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Les fondements économiques de la politique forestière

Par A. HOWARD GRØN

LA politique forestière englobe toutes les mesures que l'Etat ou les collectivités locales peuvent prendre pour sauvegarder l'intérêt général dans la gestion et l'exploitation des forêts.

Les intérêts publies et les intérêts privés peuvent différer de manière considérable dans ce domaine. Cela tient au fait que la forêt est la source de valeurs privées aussi bien que de valeurs sociales. Les valeurs privées sont liées avant tout à la production de biens matériels tels que bois de chauffage, bois de construction et de charpente, etc., pour lesquels il y a un marché commercial. Pour de tels produits, l'équilibre entre la production et la consommation résulte du libre jeu de l'offre et de la demande. En vendant ses produits le propriétaire forestier obtient un certain revenu brut en argent; il peut aisément comparer les dépenses et le revenu et déterminer si son activité lui laisse ou non un bénéfice. Les valeurs sociales sont indépendantes de tout bien matériel; ce sont, par exemple, l'influence des forêts sur le climat et sur le régime des cours d'eau, ou, plus indirectement, les possibilités d'emploi offertes à la main-d'œuvre par les industries du bois. Ici aucun bien matériel n'apparaît sur le marché pour être vendu. La loi de l'offre et de la demande n'intervient pas et il n'y a aucun revenu pour le propriétaire forestier privé. Comme la valeur sociale des forêts et de leur exploitation n'apparaît pas dans les bilans des particuliers, les entreprises forestières privées sont gérées sans qu'il en soit tenu compte.

Le defilé d'Aberglaslyn, dans le Nord du Pays de Galles. (Photo: British Information Service.)

Toute communauté parvenue à un certain degré de développement culturel doit arrêter une politique forestière telle que la gestion et l'exploitation des forêts soient conduites de manière à sauvegarder et si possible à accroître les valeurs sociales nées de la forêt et qui ne peuvent être exprimées en argent. On est allé jusqu'à dire que les règlements forestiers d'un pays sont la meilleure preuve du degré de conscience culturelle qu'il a atteint. Politique forestière vent dire prévoyance et discipline sociale.

Cela ne veut pas dire toutefois que les valeurs sociales produites par les forêts doivent être conservées ou augmentées sans égard au prix qu'il faut payer pour atteindre ce résultat. La collectivité ou l'Etat aussi bien que le propriétaire forestier doivent calculer s'ils peuvent ou non supporter la charge que la production de ces valeurs sociales représente pour eux. Mais comme la loi de l'offre et de la demande ne permet pas d'en déterminer le coût, l'établissement d'un tel bilan offre souvent des difficultés et on ne peut obtenir qu'un résultat très approximatif.

Dans l'établissement des bilans privés et publics, un point est commun. Les moyens de production sont limités. Dans les deux cas, le principe fondamental d'économie doit être observé, c'est-à-dire que des moyens limités doivent être répartis entre les différents modes de production dans une proportion telle que la somme des valeurs obtenues soit aussi grande que possible.

Dans une entreprise privée il est aisé de faire le bilan. Ici, prix et valeurs sont la même chose. Chaque dépense en argent entre dans le passif; chaque recette en argent entre dans l'actif. Le bilan des dépenses et des recettes fait apparaître le bénéfice qui peut être comparé au capital investi dans l'entreprise. Le degré de rentabilité d'une entreprise individuelle, exprimé par le taux de rendement du capital qui y est investi, peut donc être comparé avec le degré de rentabilité d'une autre entreprise. Dans un régime de liberté économique totale le capital se déplace alors des entreprises dont la rentabilité est faible vers celles où elle est plus élevée. Tel est le mécanisme d'adaptation du rythme et du volume de la production des diverses marchandises à l'échelle des valeurs des biens matériels qui, elle-même, est le résultat du processus de libre fixation des prix.

Les choses sont tout à fait différentes quand il s'agit de faire entrer les valeurs sociales dans un bilan. Le prix de revient n'est pas nécessairement constitué par des dépenses effectives, le profit n'est pas non plus nécessairement une recette en argent. Le bilan ne peut pas être établi en chiffres. Le coût réel de production d'une certaine valeur, c'est la perte d'un autre valeur qui aurait pu être produite en son lieu et place; aussi, dans le cas des bilans publics il est absolument nécessaire de ne pas raisonner en termes d'argent mais seulement en termes de marchandises et de valeurs non matérielles.

