CHAPITRE 3

CONTRIBUTION INDIRECTE DE LA FAUNE SAUVAGE A LA SECURITE ALIMENTAIRE

3.1 LA FAUNE SAUVAGE ET LA CREATION DE REVENUS

Le commerce de la faune sauvage et des produits dérivés, ainsi que les industries connexes, contribuent de façon considérable à la sécurité alimentaire familiale et nationale en créant des ressources financières utilisables directement pour se procurer de la nourriture ou pour développer et améliorer les systèmes de production alimentaire (encadrés 5 et 6). La principale contribution aux macroéconomies africaines vient du tourisme et des activités récréatives axées sur la faune, et des industries qui lui sont associées. S'il est estimé qu'en Afrique la majorité des revenus tirés du tourisme vont à des compagnies d'aviation et à des hôtels étrangers, il n'en demeure pas moins que cette industrie offre des emplois à un très grand nombre d'africains et contribue ainsi au revenu du ménage et à l'accès aux aliments.

Outre ces revenus dégagés de l'emploi dans des entreprises basées sur la faune sauvage, les ménages bénéficient aussi directement des recettes tirées de la chasse, du commerce de la viande de brousse, des trophées, des cuirs et des peaux ainsi que de la vente d'animaux sur pied et de l'artisanat axé sur les produits des animaux prélevés. La viande de brousse est souvent échangée contre des aliments riches en glucides et des articles ménagers de première nécessité. Les marchés de la viande de brousse et d'autres produits tirés de la faune sauvage contribuent à stimuler les économies rurales et assurent des sources de revenu en espèces aux collectivités qui, souvent, n'ont guère d'autres moyens d'en réaliser et qui bénéficient de ces recettes pour satisfaire leurs besoins quotidiens. A la chasse et au commerce de la viande de brousse interviennent plusieurs niveaux de participants qui vont des chasseurs aux intermédiaires et aux industries de la viande, et les revenus qui en sont tirés profitent non seulement aux chasseurs mais à une large gamme représentative de collectivités rurales et urbaines. Même parmi celles dont la principale occupation est l'agriculture, les recettes provenant de la chasse ou du prélèvement d'animaux sauvages ou de leurs produits absorbent souvent un pourcentage notable du revenu du ménage qui ne saurait en être privé sans subir de graves dommages. En Afrique de nombreuses populations rurales ne dépassent guère le seuil de la pauvreté et doivent lutter pour survivre. Dans ces conditions, même les maigres revenus tirés de la récolte saisonnière d'escargots par les femmes peuvent représenter un apport d'argent déterminant aux fins de la scolarisation des enfants. Il n'est pas rare en Afrique de rencontrer des personnes instruites qui occupent des postes de haut niveau et dont l'éducation a été financée grâce à la récolte régulière et continue et à la vente des produits tirés de la faune sauvage par des mères illettrées.

3.1.1 Tourisme et récréation

Le tourisme axé sur la faune sauvage est particulièrement bien développé en Afrique orientale et australe où cette industrie contribue notablement au revenu national et représente dans un grand nombre de pays une source fondamentale de devises. On estime que le Kenya est le pays africain où l'industrie du tourisme est le mieux développé rapportant environ 600 millions de dollars EU par an, revenu qui n'est dépassé que par celui tiré du café (tableau 3.1). A l'aide d'un modèle informatisé fondé sur une prévision du nombre de touristes visitant le parc national d'Amboseli au Kenya sur une période de 15 ans, Thresher (1991) a soutenu de façon probante qu'il est plus avantageux pour le pays et les ménages individuels de laisser le gibier dans les parcs à des fins touristiques que de le consommer. D'après le modèle de Thresher, un seul lion à crinière dans le parc d'Amboseli valait 515 000 dollars EU comme sujet d'observation contre 8 500 dollars comme objet de chasse sportive et entre 960 et 1 325 dollars seulement s'il était exploité à des fins commerciales (à savoir la valeur marchande d'une peau de lion traitée correctement). Pour les propriétaires fonciers participant à un programme collectif d'élevage extensif et bénéficiant d'une aide de l'Etat, le revenu dégagé, après déduction des coûts, d'un lion élevé sur leur exploitation comme ressource touristique pouvait atteindre 91 000 dollars, contre 600 dollars en droits de chasse si le lion était vendu pour la chasse sportive et 250 dollars s'il est chassé pour sa peau.

Encadré 5 CONTRIBUTION DES INDUSTRIES AXEES SUR LA FAUNE SAUVAGE A L'ECONOMIE DE CERTAINS PAYS AFRICAINS

Pays

La faune sauvage dans l'économie nationale

Kenya

Le tourisme est la deuxième principale source de devises rapportant environ 600 millions de dollars par an (Eltringham, 1994).

RCA

La viande de brousse contribue pour 37 milliards de FCFA au revenu annuel et représente un peu plus de 10% du PIB (Keita, 1993).

Zimbabwe

Le tourisme et les industries axées sur la faune sauvage ont rapporté entre 300 millions et un milliard de $Z ces dernières années contribuant pour 2 à 5% au PIB (Muir, 1994).

Namibie

La Namibian Professional Hunting Association organise chaque année des safaris comprenant environ 1 500 clients accompagnés chacun par 1,75 observateur en moyenne. En 1991 il était estimé que 44 millions de R ont été encaissés au total sous forme de redevances sur les trophées, frais d'hôtel, billets d'avion et taxes sur l'exportation de trophées (Yaron et al., 1994).

Afrique du Sud

Le tourisme, qui se base en très grande partie sur la nature, représente la cinquième principale source de devises; en 1992 il a rapporté environ 2,5 milliards de rAS, soit quelque 800 millions de dollars, et assuré des emplois à 300 000 personnes (Koch, 1994).

Les activités fondées sur la faune sauvage, y compris le tourisme et la vente de trophées, de viande et d'animaux vivants, ont contribué pour environ 90% aux recettes en devises de la Tanzanie en 1989-91, le tourisme représentant le plus haut pourcentage du revenu national. Au total 9,6 millions de shT ont été tirés en 1991 de la viande de gibier et des trophées grâce aux opérations de la Tanzanian Wildlife Corporation (Chihongo, 1992). Le tourisme est la troisième source la plus importante de devises pour le Zimbabwe après l'exploitation minière et l'agriculture, et le pays dégage également un revenu considérable des safaris et de la vente d'animaux vivants et de trophées (tableau 3.2). Il est estimé que la flore et la faune sauvages ainsi que les panoramas sont le pivot de l'industrie touristique et que cette industrie est axée à 95% sur la nature (Campbell et Brigham, 1993). Le revenu brut tiré de la chasse sportive s'est accru régulièrement passant d'un peu plus de 2 millions de dollars EU en 1984 à 9,3 millions en 1990 quand il était estimé que les concessions de safaris sur les terres communautaires rapportaient à elles seules 3,8 millions de dollars (Cumming, 1990). Les familles locales bénéficient de ce revenu soit sous forme de dividendes payés directement aux ménages individuels (ce qui contribue au revenu familial et à l'accès aux aliments), soit grâce aux installations communautaires qui favorisent le développement et le bien-être général de la collectivité. En outre, les ménages bénéficient aussi directement de la viande obtenue par le biais des opérations d'élimination.

En 1990 le tourisme était la cinquième source la plus importante de devises pour l'Afrique du Sud (Koch, 1994). D'après une communication du gouvernement, plus de 90% des touristes étrangers se rendent dans ce pays en premier lieu pour jouir des panoramas, de la flore et de la faune. On estime que le tourisme étranger rapporte quelque 2,5 milliards de rAS (soit environ 800 millions de dollars EU) et assure des emplois à 300 000 personnes; autrement dit, par rapport aux autres secteurs, une personne sur 14 activement employées en Afrique du Sud travaille dans l'industrie du tourisme.

Encadré 6 LA FAUNE SAUVAGE, SOURCE DE REVENU FAMILIAL

Pays

La faune sauvage, source de revenu

Tanzanie

Les ailés de termites Macrotermes bellicosus et M. natalensis sont vendus rôtis sur les marchés ruraux de la Tanzanie et représentent une source de revenu pour les ménages (Chihongo 1992).

Zimbabwe

Les activités fondées sur la faune sauvage contribuent pour 60% au revenu familial à Angwa dans la vallée du Zambèze (Muir, 1994).

