Page précédente Table des matières Page suivante


4. LES OBSTACLES À UNE COMMUNICATION EFFICACE DES RISQUES

La communication efficace en matière de risques sanitaires d'origine alimentaire nécessite plus qu'une simple compréhension des risques liés au processus d'évaluation et de gestion des risques. Il existe des obstacles à la communication, et il est donc essentiel, pour obtenir une communication efficace en la matière, de les identifier et de savoir comment les surmonter.

Nous traiterons, ici, de trois catégories d'obstacles à une communication efficace. Les deux premières sont représentées par les obstacles institutionnels et procéduraux, qui risquent de limiter la communication dans le cadre du processus d'analyse des risques lui-même. Les obstacles à la communication de la troisième catégorie s'appliquent à tous les contextes et, en particulier, aux efforts accomplis par les experts pour communiquer avec le grand public et avec d'autres parties intéressées sur la question des risques sanitaires d'origine alimentaire.

Les obstacles inhérents au processus d'analyse des risques

Tout au long de la filière de l'analyse des risques, la communication joue un rôle vital, celui d'assurer que les stratégies de gestion des risques contribuent de façon efficace à atténuer les risques d'origine alimentaire pour la santé publique. Une bonne partie des étapes de la communication liées à ce processus sont internes et influent sur les échanges entre gestionnaires et évaluateurs des risques. Deux étapes charnières, à savoir l'identification des dangers et la sélection des options en matière de gestion des risques, exigent une communication sur les risques avec toutes les parties intéressées, de manière à améliorer la transparence des décisions et à renforcer le potentiel d'acceptation des résultats.

L'accès à l'information

Il peut arriver que les détenteurs d'informations vitales pour la mise en oeuvre du processus d'analyse des risques conservent ces informations par-devers eux. C'est parfois le cas lorsque les opérateurs industriels ou d'autres particuliers détiennent, par exemple, des informations protégées concernant un risque, informations qu'ils répugnent à communiquer aux agences gouvernementales par souci de protéger leur avantage concurrentiel, ou pour d'autres raisons d'ordre commercial. Dans d´autres cas, certains organismes gouvernementaux peuvent être réticents pour toute une série de raisons à discuter ouvertement des faits en leur possession à propos de risques d'origine alimentaire. C'est pourquoi il n'est pas certain que l'on dispose, dans toutes les situations, d'un accès complet à toutes les données pertinentes à un risque sanitaire d'origine alimentaire, et ce constat vaut pour les gestionnaires des risques comme pour les autres parties intéressées. Ces carences d'accès à des données d'importance critique à propos des risques accroissent encore la difficulté des étapes à franchir, dans le cadre de la communication, pour l'identification du danger et la gestion des risques.

La participation au processus

Lorsque les parties directement intéressées aux résultats du processus d'analyse des risques y participent de façon insuffisante, cela risque de constituer un obstacle important à une communication efficace à propos des risques. Une large participation au processus ne manque pas d'améliorer la communication des risques, car elle enrichit le processus décisionnel en offrant la possibilité de mieux identifier et prendre en compte les préoccupations des parties intéressées. Elle améliore la compréhension générale du processus et des décisions, tout en facilitant la communication ultérieure des décisions au public. Ajoutons que les parties impliquées dans le processus décisionnel auront moins tendance à en contester les résultats, surtout lorsque leurs préoccupations ont été dûment considérées.

Le Codex s'efforce d'impliquer toutes les parties intéressées dans le processus d'analyse des risques. À titre d'exemple, à sa vingt-deuxième session, tenue en juin 1997 (6), la Commission du Codex Alimentarius a reconnu de façon unanime l'importance de l'analyse des risques dans le cadre des travaux du Codex et a adopté un Plan d'action pour l'élaboration et l'application des principes et directives d'analyse des risques à l'échelle du Codex. On trouvera une description détaillée de ce plan d'action à l'Annexe 3. En dépit de ces efforts, il n'a pas été facile d'obtenir une participation effective de toutes les parties intéressées au processus. En règle générale, les pouvoirs publics et le secteur industriel, tout au moins ceux des pays industrialisés, ont été convenablement représentés, tandis que la représentation d'un grand nombre de pays sous-développés et de nombreuses organisations de consommateurs dans le processus d'analyse des risques laissait à désirer. En théorie, il est plus facile d'obtenir une participation élargie au processus d'analyse des risques au niveau national qu'au niveau international; cependant, de nombreux gouvernements n'ont pas, à ce jour, mis sur pied de mécanismes permettant d'engager toutes les parties intéressées dans les étapes critiques de l'analyse des risques.

