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SITUATION MONDIALE

III. QUESTIONS CHOISIES

Microcrédit: effets sur la pauvreté rurale et l'environnement

INTRODUCTION

Le manque d'accès au crédit pénalise les paysans pauvres et les habitants des campagnes depuis longtemps. Les populations rurales ont besoin de crédit pour pouvoir investir dans leurs exploitations agricoles et leurs petites entreprises, pour lisser leur consommation et pour se prémunir contre les aléas climatiques et les chocs économiques. Comme ils n'ont guère accès aux établissements de financement formels, les habitants pauvres des campagnes appliquent des stratégies suboptimales de gestion des risques et de consommation et doivent recourir à des sources de crédit informelles coûteuses. Conscients de ce problème, les gouvernements et les organisations internationales ont créé des banques agricoles et des programmes de crédit rural. Les résultats obtenus par ces banques et programmes sont parfois décevants, notamment en ce qui concerne l'offre de crédit aux pauvres. Ces dernières années, on a procédé à diverses réformes et innovations pour améliorer l'accès des pauvres ruraux au crédit et accroître l'efficacité de la finance rurale8.

Le microcrédit aide les populations rurales pauvres à sortir de leur dénuement en investissant dans de petites entreprises et de petites exploitations.

Une de ces innovations est le microcrédit, c'est-à-dire des prêts de faible montant destinés spécialement aux pauvres, et cette innovation a transformé la manière d'envisager le crédit. Le microcrédit a pour objectif d'aider les ruraux pauvres à échapper à la pauvreté en investissant dans leurs propres petites entreprises et exploitations agricoles. Les programmes de microcrédit évitent certains des problèmes qui empêchent les pauvres d'accéder au crédit rural en offrant des prêts sans caution à des taux d'intérêt proches de ceux du marché, par le biais de mécanismes communautaires gérés par des institutions financières ou des organisations non gouvernementales (ONG).

Le microcrédit présente trois grandes différences par rapport à la banque rurale traditionnelle:

Le microcrédit ne prétend pas se substituer au crédit agricole ni aux services bancaires traditionnels, car il porte sur des montants beaucoup moins élevés et sa cible est différente. Toutefois, sous sa forme la plus modeste, il répond à une demande de crédit qui n'est pas satisfaite par les autres fournisseurs et, sous sa forme la plus ambitieuse, il a pour objectif de catalyser un développement économique qui fera reculer la pauvreté rurale.

HISTOIRE ET ÉVOLUTION DU MICROCRÉDIT

Le microcrédit, qui est un terme d'origine récente désignant un large éventail d'activités et de types d'institutions, a de nombreux ancêtres. Des mécanismes de crédit gérés à l'échelon local existent depuis des siècles et ils continuent de répondre aux besoins des petits emprunteurs, malgré l'avènement du «mouvement du microcrédit». Ces mécanismes sont par exemple les associations d'épargne et de crédit tournants et les coopératives d'épargne et de crédit, que l'on retrouve dans les communautés du monde entier. L'octroi de petits crédits à des emprunteurs pauvres fait aussi partie des stratégies de développement rural appliquées par de nombreuses organisations depuis le début des années 70. La Banque mondiale, le programme de finance rurale de la FAO et des grands donateurs et d'autres organismes de développement, y compris des banques de développement agricole, ont intégré des programmes et produits de petit crédit dans leurs stratégies de finance rurale. Par conséquent, le microcrédit est une idée plus ancienne qu'elle ne le paraît à première vue, mais l'invention du mot «microcrédit», et l'organisation de sa promotion à l'échelle mondiale, ainsi que l'approbation au plus haut niveau d'objectifs de diffusion précis ont donné au mouvement beaucoup plus de visibilité depuis quelques années.

Les emprunts dans le cadre de programmes de microcrédit se multiplient rapidement dans les pays en développement.

Plusieurs événements survenus au cours des cinq dernières années ont déclenché un mouvement social qui a favorisé le développement d'une véritable industrie du microcrédit. Ce mouvement a été conduit par des personnes qui n'appartiennent pas au milieu traditionnel de la finance et du développement ruraux et a profondément remis en question les approches orthodoxes. En l'espace de quelques années, tout un assortiment de fournisseurs de crédit établis ou de création récente, de promoteurs, d'évaluateurs, de chercheurs, de formateurs et de donateurs ont concentré leurs énergies sur le microcrédit et, dans certains cas, ont beaucoup misé sur son succès. Les débats sur les principes fondamentaux et les détails techniques de la distribution de microcrédits se sont multipliés. Les partisans du microcrédit ont produit une multitude d'exemples et d'études pour appuyer leur position selon laquelle le microcrédit est une révolution en matière de développement socioéconomique qui permettra de tirer les peuples hors de l'abîme de la pauvreté, tandis que les critiques soutiennent fermement qu'il n'est pas une panacée susceptible de donner aux ruraux pauvres (ou urbains) un accès au crédit là où d'autres systèmes ont échoué.

En 1976, Muhammad Yunus a fondé la Banque Grameen, qui est le fournisseur de microcrédits le plus connu du monde. Certains font remonter les origines du microcrédit sous sa forme moderne à cet événement. Avec la Banque Grameen, Yunus a réussi à institutionnaliser un modèle dont s'inspirent aujourd'hui beaucoup de fournisseurs de microcrédits, mais pas tous. Depuis, les organisations de microfinance (OMF) et les programmes de microcrédit, dont beaucoup sont calqués sur la Banque Grameen, se sont multipliés dans 45 pays. Il existe aujourd'hui plus de 1 200 organisations qui distribuent des microcrédits à l'échelon national9, 26 grandes organisations qui coiffent des programmes internationaux de microcrédit10 et 7 000 à 10 000 organisations locales et régionales dont l'activité concerne exclusivement ou en partie la fourniture de microcrédits11.

En 1997, 20 ans après que Muhammad Yunus ait commencé à offrir des prêts à des femmes dans des villages pauvres d'Asie du Sud, plus de 2 900 personnes, représentant 1 500 organisations et 137 pays, se sont rassemblées pour le Sommet du microcrédit à Washington. Mis en valeur par la présence de chefs d'État et de personnalités éminentes de la communauté mondiale du développement, ce sommet a lancé une campagne dont l'objectif était d'atteindre 100 millions des familles les plus pauvres du monde avant l'an 2005. Son mérite est d'avoir braqué les projecteurs sur l'objectif consistant à lutter contre la pauvreté par le biais du microcrédit et d'avoir créé une institution ayant pour mission de promouvoir cet objectif à l'échelle mondiale.