Cameroun

Le revenu annuel tiré de la chasse et des pièges aux alentours du parc national de Korup s'élève à environ 425 000 FCFA par chasseur et 56% du revenu villageois total lui sont imputables (Infield, 1988).

Tableau 3.1 Recettes en devises rapportées par le tourisme au Kenya (1977 - 1991) (Adapté de Byrne et al., 1993)

Année
Nbre total de visiteurs
Recettes par visiteur
Recettes totales
('000)
($EU)
(m de $EU)
1977
344
375
129
1985
477
501
239
1986
542
564
306
1987
587
605
355
1988
616
640
394
1989
696
603
420
1990

740

600
444
1991

727

458
333

Tableau 3.2 Valeur de la faune sauvage par rapport à celle du bétail au Zimbabwe (données relatives à 1991) (Sources Campbell et Bringham, 1993, Jansen et al.. 1992)

Produit*

Valeur (millions de $Z par an)**
Totale
Exportations
Bétail (grand secteur)
353
-

Bétail (petit secteur)

881
-
Boeuf (tous secteurs)
226
19

Peaux (tous secteurs)

-
16

Cuirs (tous secteurs)

 
15

Faune sauvage:

   

Chasse

45
45

Tourisme

500
300

Animaux vivants

6.2
petits

Viande, peaux

1
?

Autruches

20
20
* Chiffres pour le bétail, 1990; chiffres pour la faune sauvage, 1991.
** 1$EU = 0,40 $Z en 1990 and 0,29 $Z en 1991.

Plusieurs mesures novatrices ont été prises, notamment en Afrique australe et orientale, pour faire profiter les collectivités vivant aux alentours des parcs nationaux et d'autres aires protégées de certains avantages tirés du tourisme axé sur la faune sauvage. Ces mesures qui les encouragent à protéger les animaux consistent en taxes (par nuit et par lit) sur les hôtels, entreprises collectives de logement/campement touristiques, mise en valeur de terres communautaires et création d'exploitations collectives d'élevage extensif destinées au tourisme. Les recettes tirées de ces entreprises sont soit partagées entre les ménages soit investies dans des infrastructures communautaires telles qu'écoles, puits, dispensaires, etc. Tout comme dans de nombreuses parties d'Afrique, pendant longtemps le revenu tiré des ressources en faune sauvage de la zone d'aménagement de la faune sauvage du Bas Lupande (vallée de Luangwa, Zambie) était versé à la caisse centrale. Désormais, grâce à la création d'un fonds de roulement, les populations locales peuvent profiter du revenu dégagé de ces activités. En 1987, le revenu total tiré des safaris, de l'exploitation des hippopotames et d'autres activités connexes s'est élevé à 48 620 dollars EU dont 4 596 dollars ont été à des projets communautaires locaux. Les avantages pour les collectivités locales ont augmenté atteignant presque 40% en 1988-89. Sur le revenu total de 240 500 dollars réalisé au cours de cette période, 96 000 ont été affectés au développement local (Balakrishnan et Ndhlovu, 1992). Un certain nombre de ruraux ont également trouvé un emploi comme guides et dans des activités liées à la faune sauvage telles que les opérations d'élimination, les safaris et le tourisme.

3.1.2. Revenu provenant de la chasse

Autrefois les chasseurs africains chassaient pour nourrir leur famille. Aujourd'hui la plupart d'entre eux sont des chasseurs commerciaux et beaucoup préfèrent vendre leur gibier et acheter pour leur famille des denrées riches en protéines mais moins chères comme le poisson, utilisant l'argent restant pour satisfaire d'autres nécessités de base du ménage. La chasse se pratique librement dans les pays qui n'interdisent pas rigoureusement l'exploitation de la faune. Dans ceux qui imposent des restrictions, l'activité se fait clandestine et on n'a pas de statistiques sur les chasseurs ou les quantités de viande prélevées. Dans la plupart des pays africains, les données sur le nombre total de chasseurs sont absentes ou dépassées. En 1963 on signalait la présence de 26 770 chasseurs au Nigéria (Afolayan, 1980). Rares sont les personnes en Afrique aujourd'hui dont l'occupation se limite à la chasse; la plupart des chasseurs consacrent tout leur temps à des activités comme l'agriculture et l'artisanat, ne pratiquant la chasse qu'occasionnellement.

Les pygmées Kola du Sud du Cameroun sont un exemple de population qui tire tout son revenu en espèces de la faune sauvage. La principale occupation des pygmées est la chasse et, d'après l'étude, ils obtenaient de la vente de gibier un revenu similaire à celui des cultivateurs de cacao de la zone. L'argent servait à acheter des aliments, des boissons alcooliques et des articles manufacturés. Les Kolas étaient disposés à échanger avec leurs voisins de la viande de brousse contre des aliments riches en glucides (Wilkie, 1989; Garine, 1993). Même si l'échange lésait souvent les chasseurs (dans une étude réalisée sur le Cameroun, par exemple, un rat géant Cricetomys gambianus qui pouvait se vendre à 300 FCFA était échangé contre quatre baguettes de gâteau de manioc ne coûtant que 100 FCFA), il permettait d'échapper aux dangers de l'inflation (voir les études sur les Mbutis du Zaïre, Ichikawa, 1991, par exemple).

Infield (1988) a observé que la chasse était la seule source principale de revenu monétaire de la majorité des ménages villageois vivant aux alentours du parc national de Korup au Cameroun. Un chasseur moyen opérant pendant 16 jours par mois gagnait en moyenne 350 000 FCFA par an, chiffre qui représentait 38% du revenu total du village. Les recettes tirées de la pose de pièges étaient estimées à 75 000 FCFA et absorbaient environ 18% du revenu total du village.

D'après une enquête menée pendant 27 jours (du 7 janvier au 3 février 1976) sur les activités de chasse des agriculteurs de Sunyani dans la région de Brong-Ahafo au Ghana, 80 agriculteurs avaient vendu 2 840 kg de gibier à 3 849,40 cédis*. Il s'agissait d'un revenu journalier moyen tiré de la chasse à temps partiel de 1,78 cédi, somme comparable au salaire quotidien d'un employé du gouvernement (2,00 cédis) à l'époque (Asibey, 1977). La chasse est encore une occupation lucrative au Ghana et des marchés de viande de brousse sont actifs dans la plupart des grandes villes du pays. Au cours d'une étude menée récemment sur les aspects économiques d'une existence vécue auprès de la faune sauvage au Ghana, on a interrogé des chasseurs fournisseurs de viande au marché d'Atwemonom à Kumasi, région Ashanti, pour obtenir des informations sur leurs activités. Tous les chasseurs interviewés ont déclaré que la chasse n'était qu'une activité à temps partiel et qu'ils étaient principalement des agriculteurs, chauffeurs ou artisans. Ils consacraient à la chasse quelques heures par jour et en fin de semaine jusqu'à 11 heures, agissaient individuellement, chassaient au fusil ou posaient des pièges. Les coûts directs de chaque expédition de chasse étaient représentés par le fusil de chasse (appartenant souvent à une autre personne avec laquelle ils partageaient le gibier capturé), les munitions (de 180 à 200 cédis ** par cartouche), la lampe de chasse et le permis de chasse (ce chiffre variait entre 300,00 cédis pour un aulacode et 12 000,00 cédis pour le gros gibier). Les animaux chassés le plus fréquemment étaient les céphalophes de Maxwell, les guibs, les céphalophes noirs, les antilopes royales et les aulacodes, et le revenu moyen tiré de la chasse s'élevait à 9 850 cédis par semaine (tableau 3.3). Ce résultat dépassait de 40% les salaires d'employés du gouvernement travaillant à des niveaux comparables aux activités à temps plein des chasseurs interrogés. Outre le revenu direct tiré de la viande de brousse, la chasse assurait aussi un emploi et un revenu à tout un réseau d'autres personnes comprenant les aides, les porteurs et une chaîne de commerçants.
* 0,88 $EU = 1,00 ¢ en 1974
** 1 $EU = environ 700 ¢ en 1993

Tableau 3.3 Prélèvement et revenu moyens de chasseurs fournisseurs de viande au marché d'Atwemonom à Kumasi, Ghana (Source: Tutu et al. 1993)

