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Participation, pluralisme et polycentrisme: réflexions sur l'aménagement des bassins versants au Costa Rica

A. Fernández-González et B. Aylward

Alvaro Fernández-González est consultant indépendant et chercheur associé auprès de l'Observatoire du développement et du Centre des sciences tropicales au Costa Rica.
Bruce Aylward est conseiller principal en Économie et politiques du développement, auprès du Secrétariat de la Commission mondiale pour les barrages en Afrique du Sud.

Dans la doctrine polycentriste, toutes les échelles d'organisation, à savoir le fournisseur de biens publics, le consommateur et la communauté politique qui prend les décisions concernant l'offre et la production, coïncident.

Un récent numéro d'Unasylva (vol. 49, n° 194,1998) sur le thème «Concilier des intérêts multiples en foresterie» résumait les conclusions d'un Atelier sur le pluralisme, la foresterie et le développement rural durables, accueilli par la FAO en décembre 1997.

Le présent article oppose au concept de pluralisme, défendu par Unasylva, la notion de «polycentrisme», élaborée par Vincent Ostrom et ses collaborateurs à l'Université de l'Indiana, Bloomington, Indiana, (États-Unis). Il analyse ensuite quelques expressions concrètes du concept de polycentrisme, à partir d'une récente étude sur l'aménagement des bassins versants au Costa Rica.

PLURALISME, PARTICIPATION, LÉGITIMITÉ ET LÉGALITÉ: LE NUMÉRO D'UNASYLVA SUR LE PLURALISME

Le pluralisme, tel qu'il est décrit par Anderson. Clément et Crowder (1998) dans l'article de synthèse d'Unasylva, implique l'existence de «groupes distincts (qui sont) activement autonomes et indépendants, mais souvent interdépendants». «Les conflits entre ces groupes sont inévitables et ne peuvent pas être résolus de façon permanente. Au mieux, ils peuvent être temporairement maîtrisés». Cela suppose des interrelations responsables, des pouvoirs, et «l'équité entre les groupes en matière de pouvoir décisionnel». «La séparation des pouvoirs et des systèmes d'équilibre des pouvoirs sont nécessaires afin d'éviter les dysfonctionnements et les abus de monopole».

Ces réflexions sur l'attribution de pouvoirs et la séparation des pouvoirs entraînent une mutation de l'approche pluraliste qui perd son caractère réactif, pour devenir proactive; lors de cette transition, les auteurs évoquent «la promulgation d'un cadre juridique favorable au développement du pluralisme». Ils considèrent comme nécessaires au moins trois types d'organisation - services publics, groupements et communautés locales, et organisations non gouvernementales - mais aussi l'impulsion de certains mécanismes comme la décentralisation, la privatisation, la participation, les marchés ruraux, les contrats de gestion des ressources, les chartes territoriales et les codes de conduite.

Dans un article intitulé «Droit, pluralisme et promotion de l'aménagement durable des forêts parles communautés», Lynch (1998) préconise un renforcement de la société civile par des mesures visant expressément à garantir les droits d'obtenir des informations, d'exprimer son opinion, de participer aux processus décisionnels, de s'associer avec d'autres, de s'enregistrer comme organisations légalement reconnues, d'ouvrir et de garantir des comptes bancaires, et de détenir des biens. La reconnaissance des droits des communautés, par un «régime juridique approprié, reconnaissant le rôle des institutions communautaires locales et leur permettant de définir, de contrôler et de redéfinir les règles concernant l'utilisation des ressources» est jugé tout aussi important; en outre il est impératif «d'instaurer et de renforcer des relations juridiques, réglementaires et économiques appropriées entre les communautés locales, les institutions gouvernementales et, dans certains cas, des entreprises commerciales».

L'APPORT D'OSTROM ET DE SES COLLABORATEURS

À l'approche pluraliste qui vient d'être brossée à grands traits, s'oppose le concept de «polycentrisme», élaboré pour la première fois par Vincent Ostrom et ses collaborateurs dans les années 50, pour tenter de résoudre les problèmes d'approvisionnement des grandes agglomérations des États-Unis en biens et services collectifs.

