Page précédente Table des matières Page suivante


Le forestier et la nature

Par JEAN E. GOBERT

LE présent article ne veut être qu'une brève introduction à l'étude des problèmes concernant la protection de la nature.

Bien que l'organisation et les attributions des services intéressés varient de pays à pays et que, par conséquent, les problèmes de la protection de la beauté des paysages et de la vie de la nature, y soient interprétés de manière différente, il nous semble que le lecteur y pourra, toutefois, trouver un certain intérêt, en adaptant notre exposé aux conditions particulières de sa nation et à son organisation administrative.

L'intérêt pour la nature et ses divers aspects

L'amour de la nature est un sentiment très ancien qui s'est accentué depuis que l'homme s'est trouvé de plus en plus entravé par les exigences de la vie sociale. Le caractère toujours plus artificiel de la vie dans les agglomérations urbaines et les contraintes de la vie en commun, lui font toujours plus désirer de trouver dans la vie au sein de la nature ne fût-ce qu'une illusion de la liberté.1

1 Voir notamment sur ces questions: F. Paulhan, L'Esthétique du paysage, Paris, Librairie Alcan), et J. de Gaultier, La Vie mystique de la Nature, Paris, Editions G. Crès et Cie.

Ce désir d'évasion et du retour à la nature n'est certes pas nouveau, mais il s'est aussi affirmé dans l'homme moderne sous la forme de préoccupations esthétiques auxquels ses ancêtres n'avaient sans doute prêté qu'un très faible intérêt. Ces derniers étaient trop étroitement liés à la vie de la nature pour pouvoir assumer une attitude contemplative vis-à-vis d'elle et, encore moins, pour la considérer du point de vue de sa beauté.

En outre, le développement du tourisme a donné à la question de la conservation des paysages et de la vie naturelle, un intérêt commercial qu'elle n'avait pas dans le passé. Il s'en suivit que dans nombre de pays une législation spéciale a été promulguée.

Que faut-il protéger? - Quelques définitions

De cet exposé très général, il résulte que la protection de la nature peut se concevoir de plusieurs manières: protection de certains paysages, en raison de leur: intérêt sentimental pittoresque, historique ou artistique; protection absolue de vestiges de nature primitive (sol, faune et flore) en vue de leur étude scientifique; protection limitée à certaines associations végétales particulièrement intéressantes, ou à certaines plantes rares ou´ précieuses; ou à certains groupements animaux menacés de disparition et intéressants pour les biologistes ou les chasseurs (bisons d'Amérique et d'Europe; bouquetins des Alpes; gibiers africains; baleines; phoques; oiseux rares; etc.)

Les points de vue possibles sont donc très divers suivant les personnes, les régions et les époques. Ainsi, la chasse, au castor fut interdite en Pologne dès l'an 1000; des édits royaux interdirent, vers 1423, dans ce même pays, la chasse au cerf, au sanglier, celle du cheval sauvage et de l'élan, ainsi que l'abattage de l'if.

C'est également sous l'aspect restreint de la protection du gibier des chasses royales que la législation française ancienne apporta une première contribution à la protection de la nature; et ce sont les besoins de la marine royale qui poussèrent Colbert à édicter un ensemble de mesures qui favorisèrent la conservation et l'enrichissement des forêts françaises.

Les premières «séries artistiques» furent créées en 1861 dans la forêt de Fontainebleau pour répondre aux voeux des artistes; et l'on peut voir, sinon la première, du moins l'une des premières organisations qui devaient, un peu plus tard, trouver un développement grandiose dans les parcs nationaux de divers pays et, notamment, dans ceux des Etats-Unis d'Amérique.

Les premières «réserves biologiques intégrales» paraîssent être celles que les autorités françaises instituèrent à Madagascar, dès 1927, en vue de la protection absolue et de l'étude de portions inhabitées du territoire, présentant des types de végétation et de faune absolument uniques, d'un puissant intérêt pour la science, mais menacés par des dangers et des abus de toutes sortes. Leur contrôle et leur gestion administrative furent confiés au Service forestier tandis que le Muséum national d'histoire naturelle de Paris y assurait l'organisation des recherches.

C'est une inspiration semblable qui a provoqué, à partir de 1925, l'institution du Parc national Albert, au Congo belge, que l'on peut citer comme un modèle du genre.

Et nous pourrions citer de très nombreux exemples d'institutions analogues entreprises dans divers pays depuis le début du XXe siècle.

