Page précédente Table des matières Page suivante


Moyens d'existence tirés des forêts ombrophiles: revenus, richesse des ménages et utilisation de la forêt

B.L. Barham, O.T. Coomes et Y. Takasaki

Bradford L. Barham et Yoshito Takasaki travaillent auprès du Département d'économie agronomique et appliquée de l'Université de Wisconsin-Madison (Etats-Unis).

Oliver T. Coomes travaille auprès du Département de géographie, McGill University, Montréal (Canada).

Analyse des liens entre la richesse et la création de revenus pour les habitants des forêts pluviales tropicales.

L'inquiétude sur le sort des forêts tropicales et des populations dépendant de leurs ressources a suscité d'amples débats sur les perspectives d'extraction par les communautés traditionnelles en vue d'un développement économique rural et de la conservation de la forêt. Des études récentes effectuées notamment en Amazonie montrent la contribution importante des produits de la forêt ombrophile aux économies ménagères, locales, régionales et même nationales (Fearnside, 1989; Peters, Gentry et Mendelsohn, 1989; FAO, 1993). Encouragés par ces conclusions, un certain nombre d'organisations non gouvernementales et d'autres groupes s'efforcent d'aider les populations forestières autochtones à garantir leurs droits sur la forêt et à élaborer des régimes de gestion pour la récolte durable et avantageuse des ressources locales non ligneuses. Ce faisant, ces groupements espèrent préserver la forêt, conserver ses ressources et améliorer les conditions de vie rurale en augmentant les revenus des communautés forestières. Toutefois, praticiens et chercheurs reconnaissent de plus en plus la nécessité d'approfondir la connaissance des facteurs qui influent sur la création de revenus pour les habitants des forêts, au-delà de la valeur marchande du bois et des produits forestiers non ligneux (PFNL) (voir Godoy et Bawa, 1993; Coomes et Barham, 1997 et articles dans ce numéro). Cette connaissance est primordiale pour la conception de programmes adéquats et la formulation de politiques.

Le présent article soutient qu'un des facteurs clés qui conditionnent la manière dont les populations forestières utilisent leurs ressources locales - et créent ainsi des revenus - est le niveau et le type de richesse, c'est-à-dire les actifs fonciers et autres biens détenus par les ménages ruraux forestiers. Les écarts de richesse apparemment minimes entre les familles et durant le cycle d'évolution passent souvent inaperçus; ils peuvent toutefois faire la différence dans les possibilités qui s'offrent aux ménages et entraîner une diversité et une spécialisation considérables dans les moyens d'existence des habitants de la forêt. Il est de fait que la richesse peut servir à jeter la lumière sur la diversité que l'on rencontre dans l'extraction des produits forestiers chez les populations forestières. Cette thèse est soutenue par les conclusions d'une étude en cours sur l'exploitation des forêts pluviales dans la région de la Réserve nationale de Pacaya-Samiria en Amazonie péruvienne, une des réserves forestières les plus étendues et renfermant la plus vaste biodiversité d'Amérique latine. Les auteurs en concluent que les initiatives visant à promouvoir l'utilisation durable des ressources et l'atténuation de la pauvreté chez les habitants de la forêt pluviale pourraient améliorer leur efficacité en se concentrant davantage sur le rôle de la richesse dans la formation de revenus et en cherchant des moyens d'améliorer les perspectives d'accumulation de la richesse des ménages ruraux de la forêt.

CONDITIONS DE VIE DES AGRICULTEURS DANS LES FORÊTS PLUVIALES

Estimer les revenus issus de la récolte des PFNL dans la forêt ombrophile est - dans le meilleur des cas - une tâche ardue. Dans la plupart des régions examinées, les habitants des forêts pratiquent de nombreuses activités de subsistance et de rapport, dont certaines ne sont réalisables qu'à certaines époques de l'année ou dans des conditions particulières. Par ailleurs, les recettes économiques dérivant des activités d'extraction peuvent varier considérablement, y compris dans des sites voisins, en raison des différences d'accès aux ressources et/ou de la richesse des stocks de ressources naturelles. En conséquence, une évaluation rigoureuse des recettes et des coûts d'extraction des produits forestiers peut se révéler une mission difficile et requérant un grande quantité de données. De surcroît, des changements saisonniers d'une année à l'autre, ou les modifications imprévisibles de l'environnement et des conditions du marché peuvent influer considérablement sur les revenus tirés de ces activités à long terme. Etant donné le manque de documentation écrite et les coûts élevés de la collecte de données dans ces régions, les chercheurs sont confrontés à un enjeu délicat lorsqu'ils veulent évaluer le ni veau et la composition des revenus tirés des forêts pluviales.