À une époque où il était à la mode de déplorer le chevauchement ou la duplication des fonctions de la multitude d'organisations fédérales, nationales, régionales ou de district spécial actives dans les vastes métropoles américaines, et où l'on recommandait leur réorganisation sous la houlette d'un organisme commun, Ostrom, Tiebout et Warren (1961) défendaient une autre thèse, à savoir que cette myriade de juridictions politiques pouvaient fonctionner de manière cohérente, dans le cadre d'un «système politique polycentriste».

Dans la théorie polycentriste, «les individus sont les unités de base de l'analyse» (Ostrom, 1994). «L'autorité fondamentale des personnes établit l'autorité de chacun pour diriger ses propres affaires. À cette autorité correspondent des limitations du pouvoir des instruments spécialisés du gouvernement. Ces derniers sont constitués par les relations multiples des institutions qui témoignent d'une division du travail dans l'exercice de l'autorité en matière de formulation des règles (pouvoir législatif), d'exécution des règles (pouvoir exécutif), et de suivi des performances (pouvoirs en matière de comptabilité, de vérification des comptes et d'enquête). Il n'y a pas d'autorité suprême: l'autorité peut toujours être contestée. L'autorité déterminante dépend de la concurrence entre les multiples structures décisionnelles».

Dans ce contexte, affirme Ostrom, «les individus occuperont des positions où des décisions seront prises pour servir les intérêts d'autres personnes, dans l'exercice de relations d'entreprise et de confiance. Les entreprises commerciales, les unités gouvernementales, les organisations gouvernementales, les organes législatifs, les partis politiques, les tribunaux et les États nationaux peuvent aussi être utilisés comme unités d'analyse devant avoir des relations à des niveaux d'analyse plus poussés. Les sociétés deviennent alors des assemblages d'associations richement imbriqués incluant les différentes formes d'associations créées au sein des unités du gouvernement et entre elles. Différentes unités autonomes peuvent faire l'objet d'une analyse concernant certaines règles d'association spécifiques».

Dynamique, coûts et avantages du polycentrisme

Selon Ostrom, les modèles de gestion polycentristes s'appliquent aux économies tant publiques que mercantiles, aux systèmes de gouvernement caractérisés par la séparation des pouvoirs et par une série de vérifications et d'équilibrages, et aux modèles d'ordre international. À ce stade, il est fondamental de distinguer la nature des biens et des services en fonction des catégories d'exclusion et de rivalité en matière de consommation (Ostrom, Tiebout et Warren, 1961; Ostrom et Ostrom 1977; Ostrom, Gardner et Walker, 1994), de manière à établir une gradation allant du purement privé au purement public.

Dans le cas des biens privés, qui se caractérisent par un degré élevé d'exclusion et de rivalité, «la viabilité de tout ordre polycentriste dépend du maintien de limites appropriées», en particulier en ce qui concerne les formules contractuelles oligopolistiques qui entravent le libre jeu de l'offre et de la demande sur le marché.

Dans le cas des biens publics ou quasi publics - qui comprennent de nombreuses ressources naturelles accessibles à tous, comme les forêts - l'exclusion et la rivalité sont faibles. Il faut donc mettre au point des formules non marchandes pour les fournir, et des mécanismes financiers pour attribuer les coûts de production à ceux qui les consomment effectivement.

Dans cette vision polycentriste, à chaque bien public correspond une échelle d'organisation publique appropriée (Ostrom, Tiebout et Warren, 1961). Les éléments d'échelle sont au nombre de trois:

· l'échelle d'organisation officielle, à savoir l'unité gouvernementale qui fournit le bien public;

· le public, représenté par tous ceux qui sont affectés par la fourniture du bien public;

· la communauté politique, constituée par tous ceux qui interviennent effectivement dans la décision de fournir le bien.