Il est donc devenu indispensable de préciser avec soin les expressions que l'on doit employer maintenant pour éviter les confusions de langage et d'idées et pour définir nettement le caractère exact des divers types de protection possibles.2

2Voir notamment sur ces questions: Contribution à l'étude des réserves naturelles et des parcs nationaux, publication de la Société de Biogéographie, P. Lechevalier, éditeur, Paris, 1937. On se reportera aussi avec fruit aux comptes rendus suivants: Compte rendu du 1er Congrès international pour la protection de la nature, publication de la Société d'Acclimatation, Paris 1923; Compte rendu du 2ème Congres international pour la protection de la nature, Société d'Editions géographiques, maritimes et coloniales, Paris, 1932.

C'est à la Conférence internationale pour la protection de la faune et de la flore en Afrique, qui s'est tenue à Londres en novembre 1933, qu'ont été adoptées les définitions précises du parc national et de la réserve naturelle intégrale.3

3 «Art. 2. - Le «parc national» est une aire:

«a) placée sous le contrôle publie, dont les limites ne seront pas changées et dont aucune partie ne sera capable d'être transférée sauf par l'autorité législative compétente;

«b) mise à part pour la propagation, la protection et la conservation do la vie animale sauvage et de la végétation sauvage et pour la conservation d'objets d'intérêt esthétique, géologique, préhistorique, etc., et d'autres intérêts scientifiques, au profit, à l'avantage et pour la récréation du publie général;

«c) dans laquelle la chasse, l'abattage et la capture de la faune et la destruction ou la collection de la flore sont interdits sauf par l'entreprise ou sous la direction ou le contrôle des autorités des autorités du parc.

«Conformément aux dispositions précédentes, des facilités seront, dans la mesure du possible, accordées au publie général pour observer la faune et la flore dans les pares nationaux.»

D'autre part, la définition de la «réserve naturelle intégrale» a été inspirée par l'article 4 du décret qui consacrait la création des réserves à Madagascar:

«C'est une aire placée sous le contrôle publie, sur toute l'étendue de laquelle toute espèce de chasse ou de pêche, toute exploitation forestière, agricole ou minière, toutes fouilles ou prospections, sondages, terrassements ou constructions, tous travaux tendant à modifier l'aspect du terrain ou de la végétation, tout acte de nature à nuire ou à apporter des perturbations à la faune ou à la flore, toute introduction d'espèces zoologiques ou botaniques, soit indigènes, soit importées, sauvages ou domestiquées, seront strictement interdits, où il sera défendu de pénétrer, de circuler ou de camper sans autorisation spéciale écrite, des autorités compétentes et dans laquelle les recherches scientifiques ne pourront être effectuées qu'avec la permission de ces autorités.»

Il est important de bien distinguer ces deux grandes catégories et d'éviter d'employer les termes l'un pour l'autre.

Le mont Rundle das le Parc national de Banff, dans les montagnes Rocheuses.

Mais, bien entendu, la protection de certaines espèces ou de certaines formations peut être envisagée sous des formes plus limitées dans certains cas et notamment, dans les pays de vieille civilisation où les importantes réalisations dont nous venons de parler se heurtent à des difficultés considérables.

C'est ainsi que des forêts méditerranéennes dégradées peuvent être mises en réserve, à l'abri des exploitations ordinaires, en vue de leur reconstitution par des stades progressifs, par tous les moyens appropriés qui rendent nécessaires, évidemment, des interventions plus ou moins étendues, la réserve intégrale y étant le plus souvent impossible et inopportune. Ce sont des réserves de reconstitution forestière.

Des séries artistiques ont été également constituées, comme nous l'avons vu, dans certaines forêts françaises par exemple dans celles de Fontainebleau et de la Grande-Chartreuse. Le public y est admis et les interventions nécessaires pour en sauvegarder le caractère esthétique y sont faites avec toute la prudence désirable. Elles peuvent d'ailleurs avoir un caractère mixte, artistique et biologique:

Des réserves botaniques limitées peuvent être également constituées pour protéger une station présentant une végétation particulièrement intéressante. Citons, dans cet ordre d'idées, la petite réserve de Saint-Crépin en France, dans les Hautes-Alpes, établie pour protéger un peuplement extrêmement curieux de genévriers thurifères, Juniperus thurifera, qui est une véritable relique et dont on ne trouve l'équivalent qu'en Afrique du Nord. De même, aux Etats-Unis, certains parcs nationaux sont surtout des réserves botaniques pour protéger et mettre en valeur les fameux sequoias.