Panneau de bienvenue à l'entrée de la Réserve nationale de Pacaya-Samiria (nord-est du Pérou)

Malgré ces difficultés, les chercheurs et les praticiens ont tenté ces dernières années d'estimer la valeur des produits individuels et des rentrées totales des ménages en menant des enquêtes approfondies auprès des habitants de la forêt. Après plusieurs visites auprès des ménages, et après avoir établi les niveaux de production pour chaque activité, les chercheurs ont été en mesure d'établir des profils de revenus des populations forestières. A partir de ces efforts, en Amazonie et ailleurs, on a observé que les schémas de création de revenus peuvent être très hétérogènes, aussi bien entre les communautés voisines qu'entre les ménages d'une même communauté (Anderson et Ioris. 1992: Gunatilake, Senaratne et Abeygunawardena, 1993; Coomes, 1996). En outre, même si à première vue, les populations forestières peuvent sembler «généralistes» et pratiquer tout un éventail d'activités économiques (agriculture, pêche, chasse, cueillette et extraction d'autres produits forestiers), les ménages tendent en fait actuellement à se spécialiser, parfois dans un seul créneau, voire dans un seul produit. La «spécialité» peut varier d'un ménage à l'autre, qu'ils appartiennent à la même communauté ou à des communautés différentes.

Diversité des revenus et spécialisation: exemple de l'Amazonie péruvienne

La Réserve nationale de Pacaya-Samiria, située entre les fleuves Marañón et Ucayali au nord-est du Pérou, est une des plus vastes aires protégées de l'Amazonie (Rodríguez Achung, Rodríguez Achung et Vásquez Ruesta, 1995) (figure 1). Ses habitants, les ribereños, sont essentiellement d'origine métisse (mélange de descendance espagnole et amérindienne). Ils tirent leurs moyens d'existence de l'agriculture en zone inondable, de la pêche, de la chasse et de la cueillette de produits forestiers, activités qui connaissent de fortes fluctuations saisonnières à cause du cycle annuel des crues. En 1992. 173 communautés vivaient dans la Réserve de Pacaya-Samiria et alentours, pour un total de quelque 80 000 personnes.

Une étude a été menée pour comprendre la logique économique à la base de l'utilisation des ressources par les ribereños et aider ainsi à orienter les efforts de conservation et de développement dans la région et ailleurs. Des données socio-économiques ont été rassemblées auprès de 300 ménages de huit communautés pendant plus de 16 mois (juin 1996 - septembre 1997). Les villages et les ménages ont été sélectionnés pour représenter la diversité de la région, aussi bien du point de vue de l'activité économique que de l'environnement. Dans chaque village, les ménages ont été classés selon leur richesse sur la base d'une première évaluation rurale rapide (voir Takasaki, Barham et Coomes, 1999b) avant d'être stratifiés. Les ménages riches constituant une part infime du total, les ménages les plus aisés ont fait l'objet d'échantillons plus vastes pour garantir un nombre suffisant d'observations pour l'analyse des différences d'utilisation des ressources et des moyens d'existence. Dans les enquêtes sur les ménages, l'évolution de la richesse a été détaillée et les revenus annuels estimés pour les dernières années sur la base des données de production et des prix moyens de chaque produit dans le village.

FIGURE 1 - Emplacement de la Réserve nationale de Pacaya-Samiria au Pérou

Dans les huit communautés, les ménages agricoles pratiquaient l'agriculture, la pêche, l'extraction aquatique (poissons d'aquarium, crevettes, œufs de tortue et tortues), la chasse et la cueillette de produits forestiers pour vivre et se procurer des recettes en espèces. De toutes ces activités, la pêche et l'agriculture sont les plus importantes, chacune d'entre elles représentant 39 pour cent des revenus totaux des ménages. Les PFNL assuraient 19 pour cent du total, tandis que les produits du bois et les revenus salariaux, respectivement moins de 1 pour cent et 2 pour cent des revenus. Au sein des activités de PFNL, plus de la moitié des revenus provenaient de l'extraction aquatique, environ un quart de la cueillette et un sixième de la chasse. Il semblerait que l'extraction des PFNL ait un rôle complémentaire pour l'agriculture et la pêche.

