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Politiques nationales ayant une incidence sur les incendies de forêt au Brésil

Paulo Cezar Mendes Ramos43
43 Ingénieur forestier, Prévention et lutte contre les incendies de forêt, Système national PREVFOGO, IBAMA, Brésil.
1. ASPECTS HISTORIQUES DU FEU DANS LES éCOSYSTÈMES BRéSILIENS

L'histoire des forêts, si elle est bien comprise, est une histoire d'exploitation et de destruction. L'homme transforme l'environnement naturel en "paysage" - domestiqué et modelé pour un usage pratique ou une esthétique classique - ou aussi, ce qui est plus effrayant, en "espace" - plaines désertiques aplaties par des rouleaux compresseurs sur lesquelles le narcissisme extrême de l'espèce voit sa consécration dans les constructions. Les espérances humaines sont rarement assouvies par ces interventions. Les champs s'appauvrissent, les pâturages deviennent plus maigres et plus ligneux et les villes se délabrent. Contrairement aux désirs des populations humaines, mais en conséquence de leurs actes, l'environnement naturel est simplifié et converti en une immense brousse cosmopolite désolée.

Au Brésil, les feux de forêt sont une pratique ancienne maintenue par les pratiques non durables d'utilisation des terres de l'homme moderne. Il est important d'avoir une vision historique d'ensemble des changements progressifs imposés par l'homme aux écosystèmes brésiliens naturels.

La forêt atlantique

Les débuts de l'agriculture ont transformé radicalement les relations entre l'homme et la forêt. Ce qui était jusque-là une ressource résiduelle, un objet de valeur secondaire pour les chasseurs-cueilleurs, brûlé par accident ou par imprudence lors de la chasse, est devenu leur habitat principal. On a constaté que les sols du "cerrado" étaient pauvres en nutriments et saturés en acides et aluminium. Les sols forestiers étaient mieux adaptés à l'agriculture. Dès ses débuts, l'agriculture dans la région de la forêt atlantique - en fait dans toutes les terres basses et planes du continent - a entraîné le sacrifice de la forêt. La technique était extrêmement simple: à la fin de la saison sèche, les broussailles d'une bande de forêt - environ un hectare - étaient coupées et mises à sécher, et un anneau était découpé dans l'écorce des gros arbres à l'aide de haches en pierre. Ensuite, avant la saison des pluies, la surface était brûlée, fournissant une grande quantité de nutriments présents dans la biomasse des abattis forestiers sous forme de cendres dans le sol.

L'agriculture sur brûlis a été extrêmement destructrice. Presque tous les organismes vivants présents dans la zone brûlée étaient transformés en cendres, et seules les cendres étaient utilisées. Il est probable que certains brûlages aient échappé au contrôle, comme cela pouvait se produire de façon occasionnelle durant les années les plus sèches dans les zones les plus humides de la forêt atlantique, exposées au vent, et de façon habituelle dans les sites forestiers les plus secs. Il se peut que les périodes de repos aient permis à la végétation de retrouver son aspect d'origine. Néanmoins, l'agriculture a dû diminuer la complexité et la biomasse sur des surfaces considérables de la forêt atlantique, ces méthodes ayant été pratiquées pendant plus de mille ans avant l'arrivée des Européens.

La pratique de la défriche-brûlis (essartage) s'est intensifiée avec l'arrivée des Portugais. Le nom de "Terra Brasilis" donné à la nouvelle colonie tire son origine de l'exploitation du "bois brésil" mais aussi du début de la destruction de la forêt atlantique, qui couvrait à cette époque environ 1,1 million de km2, soit 12 pour cent du pays.

Cependant, a déforestation ne s'est pas limitée aux méthodes extractivistes typiques de la colonisation: le processus a continué dans le nord-est avec l'établissement de l'industrie de la canne à sucre, et dans le sud-est avec la déforestation de grandes surfaces pour les pâturages, les plantations de café et l'installation des colons.

Le feu a été l'instrument de la destruction des forêts dans le processus de l'occupation des terres et il est toujours utilisé pour l'entretien des surfaces transformées telles que les pâturages ou les plantations de canne à sucre, et pour l'élimination des déchets de récolte; il représente un danger potentiel pour les 8 pour cent restants de la forêt atlantique (Câmara, 1991).