 

Moyenne

Fourchette

Age du chasseur

33.75

23-70

Nombre d'expéditions par semaine

2.08

1-7

Durée des expéditions de chasse (heures)

4.42

1-11

Temps consacré à la chasse chaque semaine (heures)

8.69

1-35

Prélèvement moyen par expédition

1.29

1-4

Revenu tiré chaque semaine de la chasse (cédis)

9,850

1,500-27,000

Prix de vente des animaux prélevés (cédis)

 

 

Céphalophe de Maxwell

4,075

1,600-5,000

Céphalophe noir

9,167

8,500-10,000

Aulacode

2,750

1,500-4,000

Antilope royale

2,750

1,500-4,000

Guib

16,220

9,000-27,000

Autres

1,924

700-3,000

3.1.3 Commerce de la viande de brousse

Les animaux sauvages prélevés peuvent être consommés, vendus localement ou transportés jusqu'aux marchés urbains où ils sont écoulés à des prix plus élevés. Parmi les facteurs qui déterminent le choix des espèces vendues ou consommées figurent la taille de l'animal, les préjugés culturels, les préférences des consommateurs et la demande. Le tableau 3.4 donne le pourcentage de groupes d'animaux vendus ou utilisés d'après une étude sur le gibier menée dans le Nord-Est du Gabon (Lahm, 1993). Les rongeurs et les autres petits mammifères tendaient à être consommés sur place alors que le gibier plus intéressant et remunératif était vendu. On signale des pratiques similaires au Zaïre où on vendait 77,5% des ongulés tués par les chasseurs alors que 55,1 % des rongeurs et 57,1 % des primates étaient consommés dans les villages (Colyn et al., 1987).

On tendait dans le passé à utiliser sur place les petites espèces et à vendre le gros gibier. Toutefois, la conjugaison de divers facteurs incluant l'accroissement de la demande, la raréfaction des espèces et le besoin de revenus monétaires a fait infléchir cette tendance. C'est pourquoi des espèces comme les pangolins, les reptiles et les rongeurs consommés jadis par les familles des chasseurs, voire seulement par les enfants, empruntent désormais le chemin du marché.

Tableau 3.4 Pourcentage des groupes d'animaux sauvages vendus ou consommés dans les villages forestiers du Nord-Est du Gabon (Source Lahm, 1993)

Groupe d'animaux sauvages

Captures totales

Vente

Consommation

%

%

Pangolins

9

11

89

Reptiles

5

100

0

Rongeurs

35

63

37

Primates

47

40

60

Carnivores

12

67

33

Ongulés

146

66

34

Hormis des pays comme le Kenya et l'Afrique du Sud où la chasse est rigoureusement contrôlée, la viande de brousse se vend sur de nombreux marchés urbains et ruraux dans toute l'Afrique. Le commerce de la viande de brousse est particulièrement actif en Afrique de l'Ouest qui est aussi la zone où ce commerce est bien documenté (Asibey, 1977; Jeffery, 1977; Martin, 1983; Ntiamoa-Baidu, 1987). La viande de brousse coûte cher dans toute la région et dans de nombreuses zones elle est plus onéreuse que la viande d'animaux domestiques.

Depuis les années 1970, des études ont été réalisées en différentes périodes sur un grand nombre de marchés de viande de brousse au Ghana, notamment le marché de Kantamanto à Accra et celui d'Atwemonom à Kumasi (Asibey, 1977, Ntiamoa-Baidu, 1987, Falconer, 1992; Tutu et al, 1993, par exemple). A Kumasi, un commerce de viande de brousse bien organisé est souvent la principale source de revenu d'une chaîne de commerçants (des femmes, en particulier) comprenant des vendeurs de gros et des détaillants (Falconer, 1992; Tutu et al. 1993). Le commerce de la viande de brousse au marché d'Atwemonom est extrêmement bien structuré comme petite entreprise familiale transmise d'une génération à une autre; on trouve ici des commerçantes de la quatrième génération, c'est-à-dire que leurs mères, grand-mères et bisaïeules avaient elles aussi vendu de la viande de brousse (voir encadré 7). Le nom d'"Atwemonom" (Atwe = pluriel de céphalophe; mono = frais) signifie dans le langage Akan un endroit où l'on trouve de la viande de céphalophe fraîche.

Entre 1971 et 1986, auraient eu lieu sur le marché de Kantamanto des échanges annuels de l'ordre de 68 797 kg (de 19 750 à 105 003 kg) de carcasses fraîches provenant de 10 à 25 espèces d'animaux sauvages (tableau 3.5). Le tableau 3.6 fournit des données plus récentes sur le volume de viande de brousse fraîche et fumée entrant dans les marchés de Kumasi. En 1991 ont été enregistrés 13 884,6 kg de viande de brousse évalués à 9 251,759 cédis* sur une période de 27 jours. Ce chiffre comprenait 3 682 carcasses d'animaux appartenant à 31 espèces. Cependant les poids totaux signalés étaient des minima car a) les enquêteurs n'étaient pas tous au marché chaque jour ou pendant toute la Journée, et b) on ne connaissait pas les poids de certaines viandes séchées.

Tableau 3.5 Volume du commerce de la viande de brousse au marché de Kantamanto, Accra (1971 - 1986) (Sources: Asibey, 1974, 1982; Ntiamoa-Baidu, 1987; et données inédites)

Année

Nbre d'espèces

Poids total des carcasses (kg)

Valeur (cédis)*

1971

11

105,002.70

114,124.22

1972

11

73,364.05

87,477.48

1973

25

67,720.09

106,881.31

1974

23

77,633.03

147,861.91

1975

18

86,773.00

197,891.69

1976

16

73,525.07

264,869.80

1977

15

55,691.04

305,417.48

1978

16

67,539.06

710,900.74

1979

21

87,081.70

1,205,624.00

1980

10

19,750.00

448,897.00

1981

12

85,390.70

3,661,688.00

1982

12

75,666.09

5,312,492.00

1983

16

85,144.02

8,520,381.00

1984

15

51,872.07

10,057,385.00

1985

19

52,469.06

12,098,701.00

1986

17

36,130.05

50,558,521.00

* 1 $EU = ... cédis en 1991
* 1,02 $ EU = 1,00 ¢ en 1971; 1 $EU = 60 ¢ en 1986.

Tableau 3.6 Volume et valeur de la viande de brousse présente sur trois marchés à Kumasi * (sur une période de 27 jours entre avril et juin 1990) (Source Falconer, 1992).

Espèces

Nbre total

Poids total (kg)**

Valeur totale (cédis)

Oryctérope

18

32.4

41,004

Guib

211

3281.1

1,133,702

Buffle

135

284.4

241,492

Bubale

61

55.0

92,995

Cobe

108

274.1

247,480

Potamochère de l'Afrique

109

239.2

204,200

Cobe defassa

40

16.0

72,000

Phacochère

712

1654.5

1,894,278

Céphalophe noir

137

2379.7

862,800

Céphalophe couronné

76

176.7

203,905

Céphalophe de Grimm

9

23.5

20,700

Céphalophe de Maxwell

282

1744.1

826,718

Ourébie

99

282.0

270,235

Céphalophe aux flancs rouges

80

329.1

232,900

Antilope rouanne

205

192.0

353,297

Antilope royale

108

226.7

114,400

Papion

73

247.2

231,305

Guérézas

12

0.0

16,000

Cercopithèque mone

33

53.4

27,400

Pétauriste

3

12.4

5,400

Patas

22

49.1

32,300

Porc-épic à crête

13

48.8

50,645

Athérure à longue queue

74

237.4

135,300

Aulacode

961

1957.3

1,900,104

Rat géant

76

59.4

33,900

Ecureuil géant des forêts

6

6.8

1,500

Mangouste de Gambie

2

3.1

500

Ecureuil terrestre

8

9.1

2,800

Mangouste des marais

3

5.9

400

Lièvre du Togo

1

0.5

400

Francolin

5

3.7

1,700

TOTAL

3682

13884.6
9,251,759

* Marchés: Atwemonom, marché central et parc de camions de Kejetia
** Comprend aussi bien la viande fraîche que la viande fumée. Les chiffres sont des minima vu l'impossibilité de calculer certains poids pour la viande fumée.