La figure 2 illustre la diversité des moyens d'existence entre trois villages de plaine alluviale le long du fleuve Marañón. Les ménages du Village 1 étaient, en moyenne, très spécialisés dans la pêche, tirant 88 pour cent de leurs revenus de cette activité et à peine 3 pour cent de l'extraction des PFNL. En revanche, l'agriculture assurait aux ménages du Village 3, 70 pour cent de leurs revenus et les PNFL un peu plus de 10 pour cent. L'activité économique du Village 2 était plus variée, avec environ la moitié des revenus des ménages provenant de l'agriculture et plus de 32 pour cent des PFNL. Ces différences entre villages étaient visibles dans les huit communautés de l'étude.

Les données au niveau du village, toutefois, masquent des différences importantes entre les ménages d'un village à l'autre (tableau 1). Les données sur la participation des ménages à l'extraction et à la dépendance des PFNL indiquent que certains ménages se consacrent à ces activités, même si la majorité des familles de la communauté pratiquent essentiellement l'agriculture ou la pêche. Dans le Village 1, par exemple, seulement 26 pour cent des ménages tiraient un revenu de cette activité, et pourtant deux des 23 ménages étaient considérés dépendants des PFNL, c'est-à-dire que l'extraction représentait au moins 30 pour cent de leurs revenus. Dans le Village 2, 84 pour cent des ménages participaient à l'extraction forestière et près de la moitié dépendaient des PFNL. Dans le Village 3, où les ménages ont tendance à dépendre fortement de l'agriculture, 61 pour cent des ménages participaient à l'extraction des PFNL et cinq ménages sur 28 en tiraient plus de 30 pour cent de leurs revenus. Cette hétérogénéité soulève une question importante: quels sont les facteurs qui influent sur les choix de moyens d'existence des ménages et des villages?

Répartition et types de richesse chez les ménages agricoles de la forêt

Le rôle de la richesse dans la création de revenus des ménages forestiers comme ceux de la Réserve nationale de Pacaya-Samiria n'a pas fait l'objet de recherches approfondies. La rareté de ces études est surprenante, étant donné qu'avec l'accès limité des populations forestières au capital, aux marchés de la terre et aux contrats d'assurance structurés, on pourrait s'attendre à ce que les choix des moyens d'existence dépendent fortement de la richesse du ménage. En effet, des études récentes de ménages agricoles et pastoraux dans les pays en développement montrent que la richesse influe également sur les choix que les ménages font de leur gamme d'activités et leurs niveaux de revenus (Reardon et Vosti, 1995; Barham, Carter et Sigelko, 1995; Zimmerman et Carter, 1996; Dercon, 1998). En outre, l'analyse de la richesse des agriculteurs se révélera, même à long terme, une tâche plus simple que l'estimation des revenus des ménages lires de sources multiples.

Un point intéressant est que la richesse des populations forestières, contrairement à celle des ménages agricoles ou pastoraux, n'est pas forcément très concentrée sur la terre ou le bétail, mais peut être multiple, et porter sur des terres de différents types, le capital halieutique (par exemple embarcations, moteurs et filets), le capital d'extraction (par exemple fusils de chasse et tronçonneuses), le bétail, les biens de consommation durables (qui peuvent parfois être vendus et remobilisés) et lés maisons dans d'autres sites. L'épargne en espèces et sous d'autres formes est dérisoire. Les connaissances et compétences spécifiques aux produits - et à l'environnement - liées à certains types d'extraction des PFNL, peuvent toutefois, constituer des atouts importants, en tant que biens incorporels.

Les différences de niveau et de composition de la richesse parmi les ménages forestiers passent parfois inaperçues car peu de signes attestent de la stratification sociale au sein de ces communautés. Les gens s'habillent de la même façon, vivent dans des habitations au toit de chaume semblables, partagent une éthique paysanne commune et semblent tous pratiquer l'agriculture, la pêche et l'extraction des PFNL. Cependant, en se penchant de plus près sur les niveaux et les formes de richesse détenue par ces populations, on découvre des choses intéressantes. Le tableau 2 compare des statistiques concernant trois types de biens de base - terres, capital productif (ressources halieutiques et extraction) et biens non productifs (biens de consommation durables, bétail, boutiques et autres maisons) - pour les trois villages de l'étude.

