyenne).

Au niveau de l'écoulement de surface, les observations montrent qu'il se produit entre 15 et 20 crues par année. L'essentiel de l'écoulement provient du ruissellement consécutif à une ou plusieurs averses. Sur l'ensemble des bassins de la mare, il n'y a ni écoulement de base, ni même écoulement hypodermique (Ribstein, 1990). Les coefficients d'écoulement sont très variables d'un bassin à l'autre, mais restent en moyenne très faibles. Sur la figure 2, nous avons reporté un exemple de valeurs des couples (pluies journalières, lames ruisselées) observées sur les bassins.

FIGURE 1

Carte de situation de la région de la mare d'Oursi (Chevalier et al., 1985)

La modélisation hydrologique

Le développement des modèles hydrologiques conceptuels a permis de mettre en évidence certaines spécificités de la zone sahélienne lors de la transformation de la lame précipitée en lame ruisselée : difficulté d'estimation de la fonction de production et dépendance quasi exclusive de l'aptitude au ruissellement et des états de surface.

Le modèle SWRRB (Simulator for Water Ressources in Rural Basins), qui est utilisé dans cette étude, est un modèle déterministe de simulation des processus hydrologiques, dans lequel la variabilité spatiale des phénomènes est prise en compte à travers des caractéristiques moyennes ou représentatives du bassin. Il a été développé d'abord aux Etats-Unis pour prédire en continu, au pas de temps journalier, le rendement en eau et en sédiments de bassins versants ruraux, assez grands et complexes, en fonction de modifications ou manipulations du système (Arnold et Williams 1989).

Le modèle est composé de trois sous-modèles : le sous-modèle climatique, le sous-modèle hydrologique et le sous-modèle érosion; un sous-modèle de croissance de culture est associé à cet ensemble. Les composantes du sous-modèle hydrologique sont le ruissellement direct (volumes de ruissellement et débits de pointe), la percolation, l'écoulement hypodermique ou retardé et l'évapotranspiration.

FIGURE 2

Relation pluie - ruissellement observé sur le bassin versant de Taïma (76-80)

Le ruissellement de surface est estimé par les équations empiriques de l'approche proposée par le US Soil Conservation (Chow 1964), en considérant que l'écoulement direct de crue des cours d'eau peut être déterminé à partir d'une relation simple entre les hauteurs d'eau précipitées et les lames d'eau écoulées, exprimée de la manière suivante :

(1)

où R est le ruissellement (mm)

P est la hauteur totale de la pluie considérée (m)

S est le paramètre de rétention (mm), estimée en fonction du complexe hydrologique sol - couverture végétale humidité du sol du bassin versant considéré.

Les données de base

La mise en oeuvre du modèle SWRRB nécessite l'acquisition d'informations sur le système hydrologique lui-même, ainsi que sur les phénomènes hydrologiques. On distingue deux catégories de données : les données d'ordre climatique et les données liées à la physiographie du bassin.

Les variables climatiques nécessaires pour exécuter le modèle SWRRB sont : les précipitations, la température et la radiation solaire. Les facteurs physiographiques comprennent toutes les caractéristiques dépendantes de l'état du bassin versant : les types de sol, la végétation, l'occupation du sol, la topographie des terres, les techniques d'aménagement. Tous ces éléments, qui sont des composants usuels des modèles hydrologiques conceptuels, sont définis dans le modèle SWRRB moyennant un paramètre global : le potentiel de ruissellement (CN ou "Curve Number"). Celui-ci est déterminé pratiquement à partir de la connaissance de trois catégories d'information : les groupes hydrologiques de sol (infiltrabilité du sol), l'occupation moyenne du sol à l'intérieur d'une rotation culturale et les pentes, intégrées et analysées contextuellement dans un système d'information géographique. Les correspondances établies pour la région de la mare d'Oursi sont présentées dans le tableau 1.

TABLEAU 1

Descriptif des catégories d'occupation du sol et valeurs de CN correspondantes (approche SCS).

OCCUPATION DU SOL ÉTATS DE

SURFACE

DESCRIPTION CONDITION

HYDROLOGIQUE

GROUPE

DE SOLS

        A B C D
1. JACHÈRES

(13.28%)

Cuirasses,
buttes, altération, blocaille
Plages cuirassées, buttes cuirassées et massifs rocheux.

Sols lithiques. Couverture végétale très faible à nulle.

Défavorable 76 85 90 93
  Sables vifs Végétation herbeuse à recouvrement discontinu.
Strate ligneuse lâche.
         