Les "cerrados" (savanes brésiliennes)

La dernière glaciation, il y a 60 000 ans, s'est terminée par une période froide et sèche. La foudre était alors la seule cause des incendies, ce qui, associé à une faible disponibilité en combustibles due à un climat plus sec et à la présence de grands herbivores, laisse supposer une très basse fréquence des incendies, concentrés pendant la saison humide (Ab'Saber, 1977; Absy et al., 1993).

La période suivante, entre -60 000 et -13 000, a été caractérisée par la présence de chasseurs de la grande faune du Pléistocène. Ils utilisaient le feu pour cuisiner et probablement pour chasser, et la densité de population était faible. Le régime des feux de cette époque peut être décrit comme un régime de basse fréquence, la grande faune contrôlant la végétation au niveau du sol.

À la fin du Pléistocène, la disparition de la grande faune laisse supposer de grands changements, en particulier au niveau de la strate herbacée, avec cependant une augmentation de la quantité de combustibles disponibles; ceci, associé au feu utilisé par les premiers chasseurs, a certainement augmenté la fréquence des incendies.

La fin de l'Holocène, entre -4000 et -2000, a été marquée par l'arrivée de tribus d'Indiens agriculteurs et chasseurs appartenant au groupe linguistique des "macro-jê". La densité de population élevée (0,3 à 1,2 habitants au km2), et les implantations plus importantes de ces tribus ont augmenté la fréquence des feux par l'agriculture sur brûlis.

L'expansion territoriale des Européens au centre du Brésil a commencé au XVIIème siècle; elle est caractérisée jusqu'au début du XXème siècle par une dépendance vis-à-vis de méthodes extractivistes et par un bas niveau de vie. Les brûlages pour le renouvellement des pâturages se sont généralisés, augmentant la fréquence des incendies dans le centre du Brésil.

Durant les 40 dernières années, le centre du Brésil a connu une forte augmentation de la densité de population, due essentiellement à l'établissement de la capitale à Brasilia, qui a entraîné un développement important de l'agriculture dans cette région, où les brûlages de pâturages demeurent la première cause du régime des incendies.

La forêt amazonienne

La cause principale des incendies en forêt tropicale amazonienne est liée au défrichage de la forêt pour l'agriculture et la gestion forestière. On distingue trois types de défrichage des forêts par le feu:

· Agriculture itinérante (agriculture sur brûlis), où la terre est abandonnée pour revenir à la végétation forestière après une période d'utilisation agricole relativement courte;

· Elimination complète mais temporaire du couvert forestier, avant l'installation de plantations forestières (monocultures);

· Conversion définitive de la forêt en pâturages ou en terres agricoles, ou pour d'autres utilisations non forestières des terres.

Dans tous les cas, le défrichage et le brûlis suivent initialement le même schéma: les arbres sont abattus à la fin de la saison humide, et les rémanents sont laissés à sécher pendant un certain temps pour obtenir une efficacité de combustion maximale.

A l'origine, les pratiques et l'étendue des systèmes d'agriculture itinérante étaient largement déterminées par une faible pression des populations humaines sur les ressources forestières. Elles offraient une base durable de subsistance aux habitants indigènes des forêts, et leurs impacts ponctuels n'avaient que peu d'effets sur la stabilité de l'écosystème forestier dans son ensemble.

Outre la culture itinérante, de vastes surfaces forestières sont converties en terres agricoles ou en pâturages permanents.

Taux moyen de déforestation brute (km2/an)


