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Créer un cadre juridique de gestion communautaire: principes et dilemmes

J.M. Lindsay

Jonathan M. Lindsay est juriste au Service droit et développement de la FAO (Rome).
Note: Cet article est la mise à jour d'un article présenté à l'Atelier international sur la gestion des ressources naturelles communautaires, tenu du 10 au 14 mai 1998 à la Banque mondiale, Washington.

Conditions de base pour les lois de soutien de la foresterie communautaire.

Dans le monde entier, l'accent mis sur la délégation de responsabilité aux groupes communautaires locaux pour la gestion des forêts et des autres ressources naturelles fait ressortir l'importance d'un cadre juridique approprié pour la foresterie communautaire. La législation de l'État occupe une place indispensable dans les initiatives d'aménagement local: elle aide à définir les règles par lesquelles les institutions communautaires interagissent avec les étrangers; à tracer les limites du pouvoir de l'État; et à protéger aussi bien les droits des individus que les intérêts de la société, comme l'environnement. Pourtant, maints efforts d'aménagement communautaire continuent à exister dans des conditions d'incertitude juridique.

Le présent article examine les conditions requises pour un cadre juridique de soutien à la foresterie communautaire. Il analyse d'abord l'exemple de l'aménagement communautaire des mangroves de la péninsule de Fumba à Zanzibar (République-Unie de Tanzanie); ses lacunes font ressortir l'importance d'un cadre légal dans les accords de gestion communautaire. L'article suggère ensuite quelques principes qui pourraient sous-tendre la conception de ce cadre, en se concentrant sur deux éléments clés: la sécurité (faire comprendre que les droits ne peuvent être retirés de façon arbitraire) et la flexibilité (en laissant une marge de manœuvre légale pour faire des choix adaptés aux situations locales). Enfin, il identifie quelques-unes des difficultés centrales et d'autres questions non résolues.

LA LOI ET LES MANGROVES DE FUMBA

Voici des siècles que les communautés de la péninsule de Fumba à Zanzibar dépendent des mangroves. Les perches de palétuviers fournissent les matériaux de construction essentiels pour les maisons et les bateaux. Les mangroves offrent de riches écosystèmes pour les abondantes ressources ichtyques et autres ressources marines.

Aujourd'hui, les mangroves de Fumba, comme dans d'autres parties du monde, disparaissent à un rythme foudroyant. Au début des années 90, alarmés par cette tendance, les habitants du village de Kisakasaka, en collaboration avec la Sous-Commission des forêts de Zanzibar, ont pris des mesures pour affronter le problème au niveau de la communauté.

Les villageois et les forestiers ont convenu que le cœur du problème était la façon irresponsable et destructrice dont les mangroves étaient exploitées, aussi bien par les autochtones que par des personnes d'autres parties de Zanzibar et de la partie continentale de la Tanzanie. On respectait de moins en moins le savoir traditionnel local sur la manière dont ces ressources devaient être gérées durablement.

Encouragés par les forestiers gouvernementaux, les villageois de Kisakasaka ont affronté la question en concevant une nouvelle méthode de gestion des mangroves locales. Ils ont formé un comité de conservation et rédigé une série de règlements pour aider à stabiliser la situation et donner une chance aux mangroves de se régénérer. Ils ont établi des périodes de coupe, identifié des zones réservées et fixé des limites de récolte. Les règlements ont créé un système simple de pénalités en cas d'infraction, et un système de rotation pour la surveillance par les membres du comité. Enfin, l'accès des étrangers à la zone devait être limité par un droit d'entrée et des permis.

La Sous-Commission des forêts, manquant de personnel et de fonds, a reconnu sans difficulté le rôle essentiel des communautés dans l'aménagement forestier. Des initiatives similaires voient le jour ailleurs sur les îles, et une politique forestière nationale nouvellement adoptée proclame la nécessité d'étendre ces expériences (Silima et al., 1994). Il subsiste pourtant de grandes incertitudes. Il reste à voir si le nouveau mécanisme de Kisakasaka peut résister aux énormes pressions économiques et démographiques. On ne sait pas si les incitations à la participation suffiront à vaincre les coûts de l'organisation et de la tolérance. Il est aussi trop tôt pour dire si les règles adoptées sont écologiquement rationnelles.