Selon les auteurs, théoriquement (à supposer que soient réunis les critères de démocratie responsable), les trois échelles devraient coïncider. Cependant, étant donné que le nombre potentiel d'unités gouvernementales est plus restreint que le nombre de biens publics devant être fournis, une relation biunivoque entre le public, les communautés politiques et les organisations gouvernementales officielles est impossible. De ce fait, les auteurs font valoir que «les organisations publiques peuvent 1) se reconstituer; 2) coopérer volontairement; ou, à défaut de coopération, 3) se tourner vers d'autres niveaux de gouvernement pour trouver un ajustement approprié entre les intérêts affectant - ou affectés par - les transactions publiques».

La deuxième option, à savoir la coopération volontaire, peut se résoudre facilement, sous la forme d'un accord contractuel. Les deux autres options posent toutefois des problèmes plus complexes sur le plan de la concurrence, des conflits et de leur résolution. Un système politique polycentriste n'est viable que s'il est en mesure de résoudre les conflits et de maintenir la concurrence dans des limites acceptables.

Pour limiter la concurrence, les vérifications des performances des unités gouvernementales locales sont cruciales. Il est également conseillé de séparer la fourniture et la production de biens et de services publics. À cet égard, les gouvernements locaux peuvent fonctionner comme des associations de consommateurs, en canalisant la demande vers les producteurs de biens et de services publics les plus compétitifs.

La répartition non uniforme des coûts et des avantages du bien ou du service public fourni est le principal défi en matière de gestion et de résolution des conflits. Des mécanismes gouvernementaux efficaces sont nécessaires pour internaliser le problème (notamment des sanctions pour garantir l'application des décisions). Le recours aux tribunaux judiciaires est essentiel à cet égard. Étant donné que les affaires portées devant les tribunaux sont définies par les parties au litige, le risque qu'un contrôle externe soit exercé par une autorité supérieure est minime. L'autre recours fondamental est la négociation informelle, où les différences sont subordonnées à l'objectif de ne pas perdre l'autonomie locale au profit de niveaux d'autorité supérieurs.

LE PLURALISME, LE POLYCENTRISME ET LA GESTION DES BASSINS VERSANTS AU COSTA RICA

Au Costa Rica, les politiques de gestion des ressources naturelles et de l'environnement qui ont été élaborées au XXe siècle ont été formulées dans le cadre d'arrangements institutionnels centralisés. L'organisation interne des institutions de l'État, de même que les mécanismes de liaison entre ces institutions et leurs utilisateurs étaient à l'époque de type fortement bureaucratique, centralisé et vertical.

Néanmoins, il semblerait que depuis peu, la tendance à la centralisation soit en train de changer. Ainsi, la reconnaissance accrue de l'importance des forêts comme sources de ressources naturelles et de services de protection de l'environnement a engendré des changements majeurs. De même, la prise de conscience croissante du rôle crucial des bassins versants dans la production d'énergie hydroélectrique et dans la contamination des cours d'eau, des nappes souterraines et des zones côtières a incité à constituer des commissions des bassins versants dans tout le pays; ces commissions sont des organes à participation gouvernementale, non gouvernementale et locale, dont le rôle est de définir des programmes d'action conjoints.

Plusieurs autres grandes innovations institutionnelles sont orientées vers le pluralisme, et peut-être même vers le polycentrisme. Depuis 1988, le Service des parcs nationaux, le Service des forêts et le Département de la vie sauvage ont été unifiés sous l'égide du Système national des zones de conservation, qui divise le Costa Rica en 11 zones de gestion et de protection des ressources naturelles décentralisées, et sert de cadre institutionnel pour la participation des municipalités locales et de groupes du secteur privé à la conception et à la mise en œuvre des politiques.

Les bassins versants ont un rôle essentiel dans la génération d'énergie hydroélectrique et dans la maîtrise de la contamination des cours d'eau et de la sédimentation en aval

La nouvelle loi forestière de 1996 a établi l'Office national des forêts, un organe de coordination des politiques forestières, comprenant des représentants du secteur gouvernemental et du secteur non gouvernemental, notamment des organisations d'écologistes et des institutions de reboisement à petite échelle.