78-88*

88-89

89-90

90-91

91-92

92-94**

94-95

95-96

Acre

620

540

550

380

400

482

1 208

433

Amapá

60

130

250

410

36

-

9

-

Amazonas

1 510

1 180

520

980

799

370

2 114

1 023

Maranhão

2 450

1 420

1 100

670

1 135

372

1 745

1 061

Mato Grosso

5 140

5 960

4 020

2 840

4 674

6 220

10 391

6 543

Pará

6 990

5 750

4 890

3 780

3 787

4 284

7 845

6 135

Rondónia

2 340

1 430

1 670

1 110

2 265

2 595

4 730

2 432

Roraima

290

630

150

420

281

240

220

214

Tocantins

1 650

730

580

440

409

333

797

320

Amazónia Legal

21 130

17 860

13 810

11 130

13 786

14 896

29 059

18 161

* Moyenne sur la décennie
** Période de 2 ans 1992-1994
Cependant, les feux de défrichage des forêts échappent souvent au contrôle. Les observations récentes de l'impact de la sécheresse et des incendies de 1998 sur la forêt tropicale humide du Roraima ont montré que les biomes non perturbés de la forêt humide peuvent parfois devenir inflammables, et que les feux de défrichage des forêts et les brûlages agricoles échappant au contrôle entraînent des incendies très étendus.

2. LES INCENDIES ET L'ENGAGEMENT DES INSTITUTIONS

Les brûlages de défrichage des forêts pour l'installation de cultures ou de pâturages sont des pratiques culturelles et constituent les causes principales des incendies.

Les incendies ont préoccupé la société brésilienne et le gouvernement brésilien depuis le XVIIème siècle, comme le montre le Règlement du 12 décembre 1605 sur le "Pau-Brasil" (bois brésil), interdisant l'utilisation du feu dans les forêts où cette essence était présente.

La première législation forestière, le Code forestier (Código Florestal) établi par le décret n° 23.793 du 23 janvier 1934, interdisait l'utilisation du feu dans les prairies, les pâturages et les cultures sans autorisation préalable des autorités forestières.

La législation forestière actuelle, établie par la Loi 4.771 du 15 septembre 1965, maintient les mêmes restrictions que le décret de 1934.

Par le décret 84.017 du 21 septembre 1979, les réglementations des parcs nationaux interdisent toute action susceptible de déclencher un incendie dans les parcs nationaux, mais autorise l'utilisation du feu comme instrument de gestion.

La Résolution de la CONAMA n° 11/1988 du 4 décembre 1998 a réglementé l'utilisation du feu en tant que technique de gestion.

Cependant, depuis les années 80 les autorités fédérales ont accordé plus d'attention au problème des incendies et des brûlages. Auparavant, la prévention et la lutte contre les incendies des zones protégées dépendait des efforts des responsables de ces zones, et il n'existait pas de structure centrale capable d'organiser une coordination nationale pour traiter ces problèmes.

Après 1987, avec l'arrivée des images thermiques quotidiennes des satellites NOAA qui permettent la détection en temps réel des points chauds, la société brésilienne a été stupéfiée par le nombre alarmant de points chauds détectés.

Les brûlages très nombreux ont eu des conséquences très importantes: pertes économiques pour les paysans représentant environ 10 pour cent de leur production, entrave au bon fonctionnement des aéroports, maladies respiratoires, etc.

Points chauds/an au Brésil. Source: MCT/INPE et MMA/IBAMA/PREVFOGO


Juin

Juillet

Août

Septembre

Total

1996

1075

3300

12 776

16 371

33 522

1997

812

3589

17 542

20 469

42 412

1998

3489

7316

33 229

33 861

77 895


Des informations sur les points chauds au Brésil détectés par les satellite NOAA-14 ou NOAA-12 sont disponibles à l'adresse suivante: http://condor.das.inpe.br/prod.htm

L'inquiétude causée par le nombre des ces points chauds a conduit à la création de la Commission nationale de prévention et de lutte contre les incendies de forêt (CONACIF), le 25 août 1988.

Sur la base des expériences de la CONACIF, le gouvernement a mis en place le Système national de prévention et de lutte contre les incendies de forêt (PREVFOGO), par le Décret n° 97.635 du 10 avril 1989.

Ce système a les objectifs suivants:

· Education et campagnes de sensibilisation
· Gestion des incendies dans les zones protégées
· Surveillance des conditions météorologiques et des points chauds
· Formation
· Prévention et lutte contre les incendies.
Toutes ces activités ont été conduites en partenariat avec de nombreuses institutions nationales et internationales.

Depuis que le PREVFOGO existe, de gros efforts ont été faits pour limiter les effets du grand nombre de brûlages agricoles et d'incendies. Différents cours de formation ont été organisés pour former des brigades et des experts à la détermination de l'origine et des causes des incendies de forêt.