Construction d'une maison avec des perches de mangrove à Zanzibar, République-Unie de Tanzanie

Mais un doute important continue à planer tout au long de l'initiative de Kisakasaka: ces efforts sont-ils légalement viables? Sont-ils réalisables dans le cadre de la législation de Zanzibar? Des questions de cet ordre sont apparues à divers stades de la préparation du plan de Kisakasaka, mais au bout du compte, n'ont guère reçu une attention systématique. Cela n'est pas surprenant: il est naturel de vouloir éviter les complications légales, et la communauté et le gouvernement œuvraient pour un but commun dans un climat de confiance mutuelle. Mais si l'on avait accordé une attention soutenue à ces questions, un certain nombre de faiblesses dans les fondations légales de l'initiative auraient pu être décelées. En voici quelques exemples:

· Toutes les mangroves, y compris celles de Kisakasaka, sont assimilées à des réserves forestières par la législation forestière de Zanzibar. Dans les réserves, toutes les décisions concernant l'aménagement doivent être prises par le gouvernement, et toutes les ressources forestières appartiennent au gouvernement. Même si la Sous-Commission des forêts avait autorisé l'utilisation des mangroves par les villageois, rien dans la loi ou dans l'accord informel de la Sous-Commission avec la communauté ne l'empêchait de changer d'avis unilatéralement. En conséquence, les droits de la communauté liés à la gestion des mangroves et aux avantages qu'elle pouvait en tirer reposaient sur des bases juridiques floues.

· Le Décret sur les réserves forestières de 1950 a été promulgué à une époque où l'objectif principal était de ne pas autoriser l'accès des populations aux forêts et de ne pas les associer à leur gestion. Selon une interprétation peu rigoureuse de la loi, le gouvernement pourrait déléguer des pouvoirs et responsabilités importants aux communautés dans les réserves forestières; nombreux représentants officiels soutiennent, en revanche, que rien dans la loi ne leur conférait le droit exprès d'accorder de tels pouvoirs aux communautés. Aussi l'autorité légale de la Sous-Commission des forêts d'autoriser des initiatives communautaires dans les mangroves a-t-elle été perçue comme douteuse.

· Les villageois associés au programme s'étaient en grande partie autosélectionnés et constitués en groupe informel dont les liens avec les institutions gouvernementales locales existantes étaient aléatoires. En outre, les communes pouvaient émettre des règlements concernant la gestion des ressources, dont la relation avec les règles des mangroves n'était guère mieux définie. Autrement dit, le statut juridique du groupe de gestion et son pouvoir d'édicter et de faire respecter des règlements était peu clair.

On imagine aisément que ces points faibles pourraient avoir des conséquences importantes. Que se passerait-il, par exemple, si d'autres communautés de Zanzibar, jalouses de la revitalisation des mangroves de Kisakasaka, mettaient en discussion les droits des villageois sur une partie des forêts «nationales» du pays; ou si certains habitants de Kisakasaka commençaient à enfreindre les règlements, en contestant leur statut; ou si le secteur forestier faisait intervenir des décideurs hostiles à la gestion communautaire? Tout cela pourrait mettre un terme à l'effort de Kisakasaka.

Des initiatives comme celle-ci sont nées dans un environnement légal qui, au mieux, était peu adapté à leurs objectifs, et, au pire, pouvait mettre en péril leur réussite.

Cependant, le cadre juridique pourrait évoluer de façon positive. En 1996, Zanzibar a adopté une nouvelle loi de conservation et de gestion des ressources forestières qui pourrait affronter bon nombre des problèmes évoqués ci-dessus. La nouvelle loi prévoit un mécanisme de formulation «d'accords de gestion forestière communautaire» qui peuvent être appliqués aussi bien pour les réserves forestières que pour d'autres zones adaptées à la gestion communautaire. Les procédures de tracé des zones communautaires sont énoncées clairement, tout comme les droits fondamentaux et responsabilités des deux parties, c'est-à-dire le groupe communautaire et la Sous-Commission des forêts. Les groupes communautaires sont autorisés à rédiger des règlements applicables (sous réserve de l'approbation de la Sous-Commission) et peuvent être reconnus en tant que personnes juridiques. Néanmoins, la loi se garde d'exposer trop de détails, choisissant en revanche une approche souple qui permettrait d'adapter les accords aux conditions locales et aux aspirations de la communauté.