Ces initiatives ont pour impact général d'élargir la participation, en associant un nombre croissant de parties prenantes à la planification et à la mise en œuvre des politiques de gestion des ressources naturelles, en particulier des forêts, des zones de conservation et des bassins versants. Pour reprendre les termes d'Ostrom et de ses collaborateurs, la possibilité d'avancer vers un horizon polycentriste - dans lequel convergent toutes les échelles d'organisation, à savoir l'organisation qui fournit les biens publics, le public qui les consomme et la communauté politique qui prend les décisions concernant l'offre et la production - est subordonnée à la mise en place parallèle d'un cadre institutionnel et juridique solide.

Bassin versant d'Arenal

Les sections suivantes examinent une récente étude de cas sur le bassin versant d'Arenal (Aylward et al., 1998; Aylward et Fernández-González, 1998); cette analyse a pour buts de déterminer dans quelle mesure les trois échelles d'organisation coïncident, sous la forme d'unités concrètes fournissant des biens et des services publics, et de déterminer si le fonctionnement de ces unités concrètes, en termes de coopération, de compétition et de résolution des conflits, a ou non contribué à créer et à consolider un système politique polycentriste.

Le bassin versant d'Arenal

Le bassin versant du Lac Arenal, qui couvre une superficie totale de 41 000 ha, est situé dans le centre-nord du Costa Rica, sur le versant atlantique de la division continentale (voir carte).

La zone, occupée par des éleveurs de bovins depuis les années 40, a commencé à jouer un rôle stratégique dans l'économie nationale à la fin des années 70, lorsqu'un barrage de 9 300 ha a été construit. Le barrage apporte de l'eau vers le versant pacifique du Costa Rica, où elle est utilisée par une centrale électrique produisant au total 362 mégawatts, soit 33 pour cent de la capacité de production totale du pays (et jusqu'à 50 pour cent pendant la saison sèche).

Malgré les pentes abruptes et le terrain accidenté, 60 pour cent du microbassin versant du fleuve Chiquito, qui se trouvent en aval et couvrent 8 900 ha ont été déboisés et convertis en pâturage pour le bétail. Le bassin versant se caractérise donc par de grands pâturages sur les pentes aval et par une mosaïque d'espaces boisés et de pâturages sur les pentes amont.

Paysage typique de pâturage et de foret dans un bassin versant montagneux au Costa Rica

Le plan d'aménagement du bassin versant, qui a commencé à être élaboré en 1993 par des fonctionnaires de la Zone de conservation d'Arenal, et a été officiellement approuvé par le gouvernement en 1997, préconisait le reboisement des pâturages, en particulier dans le microbassin versant du fleuve Chiquito, et offrait aux éleveurs de bovins des possibilités d'améliorations techniques.

Le plan d'aménagement est compatible avec les théories traditionnelles des écologistes, selon lesquelles la conversion des forêts tropicales (c'est-à-dire l'abattage des arbres) en pâturages provoque des augmentations importantes et constantes de l'érosion et des flux de sédiments, un accroissement du risque d'inondation, une diminution des flux de la saison sèche, et même un abaissement des précipitations. Selon les idées reçues, la production animale a un intérêt économique limité, en particulier parce que l'érosion réduit la productivité au fil du temps.

L'étude de cas

De 1994 à 1997, le Programme de recherche collective en matière d'économie de l'environnement et du développement (CREED) de l'Institut international pour l'environnement et le développement (IIED) a entrepris une étude biophysique, économique et institutionnelle détaillée du bassin versant d'Arenal, plus particulièrement orientée vers le microbassin versant du fleuve Chiquito, dans le but d'identifier des incitations et des arrangements institutionnels pour la gestion du bassin versant (Aylward et al., 1998).