On considère généralement que la croissance des programmes de microcrédit a été phénoménale. Le nombre total d'emprunteurs déclarés par les membres du Sommet du microcrédit a augmenté de 50 pour cent entre 1998 et 1999, pour atteindre 21 millions à l'échelle mondiale; 12 millions de ces emprunteurs vivent avec moins de 1 dollar par jour12. À elle seule, la Banque Grameen a distribué pour 3 milliards de dollars de prêts à plus de 2 millions d'emprunteurs au Bangladesh et 2,5 milliards de dollars lui ont été remboursés à ce jour13. Malgré cette expansion remarquable, beaucoup d'observateurs pensent que l'industrie du microcrédit est encore embryonnaire, compte tenu de la demande potentielle qui existerait14. En outre, la microfinance est de moins en moins confinée à l'Asie du Sud. Ainsi, un des donateurs concentre ses efforts de développement durable de la microfinance sur l'Afrique, défrichant un terrain neuf15.

Le tableau 3 indique la répartition régionale des membres du Sommet du microcrédit, des dons des principaux bailleurs de fonds et du total des décaissements.

Tableau 3

DISTRIBUTION RÉGIONALE DES OMF ET DES DONS DES MEMBRES DU GROUPE CONSULTATIF D'ASSISTANCE AUX PLUS PAUVRES (GCAP)

Région

Nombre d'OMF

Dons des membres du GCAP (millions de dollars)

Afrique

988

7,1

Asie et Pacifique

822

7,0

Amérique centrale et Amérique du Sud et Caraïbes

335

9,2

Europe et Amérique du Nord

987

0,0

Proche-Orient et Afrique du Nord

n.d.

0,2

Europe centrale et orientale

n.d.

0,4

Total mondial (partiel)

3142

24,0

Note: Les chiffres comprennent tous les membres de la Campagne du Sommet du microcrédit, y compris certains qui ne prêtent pas.
Sources: GCAP. 1998. Focus (divers numéros). Campagne du Sommet du microcrédit, 1999. Banque mondiale, Washington.

Tableau 4

CARACTÉRISTIQUES DU MICROCRÉDIT

Prêts

Emprunteurs

Prêts d'un faible montant

Pas de caution ou caution modique

Offre de services autres que le crédit

Remboursements réguliers

Responsabilité collective

Financés par des donateurs

Pauvres

Principalement femmes

Peu instruits

Géographiquement isolés

Possèdent peu d'actifs

Ayant des activités liées à l'agriculture

Succès remarquable ou simple changement de nom d'une solution ancienne? Quel est véritablement l'impact du microcrédit et dans quelle mesure atteint-il ses objectifs? Qui est gagnant et qui paie le coût de la distribution du microcrédit? Enfin, y a-t-il des effets cachés - positifs ou négatifs - dont il convient de tenir compte dans l'évaluation de l'importance de microcrédit en tant qu'instrument de développement? Dans la présente section, nous passerons en revue les données et les arguments relatifs à l'impact général du microcrédit à ce jour.

FAO/17552

Prêt collectif Au Bangladesh, un spécialiste de la formation
aide des villageoises à développer des activités
rémunératrices comme la fabrication de saris qu'elles
vendront sur le marché local

- FAO/17552

Les organisations de microfinances sont plus souples que les banques traditionnelles tout en étant mieux structurées que les prêteurs privés.

Nous examinerons aussi brièvement un des effets indirects du microcrédit, à savoir son effet potentiel sur l'environnement rural et l'utilisation des ressources naturelles. Malgré l'intérêt croissant que suscitent le microcrédit et, plus généralement, la microfinance, leurs effets sur l'utilisation durable des ressources naturelles n'ont presque pas été étudiés. Comme la lutte contre la pauvreté est plus urgente que la protection de l'environnement et qu'on a longtemps eu tendance à considérer les ressources naturelles comme allant de soi, cela n'est pas surprenant, mais cette négligence pourrait être très dangereuse, en particulier pour les ruraux pauvres dont la survie dépend des ressources naturelles.

MODALITÉS DE FONCTIONNEMENT DU MICROCRÉDIT

De nombreuses variantes du microcrédit sont apparues à mesure que la portée géographique, la clientèle et les objectifs des organisations de microfinance (OMF) se sont élargis16. En ce qui concerne tant les conditions de crédit que la nature des emprunteurs, le microcrédit est une combinaison d'instruments de développement et de services financiers. Les OMF sont plus souples en matière de conditions de prêt et de remboursement que de nombreuses institutions structurées, mais moins que les prêteurs informels.

Le microcrédit aspire à:

Les étapes habituelles du microcrédit sont les suivantes:

1. On sélectionne des emprunteurs pauvres sur la base des critères et procédures établis.

2. On forme un petit groupe d'emprunteurs potentiels (cinq à huit personnes du même sexe); on leur explique les règles et ils les acceptent.

3. Chaque membre constitue une épargne obligatoire.

4. Un ou deux membres du groupe empruntent le montant maximum autorisé pour le premier prêt.

5. Le groupe se réunit chaque semaine avec d'autres groupes pour parler affaires et verser le remboursement hebdomadaire.

6. On offre à tous les membres du groupe une formation à la gestion financière et d'autres formations.

7. Lorsque les premiers prêts sont remboursés, les autres membres du groupe peuvent emprunter.

8. Si un prêt n'est pas remboursé à l'échéance, aucun membre du groupe ne peut emprunter avant que le prêt soit remboursé par l'emprunteur ou par les autres membres du groupe.

9. Si tout va bien, les prêts remboursés et l'épargne du groupe permettent de reconstituer le capital pour offrir d'autres prêts à tous les membres.

Encadré 1

QUELQUES EXEMPLES DE MICROCRÉDIT

Dans les pays en développement et en transition, près de 1,2 milliard de personnes, soit environ un quart de la population, vivent avec moins de 1 dollar par jour, ce qui est un des indicateurs de pauvreté admis à l'échelle mondiale. La plupart de ces personnes, y compris les enfants, doivent consacrer de longues heures à un travail pénible qui leur permet tout juste de survivre. Beaucoup ont une activité indépendante dans le secteur «informel», et n'ont donc pas de statut officiel, ce qui les empêche d'avoir accès aux sources de crédit formelles. Ils recourent au microcrédit pour acheter des matières premières, par exemple pour tisser des nattes, confectionner des porte-monnaie en cuir ou cuire du pain, ainsi que pour survivre en période de crise. Voici quelques exemples d'utilisation du microcrédit:

En République dominicaine, une jeune femme a employé un crédit de 80 dollars pour acheter de l'argile et des émaux pour une petite entreprise de céramique. Depuis 1987, elle a reçu huit crédits de l'institution de microfinance et elle emploie aujourd'hui sept personnes.

Au Pakistan, une femme de 22 ans vit avec son mari et trois enfants, leurs sources de revenus étant le salaire du mari (employé de bureau) et les gains occasionnels de la femme qui fait des travaux de broderie à la pièce. Elle a reçu un prêt de 4 500 roupies, que son mari a employé pour acheter deux chèvres. Elle s'occupe des chèvres et les remboursements sont prélevés sur le salaire du mari. Les chèvres servent principalement à produire du lait pour les enfants et la femme espère les revendre un jour en réalisant un bénéfice. Par ailleurs, elle utilise les services d'épargne du programme de microfinance.