LA LOI ET LA GESTION COMMUNAUTAIRE

Le cas de Kisakasaka n'est guère unique pour ce qui est des faiblesses de ses fondements juridiques. Maints efforts de gestion communautaire - sinon la plupart - manquent du soutien légal nécessaire pour permettre aux populations locales d'établir des droits exécutoires sur les ressources dont elles dépendent, ou de jouer un rôle substantiel dans la planification et la gestion de ces ressources.

Bien sûr, la gestion communautaire peut faire abstraction de son contexte juridique, étant entendu que les conditions politiques, sociales et économiques (expressément ou involontairement) soient favorables. Certains systèmes de gestion communautaire existent depuis des siècles et pourraient continuer à fonctionner sans fondement légal national, et peut-être même en contradiction directe avec la loi.

Pourtant, les systèmes de gestion communautaire n'existent jamais dans une situation d'isolement. Les ressources naturelles étant au cœur de conflits grandissants dans le monde entier, les efforts de gestion communautaire sont surveillés de près, font l'objet d'examens minutieux (favorables ou hostiles) et sont de plus en plus fonction des économies nationales et internationales. Dans ce contexte, la loi - ou les problèmes causés par son absence - revêtira une importance croissante.

Si on les observe sous un autre angle, les initiatives de gestion locale ont besoin d'une législation d'État (parfois plus que leurs défenseurs n'aiment à le reconnaître, mais généralement moins que les gouvernements ne veulent bien l'admettre), car elle offre un appui que les institutions locales ou les règles communautaires sont, dans bien des cas, incapables de fournir à elles seules.

· Les institutions communautaires ne peuvent définir à elles seules les règles d'interaction avec les étrangers. Les groupes locaux ont souvent besoin d'un statut juridique que les étrangers peuvent reconnaître et d'une protection légale contre les intrus ou les éventuels comportements destructeurs ou criminels.

· Les règles locales ne peuvent définir les limites du pouvoir de l'État, c'est-à-dire dans quelle mesure l'État respectera les autonomies locales et quand jugera-t-il utile d'intervenir. Dans la meilleure hypothèse, les groupes communautaires, d'autres composantes de la société civile et le gouvernement œuvrent de concert pour définir ces limites. Mais, à moins que la loi de l'État n'énonce ces limites clairement, les règles communautaires ne peuvent pas faire grand-chose à elles seules pour les faire respecter.

· La législation d'État peut avoir un rôle important à jouer dans la protection des individus contre les abus de pouvoir local - même s'il n'est pas clair dans quelle mesure elle devrait, ou pourrait, intervenir au nom des populations locales opprimées.

· La législation d'État est nécessaire pour fournir des directives de base pour la protection des intérêts légitimes d'autres parties prenantes - y compris les générations futures - et des intérêts plus vastes de la société, comme l'environnement - même si la vision du gouvernement de l'«intérêt national» peut parfois aller à l'encontre des autonomies et des décisions locales en omettant de tenir compte des exigences et aspirations des populations locales (Lynch, 1998).