Cette non-participation s'explique, en partie, par des raisons extérieures au processus lui-même. Ainsi, la plupart des organisations de consommateurs et certains gouvernements ne disposent pas, pour les appuyer, d'experts en sécurité sanitaire des aliments capables de jouer un rôle efficace dans le cadre de l'analyse des risques. Dans certains cas, c'est le manque de ressources qui empêche une participation soutenue au processus décisionnel à l'échelle internationale. Mais il existe également des obstacles à la participation à des étapes clés du processus d'analyse des risques lui-même. À titre d'exemple, certaines sessions au cours desquelles sont prises des décisions de grande portée, telles que les réunions de la JMPR et du JECFA, ou encore les sessions du Comité exécutif du Codex Alimentarius, n'admettent pas d'observateurs. Même si cette situation s'explique par des raisons historiques et administratives, le fait d'exclure les parties intéressées à des étapes vitales du processus constitue un obstacle à la communication.

Ces obstacles peuvent être surmontés grâce aux efforts constants et toujours plus intenses accomplis par la FAO, l'OMS et le Codex afin d'obtenir une participation plus efficace des organisations de consommateurs et des autres parties intéressées au processus d'analyse des risques d'origine alimentaire, notamment à l'échelle internationale. Les organisations de consommateurs devront déployer davantage d'efforts pour identifier et désigner des experts en vue de leur participation à des comités consultatifs internationaux. Il est possible d'élaborer des programmes de formation visant à impartir les connaissances et les qualifications nécessaires aux représentants des gouvernements, des associations de consommateurs et des autres secteurs intéressés et jusqu'ici non participants, afin qu'ils puissent contribuer efficacement au processus d'analyse des risques aux niveaux national et international.

Les obstacles relevant du processus du Codex

Tandis que les ressources budgétaires demeuraient stagnantes, voire diminuaient, on a vu s'accroître la charge du travail de certains comités du Codex, si bien que le temps leur manque parfois pour traiter à fond des très nombreux points à leur ordre du jour. Souvent, les documents pour les réunions du Codex ne sont pas communiqués suffisamment à l'avance et les rapports des sessions du Codex tendent à privilégier le contenu plutôt que les modalités des décisions, et, bien souvent, la justification des décisions manque de clarté. Au cours de sa vingt-deuxième session (6), la Commission a pris acte de ces difficultés et a fait part de son inquiétude face à toute réduction de la durée des sessions du Codex - destinée à répondre aux préoccupations budgétaires - qui ne laisserait pas le temps nécessaire à l'examen des questions à l'ordre du jour, rappelant que la synthétisation des rapports des réunions du Codex nuirait à la bonne compréhension de la genèse des décisions, le tout risquant d'affecter aussi bien la transparence que l'efficacité des travaux du Codex.

Toujours à sa vingt-deuxième session, la Commission a décidé d'évaluer l'application de « facteurs légitimes » autres que scientifiques lors de l'adoption des limites maximales de résidus pour un médicament vétérinaire spécifique. L'absence de directives générales sur l'application de facteurs autres que scientifiques, en matière d'analyse des risques, constitue une barrière à la communication car elle empêche de tracer une ligne de démarcation entre les questions relevant et celles ne relevant pas des délibérations du Codex.

L'élaboration d'une politique en matière de critères de sélection des facteurs légitimes autres que scientifiques pouvant être pris en considération dans le cadre de l'analyse des risques constitue une étape critique de l'élimination de cet obstacle et, partant, de l'amélioration de la communication des risques au sein du Codex. On pourrait, en outre, faire davantage d'efforts pour diffuser les documents en temps utile et le style des rapports de réunion pourrait être revu de manière à mieux expliquer les motifs des décisions.

Les obstacles à la communication dans tous les contextes

Bien souvent, les obstacles à la communication des risques ne sont pas spécifiques au processus d'analyse des risques d'origine alimentaire, mais reflètent plutôt des difficultés intrinsèques à la plupart des activités visant à communiquer dans des domaines caractérisés par la complexité technique et les répercussions financières. Les écrits spécialisés abondent sur le thème de la communication des risques et sur les raisons de son succès ou de son échec en fonction des circonstances. Nous mettrons ici en lumière certains des principaux thèmes évoqués dans ces écrits. Le lecteur intéressé par des informations plus détaillées pourra consulter avec fruit la bibliographie donnée à l'Annexe 4 du présent rapport.