TABLEAU 1. Évaluation de la production bovine dans la zone du bassin de Chiquito

Produit

Échelle

Recettes des éleveurs producers

Externalités hydrologiques positives

Avantage de la production sylvicolea

(valeur nette courante, en dollars EU/ha)

Bœuf

Moins de 80 ha

(581)

502-1 307

(554)-1

Plus de 80 ha

1 055

1 013-1 190

(554)-22

Double objectif

Grande, mécanisée, vendant à une coopérative laitière nationale

1 877

1 190

(554)-1

Petite, vendant à un gros producteur local de fromages

612

222-720

(554)-16

Vendant à de petits producteurs de fromages

38

1 135-1 190

(554)-1

Produits laitiers

Grande, mécanisée, vendant à une coopérative laitière nationale

7413

292-1 190

(429)-15

Petite, vendant à un gros producteur local de fromages

271

1 442

(429)-16

a Les recettes négatives concernant la production sylvicole se réfèrent aux plantations forestières, alors que les recettes positives correspondent aux recettes simulées de la régénération naturelle. On estime également que la protection complète du bassin versant coûterait 160 $EU/ha, aux prix courants nets, alors que les avantages du stockage du carbone dérivant de la régénération secondaire dans les pâturages représenterait une valeur actuelle nette de quelque 200-300 $EU/ha. même en évaluant généreusement le carbone stocké.

Note: Les chiffres relatifs à la production bovine et aux externalités hydrologiques représentent des recettes économiques. Ceux concernant la production sylvicole correspondent aux bénéfices nets des producteurs, moins les incitations existantes.

Source: Aylward et al. (1998).

La foresterie locale à valeur ajountée est un des choix politiques appliqués au Costa Rica

Analyses biophysique et économique.

Les analyses biophysiques et économiques (résumées au tableau 1) ont abouti à des conclusions surprenantes:

· Les éleveurs de bovins utilisaient la terre de manière productive; en outre, les externalités positives de la production animale outrepassaient largement les externalités négatives associées à la variation de capacité de stockage du carbone, même en attribuant une valeur «généreuse» au carbone stocké.

· Les pâturages ont été plus bénéfiques pour la production d'énergie électrique que si le sol avait été entièrement recouvert de forêts; les pâturages de la partie basse du bassin versant ont réduit l'évapotranspiration, et la forêt de brouillard de la partie supérieure, caractérisée par une mosaïque de pâturages et de forêts, a attiré davantage de précipitations occultes.

· La valeur de l'accroissement du rendement hydrique associé à la production animale était largement supérieure à l'accroissement parallèle des flux de sédiments.

Même si, à une micro-échelle, il serait préférable de rétablir la forêt dans certaines zones, alors que dans d'autres les pâturages ou d'autres types d'utilisation seraient plus appropriés, la conclusion générale est claire: l'hypothèse selon laquelle les pâturages devraient être reboisés n'est pas valable, alors qu'au contraire, la tendance à convertir les forets en pâturages est justifiée.

Analyse institutionnelle. Comme dans l'approche d'Ostrom et de ses collaborateurs, l'analyse des scénarios institutionnels qui prévalent pour la gestion du bassin versant d'Arenal et des nouveaux systèmes de gestion proposés a comme point de départ la distinction entre le caractère public et privé de l'éventail de biens et de services produits dans le bassin versant (Cornes et Sandlers, 1986). Les biens et les services ont été classés en deux catégories, selon qu'il s'agit de valeurs in situ, ou d'externalités (valeurs ex situ):

· valeurs in situ - production laitière ou bovine, utilisations extractives de la diversité biologique, productivité du sol;

· externalités amont - apports de sédiments, production d'eau, régulation du débit;

· externalités aval - sédimentation, flux annuels, maîtrise des crues;

· autres services et attributs environnementaux - prospection de la biodiversité, stockage de carbone; valeur d'existence des forêts et de la biodiversité.

Le tableau 2 montre les résultats généraux de la classification de ces biens et services en fonction de leur degré d'exclusion et de rivalité.