Ramassage de bols de feu à Zanzibar, République-Unie de Tanzanie

Toutefois, si la loi de l'État doit avoir des rôles importants à jouer dans la création d'un environnement propice pour la gestion communautaire, elle s'est généralement soustraite à ces obligations dans la majorité des pays. De nombreuses lois nationales continuent à être l'émanation d'un mode de gestion des ressources centré sur l'État et d'une philosophie restrictive des droits de propriété, qui a eu tendance à affaiblir les systèmes communautaires existants et a constitué de sérieux obstacles pour les autochtones et les autorités gouvernementales progressistes qui recherchaient de nouvelles solutions basées sur la communauté (Bruce, 1999). Cependant, ces dernières années, on a assisté à l'émergence, dans un nombre croissant de pays, de nouvelles lois plus favorables - ou tout du moins, moins hostiles - aux initiatives communautaires. On peut citer notamment:

· les lois qui reconnaissent les droits de propriété locale sur la terre et/ou les ressources naturelles sur la base de revendications historiques (par exemple la législation de domaines ancestraux reconnaissant les revendications de longue date des communautés indigènes sur la terre aux Philippines, les lois sur les droits de propriété des indigènes en Australie, les droits des indigènes sur les terres dans plusieurs pays d'Amérique latine);

· les lois qui offrent des mécanismes pour la délégation, en fonction du site, d'une certaine responsabilité de gestion des terres et/ou des ressources domaniales aux populations locales, soit à perpétuité, soit pour une durée déterminée (par exemple la gestion forestière conjointe en Inde et la plupart des autres dispositifs de gestion commune ou de coaménagement);

· les lois qui favorisent la délégation de l'autorité aux unités du gouvernement local.

Certaines lois de ce type peuvent avoir pour effet une participation accrue des institutions communautaires locales à la gestion des ressources. Mais ce n'est pas nécessairement le cas, en particulier lorsque la décentralisation délègue simplement l'autorité aux unités locales du gouvernement central ou lorsque les institutions du gouvernement local doivent rendre compte aux échelons supérieurs du gouvernement plutôt qu'à la population locale (Ribot, 1997). Certains cas sont plus prometteurs, comme la nouvelle loi des terres villageoises en Tanzanie, qui confère un contrôle important sur les ressources communautaires aux institutions du village pour une gestion conforme aux règlements communautaires (Wily, 1998).

CONCEVOIR DES LOIS HABILITANTES

Dans un contexte de coutumes, doctrines et capacités juridiques extrêmement variées, il pourrait ne pas être judicieux de chercher à créer un meilleur cadre légal fondé sur des principes de base large ment représentatifs, ou de chercher des modèles juridiques aisément transférables d'un pays à un autre. Les lois praticables qui soutiennent véritablement la gestion communautaire varieront énormément selon la nature des arrangements légaux et institutionnels en vigueur, des objectifs de gestion communautaire dans un cadre donné et d'une vaste gamme de facteurs sociaux, politiques et économiques.

Néanmoins, pour améliorer le cadre légal de la gestion communautaire, deux principes clés sont fondamentaux: la sécurité et la flexibilité. Or, les lois de la plupart des pays laissent beaucoup à désirer à cet égard.

Sécurité

Le succès de toute initiative communautaire repose sur un espoir réaliste d'avantages significatifs et sur la confiance que les droits à ces avantages sont sûrs et ne peuvent être retirés arbitrairement.

La sécurité est naturellement, en partie, un état d'esprit. Là où les relations entre la communauté et le gouvernement ont toujours été bonnes, les populations se sentent suffisamment sûres pour se lancer dans la gestion uniquement sur la base d'une promesse de la part des autorités locales. Dans d'autres situations, où les gens ne font aucune confiance aux lois de l'État et à ses institutions, les communautés ne se sentiront pas garanties, même si leurs droits sont énoncés noir sur blanc dans les documents officiels. La loi ne peut garantir la sécurité dans des environnements foncièrement précaires.

Nous présentons ci-après une série de critères à prendre en considération pour définir des droits juridiques sûrs. Force est de constater que la plupart des régimes juridiques nationaux ne transmettent guère ces éléments de sécurité fondamentaux aux initiatives de gestion communautaire.

Cette liste n'est pas exhaustive. Par ailleurs, tous les critères énumérés ne s'appliqueront pas forcément à toutes les situations.