Les différences de perception

Le même risque, découlant du même danger, peut être perçu très différemment selon les personnes. Ainsi, une partie de l'opinion peut être en désaccord avec les évaluateurs et les gestionnaires des risques en ce qui concerne certaines des caractéristiques importantes d'un danger, l'ampleur relative ou la gravité des risques associés à ces dangers, la priorité entre les risques, et d'autres problèmes connexes. D'autres parties de l'opinion peuvent ne pas se soucier de l'information sur les risques lorsque le message qui les atteint ne porte pas sur leurs préoccupations réelles, mais se limite à faire état d'évaluations techniques des risques communiquées par des experts. À titre d'exemple, un danger générateur de faible risque, considéré par certaines personnes comme leur étant imposé de façon involontaire, pourra être perçu comme plus menaçant qu'un autre danger, générateur de risques plus élevés, que ces mêmes personnes considéreront comme relevant de leur choix et de leur maîtrise personnelle.

On peut, par ailleurs, s'attacher à rendre la communication des risques plus efficace en s'efforçant d'établir un dialogue avec les parties intéressées et avec le public en général, en organisant, entre autres démarches, des réunions ouvertes, des groupes thématiques ou des sondages. Un tel effort devra viser à mieux comprendre la façon dont le public et les autres parties intéressées perçoivent le risque.

Les différences de réceptivité

Nombreuses sont les personnes convaincues d´être moins exposées que d´autres à un danger donné et qui, de ce fait, ne se sentent pas visées par les messages à caractère nutritionnel ou touchant à l'hygiène alimentaire, par exemple. Certains individus tendent également à se croire mieux informés que la moyenne de leurs concitoyens et ne tiennent pas compte des messages portant sur les risques, qu'ils considèrent comme dirigés vers des gens moins bien informés. Par ailleurs, au sein de groupes particuliers, la prise de risque peut être considérée comme normale, voire recherchée, et les membres de ces groupes seront plus enclins à faire peu de cas des messages concernant les risques.

Si l'on veut communiquer efficacement avec ces catégories peu réceptives, il est essentiel de comprendre leur attitude, leurs convictions et leurs préoccupations, afin d'en tenir compte dans les messages visant à communiquer les risques.

L'incompréhension à l'égard du processus scientifique

L'importance excessive accordée à une terminologie scientifique exacte risque de masquer la signification réelle du message au grand public. Si l'on ne s'efforce pas de s'exprimer de façon relativement simple, les messages risquent d'être mal compris. Si les incertitudes d'ordre scientifique ne sont pas reconnues et replacées dans leur contexte, le public risque de ne pas discerner avec précision les connaissances et les lacunes du savoir concernant le risque. Par ailleurs, si l'on n'énonce pas de façon explicite les jugements de valeur qui sous-tendent nécessairement les décisions en matière d'évaluation et de gestion des risques, le public risque de ne pas comprendre la raison d'être de ces décisions. Une fois formées, les opinions sont difficiles à faire évoluer, car les gens tendent à privilégier les informations qui corroborent leurs convictions. Afin de surmonter ces obstacles, les communicateurs des risques devront, dans toute la mesure possible, employer une terminologie non technique et veiller à expliquer les termes techniques utilisés. Il conviendra aussi de demander à des lecteurs non techniciens d'examiner les projets de messages, afin d'en vérifier la clarté. Les communicateurs devront s'efforcer de réduire l'écart entre eux-mêmes et le public et traiter de façon claire et explicite toutes les incertitudes et tous les jugements de valeur qui font partie intégrante de l'analyse des risques.

La crédibilité des sources

Le public n'accorde pas la même confiance à toutes les sources d'information concernant la sécurité sanitaire. Exposé à des messages relatifs au risque qui lui proviennent de différentes sources, le public tiendra compte de ceux provenant de la source la plus crédible et écartera les autres. Parmi les facteurs qui renforcent la confiance et la crédibilité auprès du public, figure la perception de la précision du communicateur, de ses connaissances et de sa préoccupation à l'égard du bien-être collectif. La confiance se trouvera également renforcée si l'on aborde la question des préoccupations du public à propos des risques. En revanche, la méfiance découle d'une impression de partialité de la part du communicateur, ou du fait que, dans le passé, il a manqué de précision. La confiance constitue un facteur plus important lorsque prévaut une grande incertitude, ou lorsque le public pense que l'on ne dispose pas d'estimations précises des risques. Elle dépend également de la mesure dans laquelle le public perçoit que l'évaluation et la gestion du risque s'effectuent dans la transparence et laissent la porte ouverte au contrôle. Une fois perdue cette confiance, il n'est pas facile de la reconquérir. En général, l'efficacité de la confiance se trouve optimisée lorsque toutes les sources, y compris celles qui jouissent le plus de la confiance du public, diffusent des messages convergents à propos du risque.