2. CULTURES

(5.26%)

Sables fixés Sols brun-rouge subarides sur sables éoliens et sols ferrugineux tropicaux peu lessivés.

Couvert végétal nul.

Défavorable 65 76 84 88
3. PÂTURES

Défavo.

(69.28%)

Zones de glacis, gravillons, arènes, pellicule indurée Sols ferrugineux tropicaux et bruns subarides vertiques.

Brousse tachetée, mosaïque

végétation-plages de sols nus.

Défavorable

(R% <50)

68 79 86 89
Moy. favo. (12.18%) Végétation Sols vertiques et hydromorphes.

Formation ripicole avec strate herbacée importante.

Moyenne

(R% >50)

49 69 79 84

Il faut signaler que le potentiel de ruissellement peut aussi être déterminé de manière analytique ou semi-empirique à partir de la connaissance des débits et des pluies qui en sont la cause. En effet, si l'on dispose de données d'observations de pluies et d'écoulement suffisantes, on peut calculer la valeur de CN2 à partir de la relation entre les hauteurs d'eau ruisselées et la pluie (voir équation 1). La moyenne des valeurs obtenues pour chaque couple (pluie, ruissellement) représente le CN moyen du bassin versant et peut alors être reliée aux caractéristiques du bassin versant selon le 1. Il est aussi possible de déduire graphiquement cette valeur moyenne en reportant les valeurs des couples (pluie, ruissellement) sur un diagramme SCS. Dans l'exemple ci-dessous (figure 3), la valeur du CN est approximative-ment de 90 pour le bassin de Jalafanka.

Dans le tableau 2 sont reprises les valeurs du CN moyen obtenues de manière synthétique à partir d'une cartographie des catégories d'occupation du sol et de manière empirique par l'analyse des courbes pluie-ruissellement pour chaque bassin versant étudié.

TABLEAU 2

Valeurs du CN moyen pour les bassins versants de la mare d'Oursi

Bassin Mare d'Oursi Outardes Polaka Tchalol Taïma Jalafanka Kolel

Superficie (km2)

263 16.5 9,14 9,28 105 0,809 1,05

Pente (m/km)

1,50 6,00 8,10 7,60 3,80 7,00 55,0

CN2 analytique

88 88 86 90 89 90 83

CN2 synthétique, pente moy. 5%

88 86 86 89 86 87 94

FIGURE 3

Couples pluie-ruissellement dans un diagramme SCS (bassin de Djalafanka)

On remarque que les écarts entre les CN moyens sont relativement faibles dans l'ensemble, à l'exception du bassin versant de Kolel.

Le modèle SWRRB nécessite d'introduire en entrée la valeur moyenne du potentiel de ruissellement (déterminé soit analytiquement, soit synthétiquement). Ensuite, compte tenu de la variabilité permanente de l'humidité du sol dans le temps, le modèle recalcule à partir de cette valeur moyenne une valeur de CN au début de chaque averse.

Applications

L'application d'un modèle déterministe à un bassin versant nécessite l'ajustement des paramètres et des constantes afin que le modèle reproduise le mieux possible les observations. Cette opération est appelée calage du modèle et vise en définitive à minimiser la somme des carrés des écarts entre valeurs observées (Qobs) et les valeurs simulées (Qsim).

L'ajustement des paramètres se fait normalement par essai et par erreur, c'est-à-dire, analyse des résultats précédents et modification des paramètres (en cherchant par ailleurs à en réduire le nombre autant que possible) pour améliorer les résultats. On procède ainsi de façon itérative jusqu'à l'obtention de résultats de simulation comparables aux données observées.

Le ruissellement de surface étant une fonction directe de la teneur en eau du sol (équation 1), tous les paramètres et constantes affectant donc l'eau du sol ont des effets directs ou indirects sur les valeurs d'écoulement de surface. Toutefois, comme le ruissellement est évalué à partir de l'approche SCS des "CN", l'ajustement se fait essentiellement sur les variations des valeurs du potentiel de ruissellement. Plusieurs essais nous ont permis de constater qu'une différence de deux ou trois unités autour de la valeur moyenne du CN dans chaque bassin versant n'entraîne pas de différence significative dans les résultats de la simulation. Dès lors, nous considérons que les valeurs moyennes du CN synthétique sont directement utilisables pour les simulations sur chaque bassin considéré.

FIGURE 4

Comparaison entre les ruissellements simulé et observé sur le bassin versant des Outardes pour l'année 1977

A chaque scénario, la qualité des résultats de simulation est appréciée en vérifiant que chacune des caractéristiques des écoulements observés est bien reproduite. Le modèle a été adapté pour fournir en résultats une série de tableaux présentant les débits journaliers observés et les débits journaliers simulés, à partir desquels s'effectue l'analyse comparant les différents essais.