· Les droits doivent être clairs. Les lois du monde entier décrivent des droits de façon si vague qu'ils en deviennent pratiquement dénués de sens. Parmi les exemples de libellé vague, on peut citer des phrases comme «les droits coutumiers des habitants des forêts seront respectés autant que possible» ou encore «la loi coutumière sera respectée à moins que l'intérêt national ne prévale». L'ambiguïté pourrait dériver d'un manque de communication, de compréhension ou de formulation et pourrait parfois être de propos délibéré.

· Il faut la certitude que les droits ne puissent être ôtés ou modifiés unilatéralement et injustement. Presque toutes les structures légales reconnaissent des circonstances dans lesquelles les droits peuvent être retirés ou réduits, mais les conditions et procédures correspondantes doivent être équitables et énoncées clairement et la question des indemnités doit être abordée. Dans les systèmes de cogestion, il est important que le gouvernement ne puisse les résilier unilatéralement, à moins d'infractions graves et répétées et de l'incapacité d'y remédier après mise en demeure (voir Kant et Cooke, 1998).

· Les droits devraient être garantis soit à perpétuité, soit pour une durée suffisamment longue pour réaliser pleinement les intérêts de la participation. Les systèmes de cogestion ou les baux forestiers communautaires, qui disposent de délais de cinq à 10 ans ou qui sont liés à un cycle de croissance (comme dans certains accords de gestion communautaire en Inde, par exemple), peuvent compromettre le sens de propriété de la communauté sur les ressources en question et affaiblir son attitude à long terme envers l'aménagement (Lindsay, 1994).

· Les droits doivent être opposables à l'État (y compris les institutions du gouvernement local). Le système juridique doit reconnaître l'obligation de la part de l'État de respecter les droits. Dans de nombreux contextes, il n'est pas clair si les accords de gestion conjointe, en particulier, sont de fait considérés par la loi comme renfermant des obligations contractuelles exécutoires de la part de l'État (Eggertz, 1996).

· Les droits doivent être exclusifs. Les détenteurs des droits sur une ressource doivent être en mesure d'exclure ou de contrôler l'accès des étrangers. Le gouvernement ne devrait pas pouvoir céder des droits antagoniques à d'autres sur la même ressource (comme des concessions minières dans une forêt communautaire). Le gouvernement doit également, le cas échéant, aider à faire respecter et à protéger les droits du groupe des ingérences externes.

· L'objet des droits doit être clair. Il est essentiel de définir les limites des ressources auxquelles les droits se réfèrent ainsi que les personnes qui peuvent revendiquer ces droits.

· L'entité gouvernementale participant à l'accord doit avoir le pouvoir de le faire. Par exemple, un organisme gouvernemental ne peut accorder à un groupe de gestion communautaire un droit exclusif sur des terres du gouvernement si l'organisme lui-même ne détient pas le pouvoir d'exclure et de déléguer ce droit. Un manque de clarté ou de consensus sur quel organisme est chargé du contrôle des ressources a, dans certains cas, fait échouer des accords de cogestion.

· La loi doit reconnaître le détenteur des droits. Le détenteur des droits de vrait être reconnu en tant que personne juridique ayant la capacité de prendre toute une série de mesures, comme les demandes de crédits ou de subventions, la signature de contrats avec des étrangers ou la collecte de droits d'entrée.

· La loi doit veillera la protection des droits. Elle doit fournir des moyens accessibles, abordables et équitables de rechercher une protection, de résoudre les conflits et d'appeler des décisions des responsables gouvernementaux.

Flexibilité: espace juridique pour un choix cohérent

La gestion communautaire des ressources naturelles se fonde sur une adaptation et des choix locaux, qui sont menacés si on applique une approche excessivement rigide et uniforme. Dans ce domaine de législation, il est particulièrement important de considérer la loi comme un outil habilitant, et non pas comme un jeu de règles complexes qui prescrivent ou dictent des solutions aux problèmes locaux. Il est frappant de remarquer combien ce principe est souvent enfreint.

Protéger la flexibilité en matière juridique n'est pas une tâche aisée. Même s'il est aussi juste qu'efficace pour la législation d'État d'autoriser les règles communautaires - y compris les systèmes de droit coutumier de longue date - à se développer selon leur propre dynamique, la flexibilité ne peut être illimitée. Aussi bien la société dans son ensemble que les individus faisant partie du groupe ont des intérêts qui doivent être pris en compte. La protection de ces intérêts tout en laissant la place nécessaire aux décisions et aux choix locaux requiert une mise en équilibre très délicate.