FIGURE 2 - Part moyenne du revenu par activité pour trois villages de plaine le long du fleuve Marañón (Réserve nationale de Pacayg-Samiria au Pérou)

TABLEAU 1. Participation des ménages à l'extraction des PFNL et niveau de dépendance

Village

Participation à l'extraction des PFNL
(% de ménages)

Nombre de ménages tributaires1

Nombres de ménages observés

Village 1

26

2

23

Village 2

84

12

25

Village 3

61

5

28

1 Les ménages jugés tributaires tiraient au moins 30 pour cent de leurs revenus de la récolte de PFNL.

La richesse moyenne détenue dans ces villages diffère en fonction du type et de la valeur. Les ménages du Village 1 avaient, en moyenne, beaucoup moins de terres (50 pour cent ou moins), mais trois fois plus de biens productifs que ceux des autres villages; une grande partie de ce capital était constituée de bateaux de pêche, de moteurs et de filets. En revanche, les ménages du Village 2 détenaient plus de biens non productifs, et leurs propriétés foncières représentaient plus du double que celles du Village 1. Dans le Village 3, la terre avait une place encore plus importante dans la richesse des ménages que dans les autres villages, tandis que les biens non productifs étaient moindres.

Des différences sautaient également aux yeux au sein de ces mêmes villages (tableau 2). Dans les trois villages, quelques ménages ne détenaient aucun capital ni biens non productifs, tandis que d'autres avaient des biens d'une valeur de cinq à huit fois supérieure à la moyenne de la communauté. Dans le Village 1, par exemple, les ménages les plus riches en termes de biens non fonciers possédaient un capital productif et des biens non productifs d'une valeur respectivement 8,5 fois et 4,6 fois supérieure aux biens du ménage moyen. En outre, un ménage du Village 1 ne possédait aucune terre. Dans les Villages 2 et 3, tous les ménages possédaient au moins un peu de terre, mais les plus riches avaient de 10 à 20 fois plus de terres que les ménages plus démunis. Ainsi, la richesse au sein de ces communautés était inégalement distribuée parmi les ménages. Cette conclusion rejoint d'autres études récentes réalisées dans les communautés forestières du bassin supérieur de l'Amazone (voir Hammond, Dolman et Watkinson, 1995; Coomes, Barham et Craig, 1996; Coomes et Burt, 1997).

RICHESSE ET CHOIX DE MOYENS D'EXISTENCE DANS LA FORÊT PLUVIALE

Comment la richesse d'un ménage de la forêt pluviale influe-t-elle sur les choix de ses moyens d'existence? Comme pour tous les ruraux, qu'il s'agisse d'agriculteurs, d'éleveurs, de pêcheurs ou de cueilleurs de produits forestiers, la richesse fournit aux ménages:

· la base matérielle pour produire des biens de subsistance et des revenus en espèces (achat d'un grand filet de pêche pour accroître les recettes et, partant, les revenus d'une famille de pêcheurs);

· un mécanisme de régulation contre les temps difficiles, soit sous la forme d'une assurance contre les fluctuations de la consommation, soit un moyen de diversifier les revenus (par exemple bétail ou machine à coudre qui pourraient être vendus en cas de nécessité - maladie, inondation, etc.);

· la base d'un accroissement de la consommation permanente (comme l'achat d'un générateur pour l'électricité).

La richesse conditionne également les choix économiques des ménages forestiers de façon moins directe. En l'absence de marchés de crédit, les ménages disposant de plus grands moyens sont davantage en mesure d'autofinancer leurs investissements dans l'extraction forestière ou d'autres activités. Là et où le crédit est disponible, la richesse peut servir à garantir les emprunts permettant aux familles de développer leurs activités (pêches plus nombreuses) ou de les diversifier (riz de plaine). Enfin, la richesse constitue une assurance pour les ménages des plaines inondables à risque et leur permet ainsi d'entreprendre des activités économiques plus rentables mais plus risquées, comme la riziculture de plaine ou la récolte de gibier. Ainsi, tout porte à croire que la richesse se répercute sur les choix économiques des ménages agricoles forestiers, en particulier pour ce qui est de la spécialisation des activités.