TABLEAU 2. Exclusion et rivalité des biens et services du bassin versant dans la zone du fleuve Chiquito

Exclusion

Rivalité

Non-rivalité (faible)

Rivalité (élevée)

Exclusion impossible (faible)

Biens et services publics
Apports de sédiments
Rendement hydrique
Régulation du débit
Réduction du risque d'inondation
Prospection de la biodiversitéß
Valeur d'existence

Biens et services accessibles à tous
Ü Sédimentation
Stockage de carbone ß

Exclusion possible (élevée)

Biens et services payants

Biens et services privés
Ü Productivité du sol
Utilisations extractives in situ
Flux annuels
Débit de base de la saison sèche

Il est difficile de généraliser à partir des résultats d'une analyse de ce type, d'une part parce que la classification et la valeur des biens et des services figurant dans le tableau sont spécifiques au site (Pour plus de détails sur la classification, voir Aylward et al., 1998; Aylward et Fernández-González, 1998) et, d'autre part, parce que ces biens et ces services sont produits simultanément (Cornes et Sandler, 1986). C'est cette variabilité qui fait que les arrangements institutionnels centralisés sont généralement inappropriés pour la production et la fourniture, par le secteur public, de ces biens et services.

Il est clair que le bassin versant d'Arenal tend depuis peu à être géré sur la base d'une combinaison d'incitations et d'arrangements institutionnels.

Programmes institutionnels existants pour la gestion du bassin versant

Les utilisations extractives in situ du bassin versant (production animale, utilisations extractives de la biodiversité) ont un degré élevé d'exclusion et de rivalité et, partant, un caractère fortement privé. La zone évolue actuellement d'un marché simple vers un marché différencié, avec des groupes d'utilisateurs qui fournissent des biens et des services fondamentaux pour l'élevage et la foresterie (notamment du matériel et des fournitures, des services de transformation et une assistance technique). Quelques biens et services sont produits par le gouvernement central (par exemple le Ministère de l'agriculture), et d'autres par des entreprises privées.

À ce stade, il est important de s'arrêter sur le caractère «collectif», ou public, des autres biens et services analysés au tableau 2. Il est compatible avec la nature des programmes de protection des forêts actuellement en place dans le microbassin versant du fleuve Chiquito et ses environs, qui ont pour objectif d'améliorer l'organisation de ces biens et services. Ces programmes se caractérisent par une fourniture centralisée et une production décentralisée des biens et des services pour la gestion du bassin versant.

En général, dans la zone du fleuve Chiquito, la situation institutionnelle est dite mixte - c'est-à-dire en partie privée et en partie publique, et révèle une tendance locale au polycentrisme, analogue à celle observée a l'échelle nationale. Cette évolution transparaît en particulier dans les récentes expériences de coordination interinstitutions dans la zone, qui prévoient des mécanismes de plus en plus officiels pour gérer le bassin versant, sur la base d'actions conjointes. Parmi ces mécanismes, on peut citer les commissions environnementales régionales ou locales établies par la Zone de conservation d'Arenal, la Commission interinstitutions de Tilarán et la Commission pour la gestion du bassin versant d'Arenal, créée en 1997.

Le principal point faible de ce polycentrisme naissant est l'insuffisance ou l'absence d'un cadre juridique pour renforcer la juridiction des différents organismes publics participants et pour réglementer la coopération, la concurrence et la résolution des conflits entre ces unités gouvernementales, leur «public», leur «communauté politique» et les autres acteurs publics et privés qui interviennent dans la fourniture ou dans la production des biens et des services publics ou quasi publics considérés (Ostrom, Tiebout et Warren, 1961).

Les perspectives du polycentrisme, dans le contexte des options possibles pour améliorer la gestion

Le Projet CREED a déclenché une démarche participative «enquête-action» qui a débouché, en 1996, sur la conception d'un programme d'action pour le bassin du fleuve Chiquito et sur l'établissement d'une Commission de liaison chargée de le mettre en œuvre. La Commission comprenait des représentants de la Zone de conservation d'Arenal, d'une association locale d'éleveurs, d'une coopérative locale de planteurs de café, de la compagnie nationale d'électricité et de la municipalité.

Les principaux objectifs du Programme d'action pour le bassin du fleuve Chiquito étaient les suivants:

· conservation et régénération des forêts;
· reboisement des pâturages vulnérables;
· amélioration de la production animale;
· développement communautaire;
· élaboration de projets locaux d'écotourisme;
· coordination interinstitutions pour l'administration des ressources et des incitations.

Toutefois, les résultats économiques et biophysiques de l'étude CREED, indiqués ci-dessus et dans le tableau 1, amènent à se poser une question: la conservation et la régénération des forêts, ou reforestation, sont-elles toujours des «biens» publics - et en quoi - ou ne risquent-elles pas, au contraire, de provoquer d'importantes externalités négatives? Comme on l'a vu plus haut (tableau 1), les analyses biophysiques et économiques ont conclu que les pâturages étaient plus bénéfiques que les forêts, du point de vue hydrologique, dans certains sites du microbassin versant. Ces résultats ont incité les auteurs de l'étude à proposer huit mesures spécifiques pour apporter les corrections qui s'imposent au Programme d'action, en faisant une distinction entre les zones du bassin versant avec et sans forêts de brouillard.

À l'instar du Programme d'action, les auteurs recommandaient le reboisement des pâturages dans les zones exposées à l'érosion et la regénération naturelle de bandes tampons en bordure des cours d'eau. En outre, dans les zones avec forêts de brouillard, ils conseillaient la coupe et/ou la conversion de pièces boisées à l'intérieur de grands blocs boisés continus, la plantation de brise-vent dans les pâturages et la régénération naturelle de la forêt dans les zones de pâturage extensif. Enfin, dans les zones sans forêts de brouillard, non sujettes à l'érosion, les auteurs suggéraient la coupe ou la conversion des forêts.

TABLEAU 3. Degré d'efficacité des mesures de gestion du bassin versant pour inciter les parties prenantes à participer

Mesure

Producteurs

Utilisateurs de carbone

Compagnie nationale d'électricité

Les trois

Zones sans forêt de brouillard

Couper/convertir la forêt

Suffisant (élevé)

Important de couper

Requis (faible)

Pas important

Reboiser les zones exposées à l'érosion

Suffisant (faible)

Important (élevé)

Pas important

Pas nécessaire

Régénérer des bandes tampons

Insuffisant

Important (tous)

Important (tous)

Important (tous)

Zones avec forêt de brouillard

Couper/convertir la forêt

Suffisant (élevé)

Pas important

Important (faible)

Pas nécessaire

Planter des brise-vent

Suffisant (faible)

Pas important

Requis (élevé)

Pas nécessaire

Régénérer des pièces de forêta

Insuffisant

Pas important

Requis (faible)

Pas nécessaire

Reboiser les zones sujettes à l'érosion

Suffisant (faible)

Utile (élevé)

Requis (élevé)

Utile (élevé)

Régénérer des bandes tampons

Pas suffisant

Utile (tous)

Requis (tous)

Utile (tous)

a Dans ce cas, on suppose que seules les exploitations dont la rentabilité est élevée sont intéressées par la plantation de brise-vent.

Note: Les mentions «élevé», «faible» ou «tous» indiquées entre parenthèses se réfèrent au degré de rentabilité de l'élevage pour le groupe pertinent de producteurs.

La question du système polycentriste requis pour administrer les coûts et avantages des principales externalités de la production animale (accroissement du rendement hydrique, réduction du stockage du carbone et accroissement de la sédimentation), peut être abordée à travers deux questions:

· À qui vont ces coûts et avantages? En d'autres termes, qui est le «public»?

· Comment peut-on faire de ce «public» la «communauté politique» nécessaire à l'établissement d'un système polycentriste autogéré pour les biens et services publics ou quasi publics considérés?

Cette deuxième question conduit directement à la question des arrangements institutionnels et des incitations spécifiques nécessaires pour l'administration des biens et des services.

En ce qui concerne la première question, trois «publics» ou «parties prenantes» ont été identifiés: les éleveurs, qui exploitent les terres du bassin versant; la compagnie nationale d'électricité, qui représente au moins en théorie les intérêts des consommateurs d'hydroélectricité du pays; et les éventuels utilisateurs du carbone.

Le tableau 3 présente les conclusions de l'étude CREED, en ce qui concerne l'efficacité des mesures proposées pour inciter les trois parties prenantes à participer à l'administration de ces externalités. Le tableau indique si la mise en œuvre des mesures est compatible avec les incitations de type privé ou si un arrangement institutionnel est nécessaire pour garantir l'administration conjointe de l'éventail des biens et des services du bassin versant, par les trois parties prenantes.

Il ressort de l'analyse que la participation des trois groupes varie en fonction des mesures, comme indiqué dans la colonne quatre, qui montre le degré de coopération entre les parties prenantes. On peut déduire du tableau que les producteurs, agissant seuls ou en commun avec la compagnie d'électricité, pourraient améliorer considérablement leurs performances. L'incorporation d'acteurs internationaux intéressés par la fixation du carbone produirait des gains supplémentaires.

La dernière question concerne les mécanismes nécessaires pour donner aux parties prenantes les moyens d'administrer comme il convient les mesures proposées. À ce propos, l'étude CREED recommande la mise en place d'un système à deux voies d'appel d'offres public sous pli scellé pour l'allocation des arrangements contractuels, dans le cadre duquel les producteurs conviendraient de promouvoir des améliorations de la gestion en échange de transferts de ressources compensatoires.

L'«armature» juridique nécessaire pour mettre au point un arrangement institutionnel de ce type déborde le cadre de l'étude CREED et du présent article, mais il est important de signaler la nécessité d'examiner les possibilités de coordination de la législation internationale, nationale et locale, aux niveaux opérationnel et de l'action collective, et peut-être même dans le contexte constitutionnel (Kiser et Ostrom, 1982; Ostrom, Gardner et Walker, 1994). Pour complexe qu'elle soit, cette analyse est extrêmement importante pour mettre au point des systèmes d'autogestion efficaces, équitables et durables, non seulement pour les bassins versants, mais pour d'autres aspects essentiels de la société.

CONCLUSIONS

L'étude de cas sur la gestion des bassins versants au Costa Rica démontre les possibilités d'application de l'approche polycentriste tant au plan analytique que normatif, et débouche sur la question finale - encore sans réponse - qui est de savoir s'il existe un potentiel d'autogestion dans le pays, en ce qui concerne les bassins versants.

L'axe pluraliste est enrichi par une approche orientée vers les fondements éthiques et politiques du polycentrisme. Le principe philosophique du numéro d'Unasylva sur le pluralisme, qui appelle à la responsabilisation, à l'autonomie, à la séparation des pouvoirs et à un système de vérifications et d'équilibrages, reste parfaitement explicite dans l'approche polycentriste d'Ostrom et de ses collaborateurs.

Pour passer d'une approche réactive à une attitude proactive, les incitations nécessaires pour «instaurer et renforcer des relations juridiques, réglementaires et économiques appropriées entre les communautés locales, les institutions gouvernementales officielles et, dans certains cas, des entreprises commerciales» (Lynch, 1998) sont à l'évidence d'une importance cruciale. L'intérêt pour le renforcement des capacités institutionnelles locales témoigne de l'importance stratégique du niveau constitutionnel pour l'établissement d'un système politique polycentriste. Du point de vue d'Ostrom et de ses collaborateurs, cela est la clé de la reconnaissance des pouvoirs juridictionnels et fiscaux des organes locaux intervenant dans l'administration publique.

Bibliographie

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