Si la flexibilité doit être prise en compte dans tous les aspects de la conception ou du soutien de la gestion communautaire, elle est examinée ici par rapport à trois secteurs étroitement liés: planification et gestion; reconnaissance des groupes locaux; et identification de la composition des groupes et de leurs attributions.

Objectifs de gestion et règles pour les atteindre. Même dans certains des régimes juridiques les plus progressistes soutenant la gestion communautaire, le gouvernement se cramponne souvent à son pouvoir décisionnel. La loi à elle seule ne peut éliminer la tendance des autorités d'imposer des décisions de planification et de gestion, mais leur rédaction peut contribuer à faire pencher la balance en faveur d'une plus grande participation locale au processus de planification en laissant de côté une consultation de pure forme.

La gamme de choix dans l'aménagement communautaire des ressources naturelles est influencée par les préoccupations de différents secteurs, avec de nombreux chevauchements entre stratégies participatives et législations distinctes régissant l'eau, les forêts, les pêches, l'élevage, etc. Les catégories et étiquettes utilisées par la loi - par exemple, le hasard qui fait que des terres sont du ressort d'un organisme gouvernemental et non d'un autre - peut parfois invalider les choix. Une étude de cogestion de terres boisées du gouvernement en Afrique australe, par exemple, a montré que la plupart des décisions sur l'avenir avaient déjà été prises, laissant une marge de négociation très réduite (Matose, 1997).

Reconnaissance des groupes locaux. On a déjà vu que les responsables communautaires ont besoin d'une forme de personnalité juridique reconnue par la loi de l'État. La difficulté réside dans son libellé. La loi tend à décrire avec force détails la structure des organisations locales et les règles sur lesquelles elles reposent. Un des postulats de la gestion communautaire des ressources naturelles est qu'il vaut mieux se fonder sur des institutions locales ancrées sur les valeurs et pratiques locales; il est alors contradictoire pour la loi d'essayer de comprimer ces institutions dans des formes standard complexes et étrangères à la situation locale.

Par exemple, en Australie, la Loi sur les conseils et associations aborigènes de 1976, qui établissait des formes légales de droits de propriété, avait pour vocation de permettre aux groupes indigènes «de mettre en place des organes juridiquement reconnus qui soient l'expression de leur propre culture et ne les force pas à l'assujettir aux concepts juridiques prédominants d'Europe occidentale». Toutefois, telle qu'elle était rédigée, cette loi ne laissait guère de place aux particularités culturelles locales dans les structures sociales et les processus décisionnels, ce qui porta certains détracteurs à soutenir que c'est la raison pour laquelle les groupes avaient perdu le contrôle de leurs affaires. En revanche, la Native Land Titles Act, adoptée dans les années 90, donne une plus grande visibilité aux formes institutionnelles existantes, en fournissant les critères et directives de base tout en laissant le groupe libre de décider des détails de fonctionnement interne (Fingleton, 1998).

La reconnaissance légale des institutions communautaires peut avoir des conséquences inattendues. Par exemple, certains groupes dominants au sein d'une communauté peuvent s'en servir pour renforcer leur pouvoir au détriment des éléments plus faibles. Les membres de la communauté peuvent avoir besoin de directives de base pour les aider à reconnaître la responsabilité de leurs chefs.

Définition de groupes de gestion et de zones de juridiction. Il est extrêmement difficile de décider comment la loi de l'État doit définir quel groupe a quel pouvoir sur les ressources d'une région. Une démarche consiste à désigner un organe ou une autorité locale qui détiendrait le contrôle d'une zone prédéfinie, par exemple un conseil de district ou de village. Une autre orientation, que l'on retrouve surtout dans les situations de cogestion, est de reconnaître différents groupes formés autour de différentes fonctions et objectifs. La Loi forestière népalaise de 1993, par exemple, transfère les terres boisées à des groupes essentiellement autoproclamés, qui n'ont aucun lien avec les limites du gouvernement local.

