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Produits forestiers non ligneux: les défis de la vulgarisation

J. Anderson, K. Warner, L. Russo et H. Qwist-Hoffmann

Jon Anderson est fonctionnaire des forêts au Service de la conservation des forêts, de la recherche et de l'enseignement forestiers, FAO, Rome.

Katherine Warner est fonctionnaire principale à l'Unité de foresterie communautaire de la Sous-Division des politiques et des institutions forestières, FAO, Rome.

Laura Russo est fonctionnaire des forêts à la Sous-Division de l'utilisation des produits ligneux et non ligneux, FAO, Rome.

Helle Qwist-Hoffmann est consultant auprès de l'Unité de foresterie communautaire, FAO, Rome.

Les problèmes de la vulgarisation, normalement conçue pour la production agricole à grande échelle, et de son adaptation aux PFNL, qui sont très divers et se récoltent par petites quantités.

Les produits forestiers non ligneux (PFNL) connaissent un regain d'intérêt depuis une quinzaine d'années, caries forestiers, les écologistes et les agents de développement se sont battus pour promouvoir la rentabilité économique des forêts, tout en assurant leur conservation. Cet intérêt pour les PFNL reposait sur une hypothèse fondamentale, à savoir que l'exploitation économique durable de produits «secondaires»" contribuerait à éviter la conversion des terres forestières à d'autres utilisations, ou leur exploitation extensive. Cependant, on s'est récemment aperçu du caractère un peu simpliste de cette approche; l'expérience accumulée, qui a notamment mis en évidence les pratiques d'exploitation non viables et les effets socioéconomiques négatifs, a conduit à adopter une vision plus complexe du problème. On accorde davantage d'attention au rôle que pourraient jouer les PFNL pour améliorer les moyens d'existence des ruraux et à l'assistance qui pourrait ou devrait être fournie pour les aider à exploiter ce potentiel. Dans une étude sur les tendances en matière de foresterie communautaire (manuscrit en préparation, Unité de foresterie communautaire, FAO), J.E.M Arnold déclare: «Il est souvent nécessaire de pouvoir faire une distinction entre les activités forestières productives qui font partie des stratégies de survie des plus pauvres, et celles qui peuvent contribuer à accroître les revenus des ménages opérant dans un contexte économique plus dynamique. Cela peut être très important pour déterminer les types de soutien et d'intervention qui pourraient être appropriés.» Le présent article passe brièvement en revue quelques nouvelles méthodes de vulgarisation pouvant être utilisées pour la promotion des PFNL.

Activités de vulgarisation intégrant le savoir local et les résultats des recherches Institutionnelles: consultations avec des femmes locales aux Philippines

LE PARADOXE APPARENT

Les définitions de la vulgarisation forestière ne se comptent plus, mais il s'agit, grosso modo, d'un processus systématique d'échange d'idées, de savoir, de techniques et d'informations conduisant à des changements réciproques des attitudes, de l'état des connaissances, des valeurs et des pratiques, en vue d'améliorer la gestion des forêts et des arbres et le développement rural (Anderson et Farrington, 1996). L'organisation et le fonctionnement de nombreux systèmes de vulgarisation, publics et privés, reposent, dans une certaine mesure, sur l'uniformisation et les économies d'échelle. Les systèmes de vulgarisation traditionnels ont souvent eu pour objet d'optimiser la production ou le rendement d'un produit spécifique ou d'un éventail limité de biens et de services. Par exemple, compte tenu de la forte demande, il est possible de gérer de vastes étendues pour la production de fibres, en utilisant certaines techniques et pratiques normalisées. Dans la révolution verte et les systèmes de vulgarisation «formation et visite», on tendait à considérer que l'objet de la vulgarisation était de mettre des paquets techniques standard, élaborés dans des instituts de recherche, à la disposition des agriculteurs afin d'accroître la production sur de vastes étendues de terres agricoles plus ou moins homogènes.

D'autre part, les PFNL se caractérisent souvent par leur faible valeur, leur multiplicité et leur diversité. Ils varient considérablement à travers le temps et l'espace, et l'offre peut enregistrer de fortes fluctuations en fonction des facteurs du marché. Les PFNL peuvent occuper des créneaux qui se chevauchent ou se concurrencent. Les fruits, les écorces et les feuilles d'une même espèce peuvent fournir des produits différents et avoir des utilisations différentes. L'objectif, qui est de maximiser la production durable d'un éventail de produits, complique considérablement les approches de vulgarisation. Les instituts de recherche n'ont pas suffisamment étudié les PFNL, qui sont relativement mal connus du point de vue technique, économique, social et environnemental.