Les réserves purement zoologiques ont été souvent uniquement envisagées sous la forme de réserves de chasse. C'est ainsi que l'administration des Eaux et Forêts française laisse volontairement pendant une ou plusieurs périodes de neuf ans certaines forêts en dehors des adjudications du droit de chasse. Cette conception a reçu une extension grandiose dans certains parcs ou réserves des Etats-Unis, du Canada ou de l'Union Sud-Africaine.

On peut également parler de réserve géologique ou préhistorique pour mettre à l'abri des dévastations certains gîtes de fossiles ou de minéreaux, une grotte particulièrement intéressante, ou certaines stations préhistoriques.

Aspect législatif et administratif du problème

Au Canada, la faible densité de la population et l'état de nature tout à fait primitif sur d'immenses étendues, la rigueur du climat assurant une protection automatique pendant une grande partie de l'année furent autant de facteurs qui facilitèrent l'institution des parcs nationaux ou provinciaux et des réserves zoologiques («sanctuaires» d'oiseaux, par exemple).

Mais, presque partout ailleurs, on ne peut envisager de pareilles réalisations sans heurter des intérêts ou des habitudes. Il a donc été nécessaire de recourir à une législation et à une réglementation basées sur une étude approfondie, d'une part des besoins des populations autochtones ou des industries, en y comprenant le tourisme et, d'autre part, des buts exacts poursuivis dans chaque cas d'espèce.

Les ours de Yellowstone ne sont déjà plus des bêtes «sauvages.»

Le garde d'une réserve zoologique des côtes de l'Atlantique (Frange) présente un macareux.

C'est ainsi qu'aux Etats-Unis, la loi de 1872 qui a organisé le Parc national de Yellowstone précise nettement son objet qui est double: «mettre à d'abri de toutes déprédations humaines les beautés et renommées naturelles les plus remarquables du pays; favoriser, par la vie dans la nature, l'éducation, la récréation et l'amusement du peuple».

Elle fait donc une très large place au tourisme et l'expérience a déjà montré que cette part est peut-être trop généreuse. C'est ainsi que, pour bénéficier des sources d'eau chaude, on a laissé s'édifier un établissement hydrothérapique au milieu du bassin supérieur des geysers; ce n'est peut être pas sans inconvénient, du point de vue esthétique, dans un site véritablement unique au monde.

D'autre part, l'afflux des visiteurs n'est pas sans influence sur la population zoologique, soit en effarouchant certains animaux malgré les précautions prises pour limiter l'invasion humaine; soit, au contraire, en modifiant leur caractère et en les rendant exagérément familiers. C'est le cas des ours noirs qui, tant dans le Yellowstone que dans divers autres parcs des Etats-Unis et du Canada, viennent quémander les friandises que leur apportent les visiteurs et prennent l'habitude de venir se nourrir dans les détritus des camps et des hôtels. Des mesures ont déjà été prises pour éviter les inconvénients qui pourraient en résulter, notamment en provoquant la dégénérescence de ces animaux dont l'état naturel passe pour plutôt misanthrope.

L'accès des touristes est également réglementé pour éviter les déprédations dans les forêts; mais certains dommages imprévus peuvent se manifester. C'est ainsi que les Sequoia gigantea du Sequoia National Park et du Yosemite National Park ont été sérieusement menacés de dépérissement par le piétinement des campeurs et des touristes. Car il est néfaste aux mycorhizes grâce auxquelles ces arbres géants, comme bien d'autres de dimensions plus modestes, puisent leur nourriture dans le sol. Et ce simple tassement du sol risquait de faire mourir ces colosses plusieurs fois millénaires, atteignant 60 mètres de haut (200 pieds), et certains 100 mètres (300 pieds), alors qu'ils avaient résisté à toutes les autres causes de destruction. Aussi des mesures d'urgence ont-elles été prises pour y remédier.

Nous retrouvons là, sous une forme inattendue, les mêmes dommages que ceux qui résultent, pour la conservation et la régénération des arbres, de l'afflux des promeneurs dans les bois de Boulogne et de Vincennes, aux portes de Paris.

En général, des lois sont nécessaires pour créer de vastes organisations comme les parcs nationaux ou les réserves naturelles intégrales. Elles seules peuvent leur donner, avec leur véritable statut, la stabilité nécessaire et s'opposer aux empiètements et aux abus; car la continuité est essentielle, surtout dans les réserves intégrales à but essentiellement scientifique.

Des mesures administratives doivent ensuite fixer les détails: organisation financière, délimitation exacte et cartographie des terrains, règles d'admission et de contrôle du public et des spécialistes, programme de recherches, destructions éventuelles d'animaux en excès dangereux pour l'équilibre de l'ensemble, etc.