Jusqu'ici la politique forestière de la plupart des pays n'a pas tenu grand compte de ce principe économique fondamental. La politique forestière ne doit pas être établie d'après les moyens dont dispose le gouvernement du jour, mais d'après ce que la communauté, comme telle, peut dépenser ou rapporter.

Déjà les Romains avaient conscience de l'existence de certaines valeurs sociales produites par les forêts. La Loi des Douze Tables promulguée en 450 av. J.-C. contient des dispositions pour prévenir la dévastation des forêts, et Cicéron traite d'ennemis de l'Etat ceux qui abbattaient les forêts de Macédoine.

Il semble qu'on ne se soit pas préoccupé, au moyen âge, de l'intérêt que présentent les forêts pour la société; par contre, dans les pays de l'Europe centrale, on fortement les droits des propriétaires forestiers (Loi salique, Loi des Burgondes, etc.); des châtiments sévères étaient prévus, par exemple contre les incendiaires de forêts, contre ceux qui arracheraient l'écorce des vieux chênes, ou contre ceux qui procéderaient à des coupes dans des propriétés privées.

C'est en Suisse que l'on trouve les exemples les plus anciens de mesures de conservation des forêts, inspirées par leur rôle protecteur contre les catastrophes (avalanches, etc.): ces mesures remontent à 1343 dans le Canton de Schwyz et à 1383 dans le Canton d'Uri Plus tard, de nombreuses ordonnances forestières furent édictées par les rois et les princes des différents pays d'Europe. Leur but était d'empêcher les coupes excessives afin de maintenir une production locale régulière de bois de chauffage et de bois de construction, car les moyens de transport étaient si rudimentaires qu'il était impossible de faire venir de loin, à un prix raisonnable, ces matériaux encombrants. Toutefois il ressort clairement de ces vieilles ordonnances forestières que la classe dirigeante en faveur de laquelle elles étaient prises était surtout préoccupée de sauvegarder les forêts en vue de la chasse.

Un fait essentiel dans l'histoire des politiques forestières européennes a été la promulgation en France en 1669, de la classique Ordonnance de Colbert sur les Eaux et Forêts. Bien que les intérêts des chasseurs y fussent pris également en considération, parmi les motifs qui ont inspiré cette ordonnance il faut en signaler un autre qui a influé d'une manière décisive sur la politique forestière de nombreux pays, à savoir le rôle des forêts comme sources de matériaux pour la construction des navires de guerre. Pour dominer les mers, il fallait posséder de grandes forêts de chênes à l'intérieur des frontières du pays. L'histoire de la politique forestière anglaise illustre admirablement ce point. En 1588. L'Invincible Armada, en partant pour la côte méridionale de l'Angleterre, avait reçu pour instructions d'incendier la forêt de Dean aussi tôt après son débarquement. Si cette opération avait réussi elle aurait empêché l'Angleterre de construire une flotte avant un siècle. Les événements suivirent un cours exactement inverse. Après la destruction miraculeuse de la flotte espagnole, le gouvernement anglais comprit le danger et ordonna la plantation de vastes forêts de chênes loin à l'intérieur du pays, mais l'intérêt porté à cette question s'évanouit rapidement. Environ cent ans plus tard, la lutte pour la suprématie entre les marines anglaise et hollandaise amena l'Angleterre à entreprendre à nouveau la plantation de forêts de chênes. C'est à cette époque que John Evelyn écrivit «Silva»., l'un des premiers manuels de sylviculture; c'était un traité sur les arbres des forêts et sur l'extension de l'emploi du bois de construction sur les domaines de Sa Majesté.

Une fois encore l'attention du gouvernement se détourna des plantations de forêts, jusqu'à ce qu'elle y fut ramenée, un siècle plus tard par les guerres napoléoniennes. En très peu de temps des capitaux normes furent affectés à la constitution de nouvelles forêts. Mais on n'avait pas eu le temps d'obtenir des résultats appréciables lorsque la substitution du fer au bois dans la construction des navires mit fin au rôle que les forêts jouaient dans la guerre maritime. Comme l'a dit un écrivain anglais, la sylviculture ne fut plus désormais qu'un «art perdu» en Angleterre. Pourtant, lorsqu'au cours de la première guerre mondiale la Grande-Bretagne se trouva coupée de ses sources continentales d'approvisionnement en bois, le reboisement connut la vogue pour la quatrième fois.