Aux Philippines, un crédit de 2 000 pesos (environ 52 dollars) a été employé pour acheter deux porcelets. Il devait être remboursé à raison de 88 pesos (2,30 dollars) par semaine pendant six mois. Les porcelets ont été nourris avec les déchets de cuisine, quelques produits du jardin et des aliments ache-tés. Les remboursements hebdomadaires et l'achat des aliments fourragers devaient être couverts par le revenu du ménage. Après six mois, les porcs engraissés ont été revendus 4 000 pesos (104 dollars) chacun.

En Inde, une femme a acheté des petits bracelets et des cosmétiques pour les vendre au marché, au moyen d'un crédit de fonds de roulement de 1 000 roupies (24 dollars). Elle a emprunté pour 20 semaines à un taux d'intérêt forfaitaire de 20 pour cent, remboursant 60 roupies par semaine (1,42 dollar). Elle vend ses marchandises au marché et au porte-à-porte et gagne environ 600 roupies par semaine. Après déduction des dépenses, elle gagne 120 roupies par semaine (2,84 dollars) et la moitié de ce montant sert à rembourser le prêt.

Un chercheur a analysé les bénéfices réalisés par des microentrepreneurs qui ont obtenu des prêts d'une importante OMF du Bangladesh, le Comité du Bangladesh pour le progrès rural (BRAC)1. Il a constaté que ces bénéfices étaient très différents selon le type d'entreprise. L'élevage de volailles, la culture de pommes de terre et la fabrication de filets étaient les activités les plus rentables (environ 21 dollars par mois), l'épicerie avait une rentabilité intermédiaire (environ 12 dollars par mois), la riziculture et l'élevage de chèvres étaient les activités les moins rentables (environ 2 dollars par mois) et l'engraissement de bœufs n'était pas rentable du tout.

1 H. Zaman. 1999. Assessing the poverty and vulnerability impact of microcredit in Bangladesh a case study of BRAC. Background paper for the WDR 2000/2001. Banque mondiale,Washington.

La plupart des bénéficiaires du microcrédit sont des familles pauvres ayant une petite activité rémunératrice ou susceptibles d'en créer une. Cela semblerait exclure les agriculteurs, mais en fait les programmes de microcrédit en zone rurale peuvent aussi être employés pour accroître la production vivrière et de nombreuses familles d'agriculteurs ont également des activités économiques non agricoles17. La part des revenus ruraux non agricoles dans le total des revenus ruraux tend à augmenter et est en moyenne de 42 pour cent en Afrique, 40 pour cent en Amérique latine et 32 pour cent en Asie18. Les activités appuyées par le microcrédit sont notamment la production artisanale, des opérations simples de transformation des produits agricoles (décorticage du riz), la vente ambulante et la commercialisation, l'exploitation d'un pousse-pousse et, parfois, l'achat d'intrants agricoles améliorés.

Tableau 5

VENTILATION DES PRÊTS PAR SOUS-SECTEUR AU BANGLADESH, SELON LA CATÉGORIE DE PRÊTEURS

Sous-secteur

Pourcentage des prêts décaissés par les OMF 1991-92

Pourcentage des prêts décaissés par les prêteurs informels formels (1991-92)

Pourcentage des prêts décaissés par les établissements de crédit (1997-1998)

Agriculture

12

22

23

Pêche

4

n.d.

n.d.

Transformation des aliments

10

n.d.

n.d.

Petites entreprises

42

91

81

Artisanat

3

   

Transports

3

19

39

Élevage

18

0,4

2

Autres

7

49

27

1 Petites entreprises et artisanat additionnés.
Sources: Credit and Development Forum. 1999. CDF Statistics, Vol. 6. Dhaka, Bangladesh; et S. Khandker. 1998. Fighting poverty with microcredit. Banque mondiale, Washington. Les catégories ne concordent pas parfaitement entre les sources et, comme les chiffres ont été arrondis, la somme des pourcentages n'est pas égale à 100.

Le tableau 5 indique la ventilation des crédits de microfinance (en valeur) au Bangladesh en 1997 et 1998, ainsi que la proportion des crédits décaissés par les autres types de prêteurs en 1991 et 1992. Les OMF prises en compte sont la Banque Grameen, le BRAC, les ONG et les coopératives. Les prêteurs formels sont l'État, la Krishi Bank et les banques commerciales; les prêteurs informels sont les parents, les usuriers, les employeurs, les fournisseurs d'intrants, etc.

Les petits emprunts servent à financer des activités rurales non agricoles, les jardins familiaux et les petites entreprises agricoles.

COMMENT LE MICROCRÉDIT SURMONTE LES OBSTACLES À LA DISTRIBUTION DU CRÉDIT

Les besoins d'emprunt de la population qui ne peut pas s'adresser aux banques sont satisfaits essentiellement par des usuriers et d'autres fournisseurs de crédit informels, notamment les groupes d'épargne et de crédit tournants et les associations d'épargne. Le microcrédit ne remplace pas ces fournisseurs locaux de services d'épargne et de crédit, mais combine leurs caractéristiques, telles que la connaissance du terrain des usuriers de village et le crédit tournant. Ces mécanismes traditionnels ont assuré l'essentiel de la distribution de crédit aux ruraux pauvres. Toutefois, la diffusion remarquable des principes et méthodes du microcrédit témoigne de la persistance de besoins insatisfaits. D'après l'IFPRI19, la difficulté d'accès au crédit est un problème réel pour un grand nombre de pauvres dans les pays en développement.

Le microcrédit occupe un créneau dans le secteur du crédit pour certains groupes de population comme les femmes.

La distribution de crédit rural aux pauvres est entravée par le fait qu'il n'existe pas dans les campagnes d'institutions capables de faire respecter les conditions des opérations de crédit20. Dans la section intitulée Réduction de la pauvreté et de l'insécurité alimentaire: les arbitrages politiques (p. 287) de la présente publication), Bardhan décrit certaines des défaillances du marché et du cadre institutionnel qui ont favorisé l'expansion du microcrédit destiné aux populations rurales pauvres. Il constate diverses défaillances du marché du crédit, notamment l'accaparement des avantages par les riches ou par les élites favorisées par le pouvoir politique et l'existence d'incitations négatives qui découragent le remboursement. Il mentionne aussi plusieurs défaillances institutionnelles, et notamment l'absence de mécanismes efficaces pour atteindre les ruraux pauvres.

Les principaux problèmes sont les suivants:

L'innovation introduite par le microcrédit dans le crédit rural tient à la façon dont il cherche à pallier ces carences bien connues du marché et des institutions. Le microcrédit vise à surmonter les obstacles économiques et institutionnels tout en étant financièrement viable.