Les médias

Comme pour les autres sujets, c'est en général par les médias que le public obtient ses informations sur les problèmes de sécurité sanitaire des aliments. Il arrive que les médias ne communiquent pas de façon précise les informations concernant les risques. Les journalistes possédant une véritable expérience des aspects complexes, aussi bien scientifiques que politiques, des questions touchant à la sécurité sanitaire des aliments sont relativement rares, et ils ont souvent du mal à préparer un reportage sur des questions hautement techniques, notamment lorsqu'il faut respecter le délai de tombée. En outre, les médias ont leur propre hiérarchie de priorités et sélectionnent de manière indépendante ce qui figurera aux nouvelles. Bien souvent, les gestionnaires des risques et les autres experts techniques ont l'impression que les médias insistent sur les questions portant à controverse, et qu'ils n'ont que trop tendance à rechercher le sensationnel ou à exagérer les risques de manière à polariser l'attention. Même si les difficultés découlant de la manière dont les médias traitent les risques d'origine alimentaire ne sont nullement la règle, lorsqu'elles se produisent, elles risquent d'entraver encore davantage la communication.

Bien souvent, les gestionnaires des risques et les autres agents qui contribuent à les faire connaître ne sont pas suffisamment familiarisés avec les médias pour savoir comment opérer avec les journalistes de manière à améliorer la qualité et la précision de leurs reportages. Lorsque se produit en particulier une crise liée à la sécurité sanitaire des aliments, l'imminence du danger et l'anxiété du public tendent à favoriser une meilleure coopération entre les médias et les gestionnaires des risques; cependant, il convient de veiller aux problèmes de communication.

Les communicateurs des risques doivent recevoir une formation qui les prépare à traiter avec les médias et ils doivent s'attacher à établir avec leurs représentants une relation durable. Il est essentiel, lorsqu'on établit des plans en vue d'une situation d'urgence ou lorsqu'on y fait face, d'incorporer à l'équipe une personne chargée des relations avec les médias. Par ailleurs, lorsque les médias, contrairement aux autorités, ne jugent pas opportun de diffuser une information, les pouvoirs publics peuvent toujours assurer cette diffusion en envisageant de recourir à la publicité payante ou aux annonces des services publics.

Les caractéristiques propres au corps social

Il existe certains obstacles à la communication des risques qui sont indépendantes des attributs des communicateurs ou des récepteurs de l'information, voire du moyen de communication ou du message lui-même, et qui tiennent davantage à la nature de la société au sein de laquelle se déroule la communication. Les facteurs d'ordre social qui risquent d'entraver la communication sont notamment les différences linguistiques, les facteurs culturels, les règles alimentaires d'origine religieuse, l'analphabétisme, la pauvreté, l'insuffisance des ressources dans les domaines juridique, technique et d'application des politiques, et enfin le manque d'infrastructures de soutien à la communication. Ces facteurs, parmi d'autres, varient tant à l'intérieur d'un pays que d'un pays à l'autre.

Les obstacles sociaux à la communication sont généralement très élevés dans les pays où viennent s'ajouter aux facteurs mentionnés précédemment des différences extrêmes de statut socioéconomique entre les groupes sociaux. La faim et la malnutrition risquent, par exemple, de reléguer la sécurité sanitaire des aliments au deuxième rang des préoccupations touchant à la nourriture. Mais il existe aussi des obstacles d'ordre physique ou géographique, tenant au fait que certaines régions ou certains groupes de population demeurent inaccessibles aux communicateurs des risques. Enfin, les conditions politiques peuvent, elles aussi, entraver l'échange d'informations.

Il convient, dans la mesure possible, d'identifier les caractéristiques culturelles et sociales qui font obstacle à la communication des risques et de les incorporer au processus d'élaboration des messages destinés au public ciblé. On peut, par exemple, s'adapter aux conditions sociales spécifiques en se servant, pour la diffusion des messages, de panneaux, d'affiches et de feuillets placés ou distribués dans les marchés, les dispensaires, les écoles, ou encore les gares routières. Dans certains pays, la communication des risques se trouve favorisée par l'amélioration générale du bien-être économique et social des citoyens, grâce à la réduction de la pauvreté, à l'élargissement des libertés personnelles et politiques, au meilleur accès de tous les secteurs à l'éducation et à l'information, à la participation au niveau communautaire et à la formation permanente du personnel clé. En outre, les progrès de la condition féminine dans les campagnes constituent une stratégie sociale particulièrement efficace d'amélioration de la communication en matière de sécurité sanitaire des aliments.


Page précédente Début de page Page suivante