Encadré 7 COMMERCE DE LA VIANDE DE BROUSSE, AU MARCHE D'ATWEMONOM A KUMASI, GHANA

Il existe à Kumasi trois marchés pour la viande de brousse: Atwemonom, Kejetia et le marché central. Le marché d'Atwemonom, ou ce commerce est particulièrement bien organisé, représentait d'après l'enquête le principal débouché pour la-viande de brousse fraîche alors que la majorité de la viande fumée était écoulée sur le marché central. On y traitait de 100 á 150 carcasses par jour pendant la période d'ouverture de la chasse (la période de fermeture allait du 1er août au 1er décembre pour la plupart des espèces d'animaux sauvages exploitées au Ghana). Le commerce de la viande de brousse dans ce marché avait été surveillé depuis les années 1970 sur différentes périodes. Il était dominé par les femmes qui opéraient en qualité soit de marchandes de gros approvisionnées directement par lés chasseurs soit de détaillants qui achetaient la viande auprès des marchandes de gros pour la revendre au détail aux consommateurs. Les quelques commerçants de sexe masculin étaient des gestionnaires de petits restaurants traditionnels qui achetaient aussi feux viande auprès des marchandes de gros. En revanche, tous les chasseurs qui fournissaient la viande au marché étaient des hommes.

Les marchandes de gros contrôlaient aussi bien les prix demandés par les chasseurs que les prix de détail. Chacune était approvisionnée régulièrement en viandé par un groupe de chasseurs. Souvent les femmes finançaient au préalable ces derniers qui étaient ainsi forcés de rembourser le prêt par de la viande et elles offraient également des conditions de crédit favorables aux détaillantes. Grâce à ce système, la marchande de gros était assurée d'avoir des disponibilités et des débouchés réguliers pour sa viande.

Les chasseurs au leurs émissaires remettaient normalement les carcasses aux marchandes de gros au marché mais, dans le passé, lorsque la chasse communautaire était légale et généralisée, les femmes suivaient les chasseurs en fin de semaine au cours d'expéditions collectives et achetaient le gibier directement dans la brousse. Si le chasseur apportait la viande au marché le coût du transport incombait à la marchande de gros. Les carcasses étaient vendues entières aux détaillantes et aux gestionnaires des restaurants traditionnels qui payaient pour la préparation puis découpaient la bête en morceaux de plus petite taille destinés à la vente au détail ou à la cuisson. Parfois, il était permis aux particuliers d'acheter de petits animaux, de la taille par exemple d'un céphalophe de Maxwell ou d'une taille inférieure, directement auprès de la marchande de gros pour l'autoconsommation, mais normalement la filière était la suivante: chasseur, marchande de gros, détaillante et consommateur. Les carcasses invendues à la fin de la journée étaient congelées et écoulées le lendemain ou fumées et vendues aux marchandes de viande fumée du marché central.

L'un des secteurs de ce commerce où prédominaient les hommes était la préparation de la viande. A Atwemonom, toutes les carcasses achetées étaient préparées en un point du marché par un groupe d'hommes spécialisés. La préparation comportait l'élimination de la peau (normalement par le feu), le nettoyage et l'éviscération. En 1992, le coût de la préparation des carcasses, qui variait en fonction de l'espèce ou selon que la carcasse était achetée par un détaillant régulier ou par un client pour l'autoconsommation, variait entre 400-800 cédis pour un guib, 200-500 cédis pour un céphalophe noir et 200 cédis pour un céphalophe de Maxwell, un aulacode, un athérure et d'autres petits animaux. Pour les carcasses achetées à titre individuel on payait de 100 à 200 cédis de plus pour cette opération.

Le commerce dé la viande de brousse à Kumasi met en évidence l'effet multiplicateur du revenu et de l'emploi dégagés des industries de la chasse. Le commerce était transmis aux générations successives et il était courant d'avoir affaire à des représentantes de deux ou trois générations de marchandes de viande de brousse. Le commerce représentait le principal moyen d'existence des commerçantes et de leurs familles qui se groupaient pour former une entreprise familiale ayant pour chef une femme aidée par ses enfants et ses petits-enfants.

En 1993, on a été tenté d'obtenir des statistiques plus complètes sur le volume du commerce de la faune sauvage passant au travers des marchés de Kantamanto et d'Atwemonom. Les observateurs se postaient dans les marchés tous les jours, de l'aube au crépuscule, pendant une semaine en mars et en mai pour prendre note des espèces, des poids et des prix d'achat et de vente au détail dé chaque animal arrivant sur le marché. On a enregistré la présence de 1 276 carcasses (742 à Kantamanto et 534 à Atwemonom) pesant approximativement 9 470 kg. Elles étaient achetées auprès des chasseurs aux prix de 3 177 164,00 et 2 891 250,00 cédis respectivement sur les deux marchés (tableaux 3.7 et 3.8). L'analyse des données a montré que la marge de profit des commerçants de viande de brousse de Kumasi variait entre 30 et 250% suivant les espèces et la taille des animaux concernés (figure 4).

A l'exclusion de la période de fermeture de la chasse (du 1er août au 1er décembre) où l'exploitation de la plupart des espèces est interdite et où les ventes se font dans la clandestinité, les chiffres relevés pendant la période d'une semaine en 1993 révélaient une production minimale de 331 261 kg/an de viande de brousse, estimée à 212 394,490 cédis et écoulée sur les deux marchés seulement. Une comparaison entre le volume, les poids et les prix des animaux passant habituellement par le marché de Kantamanto en 1974, 1985 et 1993 a montré ce qui suit:

  • la composition et le volume des différentes des espèces commercialisées variaient d'une année à l'autre;
  • le prix par animal de toutes les espèces s'était multiplié à plusieurs reprises;
  • aucune diminution n'était observée dans la taille des animaux prélevés;
  • le niveau général d'exploitation restait pratiquement inchangé.

Il en ressort que même si les populations d'animaux paraissent décroître dans la sous-région d'Afrique de l'Ouest, les chasseurs continuent à maintenir leurs niveaux d'approvisionnement et à satisfaire une demande de viande de brousse qui ne cesse de croître.

Fig. 4 Marge de profit réalisée par des marchandes de viande de brousse au marché d'Atwemonom, Kumasi (période de l'enquête: mai-juin 1993)

Tableau 3.7 Commerce de la viande de brousse au marché de Kantamanto, Accra, Ghana (pendant une semaine en mai 1993)

Espèce

Nbre. total

Poids total

Prix d'achat

Prix/Kg

Prix de détail

Prix/Kg

(Kg)

(¢)

(¢)

Aulacode

413

1,658

1,718,119

1,036

2,434,275

1,468

Céphalophe de Maxwell

129

790

579,188

733

804,204

1,018

Antilope royale

90

160

147,272

920

225,900

1,412

Guib

27

815

402,616

494

585,469

719

Céphalophe noir

23

358

249,869

698

325,403

908

Rat géant

19

22

9,100

587

27,600

1,238

Genette commune

10

18

5,100

345

15,500

861

Athérure à longue queue

7

20

16,200

814

23,800

1,196

Pétauriste

6

14

7,500

521

13,700

951

Civette

5

42

11,000

470

30,000

708

Céphalophe à flancs roux

5

34

26,000

769

34,900

1,033

Rat palmiste

3

2

1,200

667

3,000

1,667

Francolin

2

1

700

1,000

1,400

2,000

Genette pardine

1

1

1,000

833

1,500

1,250

Cercopithèque mone

1

4

2,000

571

3,000

857

Ecureuil des palmiers

1

1

300

300

1,000

1,000

Total

742

3,940

3,177,164

 

4,530,651

 

Tableau 3.8 Commerce de la viande de brousse au marché d'Atwemonom, Kumasi, Ghana (pendant une semaine en mars 1993)

Espèce

Nbre. total

Poids total

Prix d'achat

Prix/Kg

Prix de détail

Prix/Kg

(Kg)

(¢)

(¢)