L'asymétrie de l'information survient lorsque les parties à une transaction n'ont pas accès aux mêmes informations, si bien que la partie la mieux informée est avantagée. Elle peut exister soit avant la transaction, par exemple lorsqu'un emprunteur apparaît plus solvable qu'il ne l'est en réalité, ou après la transaction lorsque l'emprunteur peut avoir avantage à ne pas rembourser comme convenu. Pour remédier à cette asymétrie, les créanciers exigent généralement que les emprunteurs aient de bons antécédents en matière de crédit et satisfassent d'autres conditions (comme de disposer d'un revenu régulier) garantissant leur solvabilité, et exigent aussi des cautions. Toutefois, ces solutions ne peuvent pas être employées avec la catégorie d'emprunteurs visée par le microcrédit.

Le microcrédit remédie à l'asymétrie de l'information en instituant des relations contractuelles collectives, dans lesquelles la responsabilité du prêt est assumée par les groupes et les remboursements périodiques sont effectués à l'occasion de réunions du groupe. Ainsi, la pression du groupe incite les membres à rembourser ponctuellement et à exclure les emprunteurs peu fiables21. Parfois, le montant des remboursements est ajusté pour tenir compte de l'amélioration de la capacité de remboursement de l'emprunteur.

L'insuffisance de la rentabilité potentielle est le deuxième obstacle à l'octroi de crédits aux pauvres. En effet, pour une banque, le fait d'offrir des services à une telle population présente de nombreux inconvénients: coûts et risques élevés et marché très limité. Sur le plan individuel, ces emprunteurs n'ont généralement pas un revenu régulier ou suffisant ni de biens qui pourraient être saisis et ils doivent surmonter des handicaps économiques et culturels considérables pour accroître leurs revenus. Sur le plan collectif, ils sont relativement isolés, si bien qu'il est coûteux de leur fournir des services financiers et que les débouchés qui s'offrent à leurs activités économiques sont limités. En outre, comme dans les zones concernées la population des emprunteurs potentiels est très dispersée, il est impossible de réaliser des économies d'échelle dans la fourniture de services financiers.

Une formation et des conseils techniques aux emprunteurs font parfois partie des conditions d'octroi du prêt.

Le microcrédit résout ce problème par plusieurs moyens. De nombreux programmes de microcrédit proposent - et parfois imposent - des formations et des conseils techniques aux emprunteurs pour les aider à accroître leurs revenus. Il s'agit notamment de programmes d'alphabétisation, de formation à la gestion d'entreprises et d'éducation à la planification familiale et à la nutrition. Ces programmes de «services complets» visent à accroître les compétences et les capacités des emprunteurs. Leur utilité est évidente, en particulier pour les femmes pauvres qui n'ont pas d'expérience ni de connaissances en matière de gestion d'entreprises22. Toutefois, ils sont coûteux et doivent être financés par les intérêts versés par les emprunteurs ou par des subventions permanentes.

Le taux de remboursement a aussi une influence déterminante sur l'aptitude des organisations de microcrédit à prêter aux pauvres. On considère que ces organisations parviennent à obtenir un taux de remboursement élevé grâce au fait qu'elles prêtent de préférence à des femmes, qui remboursent plus ponctuellement que les hommes, et au système de la responsabilité collective. Dans le cadre des mêmes programmes, le taux de défaillance des femmes est de 3 pour cent alors que celui des hommes est de 10 pour cent23. La Banque Grameen a un taux de remboursement d'environ 98 pour cent et les autres grandes organisations de microfinance auraient un taux de remboursement compris entre 90 et 95 pour cent24. À titre de comparaison, le taux de remboursement des banques de développement agricole est inférieur à 50 pour cent25. Même si le taux de remboursement de la Banque Grameen est recalculé en employant une définition plus rigoureuse du dépassement des échéances correspondant mieux à la réglementation bancaire, le taux de remboursement, entre 1985 et 1994, était compris entre 92 et 95 pour cent, et il a légèrement augmenté depuis (Morduch, 1999)26.

Figure 12

Les programmes de microcrédit pratiquent généralement des taux d'intérêt correspondant à ceux du marché pour couvrir leurs coûts qui sont élevés. On pourrait s'attendre à ce qu'ils pratiquent des taux bonifiés, car ils reçoivent souvent des subventions de donateurs. En fait, leurs taux d'intérêt réels sont souvent plus élevés que ceux des banques commerciales, mais moins élevés que ceux des usuriers villageois27. L'écart entre les taux d'intérêt des banques commerciales et ceux des usuriers crée un créneau pour le microcrédit et aide à couvrir des coûts élevés. Un emprunteur acceptable préfère obtenir un microcrédit plutôt que de payer les intérêts élevés demandés par d'autres fournisseurs de crédit informels.

Malgré cela, la nécessité du subventionnement donne à penser que la plupart des OMF ne sont pas rentables au regard des normes comptables usuelles. Cette question est très controversée dans le métier et nous l'examinerons plus en détail ci-après.

Les emprunteurs se voient généralement appliquer les taux d'intérêt du marché pour le microcrédit.

La diversification des portefeuilles est le troisième grand problème qui limite l'accès des populations rurales au crédit. Les créanciers qui opèrent dans une communauté ou une région donnée sont exposés à des risques corrélés. Les causes les plus probables de non-remboursement des prêts à l'échelle d'une région ou d'un pays sont les catastrophes naturelles (comme les inondations de 1998 au Bangladesh) ou les récessions économiques (comme celle qui a suivi la crise financière de 1997 en Asie). Ces événements affectent davantage les clients du microcrédit que les autres emprunteurs en raison de leur plus grande vulnérabilité économique.

Les emprunteurs pauvres en zones rurales sont généralement considérés par les instituts de financement comme présentant un risque élevé en raison de leur vulnérabilité.

Encadré 2

MESURES DES EFFETS
DU MICROCRÉDIT

Ces dernières années, on a réalisé un nombre considérable d'études visant à mesurer les effets du microcrédit. Ces études ont été faites soit à la demande d'organismes de financement, soit à titre de travaux universitaires, soit dans le but de mieux cibler l'emploi des fonds pour réaliser certains objectifs sociaux ou économiques. Malheureusement, les résultats sont quelque peu contradictoires et ont suscité de nombreux débats sur les effets et l'utilité du microcrédit.