Après cette digression, revenons à l'ordonnance forestière française de 1669. Jusque vers 1800 cette ordonnance servit de modèle aux règlements forestiers d'un grand nombre de pays européens. A la suite du succès des thèses d'Adam Smith sur l'économie libérale, la plupart des pays abolirent leurs règlements forestiers. La France ouvrit la voie en 1791, puis ce fut la Norvège (1795), la Finlande (1805), la Prusse (1811) et la Suède (1828). En conséquence, de vastes étendues de forêts domaniales furent mises en vente. En France, environ un million d'hectares de forêts furent vendus par l'Etat à des particuliers entre 1807 et 1823. Seul le Danemark adopta une politique contraire. En 1805 le contrôle gouvernemental sur la gestion des forêts privées, qui avait été établi en 1681 fut rendu plus strict. La destruction des forêts fut absolument interdite. Le pacage du bétail et de tous autres animaux fut prohibé dans toutes les forêts existantes. Ce règlement, légèrement amendé en 1935, est toujours en vigueur.

A la suite de la suppression des réglementations gouvernementales sur les coupes forestières et après la vente des forêts domaniales, d'importantes destructions de forêts eurent lieu dans un grand nombre de pays d'Europe. A cette époque les conditions climatiques furent particulièrement anormales: tantôt sécheresse totale dans certaines régions ou pendant certaines années, tantôt pluies très abondantes dans d'autres régions ou d'autres années. On constata aussi un grand nombre d'avalanches, d'inondations, etc. C'est alors que se forma la conviction très ferme, quoique reposant sur des bases scientifiques bien précaires, que les forêts exercent une influence sur le régime des précipitations, sur la régularité du débit des cours d'eau et sur beaucoup d'autres phénomènes naturels. Cette conviction s'est maintenue jusqu'à maintenant, quoique dans la plupart des cas il ait été impossible jusqu'ici de prouver scientifiquement son bien-fondé. C'est dans quelques cas seulement que l'utilité des forêts pour la collectivité est évidente, par exemple en raison du rôle protecteur de certaines forêts contre les avalanches et contre les torrents.

Certains pays du continent ont édicté des règlements spéciaux pour la gestion et l'exploitation des forêts de protection. L'Autriche ouvrit la voie dans ce domaine par la promulgation, en 1852, d'un règlement forestier très sévère. Elle fut suivie en 1860 par la France, en 1876 par la Suisse et dans le cours des vingt-cinq années suivantes par presque tous les autres pays d'Europe.

L'intérêt que les autorités portèrent ainsi aux forêts en raison de leur rôle protecteur les conduisit peu à peu à prendre conscience de leur valeur économico-sociale en tant que source d'approvisionnement en matières premières, à l'intérieur des frontières nationales, pour la construction et les industries du bois. Les forêts particulières furent soumises à des règlements forestiers. Dans la plupart des pays le déboisement fut interdit, à moins que les terres défrichées pussent être affectées à d'autres fins productives, à l l'agriculture de préférence, ou reboisées. Le règlement, suédois de 1903, revisé en 1923, a formulé le principe que l'importance des exploitations dans les futaies arrivées à maturité ne doit pas mettre en danger les possibilités de reproduction naturelle.

Entre les deux guerres mondiales presque tous les pays européens ravisèrent leur règlement forestier et quelques-uns des pays reconstitués ou nouvellement créés introduisirent des règlements d'une rigueur extraordinaire, par exemple la Pologne en 1927 et la Tchécoslovaquie en 1928.

Il est évident que cette évolution des politiques forestières européennes reflète l'évolution générale de l'économie mondiale après la première grande guerre, évolution marquée par un recul de l'économie libérale et le renforcement des tendances autarciques et protectionnistes. Il faut incontestablement y voir l'une des nombreuses manifestations du problème qui se posait pour le monde entier, d'assurer la stabilité de la monnaie nationale et de fournir du travail à l'intérieur du pays à tous ceux qui peuvent travailler. Pour atteindre ces buts, il faut une politique forestière qui repose sur une analyse rationnelle des conditions économiques plus poussée que cela ne serait normalement nécessaire s'il s'agissait simplement de la production des biens matériels que l'on peut tirer des forêts.