TABLEAU 2. Richesse moyenne des ménages par village de plaine, Réserve nationale de Pacaya-Samiria (Pérou)1

Village

Terres
(ha)

Capital productif
(NS)2

Capital non productif
(NS)

1

1,4
(2,1)
[0-9,5]

1 840
(3 446)
[0-15 600]

819
(973)
[0-3 795]

2

3,5
(3,4)
[0,5-10,9]

632
(1 245)
[0-4 620]

939
(2 041)
[0-6 684]

3

5,6
(3,2)
[1,2-14,1]

699
(854)
[0-3 340]

576
(844)
[0-3 961]

1 ( ): écart type; [ ]: min-max.
2 1 dollar EU = 2,6 nouveaux soles (NS).

Le lien entre richesse et moyens d'existence est manifeste dans les données de l'étude sur les ménages de la Réserve nationale de Pacaya-Samiria. L'échantillon a été divisé (à la médiane) en deux catégories égales: ménages riches et ménages pauvres en biens fonciers et non fonciers, et leur part de revenus tirés de l'agriculture, de la pêche et des PFNL a été comparée (figure 3). Les ménages riches en terres se concentraient davantage sur l'agriculture, tirant en moyenne plus de la moitié de leurs revenus des produits agricoles. Au sein de ce groupe, les ménages ayant moins de biens tendaient à dépendre plus de l'agriculture que les plus riches. En revanche, les ménages dépourvus de terres avaient tendance à pratiquer davantage la pêche, en particulier s'ils avaient d'autres biens; en effet, les ménages les plus spécialisés étaient les pêcheurs qui avaient peu de terres mais beaucoup d'avoirs. Les ménages ayant la gamme d'activités la plus «équilibrée» étaient ceux dont la répartition de la richesse était relativement «harmonieuse», c'est-à-dire les ménages pauvres en terres et en avoirs non fonciers et, dans une moindre mesure, les ménages riches.

Il est intéressant de noter que ces deux groupes correspondent à ceux qui sont aussi le plus dépendants des PFNL: les ménages pauvres en terres et en biens en tirent 25 pour cent de leurs revenus, et les ménages riches 19 pour cent. En outre, ces deux groupes tiraient davantage de revenus des PFNL que les ménages des deux autres catégories de richesse. Ainsi, dans les villages de ces trois plaines d'inondation, où la cueillette des fruits du palmier était la principale activité extractive, on observait la plus grande pression et dépendance des PFNL parmi les ménages les plus pauvres et les plus riches. Dans d'autres communautés, où dominaient des activités extractives plus fondées sur les compétences techniques, les plus dépendants de l'extraction étaient les ménages jeunes, pauvres et les plus habiles (Coomes, Barham et Takasaki, 1999).

DÉBAT ET CONCLUSION

Les populations forestières traditionnelles sont généralement économiquement pauvres. Néanmoins, on constate, au sein de la même communauté et d'une communauté à l'autre, de grandes différences de biens fonciers et autres avoirs; ces différences sont d'une importance fondamentale pour l'utilisation des PFNL et autres ressources forestières. Les écarts de richesse - même lorsqu'ils peuvent sembler minimes - contribuent à faire la différence dans l'utilisation des ressources et, en dernière analyse, dans la production de revenus. Ainsi, la nature et la répartition des richesses détenues par les populations forestières méritent d'être étudiées de plus près par les chercheurs et les praticiens qui s'occupent de conservation et de développement des forêts tropicales.

FIGURE 3 - Part des revenus par degré de richesse pour les ménages de trois villages de plain (Réserve nationale de Pacaya-Samiria au Pérou)

Ce qui doit être analysé en particulier est le mécanisme par lequel les ménages agricoles forestiers accumulent (ou dispersent) la richesse. Il faut se poser au moins trois questions fondamentales: premièrement, comment les populations forestières en arrivent à détenir des types et des niveaux différents de richesse? Il est clair qu'une vaste gamme de facteurs peuvent influer sur l'accumulation de la richesse, y compris la dotation initiale en terres ou en capital, l'accès à la main-d'œuvre, la connaissance de la forêt et les techniques extractives. Le projet de la Réserve de Pacaya-Samiria laisse entendre que la dotation initiale de richesse et les facteurs géographiques contribuent à imprimer des directions différentes dans l'accumulation de cette richesse, qui, à leur tour, influencent les ménages dans le choix de leurs moyens d'existence (voir Takasaki, Barham et Coomes, 1999a, 1999c).