Pour mesurer les effets du microcrédit, on emploie différents indicateurs. Le plus couramment utilisé et la variation du revenu des ménages emprunteurs. Les autres indicateurs importants sont la variation des actifs, de la valeur nette du patrimoine et du travail employé. Les raisons pour lesquelles on a retenu ces indicateurs sont évidentes: l'objectif essentiel du microcrédit est d'aider les gens à échapper à la pauvreté. L'externalité positive que représente la réduction de la pauvreté justifie l'affectation de fonds publics au microcrédit. Un autre indicateur couram-ment employé est la consom-mation des ménages, qui est étroitement corrélée avec les revenus et qu'on peut plus facilement mesurer au moyen d'enquêtes. On a étudié les variations de la consommation totale des ménages, les variations de la consommation alimentaire et le profil chronologique de la consommation. On a aussi envisagé d'utiliser d'autres indicateurs de bien-être individuel ou familial, tels que les variations du taux de scolarisation et des indicateurs de santé. Enfin, on mesure aussi des indicateurs du degré d'autonomisation des femmes et des effets sur les femmes.

Khandker1 a fait des enquêtes sur trois grands programmes de microcrédit au Bangladesh pour évaluer leurs effets. Il a constaté que l'octroi de microcrédits aux femmes entraînait une augmentation de 18 pour cent de la consommation des ménages, cette augmentation n'étant que de 11 pour cent lors que les crédits sont accordés aux hommes (op. cit., page 148). D'après lui, 5 pour cent des familles bénéficiaires réussissent à échapper à la pauvreté chaque année grâce à l'accroissement de la consommation induit par le microcrédit. Les autres effets qu'il a observés sont le lissage de la consommation et de l'offre de main-d'œuvre et l'amélioration de la nutrition des enfants, en particulier dans le cas des filles. Toutefois, il estime que ces effets ne seront durables que si le microcrédit est ciblé sur des zones et des activités économiques à fort potentiel de croissance, car les pauvres ont tendance à employer les crédits essentiellement pour financer leur consommation, ce qui à terme devrait entraîner une évolution de la production et des revenus.

Morduch2 a étudié les effets du microcrédit en prenant soin d'exclure de l'échantillon les ménages qui n'y auraient pas droit. En effet, sans cela l'échantillon serait biaisé, à l'échelon des ménages (lorsque les ménages les plus solvables participent aux programmes), à l'échelon des villages (lorsque les villages les plus prospères ont accès au microcrédit) et à l'échelon individuel (du fait que les emprunteurs qui remboursent obtiennent des prêts additionnels).

D'après l'enquête de Morduch, il n'y a aucune augmentation de la consommation parmi les emprunteurs des programmes de microcrédit, et parfois le taux de scolarisation est moins élevé que la moyenne. Il attribue ce résultat à l'utilisation de groupes témoins pour corriger le fait que la population qui participe à de nombreux programmes de microcrédit n'est pas représentative en raison des effets de sélection. Toutefois, il constate un effet positif du fait que le microcrédit permet de lisser la consommation des ménages bénéficiaires et de diversifier l'offre de main-d'œuvre. En conséquence, les ménages emprunteurs sont moins vulnérables que les autres. (Le tableau 4 récapitule les principales évaluations des effets du microcrédit.)

1 S. Khandker. 1998. Fighting poverty with microcredit, p. 11. Banque Mondiale, Washington.

2 J. Morduch. 1998. Does microfinance really help the poor? New evidence from flagship programs in Bangladesh. HIID, Université d'Harvard (document non publié).

Les organisations de microfinance n'ont que partiellement résolu le problème de la diversification du portefeuille. Le système de la coresponsabilité répartit la responsabilité du remboursement sur l'ensemble des emprunteurs d'un village ou d'un groupe. En d'autres termes, chacun des membres du groupe assume la responsabilité des autres membres. Cette approche n'élimine pas le risque de perte catastrophique en cas de mauvaises récoltes ou de catastrophes naturelles, mais le réduit si seule une partie des emprunteurs subissent des revers.

Des mécanismes d'assurance et à des fonds d'urgence sont aussi adoptés pour remédier à l'insuffisance de la diversification des portefeuilles. Ces mécanismes permettent d'offrir des indemnités ou des crédits additionnels en cas de catastrophe et offrent parfois la possibilité de suspendre les remboursements jusqu'à meilleure fortune. Le principe est le même que lorsqu'un créancier accorde des liquidités supplémentaires à une entreprise saine qui rencontre des difficultés conjoncturelles ou lorsqu'une banque centrale vient au secours du système financier en cas de crise généralisée.

Après les inondations qui ont dévasté le Bangladesh à la fin de 1998, la Banque Grameen et d'autres organismes de microcrédit ont autorisé leurs débiteurs à suspendre les remboursements jusqu'à ce que leur situation financière se soit améliorée. La composante épargne des programmes de microcrédit permet parfois de financer de telles concessions. Toutefois, cela n'offre pas un moyen sûr d'éviter les pertes. Le risque de défaillance ne disparaît pas lorsque les remboursements sont suspendus et les clients qui subissent des crises de liquidités récurrentes ne pourront peut-être jamais payer leurs arriérés. Toutefois, en agissant ainsi, les fournisseurs de microcrédit ont fait preuve de souplesse pour surmonter un obstacle institutionnel qui limite l'accès des pauvres ruraux au crédit.

Tableau 6

EFFETS DU MICROCRÉDIT SUR CERTAINES VARIABLES: RÉSULTATS DE DIVERSES ÉTUDES

Auteur

Morduch (1998)

Khandker (1998)

IFPRI (1998)

MkNelly (1997)

Zaman (1999)

Autres1

Revenus/pauvreté

Aucun effet

Réduction de la pauvreté; accrois. du revenu du village

Accrois.
des revenus

Accrois.
des revenus
non agricoles

Lissage

-

Valeur nette

du patrimoine;

actifs

-

Accrois. si le crédit est accordé aux femmes

-

-

Accrois.

Accrois.

Offre de main-d'œuvre

Diversification

Accrois. dans le cas des femmes; diminution dans le cas des hommes

-

-

-

-

Consommation

Lissage

Lissage; accrois.

Meilleure alimentation;
pas de lissage

Amélioration
de la sécurité
alimentaire

Lissage

Lissage

Scolarisation

Aucun effet
ou réduction

Accrois. dans le
cas des garçons; aucun effet dans
le cas des filles

-

-

-

Amélioration

de l'accès

Indicateurs de santé

-

Amélioration de la nutrition des enfants

-

Pas d'effet sur

la nutrition

Amélioration de la nutrition des enfants

-

Utilisation de

contraceptifs

-

Réduction

-

-

-

-

Autonomisation

des femmes

-

-

-

-

Accrois.

Accrois.

1 Jacoby (1994), Schuler et Hashemi (1994), Buckly dans Hume et Moseley (1995), Foster (1995), et Banque mondiale (2000) - ces études sont citées dans IFPRI (1998).

Références: J. Morduch. 1998. Does microfinance really help the poor? New evidence from flagship programs in Bangladesh. HIID, Harvard
University (document non publié); S. Khandker. 1998. Fighting poverty with microcredit. Banque mondiale. Washington; IFPRI. 1998. Rural finance and poverty alleviation. Washington; B. MkNelly. 1997. Freedom from Hunger's credit with education strategy. Sacramento, Californie (document non publié); H. Zaman. 1999. Assessing the poverty and vulnerability impact of microcredit in Bangladesh: a case study of BRAC. Background Paper for the WDR 2000/2001. Banque mondiale, Washington.