Aulacode

140

588

476,822

554

747,703

1,271

Céphalophe de Maxwell

118

869

537,100

642

745,000

1,045

Guib

66

2,636

1,038,500

401

861,000

563

Athérure à longue queue

61

193

138,900

732

252,000

1,459

Céphalophe noir

59

1,097

600,000

547

588,500

802

Antilope royale

42

96

67,628

707

130,524

1,365

Rat géant

23

24

12,200

504

17,000

983

Francolin

14

7

5,900

843

13,000

1,857

Cercopithèque mone

2

5

3,500

700

6,500

1,300

Genette pardine

1

2

1,000

625

2,000

1,250

Pangolin d'arbre

2

2

1,500

937

-

-

Mangouste naine

3

3

1,200

461

-

-

Civette

1

 

5,500

 

-

-

Ecureuil volant de Pel

2

3

1,500

937

-

-

Total

534

5,525

2,891,250

 

3,363,227

 

3.1.4 Trophées, cuirs et peaux

Si l'on exclut la viande de brousse, les animaux contribuent aux économies locales grâce aux recettes tirées de la vente de leurs sous-produits tels que cuirs, peaux, os, coquilles et cornes, encore qu'on ne possède pour aucun pays africain d'informations exactes sur le revenu qui revient aux collectivités locales de la commercialisation de ces produits. Une valeur plus élevée est attribuée à certaines espèces d'animaux sauvages à cause des trophées qu'ils produisent (éléphants et rhinocéros) ou de leurs peaux (carnivores, reptiles). Des produits comme l'ivoire et la corne de rhinocéros ont une valeur intrinsèque et les gens continueront à rechercher ces articles et à payer des prix élevés pour les ornements qui en sont tirés même quand il existe des produits de substitution. Le prix de l'ivoire est passé de 5$ le kg dans les années 1960 à 70$ au milieu des années 1970 et à 150$ au début des années 1980 (PNUE, 1989). Grâce à cette forte augmentation, l'ivoire est devenu une forme de monnaie à laquelle recourent les gros industriels pour exporter leur argent hors d'Afrique. La baisse draconienne des populations d'éléphants a été attribuée principalement au braconnage et au commerce illégal de l'ivoire. Jusqu'à ce qu'on ait frappé d'interdit le commerce international de l'ivoire africain, l'essentiel de sa production sur le continent était le fait du Zaïre, du Kenya, de l'Ouganda, de la Tanzanie, du Soudan, du Congo et de l'Afrique du Sud.

Les cuirs et les peaux peuvent être utilisés localement pour la fabrication d'articles d'habillement comme les chaussures, les sacs, les ceintures et les chapeaux ou être vendus sur les marchés citadins, ou encore exportés pour la manufacture de produits en cuir plus raffinés. Les peaux d'autruche et de crocodile ont une valeur élevée et servent à fabriquer des articles de fantaisie en cuir de haute qualité. Les peaux d'autres reptiles comme les pythons et les lézards sont aussi très recherchées. Avec les os et les cornes d'animaux sauvages, les artisans locaux fabriquent divers objets qu'ils vendent pour accroître le revenu familial.

3.1.5 Commerce d'animaux vivants

La demande d'animaux sauvages vivants vient de l'industrie des animaux familiers, des jardins zoologiques et des programmes de recherche biomédicale. Diverses espèces d'oiseaux, comprenant des perroquets, des touracos et des roselins, ainsi que des reptiles et des singes sont vendus comme animaux familiers localement ou sur les marchés d'exportation. On trouve des données dans plusieurs pays africains sur les exportations d'animaux sauvages du fait des permis exigés pour leur exportation. Il s'agit, cependant, de sous-estimations car elles ne tiennent compte que des animaux exportés légalement. Les statistiques sur les exportations d'animaux sauvages du Ghana entre 1989 et 1994 montrent que les reptiles constituent l'essentiel du commerce d'exportation, avec le python royal en tête de liste suivi du varan de terre, des tortues et des agames (tableau 3.9). Le nombre total d'animaux exportés et leur valeur variaient d'une année à l'autre, atteignant en moyenne 50 500 spécimens estimés à environ 140 000 $EU. Par rapport aux statistiques sur les exportations d'animaux sauvages des années précédentes, le volume a fléchi considérablement au cours des 10 dernières années. Ce fait est imputable à l'interdiction nationale qui frappe l'exploitation du perroquet gris du Gabon Psittacus erithacus depuis 1986. Avant l'interdiction, les perroquets gris représentaient la majorité des animaux vivants exportés hors du pays. C'est ainsi qu'en 1985, 9 580 perroquets gris du Gabon ont été vendus à l'étranger pour une valeur de 287 400 $EU, soit environ 46% de l'ensemble des animaux exportés et 84% du revenu total dégagé des exportations (Ntiamoa-Baidu, 1987). L'expérience prouve qu'il s'agit là d'un commerce lucratif mais que l'essentiel des gains vont aux intermédiaires et aux agents de commerce internationaux et très peu à la population locale qui prélève les animaux.

Tableau 3.9 Nombre et valeur ($EU) d'importantes espèces animales sauvages exportées vivantes par le Ghana (Source: Statistiques du Département de la faune sauvage)

Espèce

1990

1991

1992

1993

1994

1995

Nombre

Valeur

Nombre

Valeur

Nombre

Valeur

Nombre

Valeur

Nombre

Valeur

Nombre

Valeur

Touraco vert

190

1,425

194

1,552

 

 

 

 

15

113

110

825

Musophage violet

7

53

18

144

4

32

 

 

10

75

25

188

Colombes

200

200

1,230

2,214

190

342

 

 

 

 

865

1,557

Roselins et canaris

751

263

1,380

701

640

412

4

1

0

0

334

189

Python royal

13,418

67,090

12,647

63,235

21,863

109,315

28,723

143,615

18,614

93,070

22,669

113,345

Python de Seba

1,990

9,950

629

3,145

1,306

6,530

658

 

665

3,325

385

1,925

Calabaria

115

431

348

1,305

486

1,944

100

160

161

258

333

533

Agames

3,519

6,334

71,332

12,838

7,861

14,150

6,900

12,420

8,153

275

11,992

21,586

Vipères

15

105

16

150

24

226

46

368

71

568

12

96

Vipère rhinocéros

23

230

46

460

73

1,022

223

1,784

239

1,912

110

880

Cobra noir

11

77

5

55

37

407

112

 

 

 

 

 

Vipère du Gabon

27

270

236

2,360

156

 

353

2,824

356

2,848

204

1,632

Agames

3,567

3,924

4,490

4,939

3,640

4,004

5,815

6,397

3,970

4,367

4,305

4,736

Scinques

2,265

2,492

4,007

4,408

4,215

4,637

5,240

5,764

6,565

7,221

8,560

9,416

Tarente de Mauritanie

530

292

2,355

2,120

1,051

946

1,250

1,125

790

711

1,160

1,044

Oedura marmorata

1,004

904

902

722

729

583

1,891

1,702

1,406

1,265

1,259

1,133

Caméléon

2,442

2,686

2,689

2,958

2,213

24,343

2,144

2,358

1,406

1,547

1,577

1,735

Tortues

3,071

11,363

2,515

9,305

1,370

5,069

969

3,682

1,257

4,777

1,157

4,397

Tortues pélomédusides

1,490

4,172

1,108

3,102

3,656

10,237

1,775

1,775

605

605

1,326

1,326

Tortue du Gabon

420

1,176

260

728

245

686

235

235

515

515

745

745

Hylidé arboricole

490

137

895

251

670

188

990

2,772

580

162

1,150

322

Scorpions

6,139

6,752

9,647

10,612

14,205

15,625

7,845

8,630

13,367

14,704

20,626

22,689

Mille-pieds

1,139

626

1,870

1,029

2,076

1,142

1,570

785

1,340

670

840

420

Patas

141

2,538

36

648

20

360

12

216

59

1,062

31

558

Singe vert

1

18

22

396

20

360

 

 

 

 

 

 

Pétauriste

109

1,962

41

738

163

2,934

86

1,548

120

2,160

101

1,818

Myriapodes

38

684

31

558

78

1,404

29

522

51

918

73

1,314

Tryonichidés

50

140

225

714

25

70

4

112

 

 

34

95

Crapaud

705

197

770

216

530

148

1,500

420

250

70

550

154

Hémidactyle

1,150

1,035

300

270

750

 

150

 

 

 

 

 

Mante religieuse

250

50

1,300

260

1,120

224

1,249

625

1,310

655

1,030

515

Grenouilles

1,100

308

1,100

308

2,544

713

2,505

701

2,305

645

2,115

5,103

Valeur totale

 

127,884

 

132,441

 

208,053

   

 

144,497

 

200,274

3.2 LA FAUNE SAUVAGE ET LA SANTE

La capacité d'un individu d'accéder aux aliments lorsqu'ils sont disponibles et de les consommer pour que son organisme puisse les métaboliser et les assimiler en vue de leur utilisation dans divers processus physiologiques dépend de son état de santé physique, spirituelle et mentale. Le rôle que jouent les animaux sauvages et les produits dérivés dans la santé humaine en Afrique est, dès lors, une composante importante de l'ensemble des. questions touchant la sécurité alimentaire des ménages africains. A part la contribution directe des ressources en faune au bien-être nutritionnel, l'utilisation rationnelle des médicaments traditionnels permet de réduire les dépenses affectées aux soins médicaux et consent à la famille de destiner l'argent économisé à l'achat d'aliments et d'articles de première nécessité.