L'application du modèle fournit en règle générale des résultats d'écoulements proches des valeurs observées sur la plupart des bassins. A titre d'exemple, nous présentons (figure 4) les résultats de la simulation sur le bassin versant des Outardes pour l'année 1977. On constate que, d'une manière générale, l'adéquation entre les débits observés et simulés est acceptable. La forme de la courbe est, dans la plupart des cas, à peu près respectée. On remarque aussi une bonne qualité prédictive du modèle pour les volumes d'écoulement, puisque de 70 à 80% de la variation sont expliqués par le modèle. Les différences proviennent, soit d'une sous-estimation de l'évapotranspiration réelle (la demande évaporatoire est particulièrement considérable dans cet environnement aride), soit de la non-prise en compte de la vitesse d'infiltration de l'eau dans les sols. Le modèle ne considère que le potentiel de rétention. Or, dans la zone sahélienne, les corps d'averse, quelle que soit leur durée, sont caractérisés par une forte densité au début de l'épisode pluvieux. Dès lors, l'intensité de la pluie dépasse très rapidement la vitesse d'infiltration et entraîne le ruissellement même si la pluie est de courte durée.

En dépit du nombre relativement faible d'événements pluviométriques conduisant à du ruissellement (nmax = 56), une analyse statistique, par régression au sens des moindres carrés, montre que la relation entre les ruissellements observés et simulés peut être de type linéaire (figure 5). Le coefficient de détermination associé est tout à fait acceptable. Le test de signification des différents paramètres confirme qu'au seuil de 5%, la pente de la droite n'est pas significativement différente de l'unité, compte tenu de la dispersion des points (l'ensemble des points se retrouve statistiquement dans les limites de l'intervalle de confiance à 95%).

FIGURE 5

Relation entre ruissellement simulé et observé (bassin versant des Outardes, 76-80)

Conclusion

Nous avons utilisé dans cette étude un modèle déterministe et global basé sur un paramètre de rétention dépendant des caractéristiques physiographiques du bassin. L'importance du potentiel de ruissellement (donc les états de surface) dans cette région aride est confirmée. La détermination synthétique du paramètre numérique de ruissellement CN à partir de la télédétection et de systèmes d'information géographique est significative et conduit à une modélisation satisfaisante des écoulements.

L'étude a également permis l'élaboration de programmes informatiques permettant de transformer certaines étapes de la méthodologie en une base dynamique de connaissances pouvant être orientée vers la construction de systèmes de type expert qui fournirait le lien entre les techniques de spatialisation de l'information (télédétection et SIG) et la formulation mathématique des processus (modélisation).

Au niveau des perspectives d'utilisation pratique des résultats, le modèle permet en principe :

· l'évaluation de la ressource en eau,

· la prédiction des effets des décisions d'aménagement sur les écoulements,

· la simulation de situations particulières (par exemple, simulation du comportement d'une averse de récurrence décennale).

Bibliographie

Arnold, D J.G., Williams, J.R., Nicks, A.D. et Sammons, N.B. 1989. SWRRBW, a basin scale simulation model for soil and water resources management. Texas A&M University Press, 142 p.

Chevallier, P., Claude, J., Pouyaud, B. et Bernard, A. 1985. Pluies et crues au Sahel. Hydrologie de la mare d'Oursi (Burkina Faso) (1976-1981). Ed. de l'Orstom, Paris 1985 ; 251 p.

Chow, V.T. 1964. Handbook of applied hydrology. New-York : MC. Graw-Hill Book Co., pp. 21.1 - 21.97.

Claude, J., Grouzis, M. et Milleville, P. 1991. Un espace sahélien : la mare d'Oursi (Burkina). Ed. Orstom, Bondy (France). 241 p.

Dautrebande, S. 1991. Hydrologie des zones humides intérieures : Etudes, méthodes et modèles. Application à l'Afrique intertropicale. Faculté des Sc. Agro. de Gembloux / Division Régionale de la FAO (Accra, Ghana), 304 p.

Nonguierma, A. et Dautrebande, S. 1995. Télédétection et systèmes d'information géographique appliqués à l'étude hydrologique au Sahel : modélisation et automatisation des procédures. Rapport de recherche. Unité d'Hydraulique Agricole (FSAGx), 102 p.

Ribstein, P. 1990. Modèles de crues et petits bassins versants au Sahel. Thèse de Doctorat. Ed. Orstom, Paris (France). 317 p.

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