Des équipements ont été acquis pour augmenter la capacité des brigades à répondre à la demande en matière de lutte anti-incendie dans les zones protégées.

Malgré les efforts du PREVFOGO pour réduire le problème, nous sommes conscients que les causes des incendies et des brûlages agricoles se situent au-delà de son domaine de compétence, ce qui nous a conduits à rechercher des partenariats pour traiter le problème.

3. AMÉLIORATION DES LIENS INTERORGANISATIONS

Le PROARCO

Les solutions permettant de réduire les effets des brûlages et des incendies dépendent des actions de différentes institutions, à différents niveaux du gouvernement (fédéral, des états ou municipal) et également de la participation de la société.

Après le grand incendie dans le Roraima, et compte tenu du risque potentiel de déclenchement de grands incendies dans d'autres parties de la région amazonienne (El Niño), le Gouvernement brésilien a décidé de mettre en place un Programme d'urgence pour la prévention et la lutte contre les incendies de forêt dans l'arc amazonien de déforestation. Ce programme, le PROARCO, comprend les éléments suivants:

· Surveillance des conditions météorologiques et des points chauds

· Mise en application des lois sur la déforestation et le brûlage

· Campagnes de sensibilisation

· Vulgarisation rurale (brûlage dirigé)

· Formations destinées aux pompiers des états (Bombeiros)

· Mise en place de brigades municipales

· Equipe spéciale de lutte contre les incendies de forêt.

Ce programme fait intervenir la participation de l'IBAMA, des organisations des états pour l'environnement, de la protection civile, des Bombeiros, des brigades municipales, de l'armée et de l'armée de l'air.

L'un des objectifs les plus importants du PROARCO est l'amélioration des relations entre les différentes institutions qui ont participé à la formulation de Plans d'actions à l'échelon des états pour la prévention et la lutte contre les incendies de forêt.

Un système d'alerte a été mis en place et, selon la région et les capacités de lutte, la brigade municipale, les Bombeiros ou l'Equipe spéciale peuvent entrer en action.

L'Equipe spéciale a une capacité de mobilisation d'un contingent de combattants (500 pompiers de Brasilia) dont la logistique est assurée par l'armée, et le transport des troupes par l'armée de l'air.

Une autre action importante du Programme est la formation des petits agriculteurs, à qui l'on enseigne comment effectuer un brûlage dirigé communautaire avec la participation des voisins. Cette action a été menée en partenariat par l'IBAMA et le Groupe de travail sur l'Amazonie (GTA, organisation non gouvernementale).

Tous ces efforts ont été accomplis sous forme d'un programme d'urgence pour la prévention et la lutte contre les incendies de forêt en Amazonie. Le Projet de surveillance et de contrôle de la déforestation et des brûlages (PRODESQUE) est en cours d'élaboration et sera complémentaire au PROARCO. Le PRODESQUE est un projet pilote qui s'occupera des causes profondes de la déforestation et des incendies en Amazonie. Il a aussi pour objectif d'améliorer les systèmes de surveillance et de mise en application des règlements de manière décentralisée.

4. AUTRES ACTIONS DU GOUVERNEMENT

Compte tenu du fait que les causes des incendies sont liées au défrichage des forêts et aux brûlages incontrôlés, le Gouvernement a initié de nouvelles actions importantes qui contribueront à atténuer le problème:

IBAMA

· Loi n° 9.605 du 12 février 1998 - Loi sur les délits en matière d'environnement.

· Décret n° 2.661 du 08 juillet 1998 - établit les règles d'utilisation du feu pour l'agriculture, les pâturages et la foresterie.

INCRA (Institut national de la colonisation et de la réforme agraire)
· Programme de cours de formation destinés aux agriculteurs sédentaires (éducation à l'environnement; méthodes de conduite du brûlage dirigé).

· Projet Lumiar - assistance technique aux agriculteurs sédentaires.

· Amélioration de la taxe territoriale rurale qui considère la forêt comme productive. Ceci permettra de protéger de nombreuses surfaces forestières de la déforestation.

· Les nouveaux colons ne peuvent se fixer dans des réserves officiellement protégées, des zones de conservation permanente ou des forêts soumises à une gestion forestière durable.


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