3.2.1 Santé spirituelle

En Afrique, on attribue à de nombreux animaux sauvages des valeurs spirituelles et culturelles (de Vos 1978, Ntiamoa-Baidu, 1987; 1992; 1995; Sanagho, 1991; Adeola 1992). Ces animaux sont souvent considérés comme sacrés et inspirent du respect ou de la crainte, et il pourrait être défendu de les toucher ou de les tuer en raison d'interdits religieux ou culturels. Les animaux sauvages ayant une importance spirituelle et culturelle peuvent être groupés en trois grandes catégories (Ntiamoa-Baidu, 1995):

Espèces totem: animaux/plantes considérés comme des symboles d'une relation existante, intime et invisible; on leur témoigne du respect et on leur attribue un caractère sacré. Ils ne peuvent être tués ni consommés.

Espèces taboues: a) animaux/plantes considérés comme sacrés parce qu'ils auraient dans le passé protégé, guidé et aidé les ancêtres; et b) animaux considérés comme impurs et abhorrés pour avoir été associés dans le passé à quelque infortune. Dans les deux cas il pourrait être interdit de les abattre, de les consommer, voire de les toucher. Chez les Akans du Ghana, la tradition est transmise par la branche masculine de la famille.

Espèces utilisées lors de rites et/ou de cérémonies: ces animaux jouent un rôle dans certains rites et festivals culturels spécifiques soit au cours des cérémonies soit dans la préparation des mets qui les accompagnent.

Les animaux sauvages associés au Ghana à des croyances spirituelles ou culturelles comprennent le léopard (totem du clan Bretuo des Akans), le buffle (totem du clan Ekoona), le perroquet gris (totem du clan Agona) et le grand calibé (totem du clan Asona). Dans de nombreux cas, ces croyances sont si fortes que leurs effets sur un individu qui brise un tabou et n'est pas en mesure d'accomplir les rites de purification/pacification imposés peuvent se traduire en une maladie mentale ou physique.

3.2.2 Santé physique et mentale

Le secteur des soins de santé représente aujourd'hui en Afrique un domaine prioritaire mais grevé de problèmes. Les structures sanitaires sont rarement adéquates et un nombre considérable de personnes vivant en zone rurale se soignent à l'aide de médicaments traditionnels. Ces médicaments et les principaux ingrédients utilisés par les guérisseurs sont tirés d'espèces animales et végétales sauvages. Il s'agit d'une pratique très répandue et nombreux sont les éventaires offrant des plantes et des parties d'animal comme médicaments dans les marchés ruraux et urbains de maintes villes africaines. Un grand nombre d'espèces animales sauvages ainsi que les produits qui en dérivent, utilisés séparément ou en combinaison avec des herbes, sont à la base des médicaments dont se servent les guérisseurs traditionnels. Les parties d'animaux consistent en viande, poils, peau, queue, os, dents, graisse, glandes et excréments vendus sous forme de granulés et servent à traiter une vaste panoplie de maladies physiques et mentales ainsi que de troubles propres aux femmes enceintes.

La liste des animaux sauvages que l'on estime avoir des vertus thérapeutiques est longue. Maliehe (1993) mentionne le lièvre d'Afrique du Sud Lepus saxatilis; le lièvre du Cap L. capensis, le porc-épic Hystrix africae australis, le putois et le pangolin Manis temminckii parmi les animaux dont certaines parties du corps entrent dans la composition des médicaments traditionnels en Afrique du Sud. Le pangolin est jugé particulièrement efficace par la tribu Lobedu dans le Nord-Est du Transvaal. Adeola (1992) a relevé au Nigéria 23 espèces d'animaux sauvages, dont 16 mammifères, six reptiles et un oiseau, aux vertus curatives et préventives (tableau 3.10). Trente-quatre autres espèces étaient utilisées dans le traitement de la stérilité et 33 de l'impuissance ou comme substances aphrodisiaques. Les médicaments traditionnels auxquels recouraient les collectivités vivant aux alentours des parcs nationaux forestiers du Ghana consistaient soit en animaux entiers soit en parties d'animaux, sans compter les excréments de 26 espèces sauvages (Ntiamoa-Baidu, 1992; tableau 3.11).

Il est parfois estimé qu'une certaine espèce ou ses parties spécifiques ont le pouvoir de guérir plusieurs maladies; c'est ainsi que la graisse extraite du python et du lamantin sert à soigner les rhumatismes, les furoncles et les douleurs lombaires, que les huiles tirées de la tortue luth sont indiquées dans le traitement de l'infarctus, de la fièvre, des douleurs corporelles en général, des maladies de la peau et de la constipation alors que les déjections d'éléphant contribueraient à guérir au moins cinq différents troubles. Dans le cas de l'escargot géant, toutes les parties du corps y compris la coquille, la chair et les humeurs servent à soigner un grand nombre de maladies parmi lesquelles l'hypertension, l'anémie et les convulsions infantiles (tableau 3.12).

Tableau 3.10 Animaux sauvages utilisés dans la médecine curative et préventive par les agriculteurs nigériens. (Adapté d'Adeola, 1992)

Espèce

Partie exploitée

Utilisation

MAMMIFERES

Céphalophe de Grimm

Intestin

Traitement des maux d’estomac

Buffle

Os

Traitement préventif des vomissements

Guib

Tête

Composante de remèdes contre la lèpre

Cobe defassa

Peau et placenta

Traitement préventif de la maladie du sommeil

Léopard

Peau

Substance antivenimeuse contre les morsures de serpent

Civette

Anus

Traitement préventif des convulsions

Hyène

Os

Préparations pour invoquer les sorcières

Mangouste

Anus

Préparations contre le mauvais oeil et les sorcières

Gorille

Pénis

Substance antivenimeuse

Patas

Crâne

Traitement de la coqueluche

Ecureuil

Poils

Substance antivenimeuse

Animal entier

Traitement préventif des convulsions

Porc-épic

Intestin

Traitement des maux d’estomac

Pangolin

Tête

Arrêt des hémorragies

Oryctérope

Os

Traitement des douleurs lombaires

Phacochère

Pattes

Traitement préventif de la claudication

OISEAUX

Francolin

Os

Traitement de la déambulation retardée chez les enfants

REPTILES

Tortue

Animal entier

Traitement des douleurs de la poitrine

Crocodile

Intestin

Substance antivenimeuse

Vipère hébraïque

Intestin

Traitement préventif de l’adultère chez la femme

Python

Os

Traitement des douleurs lombaires et des troubles de la colonne vertébrale

Graisse

Traitement des rhumatismes

Graisse

Traitement des fractures d’os et d’articulations

Tableau 3.11 Utilisation d'animaux sauvages à des fins thérapeutiques par les collectivités vivant dans les parcs forestiers nationaux du Sud-Ouest du Ghana. (Source: Ntiamoa-Baidu, 1992)

Espèce

Partie utilisée

Maladie/condition

Mode d’application

Civette

Fèces

Gonorrhée

Utilisées avec du poivre comme lavement

 

Chéloïdes

Enduites sur la partie malade

 

Mauvaise odeur corporelle

Mélangées au beurre de karité et enduites sur le corps

Glande anale

Acquisition de pouvoirs spirituels

Enduite sur le corps pour chasser les mauvais esprits

Léopard

Peau

Convulsions

Portée ecomme talisman autour de la taille

 