Habitation typique ribereño

Matériaux de construction tirés de la forêt et prêts pour la vente

Deuxièmement, quels rôles ont les PFNL dans le processus d'accumulation de la richesse? Au cœur du problème se trouve la façon dont les populations forestières investissent les recettes de l'extraction des produits forestiers. Certains ménages, par exemple, dépendent de ces produits essentiellement pour la consommation, tandis que d'autres peuvent y investir la totalité ou une partie de leurs revenus. La manière dont ils investissent est également importante: certains ménages peuvent utiliser leurs revenus pour acquérir un capital productif (et se mettre ainsi en mesure de participer davantage à l'extraction); d'autres peuvent investir dans la terre (et se réorienter davantage vers l'agriculture) ou dans des biens de consommation durables; d'autres encore peuvent investir dans le capital humain en envoyant leurs enfants à la ville pour y recevoir une instruction. Chaque secteur d'investissement donne naissance à de nouvelles possibilités et se traduit par des rôles distincts des produits forestiers dans la formation et l'accumulation de la richesse. En effet, des aires protégées comme la Réserve nationale de Pacaya-Samiria peuvent ne pas se contenter d'être des réserves pour les ruraux pauvres, mais peuvent servir de tremplins pour une vie meilleure ailleurs.

Arrachage du fruit du palmier (Mauritia flexuosa) après la récolte

Troisièmement, comment la diminution des stocks de PFNL et d'autres ressources forestières influe-t-elle sur les perspectives des populations forestières d'accumuler des richesses? Si certains PFNL sont récoltés de façon durable, d'autres sont surexploités par les populations forestières, ce qui modifie les opportunités économiques et les possibilités d'amasser la richesse mise à la disposition des différents segments de population. Dans le projet de la Réserve nationale de Pacaya-Samiria, on a observé qu'une grande partie de l'extraction des PFNL considérée comme primordiale pour les efforts de conservation (du gibier et des espèces de poisson prisées) est effectuée par les ménages dirigés par des hommes jeunes, en particulier ceux habiles dans l'art de la chasse et de certains types de pêche (Coomes. Barham et Takasaki, 1999). Lorsque le savoir-faire et les ressources en capital sont faibles - comme dans le cas de la récolte du fruit du palmier - on observe que cette activité implique aussi bien les ménages très pauvres que les ménages aisés. Il serait utile d'identifier les ménages qui dépendent le plus des PFNL écologiquement vulnérables et de mieux comprendre comment ils en arrivent à se spécialiser dans ces produits à mesure que la disponibilité d'autres ressources diminue, et discerner si l'on peut développer d'autres modes de subsistance pour ces familles.

Dans la conservation des forêts et la promotion des PFNL les ONG et d'autres groupes peuvent tirer des avantages d'un examen plus approfondi de la façon dont les différences de richesse influent sur les possibilités locales offertes aux ménages agroforestiers. Comprendre les liens entre richesse, utilisation des ressources et revenus est primordial dans la conception de méthodes de travail avec les communautés forestières afin de mettre au point des programmes plus efficaces et intégrés de gestion locale des ressources forestières. L'attention aux différences de richesse entre communautés est facilitée par les techniques d'évaluation rurale rapide conçues pour évaluer les biens fonciers et autres détenus par les communautés agricoles (Mukherjee, 1993; Chambers, 1994; Takasaki, Barham et Coomes, 1999b). Dans les forêts pluviales où la gamme de produits commercialisables est très étendue, l'évaluation de la richesse se révèle souvent plus praticable que l'estimation des revenus des ménages. En outre, les praticiens peuvent juger que mettre l'accent sur l'amélioration des niveaux de richesse des ménages agricoles de la forêt peut être plus efficace que s'efforcer d'améliorer les revenus, puisque la richesse est un facteur important d'utilisation des ressources et des revenus et joue plusieurs autres rôles majeurs en termes d'économie domestique et de bien-être familial (assurance et base de crédit). En mettant l'accent sur la richesse, les groupes de conservation et de développement peuvent promouvoir plus efficacement l'utilisation durable des ressources forestières tout en améliorant le sort des ruraux pauvres vivant dans les forêts ombrophiles tropicales.