Quand il s'agit d'établir le bilan d'une entreprise forestière privée, le rendement des capitaux investis est le point essentiel. La main-d'œuvre doit être rétribuée selon les tarifs syndicaux en vigueur. En certains endroits, où la mise en culture des terres est poussée très loin et où le terrain consacré à la forêt pourrait être loué à des cultivateurs pour y faire pousser des récoltes, il faut également tenir compte de la valeur locative du terrain. Mais dans la plupart des cas le sol des forêts est d'une qualité si pauvre ou les forêts sont dans des endroits si peu accessibles que le terrain ne peut servir à d'autres fins. Dans de tels cas il n'y a pas lieu de tenir compte de la valeur locative du terrain et ce qui reste après le paiement des salaires peut être considéré comme représentant l'intérêt du capital investi. Si ce mode de calcul fait apparaître un taux de rendement aussi élevé ou même plus élevé que le taux moyen de rendement des capitaux investis dans d'autres entreprises, l'exploitation des forêts est une entreprise commerciale satisfaisante. Sinon, le capital représenté par les forêts sera réalisé, c'est-à-dire que les peuplements dont la coupe laissera un bénéfice seront abattus, à moins que des dispositions législatives et une surveillance suffisante ne l'empêchent.

Les économistes forestiers peuvent utiliser une méthode analogue en établissant le bilan de ce que coûtent les valeurs économico-sociales de la forêt et des avantages qu'elles représentent. Le rendement du capital investi peut être calculé et, s'il y a déficit, on le compare aux avantages que la collectivité retire de la forêt. Toutefois une telle méthode n'est rationnelle que si on l'applique seulement à des valeurs sociales telles que le rôle protecteur des forêts contre les eaux ou leur utilisation à des fins touristiques. Le bilan doit être établi d'une manière toute différente si on fait entrer en compte l'importance des biens matériels tirés des forêts pour l'approvisionnement national ou pour le marché du travail, en raison des possibilités d'emploi qu'ils font naître pour la main-d'œuvre.

Si l'on recherche comment obtenir une production nationale aussi élevée que possible, la question de la main-d'œuvre devient le point délicat. C'était déjà le cas quand une liberté économique totale prévalait, avant que les syndicats ouvriers fissent leur apparition, et c'est encore bien plus le cas aujourd'hui, car aucune communauté civilisée ne saurait permettre que la liberté entière du marché du travail conduise les ouvriers à accepter n'importe quelles conditions pour échapper à la faim. Si un homme ne gagne pas assez pour lui-même et sa famille il tombe à la charge de la communauté qui doit le faire vivre. D'une manière ou d'une autre, selon le degré d'avancement des institutions de prévoyance sociale dans le pays, cet homme aura, même si elle doit être infime, sa part du revenu national, bien qu'il ne contribue pas lui-même à le créer. Dans ces conditions la communauté a tout intérêt à ce que chacun, par son travail, produise une fraction du revenu, même si la valeur du travail accompli reste inférieure à la valeur de ce qu'il consomme et bien au-dessous du niveau des salaires syndicaux.

Dans une entreprise privée l'utilité d'un travailleur doit correspondre au moins au salaire qu'on lui paye. Dans une entreprise gérée par l'Etat ou une collectivité, et lorsqu'il y a chômage, il faut mettre à profit toutes les possibilités d'emploi, même marginales. Cela veut dire que quand on fait le bilan d'une entreprise gérée par l'Etat ou par une collectivité, un intérêt raisonnable doit d'abord et avant tout être assuré au capital investi. Ce qui reste après le prélèvement de cet intérêt, c'est ce qui a été produit par le travail et ce gain, si minime soit-il, justifie d'un point de vue social la mise en route ou la continuation d'une entreprise, puisqu'il en résultera un revenu national réel plus élevé que si la main-d'œuvre employée dans l'entreprise était réduite au chômage.

Cela pose un problème social et politique très difficile à résoudre. Au lieu que l'Etat crée, pour combattre le chômage, des entreprises dans lesquelles la valeur marginale de travail est faible, on peut parfois accroître le revenu national total dans des proportions beaucoup plus importantes en permettant de continuer à vivre à des entreprises privées que leurs propriétaires voudraient abandonner, parce que la valeur marginale du travail y est inférieure au tarif des salaires. La solution de ce problème peut être trouvée dans des subventions de l'Etat aux entreprises privées soit directement, soit indirectement par des mesures protectionnistes ou autres.

Quand il s'agit plus particulièrement des forêts et de politique forestière, deux solutions doivent être envisagées. La première c'est la plantation de forêts sur des terrains incultes. L'autre c'est la conservation, grâce à des mesures législatives appropriées, des forêts déjà existantes et la conversion des forêts à exploitation intermittente en forêts à rendement continu. L'une et l'autre de ces solutions ouvrent des possibilités d'emploi dans dès régions qui jusqu'ici n'offraient que des occasions de travail limitées ou intermittentes. En outre la production nationale de matières se trouve accrue, ce qui à son tour augmente les possibilités d'emploi et contribue à un niveau de vie plus élevé pour d'autres groupes de la population. Entre les deux guerres, le chômage a été l'un des traits dominants de la vie économique de la plupart des pays européens, et cela explique le grand intérêt porté aux questions forestières pendant cette période.