Kwashiorkor

Portée comme talisman autour du cou

 

Faiblesse physique générale

Utilisée avec des herbes comme onguent pour le corps

Os

Faiblesse infantile

Ajouté à l’eau du bain

Lion

Peau

Convulsions

Portée comme talisman autour de la taille

 

Faiblesse infantile

Ajoutée à l’eau du bain

 

Acquisition de la capacité de disparaître

Portée comme talisman

Ratel

Os, peau et poils

Acquisition de pouvoirs spirituels

Brûlés, mélangés à des herbes et enduits sur le corps pour fortifier les chasseurs

Os

Faiblesse infantile

Ajoutés à l’eau du bain

Mangouste

Fèces

Stérilité

Mélangées à des herbes et utilisées comme onguent pour le corps

 

Acquisition de pouvoirs spirituels

Mélangées à des herbes et utilisées comme onguent pour le corps

Chimpanzé

Os

Douleurs abdominales

Moulus et saupoudrés sur les aliments

Guérézas

Viande

Purification et fortification des veufs/veuves

Mélangée à la nourriture

Fèces

Renforcement spirituel après la naissance du dixième enfant

Mélangées à des herbes et utilisées comme onguent pour le corps

 

Fausse couche

Mélangées à des herbes et utilisées comme lavement

Colobe de van Beneden

Poils

Maladies infantiles associées à la fréquence des couches

Utilisés comme talisman

Colobe bai

Peau

Contusions et irritations de la peau chez les nouveaux-nés

Utilisée comme enveloppe de médicaments servant de talisman

Potto de Bosman

Poils

Brûlures

Mélangés à du miel et enduits sur les brûlures

Céphalophe de Maxwell

Sabots

Soins destinés aux femmes enceintes

Mélangés à des herbes dans la soupe de noix de palme

Viande

Purification et fortification

Utilisée dans l’alimentation

Peau et cornes

Acquisition de pouvoirs magiques favorisant la capture des voleurs

Utilisés dans l’alimentation

Céphalophe noir

Corne

Acquisition de pouvoirs magiques favorisant la capture des voleurs

Associée à des incantations pour capturer les voleurs

Antilope royale

 

 

Cervelle

Acquisition de pouvoirs magiques favorisant la capture des voleurs

Utilisée avec des herbes

 

Maladies provoquées par les mauvais esprits

Utilisée avec des herbes

Cornes

Maladies infantiles associées à la fréquence des couches

Utilisées comme talisman

Guib

Peau

Douleurs corporelles

Utilisée dans les onguents

Eléphant

Excréments

Maladies infantiles associées à la fréquence des couches

Utilisés comme lavement ou enduits sur le corps de l’enfant malade

 

Fractures, oedèmes, éléphantiasis

Mélangés à des herbes et enduits sur la partie malade

Molaires

Maux de dent

Bouillies dans de l'eau utilisée ensuite comme eau dentifrice

Rat géant

Tête

Amélioration de la fertilité

Ajoutée avec des herbes aux aliments pour stimuler la grossesse

Rat palmiste

Fèces

Elimination d'épines

Appliquées sur la piqûre

Pangolin d'arbre

Ecailles

Toux

Brûlées, moulues et ajoutées aux ragoûts/potages

Athérure à longue queue

Contenu de l'estomac

Abcès du sein

Séché , mélangé à de l'écorce d'arbre moulue et enduit sur le sein

Aulacode

Fèces

Amaigrissement chez les enfants

Utilisées comme lavement

Tortues

Testicules

Bégaiement chez les enfants

-

Crocodile

Bile

Intoxication

-

Serpent (vipères)

Tête

Morsures de serpent

Moulue avec des herbes et appliquée sur la morsure

Python de Seba

Graisse

Enflures

Enduite sur la partie malade

 

Rhumatismes

Enduite sur la partie malade

Os

Elimination d'épines

Frottés sur la piqûre

Caméléon

Animal entier

Soins à donner aux femmes enceintes

Utilisé avec des herbes comme lavement

 

Maladies des nouveaux-nés

Porté comme talisman autour du poignet

 

Convulsions

Mélangé à des herbe et enduit sur le cops

Poissons du genre Clarias sp.

Tête

Amélioration de la fertilité

Ajoutés avec des herbes aux aliments pour stimuler la grossesse

Tableau 3.12 Utilisation médicinale de l'escargot géant par les collectivités rurales du Nigéria (Adapté d'Osemeobo, 1992)

Partie de l’escargot utilisée

Nombre de personnes enquêtées

Préparation

Utilisation

Viande

180

Potage

Traitement de l’hypertension

 

 

Neutralisation de l’agression

 

 

Malformation de la structure osseuse

 

 

Aide à l’accouchement

 

 

Alimentation des mères allaitantes

 

 

Traitement de l’anémie

 

 

Traitement des convulsions

Humeurs

179

Potage

Arrêt des hémorragies consécutives à des coupures

 

 

Traitement de l’amputation des doigts

 

 

Traitement des troubles oculaires

 

 

Circoncision des jeunes garçons

 

 

Guérison de la petite vérole

Coquille

150

 

Traitement des rhumatismes

 

 

Enveloppe pour talismans contre les douleurs corporelles

 

 

Enveloppe pour talismans servant à forcer les gens à agir contre leur gré

La médecine traditionnelle se fonde sur des années d'expérience acquise par la pratique et le savoir local transmis d'une génération à l'autre. On ne sait pas à l'heure actuelle quel pourcentage de la population africaine fait appel à cette forme de soins de santé et aucun essai n'a été mené pour quantifier au plan monétaire la valeur et les vertus thérapeutiques de la faune sauvage et des produits dérivés. La popularité des guérisseurs et des médicaments traditionnels peut être motivée par un certain nombre de facteurs parmi lesquels:

a) La confiance dans le système: la croyance dans la médecine traditionnelle est encore très ancrée dans les zones rurales de l'Afrique et certaines personnes sont convaincues que, pour traiter certaines maladies, ces médicaments sont meilleurs et plus efficaces que les produits modernes.

b) Les contraintes financières: les guérisseurs et les médicaments traditionnels coûtent beaucoup moins cher que les médecins et les produits pharmaceutiques modernes et, dans de nombreux cas, les vertus curatives de certaines espèces sauvages sont bien connues et permettent de pratiquer régulièrement l'autotraitement.

c) Accessibilité: il est facile de faire appel aux guérisseurs traditionnels et on les trouve dans des zones reculées dépourvues de structures hospitalières. Au Zimbabwe il est estimé que le rapport entre guérisseurs traditionnels et population est de 1:234 dans les zones urbaines et de 1:956 en zone rurale. Le rapport estimé pour l'ensemble du continent est de 1:200 contre 1:100 000 pour les médecins formés à l'étranger (Makombe, 1994).

N'ayant pas été étudiée et prouvée scientifiquement, l'efficacité de la plupart des médicaments tirés d'animaux sauvages ou de leurs parties prêterait, dans de nombreux cas, à contestation. Dans certaines situations il est facile de comprendre pourquoi les gens croient dans les vertus thérapeutiques de certaines préparations, telles que les granulés de matières fécales d'animaux qui se nourrissent d'espèces végétales connues pour leurs propriétés médicinales. Dans d'autres (les pouvoirs spirituels et la vigueur conférés par les os de maintes espèces carnivoires et du caméléon, par exemple) il est difficile d'attribuer à ces croyances une base scientifique. On pourrait peut-être les relier aux mythes et à la crainte qui entourent ces animaux en Afrique rurale où le lion est associé à la force et à la férocité alors que l'aptitude du caméléon à changer de couleur est imputée à des pouvoirs magiques. Ce qui importe c'est que ceux qui utilisent les médicaments traditionnels par goût ou par nécessité croient en leur efficacité et continuent à s'en servir pendant encore longtemps. Grâce à ces médicaments bon marché et accessibles, l'argent qui aurait été autrement servi à financer des soins médicaux peut être destiné à l'achat d'aliments et d'autres articles domestiques indispensables. La croyance bien ancrée dans l'efficacité des médicaments traditionnels tirés de la faune sauvage est un encouragement à la conserver et à en accroître la production.