La première démarche est plus facile à définir juridiquement parlant car il existe déjà des structures locales uniformes. Toutefois, investir un organe du gouvernement local du pouvoir ne garantit aucunement que les autochtones auront leur mot à dire dans la gestion des ressources locales, à moins que cet organe n'ait une vocation démocratique, représentative et responsable (Ribot, 1997). En outre, les ressources naturelles tendent à être insensibles aux frontières administratives (Emsail, 1997).

Dans de nombreux contextes, il peut ne pas y avoir de concept unique de la «communauté», et une zone particulière peut être sujette aux revendications légitimes de plusieurs groupes à divers types d'utilisation des ressources. La flexibilité augmente la possibilité d'adapter les arrangements locaux aux associations de longue date existant entre les autochtones et les ressources et la multiplicité des intérêts qui y sont liés.

POUR UNE RÉFORME LÉGISLATIVE EFFICACE

Pour que la loi ne se limite pas à un simple geste velléitaire, mais qu'elle soit, en revanche, une présence concrète, on peut appliquer plusieurs principes généraux.

Tout d'abord, il est important de veiller à ce que la conception des lois - de la législation nationale aux accords locaux - soit fonction des exigences, aspirations, connaissances et capacités des utilisateurs ciblés par la loi, et ne soit pas guidée parles idées préconçues des avocats, donateurs et autres étrangers, pour bien intentionnés qu'ils soient. Il est incongru qu'un processus visant à encourager la participation soit imposé du sommet, sans que la communauté ne prenne part à sa conception. Si ce principe peut sembler évident, il doit néanmoins être souligné car - dans de nombreuses sociétés démocratiques - le concept consistant à associer les personnes concernées au processus législatif dès le départ est soit négligé à dessein, soit considéré avec inquiétude. Les avocats doivent rendre les concepts et le langage juridiques accessibles, tandis que les responsables locaux et leurs alliés doivent se familiariser avec ces mêmes concepts et langages.

Deuxièmement, il faut améliorer la capacité des gens de comprendre et d'utiliser la loi. Une éducation doit être dispensée non seulement aux responsables locaux, mais aussi aux fonctionnaires, aux forces de police et aux juges. Le potentiel d'habilitation de la loi et des politiques ne doit pas être considéré uniquement du point de vue des groupes communautaires, mais aussi de celui des autorités progressistes. D'ailleurs, dans certains cas, ce sont les autorités gouvernementales elles-mêmes qui ont donné la première impulsion à la réforme législative, à cause des obstacles que la loi met à leur capacité de répondre et de soutenir les initiatives communautaires (Shah, 1998).

Troisièmement, il faut améliorer les rouages de la loi. Un pouvoir judiciaire relativement indépendant est déterminant, mais dans la plupart des pays, les responsables ne peuvent compter sur les tribunaux pour défendre leurs droits. Une réforme de fond des droits passe par la conception de nouvelles façons d'aborder les conflits.

Quatrièmement, les attentes doivent être réalistes. Les lois qui prétendent trop changer seront ignorées. Les lois ne devraient pas être promulguées si leur application dépend de ressources que le gouvernement ou les communautés n'ont pas, ou si elle nécessite une réorganisation massive des institutions qui est peu vraisemblable.

Enfin, les chefs de communauté et leurs alliés doivent faire des choix stratégiques sur les priorités et la justification de mettre l'accent sur le détail de fond de la loi. Ils doivent se demander s'il ne vaut pas mieux, pour le moment, travailler avec des instruments juridiques imparfaits et se concentrer sur la persuasion et la création d'alliances, plutôt que d'insister sur des réformes immédiates qui pourraient, dans certaines circonstances, déstabiliser des coalitions délicates.

Des régimes législatifs offrant des outils efficaces, sûrs et souples à la gestion communautaire sont fondamentaux si l'on veut qu'elle devienne une stratégie durable et diffuse, plutôt qu'une approche ad hoc.

Bibliographie

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