Ces lois et règlements sont indispensables; mais, en une matière aussi délicate, elles ne doivent intervenir qu'après des études approfondies et les avis des meilleurs spécialistes dans les diverses branches.

Les buts exacts que l'on poursuit doivent, tout d'abord, être nettement délimités; il est essentiel de se référer aux définitions internationales qui précèdent pour nommer avec précision surtout les institutions d'une certaine ampleur et déterminer les moyens d'action nécessaires.

Les immenses parcs nationaux des Etats-Unis et du Canada, le Parc national Albert au Congo belge ont exigé des administrations entièrement nouvelles.

Ceux du Canada, par exemple, disposent d'une véritable administration centrale dépendant du Ministère de l'Intérieur à Ottawa et chacun d'eux possède une administration locale particulière.

Les parcs nationaux des Etats-Unis dépendent également du Département de l'Intérieur, tandis que les «Monuments nationaux» sont rattachés à celui de l'Agriculture.

Quant au Parc national Albert4, à but plus spécialement scientifique, il est dirigé depuis 1934 par l'Institut des Parcs nationaux du Congo belge, doté de la personnalité civile et administré par une Commission et un Comité de Direction. Les institutions et établissements scientifiques belges sont largement représentés dans la Commission et, innovation digne d'éloges et qui doit être spécialement soulignée ici, un tiers des membres est choisi parmi les membres les plus éminents des institutions savantes étrangères. Ainsi se trouve marqué profondément le caractère d'universalité de ces créations dont l'esprit hautement cultivé et sensible à la Nature du Roi Albert 1er avait mesuré toute l'importance. Les amis de la Nature doivent dédier à sa mémoire une pensée reconnaissante.

4 Ce parc s'étend sur près d'un million d'hectares de plaines et de hautes montagnes équatoriales dont une grande partie forme une réserve intégrale d'une variété et d'une richesse botanique, zoologique et géologique exceptionnelles.

A cette Commission et à ce Comité qui assurent la gestion d'ensemble et la direction des recherches scientifiques de cet énorme domaine, vient s'ajouter le personnel permanent résidant sur place; il est formé de conservateurs blancs, anciens fonctionnaires ou officiers ayant une grande expérience des affaires coloniales et qui ont sous leurs ordres un corps dé gardes indigènes pour assurer la répression des infractions et coopérer aux recherches de toute nature.

Il ne nous est pas possible, dans cet exposé très général d'entrer dans plus de détails sur l'aspect législatif et administratif du problème de la protection de la nature. Ce sujet mériterait à lui seul une étude spéciale, exposant succesivement, les réalisations actuelles et les possibilités d'avenir dans les diverses parties du monde.

Nous devons cependant dire encore quelques mots d'un aspect particulier de la question auquel nous avons déjà fait allusion plus haut.

La préservation de vestiges de nature vierge ou très voisine encore de cet état, ou, du moins, de certains éléments de cette nature, présente assurément le plus grand intérêt et elle est encore possible dans certaines régions, comme nous l'avons montré. Mais, dans les vieux pays comme la France où cette nature primitive n'existe pour ainsi dire plus, la protection plus ou moins complète, à but scientifique, de certaines zones est forcément très limitée. Par contre, les paysages chargés de souvenirs historiques ou légendaires ou présentant un réel intérêt artistique ou pittoresque n'y sont pas rares. On a donc été amené à protéger par des lois (notamment en 1906, puis en 1930) ces «monuments naturels» et ces sites, bien qu'ils soient, en général, fort loin de l'état de véritable nature. La protection s'exerce contre toutes les causes de dégradation ou d'enlaidissement et notamment contre l'industrie (usines, pylores de transport d'énergie électrique, carrières, etc.), contre l'affichage et aussi contre les excès mêmes du tourisme; car celui-ci et ceux qui l'exploitent risquent souvent de détruire, par une mise en valeur maladroite ou excessive, l'objet même de leur admiration ou de leur calcul.

Toute une éducation du public serait donc à faire à cet égard, surtout dans certains pays et elle devrait commencer dès l'école. Mais ceci est une autre question que nous nous bornons à indiquer en passant.

La contribution des forestiers a la protection de la nature

Il nous paraît évident que, dans la grande œuvre de la protection de la nature, ébauchée depuis la fin du siècle dernier, les forestiers doivent jouer un rôle essentiel.

Partout où des parcs ou réserves existent ou sont possibles, ils doivent s'efforcer de participer aux recherches scientifiques concernant les forêts et leur évolution; car le complexe «forêt» est, on le sait, tout autre chose que la somme des arbres qui en forment l'élément le plus visible; et l'étude vraiment scientifique des forêts encore à l'état de nature nous réserve certainement bien des découvertes intéressantes, qu'il s'agisse de l'évolution des sols forestiers, de la régénération naturelle des diverses essences, de leur alternance, des lois de la croissance des individus et des peuplements, etc.; et elles présentent bien des modalités suivant les divers types de peuplement et les climats variés propres à l'existence de la forêt.

Quelques beaux spécimens des fameux «redwoods», Sequoia gigantea, dans le Parc national Yosemite (Etats-Unis).

En dehors des travaux rentrant dans le cadre de leurs études propres, les forestiers de tout pays trouveront toujours grand profit à collaborer avec les savants des diverses spécialités, et réciproquement.

Il semble bien prouvé, par exemple, que dans les forêts résineuses d'Europe encore à l'état de nature ou dans un état assez comparable (certaines forêts des Carpathes, Parc national suisse) tout comme dans les forêts équatoriales, les insectes phyllophages et xylophages ne se développent jamais au point de devenir de véritables ravageurs comme ils le font malheureusement dans les forêts plus ou moins artificielles. Un état d'équilibre existe entre le milieu, les arbres, leurs parasites et les parasites de ceux-ci et il n'est jamais sérieusement menacé tant que les conditions de cet équilibre ne sont pas détruites par l'homme.

Mais il serait intéressant de poursuivre ces observations en collaboration avec des entomologistes qualifiés. L'exemple de M. A. Barbey, dans le Parc national suisse, prouve d'ailleurs que certains forestiers peuvent être parfaitement compétents pour étudier des questions purement biologiques en même temps que leurs applications pratiques et il est à souhaiter que cet exemple se généralise.

Le massif de l'Ailefroide dans le Para national du Pelvoux (France).

Par ailleurs, les forestiers sont généralement bien préparés à la connaissance des animaux sauvages et ils peuvent ajouter des observations précieuses à celles des zoologistes plus spécialisés ou provoquer des recherches dans une direction déterminée; de même pour la faune des eaux douces et notamment la faune piscicole.

Leur expérience administrative peut être précieuse autant que leur compétence technique; car nous avons montré que, dans ce domaine, les buts poursuivis scientifiques aussi bien qu'esthétiques et touristiques ne peuvent être atteints que par des mesures législatives et administratives soigneusement étudiées et adaptées aux divers cas. En France, par exemple, les officiers forestiers gèrent les forêts de l'Etat et des collectivités et il est question d'étendre leurs attributions plus loin encore. Surtout juristes au cours des siècles passés, ils sont devenus sylviculteurs, aménagistes et reboiseurs, c'est-à-dire techniciens de la forêt au cours du XIXe siècle; puis ils ont dû se préoccuper des techniques du bois et, surtout depuis 1939 et l'institution de l'économie dirigée, des questions économiques; en montagne, ils poursuivent une œuvre importante de restauration et de reboisement, liée à la correction des torrents. Leur besogne administrative et technique est donc considérable et variée.

Mais, de même qu'ils s'efforcent de concilier la bonne gestion des forêts suivant des méthodes éprouvées avec les besoins exceptionnels en bois de l'époque présente, nous estimons qu'ils peuvent encore réserver dans leurs préoccupations une place de choix aux questions esthétiques et scientifiques dont nous venons d'exposer sommairement l'intérêt.

Dans la plupart des pays, la formation des forestiers les met en mesure d'agir personnellement, par leurs initiatives administratives ou leurs études; d'autres peuvent prêter aux spécialistes un concours précieux ou provoquer leur intervention.

Nous n'avons pu, dans cette rapide esquisse, qu'effleurer les aspects du problème les plus intéressants. Elle mérite croyons-nous, d'être complétée peu à peu par des études plus spéciales, par exemple sur l'état actuel de la question dans chaque pays, notamment dans ses relations avec les forêts et les forestiers, ainsi qu'avec la chasse, la pêche et le tourisme.

Cette grande idée de la protection de la nature présente, comme le roi Albert 1er de Belgique l'avait déjà pressenti, une portée internationale; elle peut être, elle doit être un instrument d'éducation du public de tous les pays, en même temps que de préservation des beautés et des richesses naturelles dont nous sommes comptables vis-à-vis des générations futures. Elle a donc sa place marquée dans les programmes des organisations qui doivent-préparer l'avènement d'une véritable coopération internationale dans tous les domaines et, notamment, dans le domaine culturel.

[Photos: J. E. Gobert, Canadian National Parks Bureau, et U. S. National Parks Service.]


Page précédente Début de page Page suivante