EFFETS DU MICROCRÉDIT SUR LE COMPORTEMENT DES PAUVRES RURAUX

Le but essentiel des programmes de microcrédit est de lutter contre la pauvreté en accroissant les revenus des emprunteurs. Le processus peut avoir des effets secondaires, par exemple en matière de scolarisation et de planification familiale. Il est difficile de déterminer avec précision les effets du microcrédit en raison de la fongibilité des prêts. Dans le cas des ruraux pauvres en particulier, on peut difficilement faire la part des dépenses de consommation et des dépenses de production, car le travail est le principal facteur de production et celui qui ne mange pas à sa faim ne peut pas travailler efficacement. La figure 12, p. 55, illustre les mécanismes par lesquels le microcrédit exerce des effets directs et indirects sur les emprunteurs. L'encadré 2 récapitule les données empiriques relatives à certains de ces effets qui proviennent de plusieurs études importantes.

Les emprunteurs utilisent parfois le microcrédit pour satisfaire des besoins de consommation immédiats.

Effets économiques

Accroissement des revenus. Les éléments dont on dispose donnent à penser que le microdit contribue à accroître les revenus des bénéficiaires (voir encadré 2 et tableau 6). Cette augmentation des revenus a des effets secondaires sur le niveau, la composition et le profil chronologique de la consommation, de l'épargne et de l'accumulation d'actifs.

Diversification des revenus. La possibilité de diversifier les revenus est importante, en particulier pour les ruraux pauvres, qui sont tributaires de l'agriculture et exposés aux variations climatiques et aux cycles agricoles. La diversification des revenus peut provenir de l'introduction de nouvelles activités agricoles ou de l'introduction ou du développement d'activités non agricoles.

Effets sur la consommation. Une partie des microcrédits sert directement à accroître la consommation. Les effets sur la consommation peuvent être immédiats, tandis que les autres effets ne se manifestent parfois qu'à long terme. Par exemple, la réduction de la vulnérabilité résultant de l'accroissement à court terme des achats de nourriture peut avoir des effets à long terme sur la situation économique des ruraux pauvres. Comme les clients du microcrédit sont pauvres, ils emploient souvent leurs revenus additionnels pour améliorer leur alimentation et leur logement et se procurer d'autres biens essentiels.

Effets sur l'épargne. Les clients du microcrédit accroissent leur épargne, soit parce qu'ils sont obligés de constituer une épargne pour obtenir un crédit, soit parce qu'ils peuvent économiser une partie de leur surcroît de revenus. Cela leur permet de lisser leur consommation, d'investir dans des activités rémunératrices et de se prémunir contre les infortunes. Des études ont montré que les microcrédits sont essentiellement affectés à des investissements (80 pour cent des crédits du BRAC au Bangladesh), comme l'amélioration du logement et l'achat d'actifs productifs28.

Effets sur la production. Le crédit permet d'entreprendre ou de développer des activités non agricoles, comme la transformation des produits agricoles, la vente de produits alimentaires, des activités manufacturières à petite échelle, la réparation et la location de matériel, le tourisme, des activités extractives et des services. Il peut aussi induire une modification des méthodes de production agricole par l'acquisition d'intrants améliorant les rendements. Ces transformations créent des emplois nouveaux et différents tant pour les emprunteurs que pour les autres membres de la communauté.

Taux d'actualisation. Le crédit offre la possibilité de modifier le profil temporel de la consommation afin de réduire la vulnérabilité, ce qui entraîne une modification du taux d'actualisation implicite des revenus futurs des emprunteurs. Plus les revenus d'un individu augmentent, moins il s'inquiète de la nécessité de couvrir sa consommation courante. Il peut donc renoncer à une partie de sa consommation immédiate en échange de la perspective d'obtenir à l'avenir un revenu plus élevé et plus assuré.

Le renforcement de l'autorité économique des femmes qui empruntent peut entraîner une réduction du taux de fécondité.

Effets sociaux

Autonomisation des femmes. Dans l'ensemble, les OMF privilégient considérablement l'octroi de crédits aux femmes, surtout si on les compare aux autres créanciers29. Les OMF peuvent avoir différentes raisons de préférer les femmes. Leur taux de remboursement est plus élevé et on considère qu'elles sont plus fiables, plus disciplinées, et plus enclines à utiliser le revenu qu'elles contrôlent pour améliorer l'alimentation et l'éducation de leurs enfants, et que leur esprit d'entreprise est plus prometteur. Il se peut aussi que certaines OMF souhaitent tout simplement accroître le pouvoir économique des femmes.

D'après certaines données, les programmes de microcrédit pourraient contribuer à réduire le taux de fécondité30. Cela n'est pas étonnant puisque le coût d'opportunité de la maternité est plus élevé pour une femme microentrepreneur qui réussit que pour une femme qui n'a que des activités domestiques ou agricoles et pour laquelle un enfant peut constituer une source de main-d'œuvre plus utile. Il se peut que l'accroissement du pouvoir économique, l'amélioration de l'information ou la mise en place de nouveaux mécanismes d'appui aident les femmes à avoir davantage d'influence sur les décisions de procréation. En outre, lorsque le revenu des femmes augmente, le taux de mortalité infantile a tendance à diminuer, et les femmes ont donc moins besoin ou envie d'avoir des enfants supplémentaires.

Toutefois, il se peut que les activités liées au microcrédit aient une influence encore plus directe sur le taux de fécondité des femmes qui y participent. Cela pourrait expliquer pourquoi dans des pays comme le Bangladesh, le taux de fécondité diminue très rapidement alors que le taux de mortalité infantile reste élevé. Certaines OMF offrent, parfois avec insistance, des services d'éducation à la planification familiale dans le cadre de leur programme et réunions. Ainsi, parmi les femmes qui sont clientes du BRAC et de la Banque Grameen, la contraception est beaucoup plus pratiquée que dans l'ensemble de la population nationale.

Action collective. Les OMF renoncent à demander des garanties traditionnelles et s'appuient sur la garantie collective des participants. Elles peuvent exiger que les participants empruntent collectivement, en garantissant mutuellement le crédit, ou subordonner l'octroi de prêts au remboursement des prêts déjà accordés à d'autres membres du groupe. Cette coresponsabilisation et cette dynamique de groupe sont renforcées par des réunions régulières, souvent hebdomadaires.

Cette interaction sociale permet de réduire le coût de l'action collective, ce qui a des effets sur la fourniture de biens publics, l'utilisation des ressources foncières communes et de nombreux autres aspects. La communication entre les participants accroît sensiblement les chances de réussite de l'action collective. Ostrom, Gardner et Walker31 ont montré avec une série d'expériences que si l'on met en place un cadre institutionnel propice à la communication, les pauvres prennent des décisions qui accroissent la production et coopèrent.