Bibliographie

Anderson, A.B. et Ioris, E.M. 1992. Valuing the rain forest: economic strategies by small-scale forest extractivists in the Amazon estuary. Human Ecology, 20(3): 337-369.

Barham, B.L., Carter, M.R. et Sigelko, W. 1995. Agro-export production and peasant land access: examing the dynamic between adoption and accumulation. Journal of Development Economics, 46: 85-107.

Chambers, R. 1994. The origin and practice of participatory rural appraisal. World Development, 22(7): 953-969.

Coomes, O.T. 1996. Income formation among Amazonian peasant households in north-eastern Peru: Empirical observations and implications for market-oriented conservation. Yearbook, Conference of Latin Americanist Geographers, 22: 51-64.

Coomes, O.T. et Barham, B.L. 1997. Rain forest extraction and conservation in Amazonia. The Geographical Journal, 163(2): 180-188.

Coomes, O.T., Barham, B.L. et Craig, B. 1996. Uso de recursos por los ribereños en la Reserva Nacional Pacaya-Samiria: datos de una encuesta reciente e implicaciones para el manejo del area protegida. Espacio y Desarrollo, 8: 5-32. Centro de Investigación en Geografía Aplicada, Pontificia Universidad Católica del Perú, Lima, Pérou.

Coomes, O.T., Barham, B.L. et Takasaki, Y. 1999. When poor people rely on biodiverse environments: rain forest use and reliance among forest peasant households in the Peruvian Amazon. (soumis pour publication)

Coomes, O.T. et Burt, G.J. 1997. Indigenous market-oriented agroforestry: dissecting local diversity in western Amazonia. Agroforestry Systems, 37(1): 27-44.

Dercon, S. 1998. Wealth, risk and activity choice: cattle in western Tanzania. Journal of Development Economics, 55: 1-42.

FAO. 1993. Selected species and strategies to enhance income generation from Amazonian forests, par J.W. Clay et C.R. Clément. Document de travail, Forêts FAO. Rome.

Fearnside, P.M. 1989. Extractive reserves in Brazilian Amazonia: an opportunity to maintain tropical forest under sustainable use. BioScience, 39(6): 387-393.

Godoy, R.A. et Bawa, K.S. 1993. The economic value and sustainable harvest of plants and animals from the tropical forest: assumptions, hypotheses, and methods. Economic Botany, 47(3): 215-219.

Gunatilake. H.M., Senaratne, D.M.A.H. et Abeygunawardena, P. 1993. Role of non-timber forest products in the economy of the peripheral communities of Knuckles National Wilderness Area of Sri Lanka: a farming systems approach. Economic Botany, 47(3): 275-281.

Hammond, D.S., Dolman, P.M. et Watkinson, A.R. 1995. Modern Ticuna swidden-fallow management in the Colombian Amazon: ecologically integrating market strategies and subsistence driven economies. Human Ecology, 23(3): 335-356.

Mukherjee, N. 1993. Participatory rural appraisal: methodology and applications. Concept Publishing Company, New Delhi, Inde.

Peters, C.M., Gentry, A.H. et Mendelsohn, R.O. 1989. Valuation of an Amazonian rainforest. Nature, 339: 655-656.

Reardon, T. et Vosti, S. 1995. Links between rural poverty and the environment in developing countries: asset categories and investment poverty. World Development, 23(9): 1495-1506

Rodríguez Achung, F., Rodríguez Achung, M. et Vásquez Ruesta. P. 1995. La Reserva Nacional Pacaya-Samiria. Fundación Peruana Para la Conservación de la Naturaleza (FPCN), Lima, Pérou.

Takasaki, Y., Barham B.L. et Coomes, O.T. 1999a. Amazonian peasants, rain forest use, and income generation: the role of wealth and geographical factors. (soumis pour publication)

Takasaki, Y., Barham B.L. et Coomes, O.T. 1999b. Rapid rural appraisal in humid tropical forests: validation methods for wealth assessment among forest peasant households. (soumis pour publication)

Takasaki, Y., Barham B.L. et Coomes, O.T. 1999c. Wealth accumulation and activity choice evolution among Amazonian peasant households. (soumis pour publication)

Zimmerman, F. et Carter, M.R. 1996. Dynamic portfolio management under risk and subsistence constraints in developing countries. Department of Agricultural and Applied Economics, Université du Wisconsin, Madison, Wisconsin, Etats-Unis.


Page précédente Début de page Page suivante