Certaines espèces d'animaux sauvages tels que les primates contribuent aussi aux soins de santé grâce à leur utilisation dans la recherche biomédicale. Les gorilles ont été intensément exploités dans certaines parties d'Afrique pour obtenir des spécimens à destiner aux centres de recherche à l'étranger ainsi qu'au peuplement des jardins zoologiques (Pi, 1981, par exemple). D'autres animaux sauvages fournissent des ingrédients précieux qui entrent dans la composition de médicaments modernes. Le venin de serpent est très recherché pour ses vertus thérapeutiques: les substances antocoagulantes qu'il renferne servent à traiter l'hémophilie et avec la neurotoxine on fabrique des sédatifs et analgésiques.

3.3 LA FAUNE SAUVAGE, LA FORESTERIE ET L'AGRICULTURE

Les animaux sauvages exercent des influences notables sur les systèmes de production alimentaire, influences qui pourraient se révéler aussi bien bénéfiques que nocives. Parmi les premières on peut citer leur rôle de disséminateurs de graines et d'agents de pollinisation ainsi que le pouvoir fertilisant de leurs déjections. Les excréments de nombreux oiseaux et de mammifères comme les chauves-souris, les singes, les papions et les écureuils qui se nourrissent de fruits contribuent à la multiplication des arbres fruitiers. D'après une étude. réalisée en Côte d'Ivoire, dans les lieux où les éléphants avaient disparu depuis longtemps on ne trouvait plus de plants de certaines espèces forestières qu'ils ont coutume de disséminer (Alexandre, 1978).

Du côté des aspects négatifs, certaines espèces d'animaux sauvages sont connues pour leur rôle de réservoir ou d'hôte de passage de parasites et d'agents pathogènes transmissibles à l'homme et à son bétail. D'autres espèces d'animaux sauvages comprenant aussi bien des vertébrés que des invertébrés causent la destruction des cultures vivrières et de cultures de rapport aussi bien durant la période de végétation que pendant l'entreposage des récoltes. Les dommages causés par les vertébrés sont le fait d'une large gamme d'espèces sauvages et affectent un grand nombre de cultures (tableau 3.13). Les activités des ravageurs résultent souvent en pertes directes, à savoir la destruction proprement dite de la plante due à la voracité du ravageur ou à la contamination, ou en pertes indirectes déterminées par les dommages causés aux systèmes et au matériel de production. Parmi les principaux ravageurs vertébrés responsables de dégâts provoqués aux cultures en Afrique figure une gamme étendue de rongeurs et d'oiseaux (voir Ward, 1979; Elliot, 1979; Taylor, 1984; Ntiamoa-Baidu, 1988; 1989 (a); (b); Elias, 1988).

Les oiseaux, souvent au nombre de millions, peuvent nuire gravement aux cultures céréalières. Les espèces qui causent le plus de dommages à l'agriculture en Afrique sont les tisserins (Ploceidae), les oiseaux d'eau (Anatidae), les perroquets (Psittacidae) et les oiseaux granivoires (Fringillidae), et les cultures les plus menacées sont le riz, le maïs, le sorgho et le palmier à huile. S'il est vrai que les principales pertes sont dues aux espèces qui se nourrissent de ces cultures en période de végétation, les entrepôts sont aussi victimes d'oiseaux granivores et des infections qu'ils propagent quand ils sont au repos. Le travailleur à bec rouge Quelea quelea est le plus important des oiseaux granivores d'Afrique. L'aire de distribution de l'espèce s'étend sur 20% des terres émergées du continent et son activité compromet la production alimentaire de quelque 25 pays.

Il est estimé que les pertes céréalières annuelles imputables au travailleur à bec rouge vont d'un million de dollars en Somalie à 6,3 millions au Soudan (Elias, 1988). Parmi les autres tisserins qui causent souvent aux céréales des dégâts saisonniers mais graves on peut citer le travailleur à tête rouge Quelea erythops, l'ignicolore Euplectes orix et le tisserin taha E. afra. Ntiamoa-Baidu (1989) signale la destruction de rizières entières due essentiellement à ces trois espèces au Nord du Ghana. Une fois que les oiseaux ont trouvé un lieu où la nourriture est abondante, leur nombre atteint très vite plusieurs milliers d'individus et des champs entiers sont rapidement ravagés. La population d'oiseaux étudiée dans un dortoir au Nord du Ghana était passée de 85 000 individus fin avril au moment de leur arrivée dans la zone à plus de 400 000 en un seul mois.

Tableau 3.13 Principaux ravageurs vertébrés d'Afrique. (Adapté de Taylor, 1984; Ntiamoa-Baidu, 1988)

Espèce

Dommage

Habitat

Zones touchées

Ravageurs habituels des céréales

Travailleur à tête rouge Quelea quelea

Céréales a petits grains

Savane

O,E,S

Mastomys natalensis

Toutes les céréales, le coton, l’arachide

Savane, forêt

O,E, S

Arvicanthis niloticus

La plupart des céréales, le coton, la canne à sucre

Savane

O, E, Vallée du Nil jusqu’en Egypte

Ravageurs agricoles locaux

Tisserin gendarme Ploceus cucullatus

Céréales

Forêt, savane

O,S

Passer hispaniolensis

Céréales

Zones cultivées

N

Travailleur à tête rouge Quelea erythrops

Céréales

Zones humides, savane, herbages

O

Meriones spp.

Céréales, arachides

Zones sablonneuses

N

Rat géant Cricetomys sp.

Cacaoyer, palmier à huile

Forêt

O

Ecureuils Oenomys, Stochomys, Funisciurus spp.

Cacaoyer, palmier à huile

Forêt

O

Gerbils Gerbillus, Tatera, Taterillus spp.

Céréales, arachides

Semi-désert, savane

O,N,E,S

Mulot rayé Rhabdomys pumilio

Céréales, résineux

Montagnes

E,S

Aulacode Thryonomys swinderianus

Riz, maïs, canne à sucre, manioc

Forêt

O,E,S

Ravageurs urbains et péri-domestiques

Moineau domestique Passer domesticus

Céréales

Zones construites et agricoles

N,O,E,S

Rat commun Rattus rattus

Récoltes engrangées et cultures en croissance

Ports, villes, fermes, champs irrigués

N,O,E,S

Rat surmulot Rattus norvegicus

Récoltes engrangées et produits manufacturés

Ports, villes

N,O,E,S

Les cultures détruites par les rongeurs comprennent le riz, le maïs, le sorgho, le mil, le blé, le cacaoyer, le palmier à huile et le cocotier. Le rongeur entame la tige et la fermentation qui s'ensuit en réduit la teneur en sucre au point de la rendre souvent entièrement inutilisable. L'action des rongeurs ne s'arrête pas aux cultures de plein champ; ils peuvent causer des dégâts considérables aussi aux produits emmagasinés.

Une large gamme de mammifères tels que les chauves-souris, les papions, les singes et les éléphants peuvent aussi occasionner localement d'importants dommages aux cultures vivrières telles que plantains, bananes et taros ainsi qu'aux plantations de cacaoyers et de palmiers à huile. Bell (1984) signale que dans la zone de Lilongwe au Malawi, les ravages étaient le fait principalement des éléphants, des potamochères, des papions, des vervets Cercopithecus aethiops, des élands Taurotragus oryx et des koudous Tragelaphus strepsiceros, les éléphants et les potamochères étant responsables de 80% de l'ensemble des dommages. En Zambie, les principaux ravageurs sauvages étaient les potamochères, les singes, les papions, les éléphants, les hippopotames et les porcs-épics Hystrix cristata (tableau 3.14).

Tableau 3.14 Animaux sauvages nuisibles dans la zone d'aménagement de la faune du Haut Lupande, Zambie (Source: Balakrishnan et Ndhlovu, 1992)

Espèce

Fréquence des dommages mentionnés
(n=135)

Cultures touchées

Potamochère Potamochoerus porcus

127

maïs

Vervet Cercopithecus pygerythrus/ Chamca Papio ursinus

126

maïs, sorgho, riz

Eléphant Loxodonta africana

121

maïs,sorgho, fruits

Hippopotame Hippopotamus amphibius

98

maïs,riz, légumes

Porc-épic Hystrix cristata

49

maïs,riz

Phacochère Phacochoerus aethiopicus

8

maïs,riz

Koudou Tragelaphus strepseceros

3

maïs