Encadré 3

MICROCRÉDIT
ET OBJECTIFS
ENVIRONNEMENTAUX

Il existe peu d'exemples d'OMF qui lient explicitement le crédit à la gestion de l'environnement, même si les pratiques environnementales sont souvent mentionnées parmi les conditions d'octroi d'un crédit. Cela peut être dû en grande partie au précédent établi par la Banque Grameen parmi les 16 conditions que les emprunteurs sont encouragés à accepter. Les emprunteurs prennent l'engagement suivant: «... nous préserverons la propreté de nos enfants et de l'environnement, nous construirons et utiliserons des fosses septiques et, durant la saison de plantation, nous planterons autant d'arbustes que possible.» Ces conditions ont été reprises par les centaines de répliques de la Banque Grameen créées dans le monde et ont ouvert la voie à des pratiques de microcrédit qui respectent des objectifs environnementaux.

Les ONG spécialisées dans la protection de la nature, ou les ONG de développement qui ont des préoccupations écologiques établissent souvent un lien entre le microcrédit et l'environnement. Certaines offrent directement des services de microcrédit, tandis que d'autres s'associent à des fournisseurs de crédit spécialisés, tels que des banques locales ou internationales ou d'autres ONG.

Il existe aussi une catégorie d'OMF, encore peu nombreuses mais dont le nombre augmente, qui encourage la production de produits «verts» ou l'emploi de technologies respectueuses de l'environnement. Par exemple, Grameen Shakti a pour mission de fournir des moyens d'exploiter les énergies renouvelables (panneaux solaires, digesteurs pour la production de biogaz et éoliennes) à des villages du Bangladesh qui n'ont pas l'électricité. De même, en République dominicaine et au Honduras, la stratégie d'électrification rurale fondée sur le soleil (SO-BASEC) emploie le microcrédit pour promouvoir l'énergie solaire.

Technoserve - Ghana

Au Ghana, la pression démographique amène la population à empiéter sur les réserves forestières situées à proximité de deux cours d'eau (Volta rouge et Morago). De plus, le déclin de la fertilité du sol force les agriculteurs à mettre en culture des terres plus proches des couloirs de migration des éléphants. Pour que la coexistence soit possible, il faudra que les communautés locales réduisent leur dépendance à l'égard des cultures vivrières et trouvent d'autres activités rémunératrices.

L'ONG Technoserve, en collaboration avec le Gouvernement ghanéen et les organisations locales, développe la commercialisation et la transformation de la noix de karité, qui pousse sur des arbres sauvages. Le beurre de karité est un produit qui peut trouver des débouchés à l'exportation pour le marché des cosmétiques naturels (Body Shop) aux États-Unis et en Europe. C'est une ressource locale importante qui permet des activités de développement durable. Au Ghana, Technoserve travaille avec 300 femmes ayant une activité indépendante, auxquelles elle fournit formation et crédit et qui s'organisent en groupes dans le but d'accroître leurs capacités de gains. Les revenus de ces femmes contribuent à l'entretien de leurs familles, qui comptent jusqu'à 2 100 membres.

L'ONG encourage les exportateurs à préfinancer ces groupes de femmes, c'est-à-dire à leur fournir un capital de démarrage pour leur permettre d'acheter des matières premières. Ces femmes ont des difficultés de trésorerie car elles ont besoin d'argent au moment de la récolte et de la transformation des noix et ne reçoivent le produit de la vente que plus tard. Autrefois, les groupes pouvaient obtenir des prêts des banques de développement agricole, employaient l'argent pour acheter des noix et vendaient ensuite les produits aux enchères pour rembourser le prêt.

Toutefois, seuls les groupes officiellement enregistrés avaient accès à ce mécanisme. Le processus était lent et compliqué, car il exigeait des garants et des cautions, ce qui entravait le travail des femmes et, en définitive, les taux d'intérêt étaient élevés. De plus, comme les exportateurs de karité tardaient à communiquer leurs offres pour l'achat aux enchères, la vente des noix prenait beaucoup de temps, pendant lequel les intérêts sur les crédits s'accumulaient.

Grâce à Technoserve, les groupes d'emprunteurs n'ont plus besoin de s'enregistrer et peuvent obtenir des crédits de préfinancement en traitant directement avec les exportateurs. Ensuite, ils peuvent acheter les noix et fournir la quantité de produits convenue. L'accès à des crédits de fonds de roulement leur permet de constituer des stocks plus importants, de les valoriser par la transformation, d'accroître leurs revenus et de créer des emplois locaux.

Technoserve négocie les conditions contractuelles avec les sociétés d'exportation pour le compte des groupes de femmes, coordonnant les activités sur le terrain pour veiller à ce que les deux parties respectent leurs engagements, et fournit une formation commerciale de base aux groupes. Tout cela aide les femmes participantes à planifier les activités de commercialisation du karité et à évaluer leur rentabilité, ainsi qu'à déterminer des moyens d'investir une partie de leurs bénéfices pour améliorer leurs stratégies de survie.

Thaïlande - PDA et PDI

La Population and Community Development Association (PDA) est une ONG bien établie en Thaïlande qui emploie le microcrédit pour promouvoir la conservation de l'environnement et la gestion des ressources naturelles. Elle a été créée en 1974 dans le but d'encourager la planification familiale dans les villes et les campagnes mais, avec le temps, son champ d'activités s'est élargi. Aujourd'hui, il englobe la promotion de l'activité rémunératrice et du développement en zone rurale, ainsi que l'assainissement, la conservation de l'environnement et la formation.

Population and Develop-ment International (PDI), qui est une filiale de la PDA, emploie le microcrédit pour distribuer aux agriculteurs des prêts en nature (semences et engrais) ou en espèces subordonnés à des conditions précises de protection de l'environnement. Le taux d'intérêt est équivalent au taux bancaire (1 baht par mois). Le montant du prêt dépend de la capacité du village ainsi que de sa volonté de protéger l'environnement.

PDI emploie le microcrédit pour créer des groupes d'épargne, composés principalement de femmes. Une fois qu'ils ont contracté un emprunt, ces groupes peuvent soit employer les fonds pour obtenir un crédit bancaire plus élevé (qui peut aller jusqu'à cinq fois le montant du premier emprunt), soit le redistribuer à leurs membres sous forme de petits crédits.

Le projet Western Forest Complex (WFC), dans la Province thaïlandaise de Kanchanaburi, a été lancé en 1996. Son objectif est, à long terme, de réduire le déboisement, tout en sensibilisant la population aux questions de conservation de l'environnement dans le court terme. Il est financé par des bailleurs de fonds locaux et internationaux et vise 15 villages dans l'ouest du pays.