On avait redouté une nouvelle période de chômage à la suite de la deuxième guerre mondiale, mais dans la plupart des pays européens qui possèdent de grands domaines forestiers, c'est exactement l'inverse qui s'est produit. Les pertes en vies humaines causées par la guerre et la baisse de la natalité constatée depuis plus de vingt ans ont entraîné une réduction du nombre des jeunes gens en âge de travailler. De plus, la forte attraction que les villes exercent sur les populations rurales, attirées par les usines au détriment de l'agriculture ou de la sylviculture, a encore aggravé la pénurie de main-d'œuvre dans ces deux domaines, ce qui rend encore plus complexe le problème politique d'un équilibre rationnel de l'économie forestière. En même temps, les énormes dévastations de la guerre ont provoqué une augmentation considérable des besoins en bois, que ce soit pour la reconstruction ou pour tous ses autres usages.

Pour arrêter une politique forestière rationnelle il est nécessaire de distinguer entre les travailleurs, qui peuvent être aisément déplacés d'un endroit où il y a surabondance de main-d'œuvre vers d'autres lieux où elle manque, et les travailleurs non déplaçables, par, exemple les petits propriétaires qui sont attachés à leur exploitation par tous les liens que créent une propriété héréditaire et la tradition. Dans de nombreux pays, entre autres la Finlande, la Norvège et la Suède, il est d'une importance extrême pour la production agricole que ces derniers puissent être employés dans les forêts pendant les périodes souvent longues où il n'y a pas de travaux agricoles à effectuer. Du point de vue social ce travail accessoire a son utilité, même si sa valeur marginale est négligeable, tandis que dans le cas des travailleurs mobiles leur affectation à des travaux forestiers suppose que leur valeur marginale y est au moins égale à ce qu'elle serait dans l'industrie.

Il pourrait être utile de combiner la petite propriété forestière avec la petite propriété agricole, mais une telle combinaison de l'agriculture et de la sylviculture exigerait des mesures législatives pour prévenir la dévastation des forêts dans ces petites propriétés, et une aide, non pas directe mais indirecte, sous forme de conseils gratuits qui seraient donnés par des forestiers de métier sur la manière d'exploiter les forêts en vue d'en tirer un revenu régulier.

Là où la forêt a déjà été détruite entièrement ou partiellement, le reboisement devient une question nationale ou régionale. Les dépenses de matériel qu'exige le reboisement sont presque nulles. Il s'agit seulement de quelques outils, de charrues et de herses, dont le coût est négligeable par rapport aux salaires qu'il faut payer à la main-d'œuvre. Pour le propriétaire privé surtout il s'agit là d'une dépense réelle, car elle diminue sa propre part du revenu total; mais pour la communauté ce n'est pas une dépense puisque le revenu total n'est pas diminué par l'emploi d'une main-d'œuvre qui autrement resterait inutilisée; au contraire, le revenu national ultérieur sera augmenté par la reconstitution des forêts.

La France a donné l'exemple le plus remarquable des sages mesures qui peuvent être prises dans cette direction. La loi du 19 juillet 1857 obligea les Conseils généraux des départements du sud-ouest de la France, entre la Garonne et les Pyrénées, dans la région marécageuse et peu habitée des Landes, à faire procéder au draînage du sol et à planter des forêts. En cas de carence de leur part, l'Etat ferait exécuter lui-même les travaux, mais bien entendu tous les revenus provenant des forêts lui seraient acquis jusqu'au remboursement complet des dépenses effectuées, intérêts compris. En moins de vingt ans 600.000 hectares de terrain furent draînés et reboisés et aujourd'hui la forêt couvre environ 900.000 hectares, c'est-à-dire 80 pour cent de la région des Landes. Alors que c'était autrefois une des régions les plus pauvres de la France, avec une population clairsemée et minée par la maladie, elle s'est transformée en moins de cinquante ans en une province prospère.

Ce que nous venons de dire devrait suffire à montrer que les problèmes urgents de la politique forestière ne peuvent pas, comme cela a presque toujours été le cas en Europe jusqu'ici, être résolus à l'aide de mesures dictées par des considérations sentimentales, mais que les solutions doivent reposer sur une analyse rationnelle des conditions économiques.

[Traduction FAO.]


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