La vulgarisation, applicable aux PFNL, peut donc sembler quelque peu problématique: comment des approches systématiques et uniformisées peuvent-elles se prêter à des biens et services qui se caractérisent par leur diversité et leur multiplicité? Les PFNL sont considérés comme une source de revenus potentielle de plus en plus importante dans de nombreuses régions. Comment résoudre cette apparente contradiction et trouver une approche adéquate pour les promouvoir?

NOUVELLES APPROCHES DE VULGARISATION APPLICABLES AUX PFNL

Plusieurs tentatives complémentaires ont récemment été mises en œuvre pour résoudre le problème de la vulgarisation. Les approches, qui sont encore en voie d'élaboration et de perfectionnement, rentrent dans la catégorie des approches socioéconomiques, intégrant le savoir local et la création de réseaux.

Comment utiliser l'approche Analyse et développement des marchés pour faciliter la planification d'entreprises forestières locales.

Vu le nombre croissant de ménages ruraux qui produisent des PFNL pour le marché, il est indispensable de réorienter la planification, de la subsistance vers la création de revenus. Cependant, les processus et les méthodes employés pour identifier les entreprises génératrices de revenu ne reçoivent généralement pas suffisamment d'attention. Dans de nombreux cas, il ne suffît pas d'examiner la production actuelle et les moyens par lesquels elle est commercialisée, il faut aussi procéder à une analyse critique des marchés actuels et potentiels (y compris les marchés d'exportation) et déterminer s'il convient de développer le produit envisagé. Dans ce cas, l'approche Analyse et développement des marchés (A&DM) peut être très utile.

L'unité de foresterie communautaire de la FAO, la composante Asie du Programme arbres, forêts et communautés rurales, l'Alliance mondiale pour la nature (UICN) et d'autres entités collaborent à la préparation d'un guide pratique sur l'utilisation de l'approche A&DM pour la planification d'entreprises forestières viables. Le guide, qui sera publié l'an prochain dans la série de guides pratiques sur la foresterie communautaire de la FAO, permettra aux facilitateurs d'assister les entrepreneurs forestiers, avec un cadre pratique articulé en plusieurs étapes et adaptable à un large éventail de situations concrètes. L'approche englobe le suivi et l'évaluation continus des possibilités et des contraintes, l'élaboration d'hypothèses sur les coûts et les avantages d'un produit et, enfin, la vérification de ces hypothèses pour pouvoir faire des recommandations sur le produit, le marché et les moyens de le développer. Cette méthode aide à identifier des produits et des stratégies valables et, grâce à l'identification précoce des contraintes, elle évite de gaspiller des ressources sur le mauvais produit. Le manuel aidera les entrepreneurs forestiers à développer les compétences nécessaires pour obtenir un revenu et un profit dans le contexte d'une utilisation de la forêt et d'un développement rural durables.

Approches socioéconomiques

En partie pour se conformer aux objectifs prioritaires de conservation et de développement, les initiatives de vulgarisation récentes ont mis l'accent sur la nécessité d'obtenir des revenus des PFNL. Cela a conduit à mettre au premier plan le renforcement des capacités et le développement des petites entreprises. Lecup et al., (1998) ont attire l'attention sur trois approches: planification d'entreprise, développement d'entreprise et de la commercialisation, et analyse et développement des marchés. Cette dernière approche est particulièrement intéressante car elle intègre des dimensions sociales, techniques et écologiques, en plus des considérations économiques et financières.

La méthode dite de l'analyse et du développement des marchés (A&DM) vise à aider ceux qui exploitent des arbres et des produits forestiers à identifier des produits et à développer des marchés susceptibles de leur fournir un revenu et des profits sans dégrader la base de ressources.

Le processus A&DM se déroule en plusieurs phases centrées sur le renforcement des capacités et des institutions locales en vue d'apporter aux entrepreneurs locaux l'appui dont ils ont besoin pour gérer de petites entreprises. L'un des objectifs de la méthode A&DM est de permettre à ceux qui exploitent des arbres et des produits forestiers de développer et de gérer leurs entreprises de façon autonome, à plus long terme. Le rôle des entrepreneurs est au centre de la méthodologie, car ils sont à la fois les principaux acteurs et les décideurs, même si, parfois, ils ont besoin de l'appui d'un facilitateur, par exemple d'un vulgarisateur forestier.

La méthodologie permet aux agents de terrain, aux facilitateurs et aux planificateurs d'intégrer des dimensions sociales et des considérations relatives à la gestion des ressources dans leur appui aux entrepreneurs. La méthode A&DM aide le facilitateur et l'entrepreneur à adopter une approche polyvalente pour explorer l'environnement de marché en vue d'éviter un échec possible.

Les organismes et les programmes publics et les organisations de développement tirent eux aussi profit de cette approche, qui réduit le risque de perdre du temps et de l'argent pour développer des entreprises vouées à l'échec. L'approche A&DM est un processus rentable qui facilite le développement d'entreprises viables.

Intégration du savoir local

Etant donné que les communautés et les groupements locaux sont souvent mieux informés sur certains PFNL que beau coup d'institutions scientifiques officielles, la vulgarisation gagne en efficacité si le savoir local est intégré dans les résultats des institutions de recherche. La recherche et la vulgarisation participatives contribuent à garantir que les connaissances locales empiriques accumulées en plusieurs années de vie au contact de la forêt soient saisies et utilisées. En outre, des méthodes scientifiques peuvent être appliquées pour systématiser et développer les connaissances locales. La vulgarisation participative peut aider à renforcer des capacités méthodologiques au niveau local, pour une analyse critique des tendances et des mesures prises. La mise en commun des connaissances des différents partenaires facilite l'innovation.

Quelques réseaux de PFNL

Sur les nombreux réseaux de PFNL récemment apparus, beaucoup font double emploi, car ils sont axés sur le même produit ou la même région. La liste qui suit ne prétend pas être exhaustive.

· African Ethnobotany Network

· Réseau africain pour l'utilisation industrielle des plantes médicinales et aromatiques

· Programme africain de recherche sur le rotin

· Réseau andin des produits de remplacement durables

· Association arabe des apiculteurs

· Réseau pour les ressources biologiques à petite échelle (ANSAB)

· Réseau asiatique sur les plantes médicinales et aromatiques (ANMAP)

· Réseau d'information de l'Asie et du Pacifique sur les plantes médicinales et aromatiques (APINMAP)

· Avenir des peuples des forêts tropicales

· Centre international de liaison pour l'environnement

· Réseau européen de recherche sur les forêts tropicales

· Fédération pour la revitalisation des traditions sanitaires locales (FRLHT)

· Réseau arbres, forêts et communautés rurales

· Identification, conservation et utilisation des plantes sauvages dans la région méditerranéenne (Réseau MEDUSA)

· Réseau sur les plantes médicinales du CRDI (Centre de recherche pour le développement international)

· Réseau international sur le margousier

· Réseau international de recherche sur le bambou et le rotin (INBAR)

· Internet Global Palm Network

· Réseau coopératif interrégional de recherche sur les noix (FAO)

· Réseau sur les produits naturels pour l'Afrique de l'Ouest (NAPRWA)

· Réseau de recherche sur les produits naturels pour l'Afrique orientale et centrale (NAPRECA)

· Réseau pour le développement rural de l'Overseas Development Institute (ODI)

· People and Plants Network

· Ressources végétales de l'Asie du Sud-Est (PROSEA)

· Réseau régional de recherche sur les arbres fruitiers tropicaux dans l'Asie et le Pacifique

· Réseau africain bioressources-énergie-environnement-développement

· Association de Russie et d'Extrême-Orient pour l'utilisation des produits forestiers non ligneux

· Réseau de recherche Silva Mediterranea sur Pinus pinea, Quercus suber et les espèces polyvalentes

· Réseau sur les PFNL des pays d'Asie du Sud et du Sud-Est, Inde

· Tribal Cooperative Marketing Development Federation of India Limited (TRIFED)

· Réseau sur les arbres fruitiers tropicaux sous-exploités en Asie (UTFANET)

· Association féminine en faveur des thérapies de médecine naturelle (WAINIMATE)

· Groupe de spécialistes des plantes médicinales de l'Alliance mondiale pour la nature (UICN)

· Réseau sur les PFNL de l'Alliance mondiale pour la nature (UICN), pour l'Asie du Sud et du Sud-Est

· Réseau méditerranéen sur les PFNL du. Fonds mondial pour la nature (WWF)

Une étude participative sur le rôle des PFNL dans une stratégie de développement et de conservation, dans l'Etat de Para, à l'extrémité est de l'Amazonie brésilienne, le montre bien (Shanley, 1999). De gros efforts ont été faits pour rendre les données collectées accessibles aux populations locales: utilisation des unités de mesures locales (après conversion, le cas échéant), ateliers avec les intéressés locaux, chansons et pièces de théâtre pour faciliter le dialogue avec les utilisateurs locaux des forêts.

Le bulletin de la FAO, Non-Wood News, un exemple des efforts de création de réseaux sur les PFNL

Cet effort a également servi à abattre les barrières entre les chercheurs et les utilisateurs (y compris les vulgarisateurs). L'équipe de vulgarisateurs a mis au point des brochures illustrées contenant des informations sur l'environnement et sur les marchés, des posters, les chansons et les connaissances traditionnelles utilisées dans les ateliers; ces brochures pourraient renforcer les efforts de vulgarisation, être utilisées comme support pédagogique par les vulgarisateurs et atteindre les communautés situées dans des lieux trop éloignés pour que l'équipe puisse s'y rendre. Voici ce que Shanley a conclu: «Nous devons nous demander... qui sont les premiers bénéficiaires réels de nos recherches, et remettre en question le lieu commun selon lequel nos recherches s'achèvent dès lors que l'article scientifique est sous presse. La vulgarisation rurale est un instrument rentable, mais sous-utilisé, qui permet de garantir que des données durement acquises sur le terrain atterrissent sur les bureaux d'autres scientifiques, et soient ensuite restituées aux communautés tributaires de la forêt, car ce sont elles qui en ont le plus besoin.»

Création de réseaux

Une autre approche a consisté à promouvoir la création de réseaux, en particulier entre techniciens des PFNL, producteurs et marchés potentiels. Etant donné que plusieurs partenaires peuvent détenir des connaissances techniques sur un PFNL spécifique, la création d'un réseau technique peut être un mécanisme efficace pour combiner et systématiser les connaissances techniques et élargir leur diffusion. Les travaux du programme relatif aux PFNL de la FAO (voir article dans la section Foresterie de ce numéro) le démontrent bien.

Les réseaux sont ordinairement considérés comme un moyen flexible et souvent informel d'améliorer l'échange d'informations. Bien qu'ils puissent couvrir de vastes domaines de compétences, les réseaux sur les PFNL tendent plutôt à se focaliser sur des thèmes assez spécifiques (voir encadre).

Avec l'avènement des services d'Internet et du courrier électronique, qui permettent un contact simultané entre un grand nombre de personnes pour un coût réduit, la capacité et l'efficience de certains réseaux ont été considérablement renforcées. Les bulletins d'information électroniques (par exemple le répertoire des pfnl/cultures biologiques, qui recense des annonces et facilite des discussions sur des sujets liés aux PFNL, par courrier électronique; et la liste d'adresses sur les PFNL de Tropenbos) et les conférences par courrier électronique sont des instruments efficaces et économiques pour des échanges d'idées et des débats animés sur des thèmes spécifiques.

LES DIFFICULTÉS DE LA VULGARISATION

La mise au point d'approches de vulgarisation systématiques pour les PFNL, qui se caractérisent par leur multiplicité et leur diversité, nous amène au cœur du problème: qu'est-ce que la vulgarisation et quelle est sa fonction? Les approches mises au point pour des cas qui semblent complexes au départ - comme les PFNL qui ne sont pas commercialisés au niveau international - peuvent donner des informations utiles pour la promotion de produits forestiers plus traditionnels, comme le bois d'œuvre et le bois de feu et renforcer la vulgarisation dans ce domaine. Un grand nombre de ces produits ont des caractéristiques communes avec les PFNL: leur valeur varie à travers le temps et l'espace, et des systèmes basés sur les connaissances locales sont souvent indispensables pour comprendre les questions touchant à leur gestion durable. Compte tenu de la diversification et de la différenciation croissantes des marchés, les approches mises au point pour les PFNL pourraient être importantes pour d'autres produits à l'avenir.

Bibliographie

Anderson, J. et Farrington, J. 1996. La vulgarisation forestière face aux défis d'aujourd'hui et de demain - Unasylva, (47)184: 3-12.

Lecup, I., Nicholson, K., Purwandono, H. et Karki, S. 1998. Methods for assessing the feasibility of sustainable non-timber forest product-based enterprises. In E. Wollenberg et A. Ingles (éds), Income from the forest: methods for the development and conservation of forest products for local communities. Centre pour la recherche forestière internationale (CIFOR) et Alliance mondiale pour la nature (UICN), Bogor. Indonésie.

Shanley, P. 1999. Extending ecological research to meet local needs: A case from Brazil. In T. Sunderland, L. Clark et P. Vantomme (éds). The non-wood forest products of Central Africa - current research issues and prospects for development and conservation. FAO, Rome. (sous presse)


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