Dans le cadre de ce projet, PDI emploie le microcrédit pour faire adopter des pratiques de production durable, dans le but de réduire la dépendance à l'égard des ressources naturelles, notamment dans les zones dégradées par l'agriculture sur brûlis. En particulier, il encourage la plantation d'arbres et d'arbres fruitiers indigènes en fournissant des crédits en nature sous forme de jeunes arbres. Il constitue des groupes d'agriculteurs, auxquels il donne une formation en matière de protection de la nature et fournit les jeunes arbres, qui sont ensuite redistribués aux membres des groupes. En échange, les agriculteurs acceptent de s'abstenir de défricher davantage de terres. Si un arbuste replanté meurt dans la première année, l'agriculteur rembourse le groupe.

Ce programme a produit des résultats notables en quelques années. Mille jeunes arbres ont été plantés chaque année. Les bénéficiaires ont acquis de nouvelles connaissances et pratiques agricoles, par exemple en matière de cultures fruitières et d'élevage. Ils ont sensiblement réduit leur consommation d'intrants agrochimiques et la collecte de produits forestiers autres que le bois. Pour l'avenir, l'objectif du projet sera de consolider les activités pilotes pour en faire des opérations durables qui pourront être exécutées et gérées directement par les agriculteurs, lesquels seront appelés à créer des coopératives pour acheter et vendre les arbres sans passer par des intermédiaires.

MICROCRÉDIT ET RESSOURCES NATURELLES

Si l'on veut que le microcrédit contribue à éliminer la pauvreté durablement et pas seulement à court terme, il faut tenir compte de la nécessité d'assurer une utilisation viable des ressources naturelles, en particulier pour les ruraux pauvres. Les effets sur l'environnement ne sont pas évidents a priori; leur nature et leur degré dépendent du choix des bénéficiaires du microcrédit et de ses utilisations. L'ampleur de ces effets n'a pas été étudié à fond, mais le développement de l'évaluation du microcrédit pourrait permettre de mieux les cerner. On peut s'attendre à ce que la fourniture de crédits de toutes formes ait certains effets sur l'environnement, mais la principale raison pour laquelle il convient d'expliciter ces interactions dans les programmes de microcrédit est que les pauvres sont généralement les personnes les plus tributaires des ressources naturelles et que l'intendance de ces ressources dépend essentiellement des femmes.

Dans le court terme, l'impact direct net du microcrédit sur l'environnement est probablement négatif, comme celui de toute activité économique. Toutefois, pour les pauvres, la nécessité d'obtenir un revenu est primordiale et immédiate. Il est donc essentiel de rechercher des moyens d'atténuer les effets négatifs sur l'environnement. Des mesures visant directement à promouvoir la gestion de l'environnement et la production de produits écologiques peuvent compenser ces effets. Il est plus difficile d'évaluer l'impact indirect net, sauf en ce qui concerne l'accroissement de la production de déchets et de sous-produits; les autres effets, tels que l'accroissement et la diversification des revenus, l'amélioration de la situation des femmes, la réduction du taux de fécondité et la facilitation de l'action collective peuvent être bénéfiques pour l'environnement.

Un nombre croissant de programmes établissent un lien entre le microcrédit et les ressources environnementales, soit parce qu'ils se sont rendus compte que le crédit peut contribuer à promouvoir leurs objectifs environnementaux, soit que la gestion de l'environnement peut être une affaire rentable et qu'il existe un marché pour les produits écologiques. De plus, ils tendent à faire preuve de discernement dans les méthodes employées même dans le cas d'activités susceptibles de nuire à l'environnement. On trouvera des exemples de programmes de ce genre dans l'encadré 3, p. 62.

Malgré ce qu'on a appris en ce qui concerne les possibilités de stimuler la croissance tout en protégeant l'environnement, on a encore tendance à négliger l'interaction entre microcrédit et environnement. Cela peut être dû à la modestie des opérations. Toutefois, on ne peut pas ignorer les effets cumulés des activités de millions de microentrepreneurs.

LE DÉBAT ACTUEL SUR LE MICROCRÉDIT

La croissance et l'accueil du mouvement du microcrédit ne sont pas allés sans controverse. Comme dans le cas de la plupart des efforts de développement, et en particulier de ceux qui sont en concurrence pour l'obtention de financement, il y a des désaccords en ce qui concerne le rôle et la mission de la microfinance. Les trois aspects qui suscitent le plus de débats sont la viabilité financière des organisations de microfinance, la priorité donnée aux plus pauvres parmi les pauvres, et l'évaluation de l'impact.

Viabilité financière. Le microcrédit est offert par tout un éventail d'entités, allant des banques commerciales aux ONG locales, qui ont des objectifs très divers, certaines cherchant à maximiser leur profit tandis que d'autres veulent éliminer durablement la pauvreté. Compte tenu de cette diversité des objectifs, il n'est pas étonnant de constater qu'il y a des divergences considérables en matière d'approche, de fonctions et de doctrine fondamentale. Certains des débats témoignent de la santé et de la maturité de ce secteur, comme ceux qui concernent l'évaluation du risque de crédit, les systèmes d'information, la réponse aux catastrophes naturelles, l'aide aux réfugiés et le suivi et l'évaluation. Toutefois, il y a une divergence fondamentale entre ceux qui privilégient la lutte contre la pauvreté et ceux qui privilégient la viabilité financière. Le subventionnement des OMF est en particulier une question controversée, et de nombreux spécialistes financiers et bailleurs de fonds y sont opposés.

Les arguments en faveur de la viabilité financière sont les suivants:

Les arguments en faveur de la lutte contre la pauvreté sont les suivants:

Ces dernières années, plusieurs grands bailleurs de fonds ont décidé de limiter dans le temps le subventionnement des programmes de microcrédit, dans l'espoir que les OMF, publiques ou privées, parviendront à terme à s'autofinancer. Dans le cas des organisations qui bénéficient de l'aide du GCAP, le délai est fixé à cinq ans. La Banque Grameen a réussi à ramener le taux de subventionnement de ses prêts de 22 ou 23 pour cent en 1986-1987 à 8 pour cent en 1993-1996, tout en élargissant rapidement sa clientèle.

On craint que certaines OMF ne soient tributaires de subventions des donateurs.

Groupe cible. Le deuxième débat qui fait actuellement rage dans le monde du microcrédit concerne le choix des plus pauvres comme groupe cible. Certains contestent l'opportunité de prêter à des pauvres qui ne répondent pas aux critères ordinaires de solvabilité, et en particulier d'employer à cet effet les fonds fournis par les donateurs. Le cœur du débat porte sur la capacité des plus pauvres de rembourser leurs prêts et d'éviter de nouveaux cycles de paupérisation.

Les arguments en faveur de l'octroi de crédit aux plus pauvres sont les suivants:

Les arguments contraires sont les suivants: